Texte intégral
Chaque jour apporte la preuve de l'actualité du thème de la laïcité : des guerres sont à nouveau menées au nom de Dieu, les conventionnels européens s'interrogent sur la mention de l'héritage religieux dans la future Constitution et l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne suscite toujours un vif débat. Mais, au-delà de ces sujets, c'est surtout le développement des revendications communautaristes, dans nos quartiers, qui nous invite à nous pencher à nouveau sur la laïcité. Que faire quand une élève avocate demande à garder son voile pour prêter serment, quand un élève refuse de passer un examen oral avec une enseignante au motif qu'elle est une femme et quand des enseignants ne peuvent plus enseigner telle ou telle partie du programme ?
Si ce débat sur la laïcité concerne aujourd'hui en particulier l'islam, c'est sans doute parce que cette religion n'a pas connu la révolution politique qu'a constituée l'affirmation de la souveraineté temporelle en Europe au XVIème siècle dans le sillage des écrits de Machiavel et Bodin. Depuis lors, on sait que la souveraineté ne se partage pas, elle est soit temporelle soit spirituelle. Le débat porte donc sur l'islam et la modernité politique, mais pas seulement.
La laïcité, c'est un projet à la fois politique et social. Politique car il s'agit aussi de former des citoyens, d'émanciper des individus par rapport à leur milieu d'origine et de leur donner une liberté de choix. Social car cette liberté doit permettre à chacun de construire son parcours dans la société et de faire valoir ses talents. Or, si le projet laïc est aujourd'hui menacé, c'est qu'il ne tient plus ses promesses de promotion sociale. Nombreux sont ceux en effet qui ont le sentiment qu'un contrat a été rompu par lequel la République proposait le progrès social, l'emploi, l'accès à la consommation contre l'adhésion à des valeurs et à un mode de vie. La tentation est forte dans ces conditions de se définir par rapport à une identité religieuse reconstituée.
La crise du foulard ou du voile (le choix du terme n'est pas indifférent), de ce point de vue, c'est moins le signe d'un retour au religieux que le signe d'une crise politique, sociale et culturelle. Aujourd'hui, nombreux sont les musulmans à considérer que cette pratique vestimentaire qui a resurgi après la Révolution iranienne constitue d'abord un acte militant à caractère plus politique que religieux. Ce qui est en jeu, ce n'est donc pas la stigmatisation d'une religion en particulier, c'est d'abord la liberté de conscience des jeunes de confession ou de culture musulmane.
Il y a eu en 1989 un malentendu sur l'analyse de la situation et sur les conséquences de l'acceptation du voile. En privilégiant la liberté d'expression sur la protection de la liberté de conscience des élèves, le gouvernement de l'époque a ouvert les portes de l'école aux fondamentalistes. Depuis lors, la situation n'a fait que se dégrader, l'avis du Conseil d'Etat étant commodément invoqué pour justifier les renoncements successifs. A cet égard, on ne peut que s'étonner que le pouvoir politique ait renoncé à exercer sa compétence pour s'en remettre à l'avis d'une juridiction. La question du voile est une question politique et non juridique, et c'est la compétence du Parlement que de définir le sens de la laïcité.
Défendre la laïcité, c'est défendre la liberté de conscience, c'est promouvoir l'universalisme et les droits de la personne humaine. C'est donc donner du sens à l'humanisme face au déterminisme social, culturel et ethnique. En ce sens, la laïcité est aussi une réponse au choc du 21 avril 2002. Elle s'inscrit au premier rang des valeurs que doit défendre la "droite de mai" face au communautarisme et à la défense des différences culturelles qui semblent être privilégiées par la gauche aujourd'hui. C'est l'Esprit de mai 2002 face à l'esprit de Mai 1968. Pour ma part, je souhaite apporter une contribution au débat sous la forme de propositions concrètes qui doivent être appréciées dans leur ensemble. Notre République a besoin de réconcilier la liberté, la laïcité et l'intégration.
Le principe de laïcité doit tout d'abord être lisible et compréhensible. Pour mieux comprendre la portée de ce principe, il pourrait être utile de rassembler toutes les règles de droit qui le concerne dans un "code de la laïcité". Un tel code aurait une forte dimension pédagogique auprès de tous ceux, élus, enseignants, religieux, qui sont les acteurs quotidiens de la laïcité.
Le principe de laïcité est aujourd'hui compris de façon positive comme facteur de liberté dans notre société. C'est en particulier la position de l'Eglise catholique qui a fait sienne une laïcité apaisée. Il faut donc aussi veiller à préserver cet équilibre, c'est pourquoi les principes fondamentaux de la loi de 1905 doivent être maintenus et rappeler dans ce nouveau code.
Mais réaffirmer notre attachement à la laïcité doit aussi passer par une clarification du droit applicable. Les principes définis au siècle dernier ne permettent plus de résoudre toutes les questions qui se posent à la France du XXIème siècle. Concernant la question du port du voile et de tout autre signe ostentatoire d'appartenance religieuse par exemple, une réaffirmation de la laïcité devrait consister d'une part à en proscrire expressément la possibilité dans les établissements scolaires et d'autre part à autoriser les chefs d'établissement et le personnel enseignant à tenir compte de l'intérêt de l'élève. C'est le seul moyen de restaurer les enseignants dans la plénitude de leur mission et de leur autorité, on inverserait ainsi la situation par rapport au droit actuel dans lequel les enseignants sont en permanence menacés d'être désavoués par la juridiction administrative.
Mais retrouver le sens de notre laïcité doit aussi passer par la garantie de la liberté religieuse. Pour l'islam, l'enjeu est important et je crois possible de permettre le développement en France d'un islam ouvert sur notre modernité. La création d'une faculté de théologie musulmane permettrait d'avancer dans cette voie. Des théologiens formés en France pourraient ensuite recevoir une formation d'imam et promouvoir un islam qui tienne compte de la culture de notre pays.
Une laïcité décomplexée ne doit pas avoir peur des religions. C'est pourquoi on pourrait aussi envisager une expérimentation d'un enseignement spécifique du fait religieux dans quelques établissements volontaires. Cet enseignement optionnel serait dispensé par des laïcs ayant une véritable qualification et devrait être ouvert sur l'ensemble des religions. Il pourrait comporter des aspects historiques, éthiques, artistiques et sociologiques.
La liberté de l'exercice du culte constitue aussi une dimension de notre laïcité. Or, les moyens dont disposent les aumôneries sont assez disparates selon la nature des établissements publics (établissements scolaires, prisons, armées, hôpitaux) et selon les religions. Il est sans doute temps de s'interroger sur le fonctionnement de ces structures qui sont expressément mentionnées dans la loi de 1905.
Une laïcité ouverte pourrait également mieux valoriser le dialogue entre les pouvoirs publics et les religions. Pour prolonger le travail réalisé avec le culte musulman, on pourrait examiner l'intérêt de créer un Conseil consultatif des Religions de France qui permettrait de consulter les responsables des grandes religions sur toutes les questions touchant à la place des religions dans la société française.
Par ailleurs, les différentes religions sont aujourd'hui confrontées à des problèmes financiers. Promouvoir une nouvelle laïcité pourrait passer par le développement d'un outil simple de type "don spiritualité" permettant à chaque contribuable d'allouer une somme forfaitaire à une association cultuelle à déduire du montant de son impôt sur le revenu. Cette nouvelle ressource pourrait être utile en particulier pour l'islam de France.
Une nouvelle laïcité doit enfin retrouver l'ensemble du contrat républicain, ce qui signifie relancer la politique d'intégration. Le gouvernement a déjà engagé une action déterminée dont témoigne le comité interministériel du 10 avril dernier. Mais je crois utile de réfléchir à la possibilité d'une seconde étape qui prolongerait nos efforts en faveur de la promotion sociale. La République doit prendre les multiples visages des Français qui la font vivre.
Le succès de l'intégration passe par l'école et la formation. A cette fin, je propose une mobilisation générale des moyens de l'Etat à travers le développement de pôles d'excellence. Ces lycées pourraient être soumis à des règles particulières en matière d'encadrement et de discipline. Des possibilités étendues en termes de bourses et d'internat pourraient être envisagées. Le soutien de partenaires privés pourrait être recherché. Enfin, le port d'un uniforme pourrait être décidé par le conseil d'administration de l'établissement afin de marquer une rupture avec les phénomènes communautaristes, la pression des marques et le développement des inégalités. L'école doit être sanctuarisée dans toutes ses dimensions. Aujourd'hui l'uniforme, c'est d'abord Nike, Puma et Adidas.
La jeunesse française a besoin de perspectives. Il faut créer des filières positives, des passerelles pour "les jeunes qui veulent s'en sortir". En s'inspirant du projet "Conventions d'éducation prioritaire" de Sciences Po, le gouvernement pourrait demander à des établissements d'enseignement supérieur réputés (Ecole Polytechnique, Ecole centrale, ESCP, HEC) d'aménager des filières de recrutement spécifiques. L'importance des enjeux justifie de mobiliser tous nos moyens pour redonner confiance dans la faculté d'intégration de notre pays. A cet égard, il serait bien que la Majorité saisisse la chance que représentent les prochains scrutins électoraux pour favoriser l'émergence d'une représentation diversifiée de la société française, c'est essentiel.
Le Premier ministre a opportunément ouvert le débat de la laïcité, le ministre de l'Intérieur a, avec courage, pris position, le Président de la République poursuit ses consultations. C'est à la République et à ses plus hauts représentants de réaffirmer avec force une idée au fond assez simple, la laïcité est la première sentinelle et le dernier rempart de l'unité de notre nation.
(source http://www.u-m-p.org, le 4 juillet 2003)
Si ce débat sur la laïcité concerne aujourd'hui en particulier l'islam, c'est sans doute parce que cette religion n'a pas connu la révolution politique qu'a constituée l'affirmation de la souveraineté temporelle en Europe au XVIème siècle dans le sillage des écrits de Machiavel et Bodin. Depuis lors, on sait que la souveraineté ne se partage pas, elle est soit temporelle soit spirituelle. Le débat porte donc sur l'islam et la modernité politique, mais pas seulement.
La laïcité, c'est un projet à la fois politique et social. Politique car il s'agit aussi de former des citoyens, d'émanciper des individus par rapport à leur milieu d'origine et de leur donner une liberté de choix. Social car cette liberté doit permettre à chacun de construire son parcours dans la société et de faire valoir ses talents. Or, si le projet laïc est aujourd'hui menacé, c'est qu'il ne tient plus ses promesses de promotion sociale. Nombreux sont ceux en effet qui ont le sentiment qu'un contrat a été rompu par lequel la République proposait le progrès social, l'emploi, l'accès à la consommation contre l'adhésion à des valeurs et à un mode de vie. La tentation est forte dans ces conditions de se définir par rapport à une identité religieuse reconstituée.
La crise du foulard ou du voile (le choix du terme n'est pas indifférent), de ce point de vue, c'est moins le signe d'un retour au religieux que le signe d'une crise politique, sociale et culturelle. Aujourd'hui, nombreux sont les musulmans à considérer que cette pratique vestimentaire qui a resurgi après la Révolution iranienne constitue d'abord un acte militant à caractère plus politique que religieux. Ce qui est en jeu, ce n'est donc pas la stigmatisation d'une religion en particulier, c'est d'abord la liberté de conscience des jeunes de confession ou de culture musulmane.
Il y a eu en 1989 un malentendu sur l'analyse de la situation et sur les conséquences de l'acceptation du voile. En privilégiant la liberté d'expression sur la protection de la liberté de conscience des élèves, le gouvernement de l'époque a ouvert les portes de l'école aux fondamentalistes. Depuis lors, la situation n'a fait que se dégrader, l'avis du Conseil d'Etat étant commodément invoqué pour justifier les renoncements successifs. A cet égard, on ne peut que s'étonner que le pouvoir politique ait renoncé à exercer sa compétence pour s'en remettre à l'avis d'une juridiction. La question du voile est une question politique et non juridique, et c'est la compétence du Parlement que de définir le sens de la laïcité.
Défendre la laïcité, c'est défendre la liberté de conscience, c'est promouvoir l'universalisme et les droits de la personne humaine. C'est donc donner du sens à l'humanisme face au déterminisme social, culturel et ethnique. En ce sens, la laïcité est aussi une réponse au choc du 21 avril 2002. Elle s'inscrit au premier rang des valeurs que doit défendre la "droite de mai" face au communautarisme et à la défense des différences culturelles qui semblent être privilégiées par la gauche aujourd'hui. C'est l'Esprit de mai 2002 face à l'esprit de Mai 1968. Pour ma part, je souhaite apporter une contribution au débat sous la forme de propositions concrètes qui doivent être appréciées dans leur ensemble. Notre République a besoin de réconcilier la liberté, la laïcité et l'intégration.
Le principe de laïcité doit tout d'abord être lisible et compréhensible. Pour mieux comprendre la portée de ce principe, il pourrait être utile de rassembler toutes les règles de droit qui le concerne dans un "code de la laïcité". Un tel code aurait une forte dimension pédagogique auprès de tous ceux, élus, enseignants, religieux, qui sont les acteurs quotidiens de la laïcité.
Le principe de laïcité est aujourd'hui compris de façon positive comme facteur de liberté dans notre société. C'est en particulier la position de l'Eglise catholique qui a fait sienne une laïcité apaisée. Il faut donc aussi veiller à préserver cet équilibre, c'est pourquoi les principes fondamentaux de la loi de 1905 doivent être maintenus et rappeler dans ce nouveau code.
Mais réaffirmer notre attachement à la laïcité doit aussi passer par une clarification du droit applicable. Les principes définis au siècle dernier ne permettent plus de résoudre toutes les questions qui se posent à la France du XXIème siècle. Concernant la question du port du voile et de tout autre signe ostentatoire d'appartenance religieuse par exemple, une réaffirmation de la laïcité devrait consister d'une part à en proscrire expressément la possibilité dans les établissements scolaires et d'autre part à autoriser les chefs d'établissement et le personnel enseignant à tenir compte de l'intérêt de l'élève. C'est le seul moyen de restaurer les enseignants dans la plénitude de leur mission et de leur autorité, on inverserait ainsi la situation par rapport au droit actuel dans lequel les enseignants sont en permanence menacés d'être désavoués par la juridiction administrative.
Mais retrouver le sens de notre laïcité doit aussi passer par la garantie de la liberté religieuse. Pour l'islam, l'enjeu est important et je crois possible de permettre le développement en France d'un islam ouvert sur notre modernité. La création d'une faculté de théologie musulmane permettrait d'avancer dans cette voie. Des théologiens formés en France pourraient ensuite recevoir une formation d'imam et promouvoir un islam qui tienne compte de la culture de notre pays.
Une laïcité décomplexée ne doit pas avoir peur des religions. C'est pourquoi on pourrait aussi envisager une expérimentation d'un enseignement spécifique du fait religieux dans quelques établissements volontaires. Cet enseignement optionnel serait dispensé par des laïcs ayant une véritable qualification et devrait être ouvert sur l'ensemble des religions. Il pourrait comporter des aspects historiques, éthiques, artistiques et sociologiques.
La liberté de l'exercice du culte constitue aussi une dimension de notre laïcité. Or, les moyens dont disposent les aumôneries sont assez disparates selon la nature des établissements publics (établissements scolaires, prisons, armées, hôpitaux) et selon les religions. Il est sans doute temps de s'interroger sur le fonctionnement de ces structures qui sont expressément mentionnées dans la loi de 1905.
Une laïcité ouverte pourrait également mieux valoriser le dialogue entre les pouvoirs publics et les religions. Pour prolonger le travail réalisé avec le culte musulman, on pourrait examiner l'intérêt de créer un Conseil consultatif des Religions de France qui permettrait de consulter les responsables des grandes religions sur toutes les questions touchant à la place des religions dans la société française.
Par ailleurs, les différentes religions sont aujourd'hui confrontées à des problèmes financiers. Promouvoir une nouvelle laïcité pourrait passer par le développement d'un outil simple de type "don spiritualité" permettant à chaque contribuable d'allouer une somme forfaitaire à une association cultuelle à déduire du montant de son impôt sur le revenu. Cette nouvelle ressource pourrait être utile en particulier pour l'islam de France.
Une nouvelle laïcité doit enfin retrouver l'ensemble du contrat républicain, ce qui signifie relancer la politique d'intégration. Le gouvernement a déjà engagé une action déterminée dont témoigne le comité interministériel du 10 avril dernier. Mais je crois utile de réfléchir à la possibilité d'une seconde étape qui prolongerait nos efforts en faveur de la promotion sociale. La République doit prendre les multiples visages des Français qui la font vivre.
Le succès de l'intégration passe par l'école et la formation. A cette fin, je propose une mobilisation générale des moyens de l'Etat à travers le développement de pôles d'excellence. Ces lycées pourraient être soumis à des règles particulières en matière d'encadrement et de discipline. Des possibilités étendues en termes de bourses et d'internat pourraient être envisagées. Le soutien de partenaires privés pourrait être recherché. Enfin, le port d'un uniforme pourrait être décidé par le conseil d'administration de l'établissement afin de marquer une rupture avec les phénomènes communautaristes, la pression des marques et le développement des inégalités. L'école doit être sanctuarisée dans toutes ses dimensions. Aujourd'hui l'uniforme, c'est d'abord Nike, Puma et Adidas.
La jeunesse française a besoin de perspectives. Il faut créer des filières positives, des passerelles pour "les jeunes qui veulent s'en sortir". En s'inspirant du projet "Conventions d'éducation prioritaire" de Sciences Po, le gouvernement pourrait demander à des établissements d'enseignement supérieur réputés (Ecole Polytechnique, Ecole centrale, ESCP, HEC) d'aménager des filières de recrutement spécifiques. L'importance des enjeux justifie de mobiliser tous nos moyens pour redonner confiance dans la faculté d'intégration de notre pays. A cet égard, il serait bien que la Majorité saisisse la chance que représentent les prochains scrutins électoraux pour favoriser l'émergence d'une représentation diversifiée de la société française, c'est essentiel.
Le Premier ministre a opportunément ouvert le débat de la laïcité, le ministre de l'Intérieur a, avec courage, pris position, le Président de la République poursuit ses consultations. C'est à la République et à ses plus hauts représentants de réaffirmer avec force une idée au fond assez simple, la laïcité est la première sentinelle et le dernier rempart de l'unité de notre nation.
(source http://www.u-m-p.org, le 4 juillet 2003)