Interview de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, dans "Ouest France" du 26 mars 2003, sur la préparation de la réforme des retraites.

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Média : Ouest France

Texte intégral

Les partenaires sociaux vous accusent de préparer une réforme des retraites a minima...
Ceux qui me croient hésitant et craignent une réforme a minima sous-estiment ma volonté de sortir nos retraites de l'impasse. Simplement, nous avons une méthode de concertation qui n'est pas compatible avec une position tranchée avant l'ouverture de la discussion. Elle peut étonner ou gêner : nous ne changerons pas de méthode. Comme prévu, nous rédigeons, pas à pas, le projet de réforme, en sollicitant l'avis des syndicats, en respectant le calendrier au jour près. Fin de la concertation à la mi-avril, présentation du projet de loi début mai, vote en juin. Au fond, ces critiques illustrent l'absence de maturité politique de la société française avec son goût pour les jeux de rôle et les rapports de force.
Plus précisément, on vous reproche de sembler écarter le secteur privé de la réforme ?
L'attention s'est focalisée logiquement sur le public, parce qu'il a un effort de rattrapage à faire sur le privé qui a déjà franchi un pas considérable dans la réforme en 1993. Mais la réforme sera globale. Elle s'appliquera à tout le monde, à tous les régimes sans exception. Et, naturellement, le secteur privé est au coeur des discussions, sur toutes les questions importantes : la liberté de choix, le taux d'activité, le niveau des pensions, etc.
Le Medef réclame un signal fort sur une durée des cotisations qu'il souhaite porter à 41 annuités pour le privé comme le public ?
Notre objectif n'est pas de faire du symbole. C'est de construire une réforme qui fonctionne pour les vingt ans qui viennent. La question de l'allongement de la durée des cotisations doit être réglée par un mécanisme législatif précis, mais adaptable en fonction des évolutions démographiques, économiques, etc. L'idée générale est qu'il faut maintenir un rapport constant entre le temps de travail et le temps de retraite.
Côté syndicats, il y a une forte inquiétude sur le niveau réel des retraites à venir. Etes-vous prêt à les rassurer, à prendre des engagements précis ?
Si l'on veut que la question des retraites ne soit plus un sujet de crispation sociale aussi fort, il faut effectivement que les Français aient des certitudes, des garanties sur le niveau des retraites. La question est de savoir quels sont les moyens nécessaires pour mettre en oeuvre cette garantie. Et l'on voit bien qu'il faut avoir préalablement tranché toute une série d'options, dont la durée des cotisations. Ce n'est qu'après avoir additionné toutes les mesures retenues qu'on aura l'équilibre financier du système, qu'on pourra déterminer les garanties.
La garantie d'un bon niveau de retraite ne passe-t-elle pas nécessairement par une augmentation des cotisations ?
Le gouvernement n'a pas fermé la porte à l'augmentation des cotisations, mais c'est un levier qu'il faut utiliser avec une très grande prudence pour deux raisons. D'abord, nous avons un niveau de cotisations (12% du produit intérieur brut) très élevé par rapport aux autres pays européens (10% en moyenne). Ensuite il faut bien voir qu'il y a d'autres réformes sociales dont le coût devra être géré : retraite, assurance-maladie, allocation dépendance... Si la question des cotisations n'était pas maîtrisée dans sa globalité, on ferait exploser le système, et l'on accélérerait la désindustrialisation du pays.
Vous êtes prêt à accepter des départs en retraite pleine avant 60 ans pour ceux qui ont leurs 40 annuités. Pour quelles catégories précisément ?
Le sujet est en débat avec les partenaires sociaux. Il y a plusieurs critères utilisables : la pénibilité, l'âge auquel on a commencé à travailler, la distinction entre trimestres travaillés et validés. On peut, notamment, marier la durée des cotisations et le critère d'âge...
Pour les fonctionnaires, envisagez-vous de remettre en cause la référence des six derniers mois pour le calcul de la retraite ?
La question n'est pas tabou, mais il faut tenir compte du fait que l'évolution des rémunérations dans la fonction publique n'est pas similaire au privé.
Comment expliquez-vous les crispations syndicales ?
Ces tensions sont normales dans une négociation, mais, ce qui est sûr, c'est que je ne leur propose pas une négociation virtuelle. Je cherche à fixer avec eux ce qui sera le préambule de la loi. Je leur donne l'occasion de faire passer leurs propositions et je note qu'il y a des convergences : sur le principe de la consolidation de la répartition, sur la garantie du niveau des pensions, la nécessité de négocier sur le taux d'activité des plus de 50 ans, etc.
Sur l'emploi, n'êtes-vous pas piégé par la nécessité de continuer à recourir à des préretaites pour faire face aux plans sociaux ?
On ne peut pas passer brutalement d'une situation où les préretraites étaient un instrument de gestion banalisée à leur disparition. Le gouvernement a déjà réduit fortement les crédits qui leur sont affectés. C'est une première étape. Il y en aura d'autres. Nous sommes très décidés à réduire le recours aux préretraites, mais c'est vrai que, dans un certain nombre de cas d'urgence, elles sont encore utilisées.
Face au chômage, vous voilà rattrapé par la nécessité de relancer les emplois aidés, le traitement social que vous refusiez ?
Dans notre politique, le seul point sur lequel on peut parler de traitement social du chômage c'est le maintien des contrats emploi-solidarité à un rythme de 20 000 par mois. Mais toutes nos autres mesures - contrats jeunes en entreprise, contrats initiative emploi, revenu minimum d'activité, Civis - relèvent d'une réorientation des emplois aidés, le plus souvent vers de vrais emplois dans le secteur marchand. Car ce n'est pas rendre service aux gens de les placer sur des parkings professionnels ou dans des statuts qui les éloignent du marché de l'emploi.
Dans le contexte économique difficile du moment cette politique permettra-elle de limiter la montée du chômage ?
Maintenant que les événements se précipitent, nous pouvons espérer que la croissance redémarre. Nous avons des indications qui montrent que le secteur des télécommunications - le moteur de la croissance mondiale, ces dernières années - est en train de retrouver un certain dynamisme, notamment aux États-Unis. Mais, pour l'heure, avec une croissance à 1,3%, on doit s'attendre à un chômage compris dans la fourchette 9,4 / 9,7% de la population active. C'est mon devoir de dire la vérité.
En cas de besoin vous seriez prêt à prendre des mesures de relance de l'économie ?
Ce que nous essayons, c'est de déclencher une initiative européenne de relance. L'Europe doit être plus volontariste sur sa politique économique et sociale. Ce serait d'ailleurs pour elle une vraie faute que de ne pas l'être au moment même où les États-Unis mènent une politique de relance très active.
Recueilli par Paul BUREL.

(Source http://www.retraites.gouv.fr, le 28 mars 2003)