Déclaration de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, sur l'épargne salariale, Paris le 12 mai 2003.

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Circonstance : Deuxièmes rencontres de l'épargne salariale à Paris le 12 mai 2003

Texte intégral

Monsieur le Rapporteur général, Mesdames et Messieurs.
Je suis heureux d'intervenir devant vous, ce soir, à l'occasion des deuxièmes rencontres de l'épargne salariale qui avaient été, en 2002, closes par le ministre des Finances, Laurent Fabius. Au-delà de ses aspects financiers, l'épargne salariale s'articule autour d'une certaine idée du progrès économique et social ou s'entrecroisent les valeurs du travail, de la responsabilité et du partage.
Elle tire - nous le savons - une partie de sa logique de la participation des salariés à la vie et aux résultats de l'entreprise. A cet égard, l'épargne salariale revêt les habits d'un projet de société, celui de la " réconciliation du travail et du capital ".
Charles de Gaulle a voulu et imposé la participation. Entre le capitalisme sauvage et débridé et le dirigisme de l'économie administrée, il s'agissait de promouvoir une voie originale qui ne bride ni la force du marché, ni ne bafoue la dignité humaine.
"Je crois - écrit Charles de Gaulle dans ses mémoires - que tout commande à notre civilisation de construire un nouveau système qui règle les rapports humains de telle sorte que chacun participe directement aux résultats de l'entreprise à laquelle il apporte son effort et revête la dignité d'être, pour sa part, responsable de l'oeuvre collective dont dépend son propre destin. N'est-ce pas là la transposition sur le plan économique, compte tenu des données qui lui sont propres, de ce que sont dans l'ordre politique les droits et les devoirs du citoyen ?"
Oui, Mesdames et Messieurs, la participation et l'épargne salariale s'inscrivent bien dans un projet de société ! Elles constituent un des éléments de la démocratie participative que je souhaite promouvoir.
De l'amendement Vallon jusqu'à la loi du 19 février 2001, en passant par l'ordonnance du 21 octobre 1986 et la loi du 25 juillet 1994, un long cheminement a été accompli. Le regard porté par les acteurs politiques et sociaux sur la participation s'est, avec le temps, infléchi. Cette évolution des esprits aboutissant notamment à la création, l'an passé, du Comité Intersyndical de l'Epargne Salariale (CIES). Ce comité, vous le savez, associe quatre grandes centrales syndicales sur cinq pour labelliser les produits de placement offerts aux salariés. Sa naissance traduit la volonté des partenaires sociaux de s'emparer résolument de ce nouveau terrain de négociation.
La participation financière, au sens large, repose principalement sur trois mécanismes d'épargne salariale mis en place depuis 1959 : l'intéressement, la participation et les plans d'épargne d'entreprise.
Ces derniers se sont enrichis depuis la loi dite " Fabius " de nouvelles variantes : plan d'épargne interentreprises (PEI) et plan partenarial d'épargne salariale volontaire (PPESV).
L'épargne salariale représente en France un encours de l'ordre de 50 milliards d'euros. Elle concerne 5,6 millions de salariés, soit près de 38 % d'entre eux. Pour l'exercice 2000, ils ont perçu 7,6 milliards d'euros au titre de la participation ou de l'intéressement. Rapportée aux 700 milliards de l'assurance vie, la place de l'épargne salariale peut apparaître encore marginale.
Mais le programme de vos Rencontres a bien mis en évidence, je pense, les différentes questions qui se posent, aussi bien pour les grandes entreprises que pour les PME : l'épargne salariale est facteur de dynamisme économique et de cohésion sociale. Elle est aussi, je l'indiquai, un outil potentiel pour l'épargne retraite.
Les perspectives qui s'ouvrent à l'épargne salariale recoupent une série d'enjeux :
- améliorer la performance globale des entreprises ;
- augmenter la rémunération globale du travail des salariés sans fragiliser les entreprises et contribuer ainsi à une croissance globale ;
- élargir les fonds propres de nos entreprises dans un cadre national soumis à la pression de l'environnement international ;
- favoriser une gouvernance d'entreprise plus transparente et plus collective enrichissant le dialogue social ;
- enfin, réduire les inégalités et contribuer à l'émergence d'un droit à l'épargne salariale et à l'épargne retraite dans le cadre d'un nouveau contrat social dont il nous revient d'imaginer les fondements face aux défis polymorphes du XXIème siècle.
A partir de ces enjeux, quatre orientations se dégagent pour l'action.
La première : c'est consolider et simplifier les dispositifs d'épargne salariale en vue de leur généralisation.
De nombreux dispositifs existent. Je crois qu'il est possible, tout en respectant leurs spécificités, de les simplifier, de les rationaliser et de mieux les articuler. J'ai demandé au Conseil supérieur de la Participation de me faire des propositions à ce sujet.
Je constate d'ores et déjà que de nombreuses branches professionnelles ont entrepris de mettre en place des plans d'épargne interentreprises, offrant ainsi aux salariés des PME un accès à l'épargne salariale. Et vous en avez eu cet après midi un exemple, avec, entre autres, les professions libérales et les garages automobiles.
La seconde orientation, c'est de faire reconnaître la participation au niveau européen
Là aussi, nous pouvons et devons progresser. D'une part en facilitant le calcul de la participation pour les groupes de taille européenne ; d'autre part, et surtout, en éliminant les obstacles au développement de la participation au sein de l'espace de l'Union. Le groupe d'experts, constitué par la Commission européenne et présidé par Jean Baptiste de Foucauld constitue un premier pas dans cette direction. Il serait incompréhensible que la singularité du modèle économique et social européen ne puisse pas être pleinement enrichie par la philosophie participative.
La troisième orientation vise à encourager les pratiques de bonne gouvernance dans le cadre de la Responsabilité Sociale des Entreprises.
L'enjeu de l'épargne salariale n'est pas, je l'ai dit, seulement financier. Son succès ne se mesure pas exclusivement à l'aune des actifs gérés. L'épargne salariale a pour vocation première de rassembler tous les acteurs de l'entreprise autour d'objectifs communs, cette synergie développant chez chacun une conscience de la communauté d'intérêts qui préside au développement de l'entreprise. En permettant d'associer les salariés et leurs représentants aux projets et aux réflexions stratégiques de l'entreprise, il s'agit ni plus ni moins de " communautariser " les enjeux économiques et sociaux.
Bref, l'épargne salariale peut favoriser la bonne gouvernance des entreprises et s'inscrire dans le champ plus large de La Responsabilité Sociale des Entreprises.
Pour une entreprise, être socialement responsable cela ne signifie pas seulement satisfaire aux obligations juridiques applicables, c'est aussi aller au-delà, c'est investir dans le capital humain, c'est respecter l'environnement et les relations avec les parties prenantes, en vue de promouvoir un développement durable.
Le Livre vert de juillet 2001 et la communication de juillet 2002 de la Commission Européenne, ont insisté sur ce thème. Le rapport BOUTON sur " le meilleur gouvernement des entreprises cotées " et le projet du Gouvernement de réforme de la gouvernance d'entreprise participent à cette nouvelle façon d'inscrire l'entreprise dans son environnement.
Nous sommes là au coeur d'une idée centrale dont je ne me départirai jamais : il ne peut y avoir de croissance forte et durable fondée sur l'atomisation des relations sociales et la dénégation des exigences éthiques de notre société.
La quatrième et dernière orientation, c'est accroître la liberté de choix des salariés.
Complément de rémunération non substitutif au salaire, l'épargne salariale doit permettre au salarié d'exercer des choix parmi des projets personnels. Ce peut être, aux différentes étapes de sa vie : l'achat d'une résidence, le soutien aux enfants dans les études ou l'entrée dans la vie active, la préparation de la retraite...
Il faut développer cette liberté de choix offerte aux salariés. C'est ainsi qu'épargne salariale et épargne retraite, qui ont chacune leur logique, pourront progresser sans se cannibaliser ou s'opposer, en offrant aux salariés de notre pays une gamme diversifiée de produits correspondant à leurs besoins. C'est ainsi que l'épargne retraite pourra, si tel est le choix du salarié, compléter les régimes de retraite. Il s'agit bien - j'insiste sur ce point ! - de " compléter " et non de se substituer ou même concurrencer le régime de base fondé sur la solidarité et la répartition.
Cette formule de complément, passe par une redéfinition des liens entre épargne salariale et compte épargne temps. La monétarisation de celui ci, autorisée par la loi du 17 janvier 2003, est de nature à favoriser cette liberté de choix du salarié : choix entre le financement du temps choisi ou un mécanisme d'épargne financière.
Cela passe aussi par la réorientation de l'effort d'épargne vers l'épargne retraite. L'intention du gouvernement, à l'occasion de la réforme des retraites, est de favoriser cette articulation, dans le respect des principes de l'épargne salariale.
Permettez-moi, sur cette question, de rappeler les grandes lignes du projet de loi portant réforme des retraites :
1- offrir la possibilité à chaque citoyen d'accéder à un dispositif d'épargne retraite pour compléter sa pension de retraite ;
2- uniformiser à cette fin le régime d'exonération des cotisations pour les différents produits d'épargne retraite et de prévoyance par la création d'un plafond unique d'exonération globale ;
3- créer un nouveau produit d'épargne retraite individuel et ouvert à tous : produit pouvant être souscrit, soit dans le cadre d'une adhésion individuelle, soit dans le cadre d'un dispositif d'entreprise ou de branche. Ses modalités en seront précisées par la loi de finances ;
4- aménager le PPESV afin d'en faire un véritable produit d'épargne retraite, mais sans remettre en cause les autres mécanismes d'intéressement, participation et plan d'épargne entreprise. Pour cela, il est substitué au terme de 10 ans celui du départ à la retraite. La sortie pourra s'effectuer en rente, l'abondement de l'employeur sera intégré dans le plafond d'exonération global de l'épargne retraite. Ce PPESV retraite ne pourra être mis en place qu'à partir d'un plan d'épargne entreprise, en laissant le choix d'option au salarié. Ainsi, cette forme d'épargne retraite s'inscrira bien dans le prolongement logique de l'épargne salariale.
Voici les grandes lignes de ce qui sera proposé au Parlement. Les modalités en seront ensuite, naturellement, précisées à l'issue d'une concertation approfondie avec tous les professionnels concernés.
Tels sont, Mesdames et Messieurs, les axes que nous privilégions en faveur de l'épargne salariale. Le Conseil supérieur de la Participation que je viens de relancer s'est attelé à toutes ces questions, sous la présidence d'un homme que M Cazettes connaît bien, Claude Cambus. J'attends beaucoup de ses travaux. On constate, je l'ai souligné, un essor de la négociation dans les entreprises et dans les branches sur l'intéressement et la participation. Le projet de loi sur les retraites devrait stimuler et renforcer encore davantage ce mouvement de négociation forgeant les compromis nécessaires, tant sur la participation financière que sur la participation directe des salariés à la vie de leur entreprise.
Cette idée de la participation était, hier, percutante ; elle reste, aujourd'hui, contemporaine. Autour d'elle, s'imbriquent plusieurs objectifs, largement poursuivis par le gouvernement :
- objectif d'un capitalisme populaire ; un capitalisme mieux régulé de l'intérieur par les femmes et les hommes qui font le dynamisme de notre économie ;
- objectif d'une démocratie sociale animée par des partenaires sociaux responsabilisés et influents ;
- objectif, en définitive, d'une alliance mieux équilibrée et plus stimulante entre l'essor économique et le progrès social.

(source http://www.retraites.gouv.fr, le 15 mai 2003)