Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la modernisation du cadre institutionnel de la Corse, Ajaccio le 7 avril 2003.

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Circonstance : Déplacement en Corse le 7 avril 2003

Texte intégral

Monsieur le ministre,
MM. les députés, MM. les sénateurs,
Monsieur le président du Conseil exécutif,
Monsieur le président de l'Assemblée de Corse,
Monsieur les présidents des Conseils généraux
Mesdames et Messieurs,
I - La Corse et la France
Aujourd'hui, je suis venu en Corse, à Ajaccio et à Bastia, avec le ministre de l'Intérieur pour vous parler d'avenir, de votre avenir, de notre avenir commun, mes chers concitoyens.
Pour la première fois de votre longue histoire, vous qui participez à la vie de l'île vous choisirez directement vos institutions politiques. C'est de cet enjeu dont je veux vous parler aujourd'hui.
Je suis venu vous proposer un " Pacte Populaire et Républicain "
Non, je ne veux pas voir dans cette île un pays nouveau de violence, incapable de se choisir un destin.
Oui, je connais les difficultés et les drames de votre histoire. Invasions, guerres, sanglantes querelles n'ont pas manquées Les mutations économiques ont bouleversé la société insulaire Et peu à peu, s'est installée une confrontation, chacun s'observant sans se voir, s'écoutant sans s'entendre.
Nous connaissons le résultat : un retard économique préoccupant et de trop nombreuses hésitations institutionnelles et par-dessus tout la violence, qui additionne vols, rackets, destruction de biens publics ou privés, assassinats.
Avec vous j'ai partagé la douleur des familles et j'ai en mémoire les crimes celui dont a été victime le préfet Claude Erignac.
Pourtant, il y a tant de raisons d'espérer. L'histoire corse a connu des périodes glorieuses. L'île a été un pionnier de la démocratie avant d'être intimement mêlée au destin national.
C'est parce que nous sommes fidèles aux leçons de votre passé douloureux et glorieux que nous bâtirons un avenir meilleur.
II - Nous avons surmonté une partie des difficultés
Je conduis un gouvernement de réforme car le monde change vite, et car la confrontation avec lui est plus rude que jamais. Il faut que l'Etat et les institutions locales changent aussi pour s'adapter à ces enjeux nouveaux et pour ainsi mieux remplir leur rôle, c'est pour cette raison que j'ai souhaité une action forte de décentralisation dont la réforme de la Constitution est la première réalisation.
La Corse prend la tête de la nouvelle régionalisation française.
A. Des difficultés anciennes
Depuis 25 ans les gouvernements successifs ont cherché à donner à l'île un statut adapté à sa situation insulaire. Nul ne peut dire que la bonne volonté, le souci de bien faire et d'agir pour les Corses et pour la Corse n'aient pas inspiré tous les réformateurs. Mais chacun sait que la réussite n'a pas été au rendez-vous.
L'île a connu un réel développement économique, mais il est insuffisant pour donner à chaque Corse toutes ses chances et pour qu' elle puisse tenir la place qui lui revient évidemment en Europe
Dernière tentative, le processus de Matignon, engagé par mon prédécesseur, a suscité des craintes et des espoirs également fondés. Mon Gouvernement a décidé d'en retenir les aspects positifs, qui recueillent un certain consensus, mais il veut corriger les excès, apaiser les craintes, et mettre un terme aux incertitudes et ambiguïtés
B. Dans ce cadre, la loi du 22 janvier 2002 est appliquée
Elle comporte prévoit une aide budgétaire importante, 2 milliards d'euros sur 15 ans, parce que l'amélioration de la situation en Corse ne repose pas uniquement sur le respect de la légalité républicaine ou sur de nouveaux transferts de compétences mais aussi sur le développement économique.
Le Programme exceptionnel d'investissement, prévu sur quinze ans, doit permettre à la Corse de surmonter ses handicaps naturels et rattraper le temps perdu. J'ai veillé à ce que les crédits prévus soient inscrits malgré une situation budgétaire difficile.
Déjà, cette politique produit ses effets : de nombreuses entreprises se créent et le taux de chômage est en baisse régulière.
Grâce à Nicolas Sarkozy, les négociations avec l' Union, européennes ont repris et se poursuivent et permettent d' espérer que seront maintenues ou instaurées des dispositions dérogatoires. .Ainsi deux dispositions importantes pour la croissance ont été acquises : la prolongation de la zone franche, l'augmentation du crédit d'impôt pour l'investissement.
III - Il faut maintenant moderniser le cadre institutionnel
Comme je vous l'ai dit, mon gouvernement ne prétend pas faire table rase du passé. Il veut faire preuve de modestie et de détermination. Modestie : il sait les difficultés de la tâche. Détermination : il sait que l'étape est décisive.
A - Le gouvernement donne aujourd'hui aux Corses le choix de leur avenir dans la République
Dès que le Parlement aura voté la loi qui l' y autorisera, il consultera les Corses par la voie du référendum.
Grâce à la réforme de la Constitution, pour la première fois, les Corses pourront ainsi choisir les institutions politiques qui régiront l'île. Quel meilleur témoignage que la République n'a pas peur des citoyens, qu'elle n'a pas peur des citoyens corses. Je suis heureux que ce soit ici que cette réforme constitutionnelle trouve sa première application.
Notre nouveau " Pacte Populaire et Républicain " ne tirera pas sa légitimité d'une table ronde dans les palais nationaux mais sa force viendra des villes et villages de Corse. Nous inversons le mouvement. C'est la dynamique des Corses vers la République qui légitimera l'action nouvelle.
B - Pourquoi changer les institutions de la Corse ?
Certains d' entre vous se posent légitimement la question. En voici les raisons essentielles :
La Corse est partie intégrante de la République. A ce titre, elle bénéficie des institutions dont notre pays s'est progressivement doté. C'est ainsi que, comme ailleurs en France, la commune est l'unité de base de la démocratie locale et on sait que les communes de Corse font preuve d'une belle vitalité. Chacun connaît l'attachement des Corses à leurs villages et à leurs villes.
Mais qui peut nier que l'insularité pose un problème particulier: le strict décalque de l'organisation administrative française a conduit à faire coexister dans l'île deux départements et une région alors que la Corse ne compte que 260 000 habitants.
Chacun peut mesurer le coût administratif d'un tel dispositif. Mais plus que le coût, c'est le risque de paralysie qui en découle qui nous préoccupe. En effet, ces trois grandes collectivités peinent quelquefois à additionner leurs efforts. On ne peut s'empêcher de penser que l'union des moyens et des compétences permettrait d'obtenir de meilleurs résultats. Ce message me paraît vrai pour d'autres régions de France.
Cette unité de conception et d'action sera d' autant plus utile que l'Etat met des sommes importantes au service du développement.
C - Quelles institutions vous sont proposées ?
Vous le savez, le statut qui sera soumis à vos suffrages est le fruit d'une longue maturation et de réflexions qui ont été menées ici en Corse. Je le fais mien parce qu'il s'inspire des principes mêmes qui guident mon action.
Il correspond au grand principe exprimé par le penseur français, spécialiste des organisations, Michel CROZIER : " la simplicité des structures est la meilleure réponse à la complexité des questions ".
Nous vous proposons :
- la simplicité : une seule collectivité territoriale ;
- la cohérence : cette collectivité exercera toutes les compétences des régions et des départements et aura en charge le développement économique et social. Elle disposera d'une compétence générale pour les affaires de Corse.
- la proximité : deux conseils territoriaux (de Haute-Corse et de Corse du Sud) seront chargés d'exercer par délégation les compétences de proximité. Ce sont les membres de l'Assemblée de Corse qui siègeront dans l'un des deux conseils territoriaux selon le lieu de leur élection.
Cette nouvelle organisation ne remet pas en cause faut-il le rappeler la présence de l'Etat en Corse et notamment à Bastia.
C'est un statut simple et équilibré qui vous est proposé. Je souligne que l'application du principe de la parité permettra aux hommes et aux femmes d'être également présents dans l'Assemblée de Corse.
- La République décentralisée est en marche.
Elle équilibrera les exigences de la cohérence par le dialogue État-Région et les nécessités de la proximité en délégant aux Conseils de Haute Corse et de Corse du Sud les missions de terrain.
Si le Parlement confirme cette proposition, notre rendez-vous avec ce nouveau Pacte Populaire et Républicain sera fixé le 6 juillet, date du référendum en Corse. Voter pour ce statut ce sera voter pour la Corse dans la République. Ce sera voter pour une Corse moderne dans une République qui a choisi d'être décentralisée.
Ce sera voter pour une Corse pionnière de nos institutions.
Mes chers concitoyens, c'est un changement important que je vous propose. La Corse restera ancrée dans la République française et si vous le voulez, elle se dotera d'institutions d'avant-garde.
On me dira : vous prenez un risque. Oui, je le prends, c'est le beau risque de l'avenir " la politique c'est le goût de l'avenir " disait Max WEBER et je le prends parce que je vous fais confiance.
Vive la Corse ! vive la République ! vive la France !
(source http://www.corse.pref.gouv.fr, le 23 avril 2003)