Texte intégral
J.-P. Elkabbach.- Quelle semaine ! quelle semaine ! Est-ce que vous demandez que demain les grèves bloquent le plus possible le pays ?
Bernard Thibault.- "L'objectif n'est pas le blocage du pays, l'objectif est d'avoir une mobilisation la plus large possible dans le pays."
C'est la même chose...
- "Non, le blocage c'est la conséquence, ce n'est pas l'objectif, c'est tout à fait différent. Dans le public comme dans le privé, le Gouvernement continue à surfer sur une mauvaise réalité de la mobilisation. Il ne s'agirait que des fonctionnaires ou de la fonction publique mécontents du projet de retraite. Loin s'en faut, nous n'avons pas eu une des plus grosses manifestations qu'a connue notre pays depuis 20 ans, à Paris, le 25 mai, par la seule mobilisation de la fonction publique."
Ca, c'est pour demain. Après-demain et ainsi de suite, dans plusieurs jours que se passe-t-il, la même chose ?
- "Nous avons dit, aux directions syndicales, dans une déclaration commune, avec FO, l'Unsa, la FSU, que nous invitions les directions syndicales d'entreprise à réunir les personnels, à débattre de la situation, de la perspective du débat à l'Assemblée nationale, pour s'inscrire dans une mobilisation dans la durée. Ce qui veut dire que nous aurons sans doute, si les salariés le décident, des grèves, des manifestations, des rassemblements, bref, toute la palette des initiatives syndicales."
A répétition ?
- "A répétition, autant que de besoin et que les salariés le décideront."
Et d'une manière - comment dit-on ? - illimitée, vous ne donnez pas de délais, vous ne dites : ça continue, ça continue ?
- "Dans la durée. Chacun a bien conscience du calendrier. Le Gouvernement fait le choix - il ne nous pas entendus - de maintenir l'inscription du débat de son projet de loi à l'Assemblée à partir du 10, pour une adoption d'ici la mi-juillet. J'avais dit en son temps que conclure un débat sur l'avenir des retraites de notre pays durant le mois de juillet, ce n'était pas un choix très judicieux."
La négociation a commencé en septembre, même si elle s'appelait autrement...
- "Non, non. La négociation a duré dix heures, en tout et pour tout durant six mois. Nous avons eu des concertations, nous avons eu des réunions au ministère, on nous a écoutés, nous avons proposé des morceaux de texte rédigés. Et, à chaque fois, nous n'avons pas été entendus. Il ne faut donc pas s'étonner que nous soyons dans cette crise à propos de l'avenir des retraites."
Vous dites "dans la durée". Est-ce qu'on peut imaginer à quelles conditions une grève générale, voulue par la CGT et ses syndicats associés ?
- "Nous avons dit, j'ai redit à plusieurs reprises qu'une grève générale ne se décrétait pas. Par contre, une grève peut devenir générale si les salariés dans chacune des entreprises le décident. Mais ne demandez pas de décider à la place des intéressés, des formes d'action."
D'accord. Mais si les intéressés décident, ça fait trop, ça dure trop, on arrête. Si le mouvement se délite, allez-vous vers l'échec de la stratégie de la CGT et de B. Thibault ? Vous prenez ce risque ?
- "Nous apprécierons à ce moment-là. Il est de notre responsabilité de mettre l'accent sur la gravité du projet de loi qui va être soumis à l'Assemblée nationale. Je maintiens que le projet de loi, non seulement ne comporte pas le système par répartition, il introduit de nouvelles formes de retraites par capitalisation, et ce n'est pas une réforme qui prône l'équité. Elle va être de plus en plus inégalitaire socialement, avec comme conséquence globale, commune à l'ensemble des salariés, une baisse considérable du niveau des retraites. Il est donc de notre responsabilité de mettre l'accent sur la gravité de cette réforme, dès lors qu'elle engage l'avenir de millions de salariés sur des décennies. Et c'est avec eux que nous apprécierons ce que nous pouvons faire pour empêcher ce processus d'aller à son terme."
La répartition est confirmée, dit F. Chérèque dans Libération, ce matin. Et puis la réforme ne prévoit-elle pas deux avancées qui sont notoires, si vous permettez : d'abord, d'améliorer les retraites minimum à 85 % du Smic, avant...
- "En 2008."
... avec le texte de 93, ça aurait pu aller vers 70 %, et puis d'accepter les départs anticipés des salariés qui ont commencé tôt. Est-ce que le retirer, le suspendre, l'arrêter ce n'est pas un boomerang anti-social que vous êtes en train de proposer ?
- "Ecoutez !... Même la comparaison de ce qui est prévu à propos du Smic, aujourd'hui, quelqu'un qui a une carrière au Smic, a un taux de remplacement de 83 %. On nous promet 85 % en 2008, et on nous dit, sans rien faire, si on laissait les choses en l'état..."
Ce serait pire, beaucoup moins...
- "... Oui ... cela veut dire, de fait, reconnaître que les dispositions Balladur de 93, qui ont été décrétées pendant le mois d'août, ont des aspects aussi néfastes que ceux qui sont pointés même par le Gouvernement d'aujourd'hui. Les 70 % annoncés, c'est si on laissait en l'état..."
Mais ce sont des avancées.
- "Non, ça n'est pas parce qu'on devait perdre 30 et que demain on va perdre 20 que c'est une grande avancée."
La SNCF et la RATP ne sont pas concernées par la réforme des retraites, vous l'avez entendu souvent. Le Gouvernement a rassuré les personnels, les syndicats il y a même quelques jours encore. Il a même renouvelé la garantie, y compris financière, des régimes spéciaux des cheminots. J'ai vu que le coût c'est 8 milliards d'euros par an, et bientôt 18 milliards d'euros par an. Est-ce que c'est une histoire de dupes ou une histoire de fous ?
- "J'entends effectivement, dire que les cheminots, les salariés de la RATP ne sont pas concernés. Ils n'en sont pas convaincus et moi non plus. Pour une raison simple : ce sont des entreprises publiques, la majorité des membres du conseil d'administration de ces entreprises publiques sont désignés par le Gouvernement, et il est évident, et cela semble clair pour tous ceux qui sont bien informés, que derrière cette réforme, au nom de l'équité entre tous les salariés, le ministre du Travail a récemment rappelé qu'il n'était pas question, par exemple, d'exonérer les enseignants de l'effort collectif sur le retraite. On aura donc le même discours, s'agissant des régimes spéciaux. Je voudrais ajouter une autre chose : ils sont concernés à ce titre-là, même si ce n'est pas immédiatement, c'est le coup d'après. Mais au-delà de cela, on ne peut pas, à la fois, accuser ces professions tantôt d'être trop corporatistes, et le moment où ils s'inscrivent dans un mouvement interprofessionnel, s'agissant de la définition des conditions de départ en retraite pour l'ensemble des salariés, d'être présents. Sachant, en plus, que ces cheminots, ces agents de la RATP, ont des épouses, des enfants qui sont aussi concernés par ..."
Vous demandez, et c'est cela le paradoxe, aux salariés du privé, de manifester leur solidarité, de s'associer à une grève des régimes spéciaux ?
- "Mais pas du tout ! La réforme touche l'ensemble des salariés ! Les 42 annuités de cotisation c'est bien pour le privé aussi. C'est d'ailleurs dans ce secteur-là qu'il sera le plus difficile de réunir les 42 ans de cotisation pour avoir une retraite à taux plein."
Puis-je vous demander comment on va en sortir, il faut savoir terminer un conflit ?
- "La réponse appartient au Gouvernement. C'est lui qui nous place dans cette situation, dans cette impasse. Il a fixé le calendrier de manière unilatérale, à savoir : il nous faut décider avant le 15 juillet. Il n'y a pas d'impératifs financiers. Au mois d'août, les retraites ne sont pas dans une impasse financière."
Il va y avoir un débat à l'Assemblée nationale, il y a un transfert vers le politique, vous reconnaissez la légitimité du politique en France ?
- "Bien sûr."
Mais que se passe-t-il durant le débat ? Vous continuez à manifester, à faire pression ?
- "Oui, j'ai entendu certains responsables de la majorité considérer que nous n'aurions plus la parole, au motif que le débat était à l'Assemblée. Non, nous avons bien l'intention de continuer à occuper le terrain et de convaincre la majorité et le Gouvernement qu'il faut reprendre des discussions. On ne peut pas conclure avec une méthode de négociation qu'il suffit de la signature d'un syndicat, quelle que soit sa représentativité, pour engager l'avenir."
Sur l'ouverture de la révision de la représentativité syndicale, que faites-vous ?
- "Il faudra de toute façon traiter cette question de la représentativité syndicale. "
Mais ça serait un geste ?
- "Bien sûr, c'est ce serait un geste mais cela ne solutionne pas l'impasse dans laquelle nous sommes à propos de l'avenir de nos retraites."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juin 2003)
Bernard Thibault.- "L'objectif n'est pas le blocage du pays, l'objectif est d'avoir une mobilisation la plus large possible dans le pays."
C'est la même chose...
- "Non, le blocage c'est la conséquence, ce n'est pas l'objectif, c'est tout à fait différent. Dans le public comme dans le privé, le Gouvernement continue à surfer sur une mauvaise réalité de la mobilisation. Il ne s'agirait que des fonctionnaires ou de la fonction publique mécontents du projet de retraite. Loin s'en faut, nous n'avons pas eu une des plus grosses manifestations qu'a connue notre pays depuis 20 ans, à Paris, le 25 mai, par la seule mobilisation de la fonction publique."
Ca, c'est pour demain. Après-demain et ainsi de suite, dans plusieurs jours que se passe-t-il, la même chose ?
- "Nous avons dit, aux directions syndicales, dans une déclaration commune, avec FO, l'Unsa, la FSU, que nous invitions les directions syndicales d'entreprise à réunir les personnels, à débattre de la situation, de la perspective du débat à l'Assemblée nationale, pour s'inscrire dans une mobilisation dans la durée. Ce qui veut dire que nous aurons sans doute, si les salariés le décident, des grèves, des manifestations, des rassemblements, bref, toute la palette des initiatives syndicales."
A répétition ?
- "A répétition, autant que de besoin et que les salariés le décideront."
Et d'une manière - comment dit-on ? - illimitée, vous ne donnez pas de délais, vous ne dites : ça continue, ça continue ?
- "Dans la durée. Chacun a bien conscience du calendrier. Le Gouvernement fait le choix - il ne nous pas entendus - de maintenir l'inscription du débat de son projet de loi à l'Assemblée à partir du 10, pour une adoption d'ici la mi-juillet. J'avais dit en son temps que conclure un débat sur l'avenir des retraites de notre pays durant le mois de juillet, ce n'était pas un choix très judicieux."
La négociation a commencé en septembre, même si elle s'appelait autrement...
- "Non, non. La négociation a duré dix heures, en tout et pour tout durant six mois. Nous avons eu des concertations, nous avons eu des réunions au ministère, on nous a écoutés, nous avons proposé des morceaux de texte rédigés. Et, à chaque fois, nous n'avons pas été entendus. Il ne faut donc pas s'étonner que nous soyons dans cette crise à propos de l'avenir des retraites."
Vous dites "dans la durée". Est-ce qu'on peut imaginer à quelles conditions une grève générale, voulue par la CGT et ses syndicats associés ?
- "Nous avons dit, j'ai redit à plusieurs reprises qu'une grève générale ne se décrétait pas. Par contre, une grève peut devenir générale si les salariés dans chacune des entreprises le décident. Mais ne demandez pas de décider à la place des intéressés, des formes d'action."
D'accord. Mais si les intéressés décident, ça fait trop, ça dure trop, on arrête. Si le mouvement se délite, allez-vous vers l'échec de la stratégie de la CGT et de B. Thibault ? Vous prenez ce risque ?
- "Nous apprécierons à ce moment-là. Il est de notre responsabilité de mettre l'accent sur la gravité du projet de loi qui va être soumis à l'Assemblée nationale. Je maintiens que le projet de loi, non seulement ne comporte pas le système par répartition, il introduit de nouvelles formes de retraites par capitalisation, et ce n'est pas une réforme qui prône l'équité. Elle va être de plus en plus inégalitaire socialement, avec comme conséquence globale, commune à l'ensemble des salariés, une baisse considérable du niveau des retraites. Il est donc de notre responsabilité de mettre l'accent sur la gravité de cette réforme, dès lors qu'elle engage l'avenir de millions de salariés sur des décennies. Et c'est avec eux que nous apprécierons ce que nous pouvons faire pour empêcher ce processus d'aller à son terme."
La répartition est confirmée, dit F. Chérèque dans Libération, ce matin. Et puis la réforme ne prévoit-elle pas deux avancées qui sont notoires, si vous permettez : d'abord, d'améliorer les retraites minimum à 85 % du Smic, avant...
- "En 2008."
... avec le texte de 93, ça aurait pu aller vers 70 %, et puis d'accepter les départs anticipés des salariés qui ont commencé tôt. Est-ce que le retirer, le suspendre, l'arrêter ce n'est pas un boomerang anti-social que vous êtes en train de proposer ?
- "Ecoutez !... Même la comparaison de ce qui est prévu à propos du Smic, aujourd'hui, quelqu'un qui a une carrière au Smic, a un taux de remplacement de 83 %. On nous promet 85 % en 2008, et on nous dit, sans rien faire, si on laissait les choses en l'état..."
Ce serait pire, beaucoup moins...
- "... Oui ... cela veut dire, de fait, reconnaître que les dispositions Balladur de 93, qui ont été décrétées pendant le mois d'août, ont des aspects aussi néfastes que ceux qui sont pointés même par le Gouvernement d'aujourd'hui. Les 70 % annoncés, c'est si on laissait en l'état..."
Mais ce sont des avancées.
- "Non, ça n'est pas parce qu'on devait perdre 30 et que demain on va perdre 20 que c'est une grande avancée."
La SNCF et la RATP ne sont pas concernées par la réforme des retraites, vous l'avez entendu souvent. Le Gouvernement a rassuré les personnels, les syndicats il y a même quelques jours encore. Il a même renouvelé la garantie, y compris financière, des régimes spéciaux des cheminots. J'ai vu que le coût c'est 8 milliards d'euros par an, et bientôt 18 milliards d'euros par an. Est-ce que c'est une histoire de dupes ou une histoire de fous ?
- "J'entends effectivement, dire que les cheminots, les salariés de la RATP ne sont pas concernés. Ils n'en sont pas convaincus et moi non plus. Pour une raison simple : ce sont des entreprises publiques, la majorité des membres du conseil d'administration de ces entreprises publiques sont désignés par le Gouvernement, et il est évident, et cela semble clair pour tous ceux qui sont bien informés, que derrière cette réforme, au nom de l'équité entre tous les salariés, le ministre du Travail a récemment rappelé qu'il n'était pas question, par exemple, d'exonérer les enseignants de l'effort collectif sur le retraite. On aura donc le même discours, s'agissant des régimes spéciaux. Je voudrais ajouter une autre chose : ils sont concernés à ce titre-là, même si ce n'est pas immédiatement, c'est le coup d'après. Mais au-delà de cela, on ne peut pas, à la fois, accuser ces professions tantôt d'être trop corporatistes, et le moment où ils s'inscrivent dans un mouvement interprofessionnel, s'agissant de la définition des conditions de départ en retraite pour l'ensemble des salariés, d'être présents. Sachant, en plus, que ces cheminots, ces agents de la RATP, ont des épouses, des enfants qui sont aussi concernés par ..."
Vous demandez, et c'est cela le paradoxe, aux salariés du privé, de manifester leur solidarité, de s'associer à une grève des régimes spéciaux ?
- "Mais pas du tout ! La réforme touche l'ensemble des salariés ! Les 42 annuités de cotisation c'est bien pour le privé aussi. C'est d'ailleurs dans ce secteur-là qu'il sera le plus difficile de réunir les 42 ans de cotisation pour avoir une retraite à taux plein."
Puis-je vous demander comment on va en sortir, il faut savoir terminer un conflit ?
- "La réponse appartient au Gouvernement. C'est lui qui nous place dans cette situation, dans cette impasse. Il a fixé le calendrier de manière unilatérale, à savoir : il nous faut décider avant le 15 juillet. Il n'y a pas d'impératifs financiers. Au mois d'août, les retraites ne sont pas dans une impasse financière."
Il va y avoir un débat à l'Assemblée nationale, il y a un transfert vers le politique, vous reconnaissez la légitimité du politique en France ?
- "Bien sûr."
Mais que se passe-t-il durant le débat ? Vous continuez à manifester, à faire pression ?
- "Oui, j'ai entendu certains responsables de la majorité considérer que nous n'aurions plus la parole, au motif que le débat était à l'Assemblée. Non, nous avons bien l'intention de continuer à occuper le terrain et de convaincre la majorité et le Gouvernement qu'il faut reprendre des discussions. On ne peut pas conclure avec une méthode de négociation qu'il suffit de la signature d'un syndicat, quelle que soit sa représentativité, pour engager l'avenir."
Sur l'ouverture de la révision de la représentativité syndicale, que faites-vous ?
- "Il faudra de toute façon traiter cette question de la représentativité syndicale. "
Mais ça serait un geste ?
- "Bien sûr, c'est ce serait un geste mais cela ne solutionne pas l'impasse dans laquelle nous sommes à propos de l'avenir de nos retraites."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 juin 2003)