Déclaration de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, sur les objectifs du projet de loi relatif à la politique de santé publique, à Paris le 11 septembre 2003.

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Circonstance : Colloque "100 objectifs de santé publique" à Paris le 11 septembre 2003

Texte intégral

Mesdames et Messieurs
J'ai présenté hier à la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale, le projet de loi relatif à la santé publique. Son rapport annexé est l'objet de ce colloque. Avant que se tienne le débat parlementaire, je tenais en effet à cet échange avec les milieux associatifs et scientifiques.
Car si ce rapport annexé à la loi n'a pas de valeur normative, ce que le Conseil d'Etat a souligné à juste titre, il n'en a pas moins pour moi une valeur primordiale. Il est essentiel que la représentation nationale se prononce solennellement sur ce que doivent être les objectifs de la politique de santé publique.
Je vais vous dire ce qu'est à mon sens la portée politique de ces objectifs mais avant tout, je voudrais très sincèrement remercier toutes celles et tous ceux qui ont travaillé à leur élaboration. Je sais qu'ils sont nombreux et que la tâche fut rude car vous n'avez disposé que de peu de temps, moins que vous le désiriez, je le sais bien. Je salue tout particulièrement la contribution importante de l'Académie Nationale de Médecine et celle des milieux associatifs qui ont pris cet exercice à coeur.
Je vous le dis tout de suite : je sais que le résultat n'est pas parfait et il ne pouvait pas l'être. C'est une première étape. Il y en aura d'autres. Nous apprendrons à nous familiariser avec cette méthode et l'important est que nous progressions ensemble pour améliorer la performance de nos programmes de santé publique.
Ce projet de loi arrive en discussion parlementaire après l'épisode de canicule, véritable choc thermique sans équivalent dans notre histoire récente, qui a provoqué un drame humain d'une grande ampleur. A mon sens, ce drame a mis en lumière les principales faiblesses de notre système de santé publique. Mais cette loi n'est pas une réponse de circonstances. Elle est nécessaire pour corriger les faiblesses structurelles profondes, sur lesquelles je n'ai pas cessé d'appeler l'attention depuis que je suis ministre et, auparavant lorsque j'étais député.
Quelles sont ces faiblesses ? A mon sens, il y en a trois : un profond déséquilibre entre le soin et la prévention, une responsabilité de l'Etat insuffisamment affirmée et définie dans le domaine de la santé publique, et une extraordinaire dispersion des acteurs et des efforts, responsables en particulier de nos mauvais résultats en termes de mortalité prématurée, celle qui survient avant l'âge de 60 ans.
Le fait de se doter d'objectifs quinquennaux de santé publique va contribuer à corriger chacune de ses trois faiblesses et c'est ce que je veux vous dire maintenant.
En 1998, notre pays s'est doté d'un premier ensemble complet d'outils destinés à garantir la sécurité sanitaire de notre environnement, de notre alimentation et des produits de santé, tels les médicaments, et à organiser un réseau de veille sanitaire ; la création, à cette époque, des agences sanitaires correspond à une première étape sur la voie d'une meilleure approche du devoir de santé publique et le Parlement a, à ce moment déjà, joué un rôle prééminent.
Le projet de loi relatif à la santé publique va plus loin en affirmant la responsabilité de l'Etat en matière de santé publique. Ce faisant, le gouvernement rompt avec la politique longtemps prisée en France, faite d'annonces de plans successifs sans cohérence, pour lutter contre telle ou telle maladie, en fonction des pressions exercées par différents protagonistes, et il s'attaque à un défaut structurel de notre système de santé - défaut relevé par les ministres successifs mais, je le souligne, jamais corrigé. Il s'agit donc d'une deuxième étape, plus structurante et plus aboutie que la première, qui a en elle-même sa force et sa cohérence. Car il y avait en la matière fort à faire.
La santé publique, en effet, n'a jamais été consacrée en tant que telle comme une responsabilité de l'Etat et un domaine prioritaire d'action des pouvoirs publics. En l'absence de politique d'ensemble, l'organisation actuelle est ainsi le résultat de réformes successives qui manquaient singulièrement d'une vision globale et dont la prévention organisée n'était pas l'objet principal.
L'idée même de santé publique est longtemps restée incomprise. Elle a trop souvent été vécue comme une intrusion de l'Etat dans l'intimité des personnes, voire dans le champ de compétence des professionnels de santé. La légitimité pour l'Etat d'intervenir dans les affaires de santé a toujours été questionnée. Mais chaque fois que leur santé ou celle de leurs proches est menacée, c'est bien vers l'Etat que les Français et les Françaises se tournent pour exiger que la santé soit efficacement protégée.
Ces exemples illustrent ce qu'est la politique de santé publique : non pas l'intrusion de l'Etat dans l'intimité de chacun, mais la nécessité de comprendre et de résoudre les problèmes de santé à l'échelle de la population. Car sans ce regard collectif, le système de santé est myope. Il ne peut pas se préparer correctement aux évolutions futures. Les efforts que nous déployons admirablement bien pour soigner les malades ne trouvent pas leur équivalent lorsqu'il s'agit de chercher à prévenir, éduquer, dépister. Pour cela, nous avons besoin d'un regard au niveau des populations.
Deux constats jettent une lumière malheureusement éloquente sur les conséquences de cette négligence dans laquelle a été tenue la santé publique.
Premier constat, la mortalité prématurée reste en France à un niveau anormalement élevé alors que les causes en sont connues et que l'on sait qu'elle est évitable. Ces résultats sont choquants, d'autant qu'ils contrastent avec la performance de nos professionnels et de nos établissements de santé. L'Etat peut agir et les Français attendent qu'il le fasse : agir sur les comportements, l'environnement, ou les phénomènes de violence, et entamer ainsi la triste spécificité française en termes de morbidité précoce.
C'est pourquoi nous avons déclaré une guerre sans merci au tabac, principale cause de cancer et de mortalité évitable, avec déjà des résultats spectaculaires sur les ventes de cigarettes qui ont chutées de 8% depuis le début de l'année. Cette offensive contre le tabac nous l'avons commencée en augmentant de façon importante les taxes par la LFSS 2003 . Nous l'avons poursuivie par la loi visant à restreindre la consommation de tabac chez les jeunes et nous continuerons cet effort avec le projet de loi sur la politique de santé publique. Autre exemple qui m'est cher : la politique de réduction des risques chez les usagers de drogues qui a fait chuter la prévalence des infections à VIH chez les toxicomanes, qui est un succès que personne ne conteste. Un amendement gouvernemental proposera de donner une base légale à cette politique de façon à la consolider et assurer sa pérennité.
Deuxième constat, il existe des disparités territoriales avec d'importants écarts d'espérance de vie d'une région à l'autre. Autre exemple qui heurte l'équité : j'ai trouvé, en prenant mes fonctions, une situation dans laquelle seul un tiers des départements offrait des programmes de dépistage des cancers du sein chez les femmes. La généralisation de ce dépistage avait pourtant été annoncée par mes prédécesseurs. Ces inégalités, dont les causes sont multiples, interpellent aussi l'Etat dans son rôle de garant de la santé de la population et de la solidarité nationale.
La première vertu d'objectifs de santé explicites est de permettre à chacun d'identifier les secteurs où des progrès sont possibles. Ces changements ne peuvent pas survenir du jour au lendemain. C'est pourquoi la durée d'un an aurait été inadaptée. Cinq ans, c'est bien, c'est le temps nécessaire pour produire des résultats visibles.
Première vertu, la transparence. Deuxième vertu : la concertation. La politique de santé publique doit procéder à partir d'une programmation précise autour d'objectifs définis après un large dialogue. Je sais que les associations auraient été désireuses d'être mieux associées à leur élaboration. C'est aussi le cas de nombreux acteurs. Je le reconnais : le temps a manqué. Mais je tenais à impulser le mouvement pour qu'il devienne irréversible. Ces objectifs doivent vivre. Le débat continuera, j'en suis persuadé et je l'appelle de mes voeux.
D'ailleurs, je vous annonce que si, dans la version initiale du projet, j'avais envisagé, avec la volonté de simplifier un paysage institutionnel beaucoup trop complexe, de substituer aux actuelles conférences nationales et régionales de santé un mécanisme périodique de débat sur la santé, je me suis rendu compte à l'occasion des différentes concertations menées durant l'été, que nous avions été trop loin dans cette volonté simplificatrice. De nombreuses voix se sont élevées pour réclamer le maintien dans la loi d'une instance permanente de débat permettant aux associations, aux professionnels, aux sociétés savantes de faire entendre leur voix, je les ai entendues et elles ont raison. A la réflexion, cette revendication est juste et utile. Il y aura donc des amendements à ce sujet. Comme certains d'entre vous l'ont rappelé, la santé publique doit se faire avec ceux qui en sont les principaux destinataires et bénéficiaires et qui la vivent au quotidien. L'histoire de la lutte contre le sida est là pour nous le démontrer ! Je ne l'oublie pas.
Transparence, concertation. Mais aussi coordination. La coordination de l'ensemble des partenaires qui concourent aux actions de santé publique est insuffisante. Ces objectifs doivent permettre à chacun des acteurs de santé publique d'orienter son travail, son action, non pas exactement dans un sens unique, mais dans des directions relativement semblables. Sans ce cadrage, chaque acteur est livré à lui même. Ces objectifs seront des repères permettant à chacun de s'inscrire dans un cadre commun.
Si je souhaite affirmer le rôle de l'Etat en matière de santé publique, celui-ci n'a en aucun cas le monopole de l'action dans ce domaine. Mais il lui revient d'organiser, sous son autorité, un partenariat associant les différents acteurs publics et privés qui sont nombreux à concourir à l'amélioration de la santé. Ces objectifs formerons notre " feuille de route " commune.
La mise sous objectifs du système de santé publique sur un horizon de cinq ans est donc une dimension primordiale de cette loi. Vous comprendrez, j'en suis persuadé, que cela dépasse de loin la seule question de la valeur normative de ces indicateurs. A la vérité, je préfère l'incitation à l'obligation. Je crois à la valeur mobilisatrice de cette démarche.
Jusqu'à présent, lorsque l'on parlait d'objectifs, l'on faisait référence aux dépenses de santé. Cette logique est non seulement inflationniste par nature. Elle est en fait appauvrissante. Car la vraie question est de savoir si les ressources consacrées au système de santé ont le meilleur impact possible sur l'état de santé de la population. C'est cette correspondance entre les moyens et les résultats que ce projet de loi veut organiser. La question n'est pas celle des dépenses. C'est celle des gains d'état de santé que ces ressources permettent d'obtenir. Pour révéler ce lien entre les ressources et les résultats, il nous faut des indicateurs de résultats. Devant vous, spécialistes et acteurs de santé publique, je mesure ce que ces propos peuvent avoir de triviaux. Mais ne vous y trompez pas : la démarche est nouvelle, elle demande de la pédagogie. J'ai besoin de vous pour cela. Bien sûr, cette première étape est facile à critiquer. Si nous voulons l'améliorer, nous devons tous ensemble l'expliquer, la faire partager. Nous sommes en période de rentrée scolaire, alors je vous dis : le devoir n°2 sera meilleur si tous ceux qui sont ici font comprendre autour d'eux la valeur fondatrice de cette démarche.
Tel est l'intérêt de ce rapport annexé, qui propose une centaine d'objectifs correspondant aux principaux défis sanitaires. Il s'agit notamment de promouvoir des comportements favorables à la santé, de réduire les conduites à risques, d'organiser la prise en charge des maladies chroniques et de maîtriser le risque infectieux. Lorsque cela a été possible, c'est-à-dire lorsque les systèmes d'information en matière de santé le permettaient, ces objectifs ont été quantifiés.
Ils constitueront un tableau de bord pour améliorer le pilotage de notre système, pour mieux analyser ses forces et ses faiblesses et pour évaluer sa performance. Qu'on ne s'y trompe pas : ces objectifs n'ont pas vocation à être exhaustifs. Beaucoup me disent : pourquoi ma maladie a-t-elle été oubliée ? Ce n'est pas comme cela qu'il faut raisonner mais cela demande une pédagogie. Ces 100 objectifs sont des marqueurs, des indicateurs qui doivent permettre périodiquement de faire le point sur les évolutions de la situation sanitaire du pays.
Pour atteindre ces objectifs, la loi prévoit le développement de cinq grands plans stratégiques, eux mêmes faits d'un ensemble de programmes. Le modèle en est le plan cancer annoncé par le président de la République au mois de mars. Il s'agit d'un plan intégré allant de la recherche aux soins, en passant par la prévention. Une mission interministérielle est chargée d'en suivre le bon déroulement. C'est bien une logique de projets que je veux impulser. Quatre autres domaines ont été identifiés pour mettre en oeuvre cette démarche stratégique. A terme, c'est toute la santé publique qui sera ainsi organisée. Mais nous ne pouvons pas tout faire en même temps. Je propose au parlement de le faire dans le secteur de la santé environnementale, dans celui de la violence et des comportements à risque, dans celui des maladies rares et dans celui des maladies chroniques. Les événements de cet été nous inciteront bien sûr à y inclure les personnes fragiles et vulnérables.
Chacun de ces plans a sa logique. Le cancer est un fléau qui touche toutes les familles. C'est le modèle des maladies chroniques à prendre en charge de façon pluridisciplinaire.
La santé environnementale est par trop négligée. Je l'ai dit dès 1996 dans un rapport à l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et la canicule montre à quel point nous étions dans le vrai. Dès le 17 septembre, j'installerai avec Roselyne Bachelot et François Fillon la commission d'orientation qui nous permettra de préparer ce plan.
Les maladies rares ont besoin d'être spécialement considérées. Prises toutes ensembles, elles concernent 5 millions de malades.
Enfin, les maladies chroniques nous offrent l'occasion de travailler avec les professionnels du soin dans le cadre d'une démarche de programmation.
Mesdames, messieurs, en une décennie, le code de la santé publique a triplé de volume et commissions et procédures se sont multipliées à l'envi. Cela n'a pas empêché la catastrophe de cet été. La politique de santé publique doit donc servir à organiser l'action sur le terrain, pour rapprocher les professionnels du soin, les professionnels de l'action sociale, les soins de ville et les soins hospitaliers.
Devant les lacunes que j'évoquais, il est tentant d'annoncer que les dépenses de santé publique doivent être augmentées. C'est vrai que de nombreux besoins restent insatisfaits. Mais il faut avant tout mieux utiliser ce dont nous disposons, éviter le gaspillage d'énergie et de moyens ; il faut créer les conditions d'une véritable synergie entre les différents acteurs alors qu'aujourd'hui la dispersion des moyens est extrême. Cette démarche par objectifs y contribuera. Je vous remercie de votre contribution, de votre travail, de vos efforts pour faire comprendre au pays le changement sous-jacent à cette méthode.
Vous pouvez compter sur ma détermination à doter notre pays du grand système de santé publique dont il a besoin.

(Source http://www.sante.gouv.fr, le 15 septembre 2003)