Déclaration de M. Noël Mamère, député Vert, sur les raisons de son vote en faveur de la motion de censure du gouvernement Raffarin, à l'Assemblée nationale le 2 juillet 2003.

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Circonstance : Débat sur la motion de censure, à l'Assemblée nationale le 2 juillet 2003

Texte intégral

Monsieur le Président, Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les députés
Il y a un peu plus d'un an, le 5 mai 2002, 82,5 % de Français ont voté Jacques Chirac au deuxième tour de la présidentielle pour dire non à l'extrême droite ; leur abstention massive du premier tour qui suscita le séisme politique que l'on sait, exprimait une souffrance sociale réelle et un désaveu de l'ensemble du personnel politique français inscrit dans les institutions.
Ils voulaient croire en une politique qui arrêterait de les diviser, de renforcer les inégalités, en une politique impartiale qui renforcerait la démocratie. C'est à ce moment là, Monsieur le Premier ministre, que vous en avez appelé à la " France d'en bas " dans une de ces formules que vous affectionnez.
Sauf qu'on ne gouverne pas avec des formules et que les formules peuvent mener à des dérapages inadmissibles, révélateurs de votre cynisme et de votre mépris pour tous ceux qui ne partagent pas vos idées.
Votre vérité est bien loin du pacificateur que vous prétendez incarner. Sous des dehors faussement patelins vous menez une véritable guerre à la France d'en bas, celle qui souffre et que vous exaspérez à force de mépris et de brutalité.
Cette France là manifeste quotidiennement sa colère contre l'insécurité sociale que vous avez installée en imposant à la hussarde des réformes qui ressemblent plus à une entreprise de démolition des acquis sociaux qu'à une modernisation de la France. Pour vous, être moderne, c'est être à la botte du MEDEF dont votre gouvernement reste l'exécuteur servile. Vous avez engagé le pays dans une véritable contre-réforme, vous voulez le soumettre aux lois injustes du libéralisme dans sa version la plus brutale et la plus destructrice.
Vous n'avez pas été élu pour appliquer une politique qui supprime le droit à la retraite à 60 ans, qui pénalisera les femmes et les salariés effectuant les travaux les plus pénibles ; vous n'avez pas été élu pour faire voter des lois anti-sociales que vous imposez au pays par effraction, des lois qui engendrent l'appauvrissement programmé des retraités, une baisse de l'activité économique et un accroissement du chômage.
Vous n'avez pas été élu pour vous attaquer aux crédits de la recherche, de la culture, de l'éducation, pour supprimer les aides éducateurs, les emplois-jeunes , les aides aux associations d'éducation populaire et de lutte contre l'exclusion, pour mettre fin à l'exception culturelle française en vous attaquent de front aux intermittents Tout en baissant systématiquement les impôts pour les plus favorisés, vous réduisez l'Aide personnalisée à l'autonomie et les aides aux chômeurs. Ce n'est pas en cassant systématiquement ce qui contribue au savoir, à la formation, au lien social, que vous comblerez le déficit de citoyenneté qui ronge notre pays.
Dans le domaine de l'écologie, malgré les discours du Président, décidément le champion du double langage, jamais un gouvernement n'aura liquidé aussi rapidement les outils de la protection de l'environnement :
- Réduction drastique des crédits consacrés aux grandes associations environnementales dont la survie est aujourd'hui menacée ;
- réduction de 100 % des crédits consacrés à l'expertise naturaliste,
- réduction de 50 % des crédits affectés à la gestion de zones Natura 2000 et globalement de tout le budget de fonctionnement du Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable.
Vous n'avez pas été élu pour liquider la loi chasse, la loi sur l'eau, pour renforcer la politique du nucléaire, vous n'avez pris aucune mesure contre les pollutions maritimes ou les OGM. Votre politique c'est deux poids, deux mesures. ; Vous ne faîtes strictement rien contre la délinquance écologique ; plutôt que de sanctionner ceux qui ceux qui polluent notre air et nos sols, ceux qui introduisent les OGM, se fichant comme d'une guigne du principe de précaution que vous vous apprêtez à faire entrer dans notre Constitution, vous préférez jeter José Bové en prison et, à travers lui, envoyer un signe détestable à tous ceux qui se battent pour dire qu'un autre monde que le vôtre est possible.
Vous avez été élu pour restaurer les libertés, pas pour les restreindre. Monsieur Sarkozy, le co-régent de votre équipe a instauré une loi qui s'attaque aux plus faibles de nos concitoyens mais qui ne touche pas la grande criminalité en col blanc. Vos cibles préférées : les pauvres, les SDF, les prostituées, les jeunes, les gens du voyage, les sans papiers, les étrangersVous avez remis le couvert avec la loi Perben sur la grande criminalité qui institue une justice à l'américaine et soumise aux ordres de la police.
Puis vous vous êtes attaqué au droit d'asile en procédant à un scandaleux recul qui fait un suspect de chaque étranger entrant dans notre pays ;Vous vous apprêtez à replacer l'immigration au cur du débat politique en criminalisant ceux qui hébergent des immigrants chez eux, faisant de l'hospitalité un délit. Vous faites du Le Pen sans le dire, mais les électeurs du Front national préfèrent toujours l'original à la copie et ne vous en sauront pas gré pour autant.
Vous n'avez pas été élu pour bâtir un Etat UMP, en charcutant les modes de scrutin de façon à installer le bipartisme totalement étranger aux traditions de notre pays Vous avez été élu pour que la démocratie soit honnête et le citoyen écouté. Vous avez été élu pour mettre en place l'Etat impartial. Or, aujourd'hui, à l'instar de l'Italie berlusconisée, vous nous annoncez une loi instaurant l'immunité pour le chef de l'Etat. Il faut protéger Chirac de ses turpitudes passées Plus que jamais nous vivons sous le régime de la loi des copains et des coquins. Vous n'avez pas été élu pour ça.
Au bout de tout cela, les Français éprouvent le sentiment d'un immense gâchis, un sentiment mêlé de désarroi et d'exaspération face au retour d'une vieille droite pour qui le pouvoir n'est rien d'autre qu'un bien à posséder pour soi-même et pour ses amis.
Les députés Verts, cela n'étonnera personne, voteront la censure. Je crois avoir été le premier candidat à l'élection présidentielle qui a appelé les Français à voter Chirac pour rejeter clairement le spectre de l'extrême droite. Un an après je constate que vous vous êtes engagé dans un processus de division des français, d'attaques tout azimut, contre tout ce qui n'est pas rentable au nom d'un ultralibéralisme qui n'ose pas dire son nom et qui vous incite à aller encore plus vite dans cette voie brutale.
De ce point de vue, votre politique est d'une cohérence totale avec cette vision que la droite a de l'avenir qui repose sur la fin du contrat social. Ce thatchérisme rampant que vous voulez imposer au pays conduit, à une profonde crise de l'identité nationale et génère des violences sociales rarement vues depuis des décennies.
Entre indifférence et dégoût, abstention et protestation, le populisme est en train de s'installer sans faire de bruit. Je le dis solennellement, Monsieur le Premier ministre, en poursuivant votre politique de revanche sociale, vous faîtes le lit d'un autre 21 avril qui risque de conduire le pays à l'affrontement. Les citoyens peuvent et doivent vous en empêcher.
(source http://www.les-verts.org, le 3 juillet 2003)