Interview de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, à France-Inter le 23 juin 2003, sur la campagne du référendum sur l'avenir institutionnel de la Corse.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli.- Pour ou contre une collectivité territoriale unique en Corse ? Mais les référendum répondent-ils aux questions qu'ils posent ? Dans une île où les fonctionnaires sont nombreux, les "non" ne s'adresseraient-ils pas aussi, surtout, à la réforme Fillon sur les retraites ? La question corse poussera-t-elle le président de la République à s'engager dans un référendum local ? N. Sarkozy, ministre de l'Intérieur, [nous sommes face à] une opinion hésitante, une opinion bousculante, comme c'était le cas samedi à Bastia. Avez-vous la certitude que les Corses ont tous bien intégré l'enjeu de ce référendum ?
- "J'ai une certitude, c'est que si on ne fait rien en Corse, ça va continuer comme ça continue depuis 28 ans. La question corse, c'est une des questions les plus difficiles qui est posée à la République française. 28 ans pourquoi ? C'est la cave d'Aléria. Depuis 28 ans, tous les gouvernements, de gauche ou de droite, ont échoué en Corse. Alors, il y a un certain nombre de gens qui réfléchissent à ça et qui me disent, avec une logique imparable : rien ne va en Corse, on en tire donc la conclusion que rien ne doit changer. Voilà pour les partisans du "non". Rien ne doit changer pourquoi ? Pour que les clans et les clandestins ça continue dans les mêmes conditions. Le Gouvernement choisit une autre stratégie : celle de faire bouger les choses. Comment ? En proposant trois changements considérables, qui n'ont jamais été proposés à la Corse. Le premier, c'est de donner la parole aux Corses. Quelle est la différence entre ce qu'on fait et le processus de Matignon ? C'est que Matignon, c'était 50 élus qui discutaient hors la présence des Corses. Là, c'est 190 000 électeurs corses, à qui on demande leur avis, ils ne pourront pas se plaindre. On ne peut pas faire le bonheur des gens contre eux. C'est à eux de provoquer le sursaut pour que ça se redresse en Corse."
Mais vous pensez qu'ils vont répondre vraiment à la question telle qu'elle est posée ?
- "Je l'espère, je fais toujours le pari de l'intelligence, on verra si je me trompe. Deuxième élément : il y a 52 conseillers généraux en Corse. Tenez-vous bien : une femme ; 51 conseillers territoriaux en Corse, tenez-vous bien : six femmes. La Corse, c'est la région de France où il y a le moins la culture du dialogue, du compromis, de l'écoute de l'autre. On prend des postures et on ne s'écoute pas. Avec le statut que nous proposons, la moitié de la classe politique insulaire, ce sera des femmes. C'est un changement considérable. Pour enfin, faire reculer et casser la spirale de la violence. Enfin, dernier point : la collectivité unique. La Corse : 260 000 habitants, 360 communes, 2 départements, une collectivité territoriale. J'étais samedi en Corse. Formidable. Est-ce que vous savez que rien ne ressemble plus à un incendie de forêt en Corse-du-Sud qu'en Haute-Corse. Eh bien, les conseils généraux ont trouvé le moyen de se doter de deux systèmes de radio incompatibles, entre les pompiers de Haute-Corse et les pompiers de Corse-du-Sud ! Avec la collectivité unique que nous proposons, c'est la chance d'un lieu de cohérence en Corse. Enfin, les Corses sauront à cause de qui ça marche ou à cause de qui ça ne marche pas. Aujourd'hui en Corse, quand vous demandez pourquoi ça ne ca pas, c'est toujours la faute de l'autre. Avec la collectivité unique, il y aura un lieu de cohérence et un lieu de pouvoir. Dernier point : on me dit : ah ! c'est difficile la Corse. Ah bon ? Il faut me l'expliquez, vous croyez que je ne le sais pas ?! Bien sûr que c'est difficile. Si c'était pas difficile, le Premier ministre n'y aurait pas été trois fois. C'est mon huitième voyage. C'est difficile justement parce que depuis 28 ans, on devrait prendre des risques, proposer un changement à la Corse, on ne fait rien. Alors, voilà ce qu'on essaye de faire. J'ai confiance en la volonté des Corses à s'en sortir. Parce que, voyez-vous, je ne partage pas cette espèce d'humeur anti-Corse. Les Corses, sont les premières victimes de ce qu'ils connaissent et pas les premiers coupables."
Oui mais alors, il y a aussi cet enjeu sur lequel il faut faut qu'on s'arrête un instant quand même : 52 % de fonctionnaires en Corse, et au moment où vous posez une question, beaucoup d'entre eux vont répondre peut-être à autre chose qu'à la question que vous leur posez. Vous les savez bien monsieur Sarkozy ça ?
- "Exact."
Oui, mais sauf que ça engage beaucoup de choses sur le référendum en Corse, au-delà même de la Corse.
- "Mais bien sûr. Si vous voulez me faire dire qu'il y avait beaucoup de raisons pour qu'on ne fasse rien, vous avez parfaitement... je vous suis. C'est ce qui explique..."
Vous avez évidemment compris que ce n'est pas cela que je vous demande.
- "Je l'ai compris. Mais derrière, on peut dire autre chose. D'abord, y a-t-il trop de fonctionnaires en Corses ? Non. Ce n'est pas les emplois publics qui sont trop nombreux en Corse, ce sont les emplois privés qui ne le sont pas assez. Savez-vous quel est le deuxième employeur de l'île ? L'industrie de manufacture des tabacs : 56 employés. Connaissez-vous une région de France où le deuxième plus gros employeur a 56 personnes ? Alors, que s'est-il passé à Bastia : une infime minorité, une centaine de personnes qui avaient perdu leur sens, se sont comportées avec une violence inouïe, dans des circonstances vraiment qui prennent la Corse en otage de ses problèmes."
C'est pas nouveau...
- "Peut-être mais ça doit cesser ! Parce que je dis à nos compatriotes corses : il peut y avoir une infime minorité de fonctionnaires qui est contre la réforme des retraites, c'est leur droit, mais ils n'ont pas le droit de prendre en otages les problèmes de la Corse, pour empêcher qu'on les règle. Parce qu'à ce petit jeu, ils vont avoir la réforme des retraites, et ils n'auront pas la réforme de la Corse. Or, la réforme de la Corse est nécessaire pour que les jeunes aient à nouveau un avenir. J'ai été à l'université de Corte, je suis le premier ministre de l'Intérieur à y être allé, il y a trois semaines. Là aussi, il y a eu une petite bagarre, une petite bousculade. Pourquoi ? Parce que j'estime que la place d'un ministre de la République est aussi à l'université de Corte. Ce n'est le monopole de personne. Mais si on n'améliore pas le niveau de cette université, si on ne lui donne pas la chance de se développer, les jeunes corses trouveront un emploi où ? Le seul avenir ce n'est pas dans l'administration en Corse. Donc, il faut bouger les choses. Je suis persuadé que le pari de l'intelligence, le pari de l'ouverture vers l'avenir... Je dis aux Corses : regardez, si vous dites "non", une fois encore l'opinion publique continentale dira : il n'y a rien à faire avec la Corse. Si vous dites "oui", bonne nouvelle positive depuis 28 ans. Ce n'est pas rien comme enjeu."
Et la question des nationalistes ? Ont-ils entendu votre discours ou vont-ils vous dire, après que le référendum aura été voté : maintenant on va parler de l'indépendance ?
- "C'est une question qui est très importante. On me dit : mais pourquoi vous n'avez pas posé la question de l'indépendance de la Corse à la République ? Je ne l'ai pas posée parce qu'elle ne se pose pas. Et je ne vois pas pourquoi on devrait toujours se mettre sur le terrain de ceux qui représentent une minorité. Je n'ai pas à poser la question de l'indépendance, le Premier ministre ne l'a pas voulu et pour une raison simple : c'est que dans notre esprit, la Corse est française, la Corse est dans la République et qu'elle le restera. Quant aux indépendantistes, ils font ce qu'ils veulent, nous n'avons pas à nous déterminer par rapport à eux. Quant aux clandestins ou cagoulés, la seule stratégie possible, c'est de les arrêter et de les déférer à la justice."
Pensez-vous qu'il soit nécessaire que le président de la République - certains se sont posés la question -, s'engage sur une question de cette nature, en l'occurrence un référendum local ?
- "La Corse, c'est l'unité de la République. Qui est le garant de l'unité de la République ? Le président de la République."
Ca veut dire qu'il va s'engager ?
- "Vous aurez certainement l'occasion de l'interroger. Je n'ai pas à annoncer les conditions de son engagement. Réfléchissons ensemble. La Corse est une question plus importante que les 260 000 Corses. Ce n'est pas une petite question. Tous les gouvernements ont échoué sur la Corse. Pourquoi ? Parce que cette question-là, qui est latente depuis si longtemps, je pense qu'elle n'a jamais été posée jusqu'au bout. Regardez toutes les îles de la Méditerranée. Toutes ont un statut particulier. Et cette question de la consultation référendaire, va permettre de trancher une bonne fois pour toutes, la question institutionnelle en Corse. Parce que ce sont les Corses qui l'auront acceptée, qui l'auront votée ou qui l'auront refusée. Et dans ce cas-là, on saura pour les 30 ans qui viennent quel est le statut qu'ils souhaitent."
Ce référendum, de fait, dépasse par son importance, considérablement, la simple question de la Corse. Imaginez, imaginons tous - c'est votre métier aussi d'imaginer les scénarios différents - imaginez le "non". Quand on voit la place que vous occupez, vous, dans la structure politique aujourd'hui, imaginons même que le président de la République s'engage et que le résultat soit négatif ... ?
- "Qu'est-ce que vous imaginez ? Qu'il n'y ait que des hommes politiques qui ne s'engagent jamais ? Qui ne croient pas à ce qu'ils font ? Qui regardent les problèmes pour les décrire ? Quelle est la différence entre le journaliste que vous êtes et l'homme politique que je suis ? L'un, décrit les problèmes, essaye de les expliquer, de les intégrer ; l'autre, doit les résoudre. La leçon du 21 avril, monsieur Paoli, c'est laquelle ? C'est un mot : action ! Mais action sur quoi ? Pas sur les choses faciles. Les choses faciles ont déjà été faites par nos prédécesseurs, il n'y a pas besoin de s'en préoccuper. Action sur quoi ? L'intégration des musulmans, la naissance d'un islam de France, la résolution de la question corse, la mise en place d'une politique d'immigration, enfin dans notre pays, sans caricature et sans outrance, le rétablissement de l'Etat de droit, la baisse de l'insécurité, le fait qu'un camp retranché, les Moudjahidine du peuple, ne puisse pas continuer à prospérer en France. On trouve chez eux 9 millions de dollars en liquide ! Lequel d'entre nous, si on trouvait le dixième chez lui, il faudrait qu'il fournisse des éléments à la police. Comment, ces gens qui ne travaillent pas et qui ont de liquide ! Ca vient faire quoi ? Tout ce travail-là, aurait dû être fait depuis bien longtemps dans notre pays. Il n'a pas été fait. C'est pour cela que c'est difficile. Mais si on n'aime pas les ennuis, et si on préfère s'occuper des questions faciles, alors un conseil : un, ne pas être ministre, et deux, surtout pas ministre de l'Intérieur."
(source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 juin 2003)