Interview de M. Jean-François Lamour, ministre des sports, à RMC le 19 mars 2003, sur la protection des athlètes français en déplacement à l'étranger, la lutte contre le dopage, le financement du football professionnel et la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2012.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Journaliste : Nous sommes en compagnie de Jean-François Lamour, bonsoir Monsieur le ministre. Parce que le monde du sport ne peut rester étranger à ce conflit qui couve en Irak, vous avez été à l'origine, il y a quelques heures, de la création d'une cellule de veille qui, à l'initiative du ministère va essayer d'assurer, d'harmoniser la sécurité des athlètes français à travers le monde. Quel est le principe de cette cellule ?
Jean-François Lamour : Ce matin en Conseil des Ministres, le Président de la République a demandé à Jean-Pierre Raffarin et à l'ensemble du gouvernement d'être en initiative, attentifs, vigilants à ce que chacun dans notre domaine de compétences, nous soyons en capacité d'informer, d'aider tel ou tel Français se rendant à l'étranger, pour l'accompagner dans ce voyage. L'idée de la cellule est la suivante. C'est une cellule qui est basée à la direction des sports, au ministère des sports, en relation avec le ministère des Affaires étrangères et celui de l'Intérieur et qui va permettre, quand les fédérations vont nous en faire la demande, d'expertiser leur demande et de voir la manière dont on peut accompagner telle ou telle équipe qui se rendrait dans une région du monde
Journaliste :Avez-vous déjà dénombré plusieurs déplacements périlleux pour les sportifs français dans les jours à venir ?
Jean-François Lamour : Non, il y a deux types de déplacements. Il y a les déplacements en compétition, là il faudra voir ce que va faire le mouvement sportif international. Les fédérations internationales vont-elles maintenir des compétitions qui vont se dérouler au Moyen Orient. On sait que certaines fédérations commencent à s'interroger. Et puis il y a les stages qui sont organisés, comme le judo qui voulait organiser un stage en Iran. Je sais que ce stage a été annulé, je crois que c'est la sagesse de reporter ce stage.
Journaliste :Hier, plusieurs grandes fédérations internationales se disaient vigilantes mais n'avaient pas l'intention de stopper leurs compétitions. C'était le cas de l'UEFA et de la FIBA. Concernant l'UEFA, on arrive sur une semaine de matches internationaux importants, notamment le 2 avril, un Israël-France à Palerme qui a déjà été déplacé pour les circonstances que l'on sait. Hier, le sélectionneur national, Jacques Santini nous disait qu'il comprendrait que ce match puisse ne pas avoir lieu si les circonstances l'exigeaient. Qu'en est-il ce soir ?
Jean-François Lamour : Encore une fois, tout dépendra de la position de la FIFA et de l'UEFA qui vont décider, je pense d'un commun accord, de maintenir ou de reporter un certain nombre de compétitions. Nous verrons, en tant qu'Etat français, en fonction de la décision, comment accompagner l'Equipe de France si elle doit effectuer ce déplacement. Il faut être vigilant, attentif, ne pas précipiter les choses. Bien malin aujourd'hui qui peut dire, malheureusement à quel moment va débuter ce conflit mais il faut simplement être en capacité d'informer, de rassurer. Il y a un certain nombre de sportifs qui sont inquiets. On avait, il y a quelques jours, les membres de l'Equipe de France de patinage qui sont partis à Washington. Nous les avons mis en contact avec notre consul général qui est informé et qui a certainement dû les accueillir à leur arrivée sur le sol américain et qui se tiendra à leur disposition pour les accompagner. Les organisateurs eux-mêmes du championnat du monde ont bien évidemment mis en place un dispositif de sécurité permettant aux athlètes de se préparer dans de bonnes conditions pour cet événement.
Journaliste :On a l'impression aujourd'hui qu'il est presque plus dangereux pour un Français de se rendre aux Etats-Unis que dans le Golfe
Jean-François Lamour : Je voulais vous dire par cela qu'un certain nombre d'athlètes avaient des craintes et qu'il faut les rassurer et les accompagner à partir du moment où ils s'interrogent à propos d'un déplacement. Pour avoir connu cela en tant que sportif, je comprends ces craintes.
Journaliste :On a reçu hier soir Thomas Levet, le golfeur français, ce qui lui arrivé n'est pas grave mais sur un parcours de golf aux Etats-Unis il y a quelques jours, il a été insulté par des supporters un peu avinés. Ce sont des situations qui sont très désagréables.
Jean-François Lamour : Qui sont inacceptables de la part d'un public, en plus de la part d'un public de golf dont on peut penser que c'est un public raisonnable. Mais souvenez vous à la Rider's Cup déjà, il y avait eu des vrais problèmes, les joueurs s'étaient faits invectiver par le public. C'est une tendance qui, malheureusement, se développe dans un certain nombre de sports. Pour Thomas Levet, ce n'était que des mots mais c'est typiquement le cas d'une fédération, celle du golf qui pourra nous demander d'alerter notre représentation sur le sol américain, tel ou tel consulat général, afinque Thomas Levet ait un correspondant en cas de problème
Journaliste :On sait que certaines tribunes de supporters n'ont pas forcément besoin d'être chauffés actuellement. Craignez-vous que le sentiment anti-français qui peut fleurir en ce moment aux Etats-Unis ou en Angleterre puisse un jour envenimer un tribune sportive ? Est-ce un risque que vous prenez en compte ?
Jean-François Lamour : Les excités, on n'a pas besoin de cette guerre pour les connaître, on a vu des exactions par exemple en Italie avec des propos racistes, antisémites très régulièrement prononcés dans des tribunes. Il faut raison garder. La position de la France et du Président de la République est une position logique, forte, de s'opposer autant que faire se peut à cet engagement d'aller vers la guerre. Une grande partie de la population anglaise était sensible aux arguments du Président de la République. On retrouvera certainement cette position chez les joueurs français qui évoluent dans le championnat anglais.
Journaliste :On sait que vous êtes un proche de Jacques Chirac qui a été très attaqué par certains médias anglo-saxons ces derniers temps. On sort un peu du cadre du sport mais comment a-t-il vécu cela, de manière injuste par exemple ?
Jean-François Lamour : Encore une fois il est au-dessus de ce type de comportement. Il est dans sa conviction que toute action au niveau international doit passer par une résolution de l'ONU. Il a toujours défendu cette position mais il n'est pas seul, Poutine l'a fait de son côté, les Belges, Schröeder en Allemagne, ... Il a défendu une position qui était la seule à défendre
Journaliste :Il est suivi par son pays, il a une cote de popularité de 74% en ce moment, c'est le plus important pour un président de la Vème République, ce qui n'est pas le cas de Tony Blair A propos de relations internationales, il y a eu la semaine dernière, une grande réunion sur le dopage, réunion au terme de laquelle la France, comme 170 autres pays, a signé un code mondial de lutte contre le dopage. Peut-on se dire aujourd'hui que l'on va réussir à harmoniser la lutte antidopage et à faire de ce fléau quelque chose de moins flagrant que ce que l'on voit aujourd'hui ?
Jean-François Lamour : La route est longue, mais Copenhague est une étape importante. On part de loin dans cette histoire. Rappelons le Tour de France 98, une première réunion à Lausanne qui rassemblait pour la première fois Etats et mouvement sportif pour évoquer ce fléau. Trois ans plus tard, on présente un code mondial qui est un texte de référence. Il nous faut, Etats et mouvement sportif, maintenant l'appliquer. Les fédérations vont l'adopter normalement avant les jeux d'Athènes mais en tout cas avant 2006 et les JO d'hiver de Turin. Quant aux Etats, nous avons besoin d'une convention internationale pour l'appliquer puisque le texte rédigé par l'Agence Mondiale Antidopage, fondation privée de droit suisse n'est pas en mesure de contraindre les Etats. Il nous reste donc à adopter une convention internationale, c'est très important pour que ce texte soit contraignant. Cette convention sera rédigée dans le cadre de l'UNESCO.
Journaliste : On parle de l'AMA et de ce code antidopage. Pour qu'il soit consensuel, il va falloir que la France revoit ses sanctions à la baisse, est-ce que c'est dans l'ordre des choses. Va-t-on revoir le code des sanctions à la baisse en France ?
Jean-François Lamour : La loi française est sévère mais il y a encore plus sévère. Les Italiens, par exemple, mettent au pénal les athlètes qui sont convaincus de dopage, ce qui n'est pas le cas dans notre pays. Copenhague et le code sont une étape importante avec une deadline pour 2006. Pendant cette période transitoire, il nous faut mutualiser nos efforts. Les fédérations internationales, les Etats, le CIO doivent travailler ensemble pour garder cette capacité d'intervention dans les contrôles inopinés et en compétitions. Faire en sorte que lorsqu'il y a une structure, c'est le cas en France, une autorité qui fait déjà des contrôles, elle soit utilisée pour faire des contrôles à la demande des fédérations internationales ou de l'AMA. Et surtout dans un principe de solidarité, là où les structures n'existent pas comme en Afrique, il faut que l'AMA, les Etats et les fédérations internationales aident à construire des agences capables de mettre en place les contrôles. L'idée générale dont j'ai parlé à Copenhague est qu'il ne s'agit pas de déresponsabiliser, au travers de ce code, les Etats ou les fédérations internationales, mais de mutualiser les efforts. C'est dans ce cadre-là que nous allons travailler en relation étroite avec les fédérations internationales et l'AMA, pour développer des partenariats, des conventions qui nous permettront ensuite d'adopter le code à l'orée 2006
Journaliste :On va évoquer le dossier du financement du foot. Ces dernières semaines, cela a fait l'objet de beaucoup de débats. On s'est rendu compte qu'à la ligue nationale de foot, il fallait davantage être juriste que dirigeant de football avec le problème de l'attribution des droits TV et aussi de la répartition de ceux-ci. Beaucoup de conflit, de bataille juridique. Le financement du sport professionnel et du foot en particulier fait partie de votre projet de loi, c'est un point important. Par exemple aujourd'hui, les clubs qui souhaiteraient être propriétaires de leurs droits, vous n'êtes pas du tout d'accord avec cela
Jean-François Lamour : Pas complètement. Quand je suis arrivé à la tête du ministère, nous étions dans une situation de blocage total entre le monde amateur et le monde pro. S'en est suivie une assemblée générale pour le moins houleuse, une remise en question du partenariat entre foot pro et foot amateur. Les deux parties se sont entendues et ont signé un protocole financier qui demande à ce que la loi sur le sport professionnel soit modifiée. Je m'y engage sur plusieurs niveaux. Le premier d'entre eux, c'est la capacité qu'auront les clubs pros à inscrire à leur actif un certain nombre de moyens, notamment les droits télé. Je m'oriente plutôt, en accord avec Frédéric Thiriez, sur une copropriété. Les clubs de L1 et de L2 seront copropriétaires de leurs droits et c'est la ligue professionnelle qui servira de syndic. Elle mutualisera la gestion et la commercialisation de ces droits, elle sera garante aussi de la redistribution de ces droits entre la L1 et la L2. Ce principe d'intérêt général devrait nous permettre de passer l'écueil de la commission européenne, qui verrait là peut-être une atteinte à la libre concurrence. Il y a un réel intérêt général à ce que la ligue professionnelle soit le syndic d'une copropriété. Cela va évidemment ne pas satisfaire ceux qui demandent la pleine propriété mais au moins les clubs pourront inscrire le montant de ces droits à l'actif de leur bilan
Journaliste :L'attaque de l'OM, très travaillée, sur la ligue nationale de football, pensez-vous que ce soit une menace sérieuse pour le bon fonctionnement de la ligue ?
Jean-François Lamour : S'il s'agit pour la plainte dont vous parlez de remettre en cause le principe même de la solidarité, je ne suis pas d'accord. S'il s'agit de discuter d'une clé de répartition, c'est une discussion qui doit se passer au sein de la ligue. Je ne transigerai pas sur le principe de solidarité, si la plainte aboutit, cela pourrait remettre en cause ce principe car chaque club négocierait en direct ses droits, ce qui est pour moi inadmissible.
Journaliste :Autre sujet, Paris 2012, nous ne sommes toujours pas officiellement candidats mais on s'y dirige quand même à grands pas. On risque d'être opposé à une ville américaine, New York, cela ferait deux oppositions franco-américaines en moins de quelques mois
Jean-François Lamour : Si cela était le cas, ce serait une compétition sportive avec des atouts et des faiblesses. Même si la compétition est rude, c'est dans un autre esprit. Les principaux intervenants sur la candidature de Paris continuent à travailler, à consulter. Vous en conviendrez, la période ne se prête pas vraiment à une annonce. La deadline est fixée au mois de juillet, les dossiers devront être déposés au CIO à ce moment là.
Journaliste :Le décès d' Andreï Kivilev a relancé le débat sur le port du casque dans le cyclisme. C'est obligatoire en Belgique, pensez-vous que cela doive l'être en France ?
Jean-François Lamour : La même question m'a été posée quand les skippers sont rentrés de la Route du Rhum, faut-il ou non réglementer ? Je suis plutôt enclin à laisser les professionnels réfléchir et finalement, prendre eux-mêmes une décision. La sage décision est de porter de façon volontaire le casque, certains y sont favorables, d'autres opposés. Nous avons un groupe de réflexion sur l'utilisation de voies publiques pour des manifestations sportives comme le sport automobile, les rallyes, le vélo, les courses sur route. J'ai demandé qu'à la prochaine réunion de cette commission, le sujet soit évoqué pour voir si l'on doit se diriger vers une obligation ou sur le principe du volontariat. Foncièrement, et c'est peut-être parce que je suis un ancien sportif, je fais plutôt confiance aux athlètes qui sont à même de prendre les bonnes décisions dans ce cas là. Au fond de moi, je vous dirais que si l'on pouvait sauver des vies, le mieux serait surtout d'inciter les jeunes générations à porter dès le plus jeune âge ces casques
Journaliste :Dernier sujet, la Coupe de l'America. La France ne l'a pas remportée mais la Suisse l'a remportée et on a la Méditerranée à leur proposer. Est-ce que vous oeuvrez en coulisses pour essayer que la course se dispute en France ?
Jean-François Lamour : Il faut déjà saluer Monsieur Bertarelli et le Défi suisse d'avoir enfin ramené cette coupe en Europe. La France, et plus particulièrement la Méditerranée, disposent de plans d'eau magnifiques : Sète, Marseille ont posé leur candidature mais il y a des candidatures fortes en Espagne, au Portugal. Il s'agit pour Monsieur Bertarelli de déposer un cahier des charges. Il veut moderniser, ouvrir cette Coupe à plus de spectateurs, peut-être a-t-il des idées sur le port qui serait le mieux à même d'accueillir une telle épreuve. Peut-être aurons nous un défi porté par notre pays pour la prochaine Coupe.
(source http://www.jeunesse-sports.gouv.fr, le 2 mai 2003)