Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur les grandes lignes du programme français de lutte contre l'effet de serre, Paris le 19 janvier 2000.

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Circonstance : Conférence de presse à l'issue de la réunion de la Commission interministérielle de l'effet de serre (CIES) à Paris le 19 janvier 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
C'est la seconde fois que nous nous réunissons avec les ministres dans le cadre de la Commission interministérielle sur l'effet de serre qui a été placée en 1998 auprès de Matignon afin de mieux coordonner l'ensemble du travail des ministres sur ce sujet capital.
Nous sommes un des pays qui a joué un rôle éminent dans tout le processus des négociations internationales portant sur la lutte contre l'effet de serre. Souvenons-nous que la préparation de la convention était assurée par un Français, Jean Ripert, et que, au sein de l'Union Européenne, au fil des cinq conférences qui ont suivi la signature et le début d'application de la convention sur les climats, dès 1992, notre pays a joué un rôle décisif qui a toujours été inspiré par la préoccupation des conséquences du réchauffement de la terre. Très vite, nous avons pris au sérieux, dans le cadre national comme dans le cadre international, les menaces que feraient peser sur la vie de la planète les bouleversements provoqués par les changements climatiques et ce ne sont pas les ouragans de décembre, même si je veux les espérer exceptionnels, qui vont modifier cette analyse.
Ainsi le gouvernement porte une extrême attention à la convention qui doit se réunir à La Haye en novembre prochain. La ministre de l'Environnement, Mme Voynet, a dirigé la délégation française lors des deux dernières conférences et continuera bien sûr de le faire à la prochaine conférence de La Haye qui sera décisive pour la fixation des modalités de lutte contre l'effet de serre.
Au plan national, dès février 1993, le gouvernement français a préparé ce qu'on a appelé des " éléments à usage interne ", propres à notre pays, pour lutter contre ce réchauffement. Il s'agissait avant tout de mesures favorisant la maîtrise de l'énergie. En 1995, le premier programme national de prévention du changement du climat a été adopté et, dès mon arrivée au gouvernement, j'ai souhaité que, conformément à nos engagements internationaux, un nouveau plan soit mis à l'étude.
Ce travail a été préparé par l'ensemble des administrations de manière extrêmement sérieuse et méthodique et je voudrais non seulement remercier tous les ministres qui ont concouru à l'élaboration de ces mesures et particulièrement la ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement qui y a pris une part privilégiée, mais aussi M. Michel Mousel, président de la Mission interministérielle de l'effet de serre, qui a su dialoguer avec l'ensemble des acteurs, aux intérêts parfois contradictoires mais dont l'engagement est indispensable pour arriver à combattre les effets du réchauffement.
Avant de vous présenter les grands principes qui ont inspiré ce rapport -dont Mme Voynet souhaitera certainement ensuite vous détailler les mesures- je voudrais faire deux rappels qui me semblent importants :
Le premier concerne la mise en perspective de ce plan par rapport à la situation économique.
Dans un contexte de croissance retrouvée, nous devons accroître notre effort par rapport aux périodes précédentes, car produire plus, c'est, si nous ne faisons rien, émettre plus de gaz carbonique.
Nous sommes par ailleurs et paradoxalement dans une situation plus complexe que d'autres pays européens puisque, en raison de la forte proportion de l'énergie du nucléaire dans notre structure énergétique qui, de ce point de vue constitue un atout, nous n'avons pas beaucoup de réserves en matière énergétique pour limiter les émissions de carbone, et notre effort doit donc porter sur l'ensemble des secteurs économiques, et particulièrement sur le secteur des transports.
Notre compétitivité doit bien sûr être sauvegardée, en même temps que notre engagement dans le maintien des grands équilibres écologiques. A cet égard, nous avons veillé à ce que la baisse significative des émissions de carbone ne compromette pas la poursuite d'une croissance forte.
Je voudrais, aussi, en second lieu, inscrire ce plan dans la continuité de l'action gouvernementale.
En effet, dès notre arrivée, nous avons su, je crois, intégrer la préoccupation du réchauffement climatique dans l'ensemble des décisions que nous avons prises. Ainsi, en ce qui concerne par exemple les gisements de " carbone évité " que l'on peut trouver dans le recours aux énergies renouvelables, l'ADEME a été dotée en février 1998 de 500 millions de francs par an pour les développer. Ce chiffre est sans précédent. Ainsi Mme Voynet dans la loi d'aménagement durable du territoire a eu présente à l'esprit la nécessité de fonder une politique favorisant la diminution de nos émissions de carbone : les schémas de service collectif, en particulier ceux sur les transports, inspirés par le transport intermodal, et celui de l'énergie, seront des cadres efficaces pour contenir l'évolution de la demande de transport et de la demande d'énergie dans des limites compatibles avec nos engagements internationaux, tout en assurant leur essor.
Le ministère des Transports a résolument adopté une politique qui donne la préférence au rail : je rappellerai l'enveloppe retenue pour le 12ème plan :
8,7 milliards, soit dix fois plus que pour le 11ème plan. Le transport combiné a vu pratiquement ses crédits doublés depuis 1997. Les collectivités territoriales et les autorités organisatrices des transports ont été incitées à adopter des plans de déplacement urbain et les transports propres en ville ont été fortement encouragés. Nous avons favorisé les concrétisations d'accords volontaires, par exemple avec les constructeurs automobiles, pour réduire les émissions à l'échéance de 2008. Dès le budget de 1999, la France a commencé à rattraper l'écart de taxation entre l'essence et le gazole, lequel favorisait trop ce carburant, avec un étalement sur sept ans, pour le rendre acceptable pour les consommateurs et les transporteurs.
Nous avons tranché avec les politiques précédentes en rejoignant la plupart des pays de l'Union Européenne qui avaient décidé de créer une écotaxe ou de consolider leur fiscalité énergétique. Depuis six mois, nous avons procédé à une consultation des industriels, qui n'est d'ailleurs pas terminée, sur les modalités d'une " TGAP énergie ", c'est-à-dire d'une écotaxe dont nous avons adopté le principe dès 1998, et qui s'est accompagnée d'ailleurs, selon le principe du double dividende, d'une diminution significative des charges sociales.
Ce plan est donc caractérisé aujourd'hui par la réaffirmation d'une forte volonté politique, qui devrait placer pour les prochaines années notre pays parmi les plus "responsables" face aux nouveaux risques qui menacent les grands équilibres écologiques. La ministre de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement exerce, non seulement dans le cadre de cette mission, mais aussi dans l'ensemble des politiques qu'elle suscite et défend, un rôle de vigilance et de propositions très significatif.
Venons en maintenant, Mesdames et Messieurs, aux grands principes qui ont inspiré ce rapport.
- D'abord le constat des chiffres. En 1990 la France a émis 144 millions de tonnes équivalent carbone. Si nous n'agissions pas, ce chiffre serait de 175 millions de tonnes en 2010 ; avec les mêmes mesures que celles adoptées avant la conférence de Kyoto, et à la condition que ces mesures soient intégralement respectées -ce qui n'a pas été tout à fait le cas- la projection de 2010 serait de 160 millions de tonnes équivalent carbone. Mais nos engagements à l'intérieur de l'Europe, suite au protocole de Kyoto nous obligent à ne pas dépasser le niveau des émissions de gaz à effet de serre de l'année 1990, soit 144 millions de tonnes ; c'est donc au moins 16 millions de tonnes de carbone qu'il nous faut éviter dans les dix prochaines années.
C'est parce que nous avons mesuré l'effort qu'il nous faut accomplir que nous avons mis en place des instruments économiques d'incitation, notamment dans le domaine fiscal. Ainsi que je l'ai indiqué, nous nous inscrivons dans la démarche suivie par nos principaux partenaires européens. Le programme propose donc de taxer les différentes sources d'énergie en fonction de leur contenu en carbone, suivant un prix de référence qui en fin de période, soit en 2010, atteindrait 500 F par tonne de carbone, mais qui, au début de la période, soit en 2001, serait fixé entre 150 et 200 F. Nous travaillons en lien étroit avec les industriels sur cette hypothèse, tout en étant conscients que nous devons exonérer certains secteurs qui seraient particulièrement pénalisés par cette taxation.
- Le rapport envisage également d'autres dispositions fiscales qui seront détaillées par Mme Voynet ou par M. Mousel, en continuité avec celles déjà adoptées par le gouvernement.
Nous les examinerons le moment venu, lorsque celles déjà adoptées auront produit leurs effets. Elles seront conçues dans le souci du maintien de la compétitivité et de la baisse des prélèvements obligatoires, et ne seront envisagées qu'en contrepartie de la diminution d'autres prélèvements pesant sur les ménages et sur les entreprises.
L'ensemble des mesures, secteur par secteur, vise avant tout à économiser l'énergie en produisant autrement de l'énergie.
Avant que Mme Voynet et M. Mousel ne les détaillent, je voudrais cependant insister particulièrement,
- sur la création d'un fonds destiné à garantir les investissements des PME de l'industrie et du tertiaire en vue d'économiser l'énergie ;
- sur l'accroissement des " chantiers propres " auxquels les professions du bâtiment s'attachent de plus en plus ;
- sur l'appui aux techniques permettant dans l'agriculture de limiter les émissions de méthane et de protoxyde d'azote dans les élevages intensifs ;
Si j'avais une note particulière à apporter à ce programme, je voudrais souligner à quel point l'information la plus précise -donc, la plus scientifique possible- sur l'état véritable du réchauffement climatique me paraît indispensable. A cet égard, la presse joue un rôle considérable qui me semble d'ailleurs avoir su ces derniers temps éviter à la fois le catastrophisme et la minoration du risque ; c'est que l'opinion publique devient de plus en plus exigeante en ce domaine. Je plaide par conséquent pour que, à chaque décision publique ou même privée, lorsqu'il s'agit d'acheter un appartement ou d'équiper une maison, des efforts soient faits par les municipalités et les services extérieurs de l'Etat pour aider à quantifier les conséquences des choix en terme d'émission de gaz à effet de serre.
Mesdames et messieurs, vous vous êtes bien entendu fait l'écho d'une question que tout le monde se pose au lendemain de la tempête sans précédent que nous avons connue : le réchauffement de la planète est-il une des raisons des inondations et des troubles climatiques ? Depuis la conférence de Rio, les scientifiques sont devenus unanimes sur le constat du réchauffement. Le dernier rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, placé auprès des instances de la convention sur les climats, estimait que le réchauffement des surfaces constaté depuis le début du précédent siècle, qui est évalué à plus de 0,6 degré, n'était pas d'origine naturelle. Compte tenu des expertises scientifiques à notre disposition, nous constatons que le réchauffement actuel a été sans équivalent au cours du dernier siècle et qu'aucun modèle n'a pu rendre compte du réchauffement récent, en invoquant de manière exclusive des facteurs naturels, comme par exemple le volcanisme ou la variation d'ensoleillement.
Le devoir des gouvernants est donc à la fois d'intégrer les constats et les apports des scientifiques et de mettre en pratique le principe de précaution particulièrement indispensable, étant donné l'incertitude sur les interactions entre réchauffement et modifications climatiques ; en cela, nous ne faisons d'ailleurs qu'appliquer l'article 3 de la convention-cadre sur les changements climatiques qui stipule que l'absence de certitude scientifique ne doit pas servir de prétexte pour différer l'adoption de mesures de précaution destinées à prévoir, prévenir ou atténuer les causes des changements climatiques et en limiter les effets néfastes. Le gouvernement a su, sur d'autres sujets, dans un contexte internationalement difficile appliquer ce principe. Il l'appliquera d'autant plus lorsqu'il s'agit de respecter ses engagements internationaux.
Par ailleurs, j'ai veillé à ce que les incidences des tempêtes de décembre 1999 soient prises en compte dans le programme national de lutte contre le changement climatique. Ainsi, nous avons mis un accent supplémentaire sur la valorisation énergétique des produits forestiers et avons veillé à ce que malgré le déboisement issu de la chute ou destruction des arbres, le stock de carbone dans les forêts reste, en fin de période, au niveau de 2010. Afin de respecter nos engagements internationaux, je n'exclus pas qu'il faille, après 2005, accélérer le rythme de boisement annuel.
Notre effort, aussi significatif qu'il soit, aura peu d'effet si l'effort globalement partagé en Europe ne l'était pas sur d'autres continents.
Nos partenaires d'Outre-Atlantique ont bien sûr des devoirs impérieux. Il me semble qu'ils en prennent peu à peu conscience.
Dans les pays en développement, les esprits évoluent, d'autant plus que ces pays sont les premiers à être touchés par les conséquences du réchauffement ; certains sont en effet très vulnérables, comme les pays insulaires sans hauts reliefs, les pays à deltas, ou les pays arides. Mais nous avons des devoirs spécifiques de solidarité envers eux qui doivent se traduire dans des politiques de coopération plus adaptées.
C'est pourquoi je souhaite que la France, dans sa politique de coopération, favorise les mécanismes dits d'application conjointe, qui permettent à un pays de bénéficier de réductions d'émissions de gaz à effet de serre liées à un projet financé dans un autre pays, à la condition qu'il y ait un vrai contrôle international sur le caractère authentiquement durable de ce projet.
A la demande du Secrétaire général de la Convention cadre sur les changements climatiques, et à l'occasion de la présidence française de l'Union européenne, la France accueillera en septembre 2000 la conférence internationale préparatoire précédant la réunion de La Haye intitulée " Coop 6 " qui entérinera l'ensemble des mécanismes utilisés pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Voilà, Mesdames et Messieurs, les perspectives qu'entend faire respecter, pour ce qui concerne notre pays, et en cohérence avec nos partenaires européens, le gouvernement pour lutter contre le réchauffement planétaire. J'espère que ce plan contribuera à rendre notre croissance plus durable. Comme l'indique le rapport, nous ne pouvons atteindre cet objectif sans une " gouvernance " adaptée qui passe, au plan national ou au plan international, par l'association des acteurs économiques et des organisations non gouvernementales. Ainsi cette ambition, qui est celle du gouvernement, deviendra celle de tous les Français.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 20 janvier 2000)