Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, à France 2 le 20 mai 2003, sur la réforme des retraites, notamment le déroulement des négociations, les implications sociales du projet gouvernemental et la manifestation nationale prévue le dimanche 25 mai 2003.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

R. Sicard-. Lundi la fonction publique était en grève, jeudi les enseignants appellent à poursuivre le mouvement, et dimanche, c'est vous qui appelez à une grande manifestation. Sur le mot d'ordre : il faut que le projet de loi Fillon sur les retraites soit abandonné.
Alors pourtant, il y a quelques mois, vous étiez la premier à dire qu'il fallait faire quelque chose pour les retraites. Vous avez changé d'avis?
- "Nous sommes toujours pour avoir une vraie négociation pour dégager l'avenir des retraites. Nous ne nous satisfaisons pas d'un statut quo en la matière. Mais entre le projet de loi qui s'est précisé et qui n'a pas donné lieu à de véritables négociations. Nous avions dit en son temps, au début de l'année, lorsque le Premier ministre avait précisé le calendrier, nous allons nous attaquer à ce problème durant le premier semestre, que sur un enjeu aussi important que celui de l'avenir des retraites des salariés, qui concerne même plusieurs dizaines de milliers de personnes, il était indispensable d'accepter le principe de la négociation avec les organisations syndicales."
Mais des négociations il y en a eu. Vous avez même passé une nuit entière au ministère des Affaires sociales.
- "Non il y eu des concertations, nous avons eu plus de trente heures de réunion avec les représentants du Gouvernement, pour nous écouter sur notre opinion, et il a fallu plusieurs journées de mobilisation pour arriver à une nuit, je dirais non pas de négociation, mais enfin sans doute le moment où nous avons pu le plus aborder les questions de fond et les impacts que représentaient les choix qu'avaient retenus le Gouvernement. Mais le projet de loi était déjà rédigé. C'est là que nous sommes arrivés aux limites de l'exercice, c'est-à-dire que certains aspects étaient amendables, mais l'essentiel du projet de loi, la philosophie générale du projet de loi n'était pas amendable. Et c'est là que le bât blesse, c'est qu'il y a une approche tout à fait différente, entre les solutions susceptibles d'être mises en oeuvre, selon une majorité des organisations syndicales, et l'approche qui est celle du Gouvernement aujourd'hui."
Cela dit, il y a eu des concessions, notamment en ce qui concerne les bas salaires, et c'est ce qui a fiat que la CFDT, qui est quand même le deuxième syndicat en France, ait signé cet accord.
- "Oui, c'est le deuxième syndicat, mais en même temps je suis bien obligé de remarquer que le soutien est exprimé par deux organisations syndicales qui représentent une minorité des salariés, lorqu'on mesure leur influence aux élections professionnelles. Moi je ne conteste pas leur droit d'approuver le projet gouvernemental. Je fais tout simplement remarquer que ce soutien est minoritaire au vu de ce que pensent les salariés. Il y a un vrai marché de dupes dans ce projet de loi et c'est sur ce marché de dupes là que nous appelons à la mobilisation. Puisque le Gouvernement dans sa philosophie principale va contraindre, veut contraindre les salariés à devoir travailler plus longtemps pour avoir au mieux la même retraite, et nous disons même et nous en faisons la démonstration, une retraite moins élevée à l'avenir, accolée à quelques promesses à savoir : le patronat s'engagera à embaucher davantage les jeunes, pour leur permettre d'avoir une activité, et le patronat s'engagera aussi à mieux embaucher les plus âgés. Eh bien, nous avons tendance à penser qu'il ne faut pas croire le patronat sur parole. Une chose est sûre, si la loi était adoptée, les retraites diminueront au fil du temps dans des proportions considérables. Et nous ne nous faisons pas à cette perspective."
Alors les syndicats qui ont signé, comme la CFDT, ils ont rien compris.
- "Je pense qu'il y a un point de divergence entre nous sur l'appréciation à avoir de cette réforme. Les conditions qui sont faites et qui vont être particulièrement douloureuses, notamment pour les femmes, pour les bas salaires, pour les plus bas revenus, y compris la réponse faite s'agissant des salariés rémunérés au niveau du SMIC. Nous avons tous dit au début de l'année dans une déclaration commune, qu'il fallait garantir un niveau de retraite équivalent à 100 % pour ceux qui étaient au SMIC. Je remarque que la réponse du Gouvernement est loin d'être à ce niveau-là. C'est dire, et d'ailleurs le Gouvernement a bien conscience que le niveau des retraites va diminuer - les projections du COR sont claires, ce sont des travaux qui ont été faits - la projection, si on s'en tient aux modalités prévues, fait que le taux de remplacement, c'est-à-dire le rapport moyen entre le niveau de salaire et la retraite qui est aujourd'hui de 78 %, va passer, à l'horizon 2020, à 66 %. Donc les dispositions complémentaires du Gouvernement sont dans cette logique-là, puisqu'il prévoit d'accroître la possibilité pour les futurs retraités de reprendre du travail et donc de cumuler retraite et travail, c'est le travail des vieux."
Mais cela dit, B. Thibault, tout le monde sait qu'il faut faire des économies car si on ne fait rien, on sait bien que le système va exploser.

- "Il ne faut pas faire que des économies, c'est d'ailleurs un des problèmes que nous avons dans la négociation avec le Gouvernement. La population retraitée va augmenter dans des proportions importantes. Globalement, il est évident qu'il nous faille réunir des moyens financiers plus importants qu'auparavant. Le montant des retraites à l'après-guerre était sans commune mesure avec le montant des retraites globales nationales d'aujourd'hui. Parce que déjà l'âge de la retraite était beaucoup plus tardif et on avait une espérance de vie qui n'avait rien à voir avec celle d'aujourd'hui. Donc les moyens financiers à réunir pour subvenir aux besoins des retraités va devoir être plus important à l'avenir. La vraie négociation que nous avons besoin d'avoir, c'est de savoir et de définir comment nous allons réunir ces moyens financiers plus importants. Or le Gouvernement effectivement s'inscrit d'abord dans une trajectoire d'économies : il faut faire des économies sur les futures retraites. Il y a deux solutions."
Vous, vous dites : "non, pas d'économies."
- "Il ne faut pas s'inscrire dans cette philosophie qui considère que, du fait que la population de retraités va augmenter, on va devoir agir sur les leviers pour faire des économies. Donc reculer l'âge de retraite effective et se débrouiller pour verser moins de retraite dans les droits collectifs. L'autre disposition que je voulais évoquer, qui accompagne la baisse du niveau des retraites, qui va être versé, si on suit le projet de loi, c'est la mise en place de fonds de capitalisation, puisqu'on appellerait les salariés qui en auraient les moyens, durant leur carrière professionnelle, à mettre la main à la poche, pour capitaliser, épargner eux-mêmes pour compléter les droits collectifs qui sont très insuffisants."
Qu'est-ce qui va se passer maintenant si vous n'obtenez pas satisfaction ? Est-ce que vous allez appeler par exemple à la grève générale ?
- "Nous allons et nous continuons à mobiliser pour que la manifestation nationale que nous organisons dimanche dans l'unité syndicale, même s'il n'y pas l'unanimité syndicale - je remarque que depuis que nous avons fait cette proposition, le cercle de ceux qui appellent à cette manifestation s'est élargi. J'espère que la manifestation de dimanche sera très importante. Le Conseil des ministres se réunit le 28 pour délibérer une dernière fois à savoir est-ce que son projet de loi est soumis au débat parlementaire, ou est-ce qu'au contraire le Gouvernement accepte de réouvrir les négociations sur d'autres bases. Et je dois dire que si le Gouvernement maintient, malgré la protestation de ces dernières semaines et de ces derniers jours, qui grandit, le cap sur son projet de loi et n'entend pas ce qui se dit dans la rue, à ce moment là, nous l'avons dit et je le confirme, nous ne nous interdisons pas d'autres formes d'action que nous définirons avec les salariés du secteur privé comme du secteur public."
Qu'est-ce qui pourrait se passer par exemple un blocage dans les transports ? Pourtant, on sait par exemple que la SNCF n'est pas concernée par la réforme.
- "Il faut arrêter l'hypocrisie s'agissant des régimes spéciaux. Je comprends bien la technique ou la tactique du Gouvernement qui consiste à rassurer les professions ou les secteurs qui ont des organisations syndicales plus structurées, parce que ça représente... La majorité gouvernementale actuelle est bien placée pour se souvenir d'autres événements, et donc crée les conditions pour essayer de rassurer. Ceci dit, il est évident et chacun en a conscience que s'il y avait une loi qui définissait les règles applicables en matière de retraites pour l'ensemble des salariés du privé et du public, il est évident que dans l'épisode qui suivrait, les régimes spéciaux se verraient parle biais des conseils d'administration des entreprises publiques, dont je rappelle que la majorité des membres du conseil sont désignés par le Gouvernement. Donc on peut supposer - les personnels ont raison de supposer - que quelques mois après l'adoption de cette loi, inéluctablement, ils seraient convoqués à des négociations d'entreprise, pour mettre en application dans leur entreprise, les règles qui seraient adoptées par la nouvelle loi que nous contestons. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 mai 2003)