Texte intégral
Je vous remercie d'être venus à ce rendez-vous matinal.
Je ne vais pas faire de longs exposés parce que le bon côté de ces rencontres, c'est le question-réponse. Je vais vous dire simplement deux ou trois mots brefs.
Sur un plan général, ce qui me paraît marquer le contexte de cette session, c'est une situation du monde qui est réellement préoccupante. Quant on est à l'ONU, on est tenté de comparer la situation du monde réel aux espérances et aux ambitions de la Charte des Nations unies et cette comparaison est troublante.
A l'heure actuelle, il y a dans le monde un bonne trentaine de conflits régionaux ou d'Etats en train de se décomposer, donc une trentaine de points de conflit ou de déstabilisation impliquant 40 à 50 Etats. D'autre part, il y a cette crise financière, mondiale, qui touche plusieurs régions et qui s'ajoute à la liste précédente parce que cela ne concerne pas les mêmes pays. Chacun peut voir que les organismes, les organes mondiaux qui ont été conçus pour essayer de maîtriser ces phénomènes mondiaux, à commencer par l'ONU, n'ont pas tout à fait les moyens de répondre à cette situation. Mon intervention de tout à l'heure, à l'Assemblée générale, ne sera pas une énumération de tous les problèmes de la planète, mais plutôt une réflexion sur les pistes d'action.
Voilà sur un plan général. Maintenant sur les contacts, j'ai comme tous les ministres présents ici, de très nombreux contacts intéressants.
Le plus intéressant à mes yeux depuis mon arrivée, c'est, a mon sens, que que nous avons progressé sur le Kossovo, à la fois à propos de la résolution, à propos de la réunion du Groupe de contact au niveau ministériel et donc à propos de la détermination et de la force du message envoyé aux protagonistes, à commencer par M. Milosevic.
Voilà, il y a eu beaucoup d'autres sujets mais je laisse peut-être les questions venir.
Q - Sur l'Iraq R - Sur l'Iraq, la position de la France est, je crois, très claire, mais c'est une bonne occasion pour la rappeler. Notre position est la même depuis très longtemps. Elle consiste à dire qu'il faut appliquer les résolutions, toutes les résolutions, mais rien que les résolutions. Nous voulons dire par là qu'il ne faut pas de surenchère par rapport aux résolutions qui sont déjà très dures, très très fermes et très très claires. Nous avons gardé, nous, un canal de communication avec les Iraquiens - ce qui extrêmement difficile bien sûr - et nous leur disons la même chose depuis des années : "vous devez appliquer les résolutions, c'est la seule façon de créer la situation qui permettra de constater que les conditions prévues pour lever l'embargo sont réunies". Alors les Iraquiens répondent "mais de toutes façons, les Américains empêcheront la levée de l'embargo même si on applique les résolutions", et nous avons toujours répondu, "ce n'est pas comme cela qu'il faut prendre le problème, c'est à vous d'abord de remplir les conditions prévues". Après tout, toute cette affaire n'existe que parce qu'il y a eu les agressions iraquiennes que l'on sait.
Il n'y a donc pas de désaccord conceptuel entre les Etats-Unis et la France là-dessus. D'ailleurs nous avons un dialogue réel au niveau des dirigeants politiques et au niveau des administrations. Par contre, il peut y avoir à tel ou tel moment des différences d'interprétation dans le détail. Mais sur la crise récente par exemple, celle de l'été - je ne parle pas de celle du printemps qui a été dénouée par Kofi Annan -, il n'y a aucun problème. Nous disons aux Iraquiens "vous devez reprendre la coopération avec l'UNSCOM". Qu'y a-t-il comme nuance en ce moment ?. Nous disons "les Iraquiens doivent reprendre la coopération avec l'UNSCOM" mais ça n'empêche pas que le Secrétaire général réfléchisse à la suite. Que pourrait être la suite si les Iraquiens changeaient d'attitude. Les Etats-Unis disent "nous sommes réticents pour qu'ils fassent un brain storming tout de suite parce que cela peut donner une impression de mollesse". Nous répondons "ce n'est pas une impression de mollesse si l'on dit clairement que cela n'a de sens que dans le cas où les Iraquiens ont changé d'attitude sur l'UNSCOM". Donc la différence est faible. La preuve en 'est que l'on a voté une résolution il y quelques jours.
L'idée, très répandue ici, qu'il y a un désaccord systématique sur le sujet et un désaccord franco-américain est inexacte. En plus, cela ne doit pas vous choquer que l'on ait notre propre position au Conseil de sécurité. Il n'y a aucun sujet sur lequel notre seule politique soit d'appuyer automatiquement la position de n'importe quel autre. Donc il faut juger de notre politique sur elle-même, sur son raisonnement.
Q - Iraq : Sur la crise de février.
R - A propos de la crise de février, quand nous sommes arrivés à la conclusion, c'est-à-dire à l'accord entre Kofi Annan et Tarek Aziz, j'ai fait une déclaration pour donner l'interprétation des autorités française sur cette conclusion. J'ai dit que nous avions atteint ce résultat grâce à une combinaison de facteurs : la menace militaire américaine, et deuxièmement - ce que j'ai appelé d'un terme un peu pédant, excusez-moi -, l'ingénierie diplomatique de plusieurs pays, à commencer par la France.
En plus c'est vrai. Je crois que, dans les discussions que nous avons eues avec Madeleine Albright et enquite avec les représentants américains à New York par l'intermédiaire d'Alain Dejammet, nous avons inventé des idées qui ont été des éléments de la solution. J'ai dit qu'il y avait une combinaison, il y avait un troisième facteur auquel j'avais rendu hommage : c'est le travail remarquable de Kofi Annan. Madame Albright m'a dit "Hubert, je vous remercie d'avoir reconnu que la menace militaire avait joué un rôle". Elle m'a dit ça au téléphone, elle ne me l'a pas dit en public. Mais je n'ai aucun problème pour reconnaître cette évidence. Mais je crois que s'il n'y avait eu que la menace militaire américaine et pas les deux autres facteurs ou s'il n'y avait eu que le travail diplomatique et pas la menace américaine, nous n'aurions pas eu de solution.
Voilà, après il faudra entrer dans le détail, parce que pendant des années, les contrôles ont existé, se sont développés y compris dans des périodes qui n'étaient pas des périodes de crises aiguës mais sans menace. De toute façon, c'est Saddam Hussein qui est responsable de tout cela, il n'y a aucun doute. Mais cela n'empêche pas qu'il faille réfléchir à l'avenir. Réfléchir à l'avenir de ce pays, du peuple iraquien d'abord, de ce pays et des équilibres régionaux. Mais, prenez n'importe quel épisode de l'affaire de l'Iraq et vous vous apercevez que c'est une caricature de dire qu'il y a une opposition constante et frontale entre la France et les Etats-Unis. Dans l'affaire du début de l'année, à propos du recours à la force, énormément de voix se sont élevées, aux Etats-Unis mêmes, pour montrer que ce n'était pas une solution pertinente pour régler ce problème. C'est un débat logique, démocratique, ce n'était pas choquant, ce n'était pas par esprit de contradiction que nous mettions en avant certaines de ces questions.
Q - Sur le Kossovo
R - Je dirais qu'à chaque jour suffit sa peine. Je veux dire par là que nous avons je crois fait un progrès sérieux sur le Kossovo ici à New York. On verra pour la prochaine étape. Ce qui est important à nos yeux, c'est que l'unité du Conseil de sécurité et l'unité de l'ensemble des pays d'Europe soient reconfirmées sur cette question du Kossovo. Nous étions tous d'accord pour renforcer la pression et la menace sur Milosevic. Je fais une parenthèse : nous pensons tous qu'il faut également renforcer notre pression sur l'armée de libération du Kossovo qui combat également notre solution politique. Pour renforcer la pression, nous voulions une résolution invoquant le chapitre 7 . C'est une escalade sérieuse par rapport à ce qui a été fait jusqu'ici. Nous pensons que cela doit passer par le Conseil de sécurité parce qu'il est le seul organisme qui a une légitimité pour cela. C'est le seul organisme qui a le droit de décider du recours à la force. Nous pensons que ce serait une mauvaise chose qu'un autre organisme prenne des décisions de ce type, même si c'est un organisme occidental parce que cela servira de précédent à n'importe qui après, ailleurs dans le monde.
Il fallait donc surmonter un certain nombre de réticences russes et d'inquiétudes américaines à propos des réticences russes. Nous arrivons à un texte qui est, je crois, bon et qui est un texte fort. Donc le Président Milosevic et les autres dont j'ai parlé, qui ont pu espérer que nous allions nous diviser, se seront trompés. Nous allons en plus dans la foulée de ce vote, réunir le Groupe de contact au niveau ministériel à nouveau pour réfléchir ensemble sur les suites. Vous savez d'autre part que, depuis plusieurs semaines, au sein de l'OTAN, notamment à la demande des Etats-Unis et de la France, toutes les options ont été examinées en détail et qu'elles sont prêtes. Donc vous avez une attitude de la communauté internationale qui est ferme et qui est convergente. Cela n'a pas suffit jusqu'à maintenant parce que c'est un problème particulièrement compliqué. Je pense que nous finirons par y arriver.
Je termine d'une phrase sur ce point. Cela n'a rien à voir à propos de la situation de la Bosnie, parce qu'à propos de la Bosnie, il y avait de nombreux désaccords entre les Etats-Unis et les Européens et entre les Européens eux-mêmes et avec les Russes. Ce qui fait qu'il n'y a pas eu de position collective ferme et claire avant 1994.
Q - Cette résolution autorise-t-elle l'usage de la force.
R - Ce point n'est pas entièrement tranché. Mais je disais tout à l'heure qu'à chaque jour suffit sa peine : on verra ce problème après si cette pression-là ne suffit pas. Je ne souhaite pas affaiblir la portée de ce texte qui est très important par une discussion théorique sur ce qui passera après. Par rapport à Milosevic et à l'UCK, il ne faut pas envoyer plusieurs messages en même temps. Le message d'aujourd'hui est le suivant : "la communauté internationale ne se divise pas, au contraire elle est unie pour renforcer sa pression et ses menaces".
Q - Sur l'impact d'une crise financière globale sur l'introduction de l'euro.
R - Je ne pense pas que la crise financière internationale modifie en quoi que ce soit l'introduction de l'euro. C'est quelque chose qui est parti, qui est déjà parti, qui est très avancé. Je note que dans cette crise précisément, la zone euro est déjà de fait protégée, même si l'Euro n'est pas encore techniquement en place.
En sens inverse, naturellement on peut espérer que l'existence d'une zone euro puissante et stable soit un élément de stabilisation plus large. Mais cela ne peut pas se faire automatiquement. Je crois que cela va donner plus de poids aux propositions européennes, en tous cas des pays de l'euro, qui peuvent être faites dans cette phase de réflexion sur l'adaptation éventuelle du système financier international. Beaucoup de dirigeants, notamment en Europe demandent un nouveau Bretton Woods. C'est une formule pour dire qu'il faut adapter les institutions et leurs moyens. Il est clair que dans ce débat les pays de l'euro pèseront beaucoup plus que s'il n'y avait pas l'euro.
Q - Est-ce que cela a un sens de menacer l'Iraq d'un recours à la force si l'Iraq ne la respecte pas.
R - Vous savez, il ne faut quand même pas raisonner sur l'Iraq, en termes de forces, comme si l'Iraq était dans la même situation qu'à la veille de l'invasion du Koweit. Ce pays fait l'objet d'une mise en tutelle et d'une surveillance extraordinairement poussées depuis plusieurs années. Personne ne peut penser, même les inspecteurs les plus déterminés, que l'Iraq ait pu cacher des éléments significatifs de son potentiel militaire d'autrefois. Donc il ne faut pas parler de la menace militaire de l'Iraq aujourd'hui comme si rien ne s'était passé. Sur ce plan, c'est un pays brisé.
Ce qui est en cause, c'est la capacité de reconstitution d'une menace. D'autre part, c'est presque un problème de crédibilité d'un gouvernement dans son acceptation ou non de ce qui est déterminé par les résolutions. C'est une affaire que nous prenons très au sérieux mais il faut garder le sens des proportions.
Alors maintenant la question de l'emploi de la force est à voir au cas par cas. Le coeur du dispositif de contrainte, ce n'est pas la menace de l'emploi de la force tous les matins, le coeur du dispositif, ce sont des résolutions extrêmement sévères, notamment sur l'embargo et qui ne seront levées que quand toutes les conditions seront réunies. Il y a une situation de contrainte au départ. Il ne faut jamais l'oublier.
Voilà, je ne vais pas faire une réponse théorique parce que cela dépend des moments, cela dépend des crises. La combinaison des moyens qu'il faut employer pour maintenir cette pression peut donc varier. Mais la France ne souhaite pas plus que les Etats-Unis que l'Iraq redevienne un pays dangereux. Nous avons en plus des relations étroites avec beaucoup des voisins de l'Iraq et leurs préoccupations sont claires à ce sujet. Nous avons des relations étroites avec tous les pays de la péninsule arabique, nous avons des relations très suivies avec les Turcs. J'ai relancé récemment, avec prudence, les relations entre la France et l'Iran. Aucun de ces pays ne pense que l'Iraq soit une menace aujourd'hui. Mais ils restent tous méfiants et très prudents, notamment par rapport à Saddam Hussein. Ils savent aussi que dans les résolutions depuis l'origine, on a bâti un système de contrôle à long terme. Et même si l'on décidait - ce qui n'est pas encore le cas -, qu'on pourrait passer au contrôle à long terme sur l'Iraq, ce pays resterait soumis à plus de contrôle que n'importe quel autre pays dans le monde.
Q - Sur les armes qui restent au Conseil face à l'Iraq en dehors de l'usage de la force, pour faire respecter, notamment, le contrôle à long terme.
R - Le maintien de l'embargo est une contrainte énorme, même s'il est tourné sur tel et tel point. Vous savez que même les quotas théoriques accordés dans le cadre de "pétrole contre nourriture" sont difficiles à employer par les Iraquiens. Le Conseil maintient un contrôle très fort sur ce plan mais c'est précisément pour les raisons que vous indiquez que nous pensons qu'il faut garder une vision de l'avenir. D'où le rôle du Secrétaire général que nous avons fait confirmer dans la dernière résolution. Il faut pouvoir être très clair en disant "vous ne coopérez pas, et bien vous ne sortirez jamais de cette situation et vous aurez des ennuis croissants. Vous coopérez, et bien voilà les perspectives de sortie progressive". Je ne fais que paraphraser les résolutions du début, il faut les lire en entier.
Encore une fois, il faut garder le sens des proportions, la capacité iraquienne à menacer qui que ce soit aujourd'hui est presque inexistante. Je ne parle pas des intentions de Saddam Hussein naturellement, je parle de la capacité aujourd'hui. Par rapport à la puissance colossale du monde occidental sur tous les plans, il faut traiter cela avec sang-froid. C'est exaspérant mais aujourd'hui on ne peut pas décrire cette menace comme si on était il y a sept ou huit ans. Je le répète, la question c'est celle de l'éventuelle reconstitution à l'avenir d'une menace. J'ai parlé du contrôle continu - qui est déjà quelque chose de très important au départ, de très sévère -, mais en plus nous avons fait des propositions pour le rendre plus strict.
Q - Sur la perception, en Europe, de l'influence des problèmes personnels du président Clinton sur la politique étrangère des Etats-Unis.
R - D'abord il est frappant de constater les Européens de façon presque unanime, réagissent très violemment contre le mode d'inquisition qui est utilisé contre le président Clinton. C'est un fait de culture, de civilisation peut-être. Moi je peux vous redire ce que j'ai dit depuis plusieurs semaines : j'ai dit que c'était du maccarthysme pur et simple. J'étais, je crois, le premier à employer l'expression mais ce n'est pas du tout isolé ; presque tout le monde en a parlé dans ces termes. Du maccarthysme aggravé par du voyeurisme. Il y a des déclarations beaucoup plus dures en Europe. On compare cela aussi aux procès staliniens, avec la procédure de l'aveu, à l'inquisition. Enfin, il y a une réaction très violente de répulsion. Aucun des arguments sur la transparence, le mensonge, la démocratie, aucun de ces arguments ne passe en Europe. Mais ce n'est pas la réponse à votre question en fait.
Les Européens souhaitent que le Président Clinton résiste simplement pour l'avenir de la démocratie dans le monde. Mais cela peut venir de gens qui ont des désaccords avec la politique américaine par ailleurs. Ce sont deux choses tout a fait distinctes. Maintenant, est-ce que cela affaiblit le rôle des Etats-Unis ? Je n'en vois pas de signe pour le moment. Il y a beaucoup de problèmes compliqués dans le monde que l'on n'arrivait pas à régler même avant ces événements. Il ne faut pas mélanger les deux : ce n'est pas à cause de cette affaire qu'on est incapable de faire appliquer ces engagements par le gouvernement israélien par exemple. Et ce n'est pas encore à cause de cela que l'on a pas encore trouvé la solution miracle au Kossovo ; ou une solution miracle dans l'Afrique des Grands lacs ; ou reconstitué l'Etat en Somalie ou l'Etat en Afghanistan. Voilà, mais cela c'est la réponse pour aujourd'hui. Est-ce que cela va affecter la capacité américaine après ? Je ne le souhaite pas.
Q - Sur la difficulté de comprendre pourquoi le parjure ou le mensonge n'importent pas aux Européens.
R - C'est parce que ce n'est pas vu comme étant ce sujet-là. On pense que l'on ne peut pas invoquer ces immenses principes à propos de n'importe quoi. Comme on pense aussi en Europe que comme dans les procès menés par l'Inquisition au Moyen-Age, on peut s'en prendre à n'importe qui en fait, avec un système d'interrogation comme cela.
Q - Sur les bombardements américains en Afghanistan et au Soudan.
R - D'une façon générale, naturellement nous ne sommes pas favorables aux démarches unilatérales. Nous préférons que les problèmes du monde - y compris ces problèmes compliqués de terrorisme - soient réglés de façon concertée et par des décisions des organes légitimes. Mais nous ne sommes pas dans un monde parfait, on voit bien qu'il arrive que des pays, y compris les Etats-Unis, prennent des décisions unilatérales dans tel ou tel cas. C'est pour cela que nous avons réagi à cette action sur l'Afghanistan et sur le Soudan en rappelant que nous sommes absolument déterminés contre toutes les formes de terrorisme. Nous avons dit ensuite que nous prenions acte de la décision américaine et nous avons ajouté que nous pouvions la comprendre. On a gardé un ton compréhensif, mais mesuré parce qu'on ne veut pas approuver trop fort une décision unilatérale. On peut comprendre qu'il y ait des situations très particulières mais si on peut faire autrement, c'est mieux. J'ajoute que quand on fait ça, il ne faut pas se tromper.
Q - Sur la fabrication d'armes chimiques dans l'usine attaquée au Soudan.
R - Il semble que personne n'en soit totalement convaincu, même pas la presse américaine d'après ce j'ai vu.
Q - Sur les traces de VX sur les échantillons prélevés en Iraq.
R - Je n'ai pas d'éléments là-dessus. C'est entièrement sous la responsabilité de l'UNSCOM que ces essais sont conduits.
Q - Sur l'usage de la menace du recours à la force en Iraq.
R - Cela dépend de ce que l'on veut obtenir avec la menace du recours à la force. C'est ce que nous disions en début d'année. Si l'objectif est de faire en sorte que les contrôles puissent avoir lieu partout, y compris dans des endroits dispersés parce que c'est souvent le cas à propos des soupçons sur le chimique ou sur le bactériologique. Si c'est l'objectif on peut se demander à quoi sert la frappe ? On frappe sur quoi ? Dans quel but ? On ne peut pas frapper sur les sites suspects puisque précisément il s'agit de les repérer. C'est d'ailleurs ce que disaient beaucoup de responsables militaires aux Etats-Unis, sur le caractère inapproprié de la frappe dans ce cas particulier. Mais on ne peut pas exclure que dans certains contextes, cela ait un sens. Il ne faut pas être dogmatique là-dessus . Nous pensons qu'il faut plutôt enfermer les autorités iraquiennes, quoiqu'elles aient en tête, peu importe, dans l'obligation d'avoir à coopérer et qu'il faut donc trouver une façon pour que l'UNSCOM soit là et puisse recommencer ses travaux. Donc il faut résister aux provocations, et être encore plus tenaces qu'eux. Encore une fois, n'oubliez pas le travail énorme qui a été fait pendant des années, le travail de contrôle et de démantèlement. On ne peut pas parler de cela comme si on était encore une fois au lendemain de la guerre du Koweit. Même pendant la crise du printemps, il y avait un désaccord violent sur 6 ou 7 "palais" et les mêmes jours, il y avait des dizaines de contrôle. D'ailleurs, l'inspection des palais n'a rien donné. Des dizaines d'autres contrôles ont eu lieu.
Q - Sur le Kossovo et les facteurs qui ont amené les Russes à se rallier à la résolution.
R - Je crois d'abord qu'il y a une limite à la solidarité entre les Russes et Milosevic. Cela joue un rôle dans la politique russe : c'est une sorte de solidarité slave et d'autre part un intérêt traditionnel pour les Balkans. Mais il y a tout le reste, qui est considérable : l'insertion de la Russie dans le reste de monde, l'aide financière des Etats-Unis, de l'Europe, la sécurité en Europe, le développement d'un lien avec l'OTAN, même si ça ne leur plaît pas, les relations bilatérales avec chacun des grands pays d'Europe. Voilà, le but de la Russie n'est certainement pas d'être solidaire de Milosevic, quoi qu'il fasse. C'est plutôt un boulet pour eux qu'autre chose.
Deuxièmement, la Russie, pour des raisons globales, mondiales, veut maintenir, comme nous d'ailleurs, le rôle du Conseil de sécurité. Ce ne serait pas logique de leur point de vue d'avoir une politique d'obstruction qui aboutirait à ce qu'au bout du compte, des décisions importantes soient prises ailleurs. Ensuite, il faut qu'ils tiennent compte de mille autres choses : la Douma, les médias, l'opinion publique. Je pense que cela qui les a fait évoluer. Nous avons intérêt à les garder avec nous. Après tout, les accords de Dayton ont été conçus essentiellement par les Etats-Unis en impliquant Milosevic et en utilisant les Russes comme un facteur de stabilité.
Sur le Kossovo, on n'est pas encore à la solution, mais c'est certainement comme cela que l'on y arrivera.
Q - Sur le travail de l'OTAN et de l'ONU dans l'affaire du Kossovo.
R - Il y a un problème de hiérarchie, il y a un problème de combinaison. Sur la hiérarchie, je rappelle une évidence qui est que le seul organe dans le monde qui a la légitimé pour décider de l'emploi de la force, mis à part les cas de légitime défense, c'est le Conseil de sécurité. C'est comme cela que le monde a été repensé - disons - après la guerre. Ce n'est pas une opinion, c'est un fait.
Ensuite, ce n'est pas l'ONU qui envoie son armée, l'ONU n'a pas d'armée, donc il y a toujours une combinaison à trouver qui n'est pas évidente, qui n'est pas automatique. Le travail utile qui pourrait être fait du côté de l'OTAN a été de préparer techniquement toutes les hypothèses. Je disais que la France l'a beaucoup demandé depuis le début mais nous étions gênes parce que les premiers plans étaient des plans trop massifs, trop systématiques. C'était le schéma "Tempête du désert". Mais on ne peut pas traiter tous les problèmes militaires dans le monde de cette manière. En commençant par détruire tout avant d'avancer un orteil. Nous avons donc demandé qu'il y ait un éventail d'actions envisagées et nous avons donc maintenant un éventail d'actions militaires disponibles. Le président Milosevic doit comprendre qu'il doit faire une ouverture importante. Ensuite il faudra que l'on soutienne Rugova contre ses extrémistes.
Si vous n'avez pas d'autres questions, je vais donc conclure en vous disant que j'ai été très heureux de cette occasion de discussion avec vous. J'espère que sur quelques points, vous avez été sensible à ma description de la politique française qui est beaucoup plus qu'on ne le croit dans un rapport de coopération avec la politique américaine, même si nous avons une politique qui est la nôtre bien sûr.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2001)
Je ne vais pas faire de longs exposés parce que le bon côté de ces rencontres, c'est le question-réponse. Je vais vous dire simplement deux ou trois mots brefs.
Sur un plan général, ce qui me paraît marquer le contexte de cette session, c'est une situation du monde qui est réellement préoccupante. Quant on est à l'ONU, on est tenté de comparer la situation du monde réel aux espérances et aux ambitions de la Charte des Nations unies et cette comparaison est troublante.
A l'heure actuelle, il y a dans le monde un bonne trentaine de conflits régionaux ou d'Etats en train de se décomposer, donc une trentaine de points de conflit ou de déstabilisation impliquant 40 à 50 Etats. D'autre part, il y a cette crise financière, mondiale, qui touche plusieurs régions et qui s'ajoute à la liste précédente parce que cela ne concerne pas les mêmes pays. Chacun peut voir que les organismes, les organes mondiaux qui ont été conçus pour essayer de maîtriser ces phénomènes mondiaux, à commencer par l'ONU, n'ont pas tout à fait les moyens de répondre à cette situation. Mon intervention de tout à l'heure, à l'Assemblée générale, ne sera pas une énumération de tous les problèmes de la planète, mais plutôt une réflexion sur les pistes d'action.
Voilà sur un plan général. Maintenant sur les contacts, j'ai comme tous les ministres présents ici, de très nombreux contacts intéressants.
Le plus intéressant à mes yeux depuis mon arrivée, c'est, a mon sens, que que nous avons progressé sur le Kossovo, à la fois à propos de la résolution, à propos de la réunion du Groupe de contact au niveau ministériel et donc à propos de la détermination et de la force du message envoyé aux protagonistes, à commencer par M. Milosevic.
Voilà, il y a eu beaucoup d'autres sujets mais je laisse peut-être les questions venir.
Q - Sur l'Iraq R - Sur l'Iraq, la position de la France est, je crois, très claire, mais c'est une bonne occasion pour la rappeler. Notre position est la même depuis très longtemps. Elle consiste à dire qu'il faut appliquer les résolutions, toutes les résolutions, mais rien que les résolutions. Nous voulons dire par là qu'il ne faut pas de surenchère par rapport aux résolutions qui sont déjà très dures, très très fermes et très très claires. Nous avons gardé, nous, un canal de communication avec les Iraquiens - ce qui extrêmement difficile bien sûr - et nous leur disons la même chose depuis des années : "vous devez appliquer les résolutions, c'est la seule façon de créer la situation qui permettra de constater que les conditions prévues pour lever l'embargo sont réunies". Alors les Iraquiens répondent "mais de toutes façons, les Américains empêcheront la levée de l'embargo même si on applique les résolutions", et nous avons toujours répondu, "ce n'est pas comme cela qu'il faut prendre le problème, c'est à vous d'abord de remplir les conditions prévues". Après tout, toute cette affaire n'existe que parce qu'il y a eu les agressions iraquiennes que l'on sait.
Il n'y a donc pas de désaccord conceptuel entre les Etats-Unis et la France là-dessus. D'ailleurs nous avons un dialogue réel au niveau des dirigeants politiques et au niveau des administrations. Par contre, il peut y avoir à tel ou tel moment des différences d'interprétation dans le détail. Mais sur la crise récente par exemple, celle de l'été - je ne parle pas de celle du printemps qui a été dénouée par Kofi Annan -, il n'y a aucun problème. Nous disons aux Iraquiens "vous devez reprendre la coopération avec l'UNSCOM". Qu'y a-t-il comme nuance en ce moment ?. Nous disons "les Iraquiens doivent reprendre la coopération avec l'UNSCOM" mais ça n'empêche pas que le Secrétaire général réfléchisse à la suite. Que pourrait être la suite si les Iraquiens changeaient d'attitude. Les Etats-Unis disent "nous sommes réticents pour qu'ils fassent un brain storming tout de suite parce que cela peut donner une impression de mollesse". Nous répondons "ce n'est pas une impression de mollesse si l'on dit clairement que cela n'a de sens que dans le cas où les Iraquiens ont changé d'attitude sur l'UNSCOM". Donc la différence est faible. La preuve en 'est que l'on a voté une résolution il y quelques jours.
L'idée, très répandue ici, qu'il y a un désaccord systématique sur le sujet et un désaccord franco-américain est inexacte. En plus, cela ne doit pas vous choquer que l'on ait notre propre position au Conseil de sécurité. Il n'y a aucun sujet sur lequel notre seule politique soit d'appuyer automatiquement la position de n'importe quel autre. Donc il faut juger de notre politique sur elle-même, sur son raisonnement.
Q - Iraq : Sur la crise de février.
R - A propos de la crise de février, quand nous sommes arrivés à la conclusion, c'est-à-dire à l'accord entre Kofi Annan et Tarek Aziz, j'ai fait une déclaration pour donner l'interprétation des autorités française sur cette conclusion. J'ai dit que nous avions atteint ce résultat grâce à une combinaison de facteurs : la menace militaire américaine, et deuxièmement - ce que j'ai appelé d'un terme un peu pédant, excusez-moi -, l'ingénierie diplomatique de plusieurs pays, à commencer par la France.
En plus c'est vrai. Je crois que, dans les discussions que nous avons eues avec Madeleine Albright et enquite avec les représentants américains à New York par l'intermédiaire d'Alain Dejammet, nous avons inventé des idées qui ont été des éléments de la solution. J'ai dit qu'il y avait une combinaison, il y avait un troisième facteur auquel j'avais rendu hommage : c'est le travail remarquable de Kofi Annan. Madame Albright m'a dit "Hubert, je vous remercie d'avoir reconnu que la menace militaire avait joué un rôle". Elle m'a dit ça au téléphone, elle ne me l'a pas dit en public. Mais je n'ai aucun problème pour reconnaître cette évidence. Mais je crois que s'il n'y avait eu que la menace militaire américaine et pas les deux autres facteurs ou s'il n'y avait eu que le travail diplomatique et pas la menace américaine, nous n'aurions pas eu de solution.
Voilà, après il faudra entrer dans le détail, parce que pendant des années, les contrôles ont existé, se sont développés y compris dans des périodes qui n'étaient pas des périodes de crises aiguës mais sans menace. De toute façon, c'est Saddam Hussein qui est responsable de tout cela, il n'y a aucun doute. Mais cela n'empêche pas qu'il faille réfléchir à l'avenir. Réfléchir à l'avenir de ce pays, du peuple iraquien d'abord, de ce pays et des équilibres régionaux. Mais, prenez n'importe quel épisode de l'affaire de l'Iraq et vous vous apercevez que c'est une caricature de dire qu'il y a une opposition constante et frontale entre la France et les Etats-Unis. Dans l'affaire du début de l'année, à propos du recours à la force, énormément de voix se sont élevées, aux Etats-Unis mêmes, pour montrer que ce n'était pas une solution pertinente pour régler ce problème. C'est un débat logique, démocratique, ce n'était pas choquant, ce n'était pas par esprit de contradiction que nous mettions en avant certaines de ces questions.
Q - Sur le Kossovo
R - Je dirais qu'à chaque jour suffit sa peine. Je veux dire par là que nous avons je crois fait un progrès sérieux sur le Kossovo ici à New York. On verra pour la prochaine étape. Ce qui est important à nos yeux, c'est que l'unité du Conseil de sécurité et l'unité de l'ensemble des pays d'Europe soient reconfirmées sur cette question du Kossovo. Nous étions tous d'accord pour renforcer la pression et la menace sur Milosevic. Je fais une parenthèse : nous pensons tous qu'il faut également renforcer notre pression sur l'armée de libération du Kossovo qui combat également notre solution politique. Pour renforcer la pression, nous voulions une résolution invoquant le chapitre 7 . C'est une escalade sérieuse par rapport à ce qui a été fait jusqu'ici. Nous pensons que cela doit passer par le Conseil de sécurité parce qu'il est le seul organisme qui a une légitimité pour cela. C'est le seul organisme qui a le droit de décider du recours à la force. Nous pensons que ce serait une mauvaise chose qu'un autre organisme prenne des décisions de ce type, même si c'est un organisme occidental parce que cela servira de précédent à n'importe qui après, ailleurs dans le monde.
Il fallait donc surmonter un certain nombre de réticences russes et d'inquiétudes américaines à propos des réticences russes. Nous arrivons à un texte qui est, je crois, bon et qui est un texte fort. Donc le Président Milosevic et les autres dont j'ai parlé, qui ont pu espérer que nous allions nous diviser, se seront trompés. Nous allons en plus dans la foulée de ce vote, réunir le Groupe de contact au niveau ministériel à nouveau pour réfléchir ensemble sur les suites. Vous savez d'autre part que, depuis plusieurs semaines, au sein de l'OTAN, notamment à la demande des Etats-Unis et de la France, toutes les options ont été examinées en détail et qu'elles sont prêtes. Donc vous avez une attitude de la communauté internationale qui est ferme et qui est convergente. Cela n'a pas suffit jusqu'à maintenant parce que c'est un problème particulièrement compliqué. Je pense que nous finirons par y arriver.
Je termine d'une phrase sur ce point. Cela n'a rien à voir à propos de la situation de la Bosnie, parce qu'à propos de la Bosnie, il y avait de nombreux désaccords entre les Etats-Unis et les Européens et entre les Européens eux-mêmes et avec les Russes. Ce qui fait qu'il n'y a pas eu de position collective ferme et claire avant 1994.
Q - Cette résolution autorise-t-elle l'usage de la force.
R - Ce point n'est pas entièrement tranché. Mais je disais tout à l'heure qu'à chaque jour suffit sa peine : on verra ce problème après si cette pression-là ne suffit pas. Je ne souhaite pas affaiblir la portée de ce texte qui est très important par une discussion théorique sur ce qui passera après. Par rapport à Milosevic et à l'UCK, il ne faut pas envoyer plusieurs messages en même temps. Le message d'aujourd'hui est le suivant : "la communauté internationale ne se divise pas, au contraire elle est unie pour renforcer sa pression et ses menaces".
Q - Sur l'impact d'une crise financière globale sur l'introduction de l'euro.
R - Je ne pense pas que la crise financière internationale modifie en quoi que ce soit l'introduction de l'euro. C'est quelque chose qui est parti, qui est déjà parti, qui est très avancé. Je note que dans cette crise précisément, la zone euro est déjà de fait protégée, même si l'Euro n'est pas encore techniquement en place.
En sens inverse, naturellement on peut espérer que l'existence d'une zone euro puissante et stable soit un élément de stabilisation plus large. Mais cela ne peut pas se faire automatiquement. Je crois que cela va donner plus de poids aux propositions européennes, en tous cas des pays de l'euro, qui peuvent être faites dans cette phase de réflexion sur l'adaptation éventuelle du système financier international. Beaucoup de dirigeants, notamment en Europe demandent un nouveau Bretton Woods. C'est une formule pour dire qu'il faut adapter les institutions et leurs moyens. Il est clair que dans ce débat les pays de l'euro pèseront beaucoup plus que s'il n'y avait pas l'euro.
Q - Est-ce que cela a un sens de menacer l'Iraq d'un recours à la force si l'Iraq ne la respecte pas.
R - Vous savez, il ne faut quand même pas raisonner sur l'Iraq, en termes de forces, comme si l'Iraq était dans la même situation qu'à la veille de l'invasion du Koweit. Ce pays fait l'objet d'une mise en tutelle et d'une surveillance extraordinairement poussées depuis plusieurs années. Personne ne peut penser, même les inspecteurs les plus déterminés, que l'Iraq ait pu cacher des éléments significatifs de son potentiel militaire d'autrefois. Donc il ne faut pas parler de la menace militaire de l'Iraq aujourd'hui comme si rien ne s'était passé. Sur ce plan, c'est un pays brisé.
Ce qui est en cause, c'est la capacité de reconstitution d'une menace. D'autre part, c'est presque un problème de crédibilité d'un gouvernement dans son acceptation ou non de ce qui est déterminé par les résolutions. C'est une affaire que nous prenons très au sérieux mais il faut garder le sens des proportions.
Alors maintenant la question de l'emploi de la force est à voir au cas par cas. Le coeur du dispositif de contrainte, ce n'est pas la menace de l'emploi de la force tous les matins, le coeur du dispositif, ce sont des résolutions extrêmement sévères, notamment sur l'embargo et qui ne seront levées que quand toutes les conditions seront réunies. Il y a une situation de contrainte au départ. Il ne faut jamais l'oublier.
Voilà, je ne vais pas faire une réponse théorique parce que cela dépend des moments, cela dépend des crises. La combinaison des moyens qu'il faut employer pour maintenir cette pression peut donc varier. Mais la France ne souhaite pas plus que les Etats-Unis que l'Iraq redevienne un pays dangereux. Nous avons en plus des relations étroites avec beaucoup des voisins de l'Iraq et leurs préoccupations sont claires à ce sujet. Nous avons des relations étroites avec tous les pays de la péninsule arabique, nous avons des relations très suivies avec les Turcs. J'ai relancé récemment, avec prudence, les relations entre la France et l'Iran. Aucun de ces pays ne pense que l'Iraq soit une menace aujourd'hui. Mais ils restent tous méfiants et très prudents, notamment par rapport à Saddam Hussein. Ils savent aussi que dans les résolutions depuis l'origine, on a bâti un système de contrôle à long terme. Et même si l'on décidait - ce qui n'est pas encore le cas -, qu'on pourrait passer au contrôle à long terme sur l'Iraq, ce pays resterait soumis à plus de contrôle que n'importe quel autre pays dans le monde.
Q - Sur les armes qui restent au Conseil face à l'Iraq en dehors de l'usage de la force, pour faire respecter, notamment, le contrôle à long terme.
R - Le maintien de l'embargo est une contrainte énorme, même s'il est tourné sur tel et tel point. Vous savez que même les quotas théoriques accordés dans le cadre de "pétrole contre nourriture" sont difficiles à employer par les Iraquiens. Le Conseil maintient un contrôle très fort sur ce plan mais c'est précisément pour les raisons que vous indiquez que nous pensons qu'il faut garder une vision de l'avenir. D'où le rôle du Secrétaire général que nous avons fait confirmer dans la dernière résolution. Il faut pouvoir être très clair en disant "vous ne coopérez pas, et bien vous ne sortirez jamais de cette situation et vous aurez des ennuis croissants. Vous coopérez, et bien voilà les perspectives de sortie progressive". Je ne fais que paraphraser les résolutions du début, il faut les lire en entier.
Encore une fois, il faut garder le sens des proportions, la capacité iraquienne à menacer qui que ce soit aujourd'hui est presque inexistante. Je ne parle pas des intentions de Saddam Hussein naturellement, je parle de la capacité aujourd'hui. Par rapport à la puissance colossale du monde occidental sur tous les plans, il faut traiter cela avec sang-froid. C'est exaspérant mais aujourd'hui on ne peut pas décrire cette menace comme si on était il y a sept ou huit ans. Je le répète, la question c'est celle de l'éventuelle reconstitution à l'avenir d'une menace. J'ai parlé du contrôle continu - qui est déjà quelque chose de très important au départ, de très sévère -, mais en plus nous avons fait des propositions pour le rendre plus strict.
Q - Sur la perception, en Europe, de l'influence des problèmes personnels du président Clinton sur la politique étrangère des Etats-Unis.
R - D'abord il est frappant de constater les Européens de façon presque unanime, réagissent très violemment contre le mode d'inquisition qui est utilisé contre le président Clinton. C'est un fait de culture, de civilisation peut-être. Moi je peux vous redire ce que j'ai dit depuis plusieurs semaines : j'ai dit que c'était du maccarthysme pur et simple. J'étais, je crois, le premier à employer l'expression mais ce n'est pas du tout isolé ; presque tout le monde en a parlé dans ces termes. Du maccarthysme aggravé par du voyeurisme. Il y a des déclarations beaucoup plus dures en Europe. On compare cela aussi aux procès staliniens, avec la procédure de l'aveu, à l'inquisition. Enfin, il y a une réaction très violente de répulsion. Aucun des arguments sur la transparence, le mensonge, la démocratie, aucun de ces arguments ne passe en Europe. Mais ce n'est pas la réponse à votre question en fait.
Les Européens souhaitent que le Président Clinton résiste simplement pour l'avenir de la démocratie dans le monde. Mais cela peut venir de gens qui ont des désaccords avec la politique américaine par ailleurs. Ce sont deux choses tout a fait distinctes. Maintenant, est-ce que cela affaiblit le rôle des Etats-Unis ? Je n'en vois pas de signe pour le moment. Il y a beaucoup de problèmes compliqués dans le monde que l'on n'arrivait pas à régler même avant ces événements. Il ne faut pas mélanger les deux : ce n'est pas à cause de cette affaire qu'on est incapable de faire appliquer ces engagements par le gouvernement israélien par exemple. Et ce n'est pas encore à cause de cela que l'on a pas encore trouvé la solution miracle au Kossovo ; ou une solution miracle dans l'Afrique des Grands lacs ; ou reconstitué l'Etat en Somalie ou l'Etat en Afghanistan. Voilà, mais cela c'est la réponse pour aujourd'hui. Est-ce que cela va affecter la capacité américaine après ? Je ne le souhaite pas.
Q - Sur la difficulté de comprendre pourquoi le parjure ou le mensonge n'importent pas aux Européens.
R - C'est parce que ce n'est pas vu comme étant ce sujet-là. On pense que l'on ne peut pas invoquer ces immenses principes à propos de n'importe quoi. Comme on pense aussi en Europe que comme dans les procès menés par l'Inquisition au Moyen-Age, on peut s'en prendre à n'importe qui en fait, avec un système d'interrogation comme cela.
Q - Sur les bombardements américains en Afghanistan et au Soudan.
R - D'une façon générale, naturellement nous ne sommes pas favorables aux démarches unilatérales. Nous préférons que les problèmes du monde - y compris ces problèmes compliqués de terrorisme - soient réglés de façon concertée et par des décisions des organes légitimes. Mais nous ne sommes pas dans un monde parfait, on voit bien qu'il arrive que des pays, y compris les Etats-Unis, prennent des décisions unilatérales dans tel ou tel cas. C'est pour cela que nous avons réagi à cette action sur l'Afghanistan et sur le Soudan en rappelant que nous sommes absolument déterminés contre toutes les formes de terrorisme. Nous avons dit ensuite que nous prenions acte de la décision américaine et nous avons ajouté que nous pouvions la comprendre. On a gardé un ton compréhensif, mais mesuré parce qu'on ne veut pas approuver trop fort une décision unilatérale. On peut comprendre qu'il y ait des situations très particulières mais si on peut faire autrement, c'est mieux. J'ajoute que quand on fait ça, il ne faut pas se tromper.
Q - Sur la fabrication d'armes chimiques dans l'usine attaquée au Soudan.
R - Il semble que personne n'en soit totalement convaincu, même pas la presse américaine d'après ce j'ai vu.
Q - Sur les traces de VX sur les échantillons prélevés en Iraq.
R - Je n'ai pas d'éléments là-dessus. C'est entièrement sous la responsabilité de l'UNSCOM que ces essais sont conduits.
Q - Sur l'usage de la menace du recours à la force en Iraq.
R - Cela dépend de ce que l'on veut obtenir avec la menace du recours à la force. C'est ce que nous disions en début d'année. Si l'objectif est de faire en sorte que les contrôles puissent avoir lieu partout, y compris dans des endroits dispersés parce que c'est souvent le cas à propos des soupçons sur le chimique ou sur le bactériologique. Si c'est l'objectif on peut se demander à quoi sert la frappe ? On frappe sur quoi ? Dans quel but ? On ne peut pas frapper sur les sites suspects puisque précisément il s'agit de les repérer. C'est d'ailleurs ce que disaient beaucoup de responsables militaires aux Etats-Unis, sur le caractère inapproprié de la frappe dans ce cas particulier. Mais on ne peut pas exclure que dans certains contextes, cela ait un sens. Il ne faut pas être dogmatique là-dessus . Nous pensons qu'il faut plutôt enfermer les autorités iraquiennes, quoiqu'elles aient en tête, peu importe, dans l'obligation d'avoir à coopérer et qu'il faut donc trouver une façon pour que l'UNSCOM soit là et puisse recommencer ses travaux. Donc il faut résister aux provocations, et être encore plus tenaces qu'eux. Encore une fois, n'oubliez pas le travail énorme qui a été fait pendant des années, le travail de contrôle et de démantèlement. On ne peut pas parler de cela comme si on était encore une fois au lendemain de la guerre du Koweit. Même pendant la crise du printemps, il y avait un désaccord violent sur 6 ou 7 "palais" et les mêmes jours, il y avait des dizaines de contrôle. D'ailleurs, l'inspection des palais n'a rien donné. Des dizaines d'autres contrôles ont eu lieu.
Q - Sur le Kossovo et les facteurs qui ont amené les Russes à se rallier à la résolution.
R - Je crois d'abord qu'il y a une limite à la solidarité entre les Russes et Milosevic. Cela joue un rôle dans la politique russe : c'est une sorte de solidarité slave et d'autre part un intérêt traditionnel pour les Balkans. Mais il y a tout le reste, qui est considérable : l'insertion de la Russie dans le reste de monde, l'aide financière des Etats-Unis, de l'Europe, la sécurité en Europe, le développement d'un lien avec l'OTAN, même si ça ne leur plaît pas, les relations bilatérales avec chacun des grands pays d'Europe. Voilà, le but de la Russie n'est certainement pas d'être solidaire de Milosevic, quoi qu'il fasse. C'est plutôt un boulet pour eux qu'autre chose.
Deuxièmement, la Russie, pour des raisons globales, mondiales, veut maintenir, comme nous d'ailleurs, le rôle du Conseil de sécurité. Ce ne serait pas logique de leur point de vue d'avoir une politique d'obstruction qui aboutirait à ce qu'au bout du compte, des décisions importantes soient prises ailleurs. Ensuite, il faut qu'ils tiennent compte de mille autres choses : la Douma, les médias, l'opinion publique. Je pense que cela qui les a fait évoluer. Nous avons intérêt à les garder avec nous. Après tout, les accords de Dayton ont été conçus essentiellement par les Etats-Unis en impliquant Milosevic et en utilisant les Russes comme un facteur de stabilité.
Sur le Kossovo, on n'est pas encore à la solution, mais c'est certainement comme cela que l'on y arrivera.
Q - Sur le travail de l'OTAN et de l'ONU dans l'affaire du Kossovo.
R - Il y a un problème de hiérarchie, il y a un problème de combinaison. Sur la hiérarchie, je rappelle une évidence qui est que le seul organe dans le monde qui a la légitimé pour décider de l'emploi de la force, mis à part les cas de légitime défense, c'est le Conseil de sécurité. C'est comme cela que le monde a été repensé - disons - après la guerre. Ce n'est pas une opinion, c'est un fait.
Ensuite, ce n'est pas l'ONU qui envoie son armée, l'ONU n'a pas d'armée, donc il y a toujours une combinaison à trouver qui n'est pas évidente, qui n'est pas automatique. Le travail utile qui pourrait être fait du côté de l'OTAN a été de préparer techniquement toutes les hypothèses. Je disais que la France l'a beaucoup demandé depuis le début mais nous étions gênes parce que les premiers plans étaient des plans trop massifs, trop systématiques. C'était le schéma "Tempête du désert". Mais on ne peut pas traiter tous les problèmes militaires dans le monde de cette manière. En commençant par détruire tout avant d'avancer un orteil. Nous avons donc demandé qu'il y ait un éventail d'actions envisagées et nous avons donc maintenant un éventail d'actions militaires disponibles. Le président Milosevic doit comprendre qu'il doit faire une ouverture importante. Ensuite il faudra que l'on soutienne Rugova contre ses extrémistes.
Si vous n'avez pas d'autres questions, je vais donc conclure en vous disant que j'ai été très heureux de cette occasion de discussion avec vous. J'espère que sur quelques points, vous avez été sensible à ma description de la politique française qui est beaucoup plus qu'on ne le croit dans un rapport de coopération avec la politique américaine, même si nous avons une politique qui est la nôtre bien sûr.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 octobre 2001)