Interview de M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, au "Figaro" le 8 avril 2003, sur la réforme de la Pac et les raisons de l'opposition de la France au découplage total des aides.

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LE FIGARO ÉCONOMIE. - Un conseil agricole se tient aujourd'hui à Luxembourg. Etes-vous toujours dans le même état d'esprit de rejet radical de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) proposée par le commissaire Fischler ?
Hervé GAYMARD. - La période est caractérisée par une confusion extrême. Nous discutons depuis juillet 2002 sur les propositions de la Commission. Sur la plupart d'entre elles, dix, voire onze pays européens, sur Quinze, sont en opposition et on est toujours à la case départ. La Commission n'a rien changé à son projet, et l'a même aggravé dans le domaine du prix du lait. Simultanément, il y a la négociation agricole à l'Organisation mondiale du commerce. Tout cela provoque une énorme anxiété chez nos agriculteurs.
Si une écrasante majorité de pays européens ne veut pas de la réforme, comment celle-ci peut-elle encore représenter une menace ?
Il est vrai qu'aujourd'hui les deux tiers des pays sont opposés à l'essentiel de la proposition Fischler, mais la Commission n'en modifie pas son projet pour autant. Nous avons, en outre, un très mauvais système de négociation communautaire. C'est un jeu du tout ou rien, une sorte de Colin Maillard au bord du gouffre qui crée de l'anxiété. Or ce dont on a besoin, c'est de perspectives.
Le leader de la résistance antiréforme, c'est la France. Vous êtes donc partiellement responsable de l'enlisement actuel.
Non. C'est le mode de fonctionnement des institutions. La Commission propose et le Conseil des ministres - c'est-à-dire les quinze Etats membres - décident. La réforme Fischler n'offre aucune perspective cohérente sur l'avenir de nos agricultures. Les exploitants ont besoin de stabilité. On ne peut pas modifier les règles en permanence. Mon obsession, c'est de donner des perspectives à nos agriculteurs !
C'est en particulier à cause de l'intransigeance française que le dossier semble bloqué...
La France est ferme mais elle n'est pas fermée. Nous reconnaissons que la PAC a besoin d'être améliorée dans certains domaines, comme le développement rural et la gestion plus simple des aides européennes. Nous resterons inflexibles sur deux points inacceptables à nos yeux : ce qu'on appelle le découplage total des aides aux exploitants, et une nouvelle baisse du prix du lait et des céréales.
Le découplage des aides de la production vise à dissuader les exploitants de produire toujours plus. N'est-ce pas une bonne idée ?
C'est la PAC qui a réglé les surproductions. Il est malhonnête de raisonner ainsi. Des problèmes de surproduction se posent dans des secteurs qui ne bénéficient pas d'aides directes de Bruxelles, comme on le voit actuellement pour le porc et la volaille. L'image de la PAC des années 80 avec ses montagnes de beurre et de poudre de lait est dépassée.
Le découplage semble une idée raisonnable et favorable à l'environnement. Pourquoi vous y opposez-vous avec tant de virulence ?
Un peu d'histoire. Avant 1992, les agriculteurs européens ne touchaient pas d'aides directes. Elles ont fait leur apparition il y a dix ans pour compenser les baisses de prix imposées par les négociations du Gatt, l'ancêtre de l'OMC. Pour l'essentiel - avec l'exception des céréales qui sont déjà partiellement découplées -, ces aides sont aujourd'hui calculées en fonction de la production.
La Commission dit en substance : accordons des aides aux agriculteurs sans contreparties, même s'ils ne travaillent pas la terre. Ces aides seraient politiquement très contestables et remises en cause tôt ou tard par les citoyens. Figer une activité économique vivante à un moment donné du temps nous priverait d'outils réactifs pour gérer des crises de production ou des crises sanitaires comme celle de la vache folle. Enfin, cela créerait d'énormes distorsions entre les filières, suivant qu'elles toucheraient ou non des aides. Sans oublier que cela créerait une spéculation foncière massive, avec encore plus de problèmes de transmission et de succession des exploitations.
Pascal Lamy, le commissaire européen au Commerce, estime que l'introduction du découplage total en Europe est indispensable pour triompher dans d'autres secteurs à l'OMC. Ne serait-ce donc pas là un sacrifice utile ?
Je suis en désaccord avec lui sur ce point. Les Américains avaient mis en place le découplage total des aides en 1996 avec leur "fair act", et font machine arrière aujourd'hui. Les propositions de l'OMC n'ont jamais exigé un découplage total. En réalité, à l'OMC, pour sortir de l'impasse, il faut prendre à bras le corps la question essentielle du développement des pays les plus pauvres. C'est tout le sens du sommet France-Afrique réuni en février dernier à Paris par le président de la République.
La PAC est-elle un parti pris idéologique ?
La question de fond est simple : faut-il ou non des politiques agricoles ? L'Europe assume le choix de la nécessité de politiques agricoles. Les Etats-Unis, eux, tiennent un discours très libéral, mais mènent des politiques publiques très actives pour soutenir leurs agriculteurs. Arrêtons l'hypocrisie. L'Europe a apporté à ses consommateurs la sécurité de ses approvisionnements, la qualité de ses produits et une diversité des territoires.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 2003)