Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur la prévention des conflits, la négociation entre l'Autorité palestinienne et Israël à Camp David, la position du G8 sur la Yougoslavie et celle de la Russie sur le Kosovo, Miyazaki le 13 juillet 2000.

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Circonstance : Réunion des ministres des affaires étrangères du G7 - G8 à Miyazaki (Japon), le 12 juillet 2000

Texte intégral

Nous avons tous été sensibles à l'excellent accueil des autorités japonaises, à la fois du ministre japonais des Affaires étrangères et des autorités de la région de Miyazaki. Alors, ce que je retiendrai de cette réunion ministérielle, ce sont d'abord les échanges très utiles sur plusieurs sujets clés du moment. Il est évident que les échanges avec M. Ivanov ont été très utiles en ce qui concerne la politique russe. Je pense à la coopération entre les pays membres du G8 et la Russie et entre l'Union européenne et la Russie. Nous avons pu reparler des propositions que j'avais faites il y a quelques temps avec le ministre français de l'Economie et des Finances et qui ont été intégrées depuis à la politique de l'Union européenne. Toujours avec M. Ivanov, nous avons eu des échanges très intéressants sur la situation dans les Balkans et il est très important que la Russie soit associée à l'expression de notre préoccupation sur les nouvelles manuvres de M. Milosevic.
J'ai trouvé les échanges de vues sur la prévention des conflits très utiles et très réalistes en même temps, très réalistes parce que chacun des ministres est bien conscient que la prévention des conflits c'est une très vaste tâche qui doit être menée à plusieurs niveaux, simultanément, nous avons tous le sentiment de travailler tous les jours à la prévention des conflits et nous en évitons beaucoup déjà, mais pour ceux qui malheureusement éclatent, il y a un effort à faire pour les limiter, les limiter dans le temps, limiter leur extension géographique, limiter leurs conséquences humaines qui sont les pires. En même temps nous éprouvons le besoin dans ces conversation d'avoir des débouchés ou des suites plus opérationnelles, plus concrètes. C'était le sens des discussions sur des points précis, comme l'embargo sur le commerce de certains diamants suite à la résolution 1306 du Conseil de sécurité ainsi que le travail qui est prévu pour empêcher les diasporas de financer les conflits. Nous avons aussi parlé de ce qui relève d'autres enceintes et nous avons fait le point sur ce qui est fait contre le blanchiment.
D'autre part, nous avons eu des échanges également utiles à propos de la régulation de la mondialisation, de l'environnement et notamment du climat - c'est d'ailleurs un sujet qui prend une importance croissante dans nos réunions - de la criminalité internationale qui est liée à la question des conflits dont je viens de parler et des questions de santé publique. En revanche, nous n'avons pas pu être tout à fait précis sur le commerce illégal du bois, en tout cas des variétés rares et protégées. Il faudrait pouvoir aller plus loin et là on se heurte à de grandes contradictions d'intérêts qu'il faudra surmonter. Chaque pays doit agir en qui le concerne pour limiter l'exportation d'espèces protégées.
D'autre part, nous avons eu également un échange à propos de la Colombie et ce qui est exprimé dans le communiqué traduit un soutien envers le gouvernement colombien pour agir afin d'éradiquer la production de drogue tout en prenant en compte les besoins de la population locale.
Donc vous voyez une très grande variété de sujets, ce qui correspond bien à la nature de ces réunions du G8 qui ne sont pas faites pour décider à la place des institutions concernées mais pour permettre aux ministres ou aux Chefs d'Etat et de gouvernement lors du sommet proprement dit d'avoir un échange de vues très libre, très direct et c'est quelque chose à quoi je suis très attaché. Voilà les points que je retiens. Y a t-il des questions ?
Q - Avez-vous parlé du projet de TMD ? Que pensez-vous de l'absence de Mme Albright ?
R - Sur la question du TMD, nous avons entendu re-exprimer la position américaine que nous connaissons déjà. Donc il n'y a pas d'événement nouveau. L'échec du troisième essai fait que, sans doute, la décision du Président des Etats-Unis sera moins rapide que ce qu'elle aurait été dans l'autre cas. Mais nous avons entendu M. Talbott nous rappeler que la présidence prendrait en considération quatre éléments : la menace, il semble qu'il y ait un débat sur l'évaluation et la réalité de la menace; la faisabilité technique, qui n'a pas encore été démontrée ; le coût du programme et ses conséquences stratégiques, point qui concerne tout le monde. Nous avons eu l'occasion de lui rappeler que nous étions tous attentifs aux conséquences stratégiques éventuellement déstabilisantes de la décision qui pourrait être prise et qui ne l'est toujours pas aujourd'hui.
En ce qui concerne madame Albright, je peux comprendre que les autorités japonaises et les habitants de cette région soient déçus qu'elle n'ait pas pu venir mais il faut comprendre qu'elle a été empêchée par une obligation réelle. Le Président Clinton et elle, travaillent avec beaucoup d'énergie à la recherche de la paix au Proche-Orient. Entre les Etats-Unis et l'Union européenne, entre les Etats-Unis et la France, nous avons le sentiment d'uvrer, de travailler à un même objectif. En ce moment précis, ce sont les Etats-Unis qui sont en position, peut-être, de faire passer certaines décisions et nous espérons que cela va marcher. Naturellement, l'Union européenne reste constamment disponible. La paix est une uvre de longue haleine, même quand il y a des progrès majeurs, il faut encore les mettre en uvre mais il faut se rappeler que la vraie décision n'est pas entre les mains des Américains ni des Européens ni des autres. La vraie décision, historique, courageuse, difficile, elle, est entre les mains des Israéliens et des Palestiniens. Et c'est pourquoi nous souhaitons qu'ils trouvent en eux-mêmes le courage nécessaire.
Q - Existe-t-il une position commune du G8 sur l'ex-Yougoslavie ?
R - C'est un des grands sujets très sensibles sur lesquels les différents pays qui participent au G8 n'ont pas forcément et spontanément la même position. C'est d'autant plus important et significatif qu'ils veulent s'exprimer ensemble à ce sujet. Je suis très satisfait que nous ayons pu nous exprimer à huit sur ce sujet. Chacun a sa sensibilité sur le sujet. C'est donc qu'il y a une partie commune dans les approches, qui est forte et je crois que le message qui montre notre préoccupation et qui montre notre lucidité face aux manuvres de M. Milosevic aura, je pense, une vraie force. Il est clair d'ailleurs que ces manuvres ne changent rien à notre politique et à notre détermination à voir enfin apparaître en Yougoslavie une vraie démocratie.
Q - Quelle est votre appréciation de la menace nord-coréenne au regard du projet de défense antimissile ?
R - J'ai déjà répondu sur le TMD tout à l'heure, je peux simplement répéter que tous les pays qui ont fait part de leurs préoccupations auprès des autorités américaines ont souligné qu'il fallait éviter la disproportion entre les menaces qui sont invoquées et les décisions qui pourraient avoir des conséquences stratégiquement déstabilisantes. Je vois d'ailleurs que même aux Etats-Unis, il y a une controverse sur chacun des quatre points dont j'ai parlé, de l'évaluation de la menace jusqu'aux conséquences stratégiques. Rien de tout cela n'est évident. On voit que le Président Clinton se donne le temps de la réflexion.
Q - Monsieur le Ministre, vous avez fait part de votre intention de vous rendre à Manille ce soir ou demain. Allez-vous accéder aux demandes des ravisseurs des otages français aux Philippines ? Quel est le message que vous entendez faire passer ?
R - Nous avons un principe constant qui est de décliner toutes les demandes de rançons pour toutes les affaires d'otages. Nous avons estimé, M. Fischer et moi, que nous devions aller à Manille, où je vais d'ailleurs tout de suite, et nous y serons rejoints par le ministre finlandais. Vous savez que parmi les otages, il y a des otages des trois nationalités, il y en d'autres aussi de ces trois pays. Nous y allons pour faire le point avec les autorités philippines, avec le président et le gouvernement, pour leur demander les toutes dernières informations dont ils peuvent disposer, pour leur redire que notre priorité absolue est que les otages soient libérés sains et saufs, le plus tôt possible, et que d'ici là tout soit fait sur le plan humanitaire pour les aider à supporter cette situation. Nous avons été en contact avec eux constamment, par des conversations téléphoniques, par des lettres, au niveau des Chefs d'Etat, des ministres, par des envoyés spéciaux, mais nous pensons maintenant que nous devons y aller nous même pour faire le point de la situation. Je ne peux pas faire de commentaires avant cette réunion, mais j'espère en savoir plus sur ce que les autorités philippines espèrent des négociations qu'ils essayent de mener, quelles que soient les difficultés. En tout cas, d'une façon ou d'une autre, nous ne relâcherons pas nos efforts jusqu'à ce que les otages soient libérés.
Q - Que pensez-vous de l'attitude de la Russie pendant cette réunion à l'égard du Kosovo ?
R - Je ne suis pas sûr que l'on puisse en déduire qu'il y aura une augmentation de la coopération russe car les Russes sont extrêmement critiques simultanément. Parce qu'ils contestent beaucoup d'aspects du mandat et du fonctionnement de la Kfor mais je crois qu'il faut prendre cela comme un signal de la part des Russes d'une volonté de coopération avec leurs partenaires occidentaux, leurs partenaires du G8, coopération sur l'ensemble de ces questions des Balkans. Les Russes ont des réserves, ils ont des désaccords sur ce qui s'est passé, ils lancent des avertissements sur tel ou tel point, sur certains points nous sommes d'accord avec eux d'ailleurs, par exemple quand ils disent qu'il faut préparer des élections au Kosovo en faisant très très attention aux conditions du déroulement de la campagne électorale et du déroulement de la consultation elle-même; dans d'autres cas, nous trouvons que leurs critiques ne sont pas fondées.
Le message que M. Ivanov a voulu faire passer ici, me semble-t-il, c'est qu'au-delà de ces désaccords, même quand ils sont sérieux, nous sommes des partenaires communs, nous sommes des partenaires pour tout ce qui concerne la paix, la stabilité, la sécurité en Europe et nous sommes des partenaires pour aider ensemble les Balkans à sortir du cycle infernal de l'Histoire et à se projeter dans un avenir différent. Je pense que c'est cela que M. Ivanov a voulu nous faire comprendre en acceptant ce texte. Je confirme que c'est dans cet esprit que M. Poutine participera dans quelques jours aux conversations du sommet proprement dit.
Avant de conclure, juste un mot pour dire que je souhaite un bon travail à l'Italie qui après le Japon va prendre la présidence du G8. Je félicite le Japon pour son action en tant que président.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 août 2000).