Interview de M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, à LCI le 16 mars 2004, sur la réforme de l'assurance maladie, notamment la tutelle de la sécurité sociale par l'Etat et différentes simplifications administratives, les réformes de structures et de fonctionnement de la Sécurité sociale.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- A. Hausser-. Vous menez tambour battant des concertations sur la réforme de l'assurance maladie, et voilà que demain, le Conseil des ministres va adopter un projet de loi d'habilitation autorisant à légiférer par ordonnance en matière de Sécurité sociale. Et vous dites que cela ne concerne pas l'assurance maladie. Alors, on voudrait y voir un peu clair...
R- "C'est d'une simplicité extrême : c'est un bon projet de loi, qui a pour but de simplifier le droit pour tous les citoyens, et pas du tout pour l'assurance maladie, mais dans certains détails et dans certaines dispositions, sur la Sécurité sociale. Par exemple : limiter l'intervention de l'Etat pour la tutelle de la Sécurité sociale, donner les moyens aux caisses de gérer leurs propres établissements sanitaires, garantir la représentation du personnel dans les conseils d'administration en désignant les suppléants d'une manière plus pérenne. Enfin, autoriser les mutuelles, par exemple, à recevoir des dons et des legs. Ce sont des simplifications administratives et cela ne touche en rien la réforme de la Sécurité sociale. J'ajoute que ce n'est pas la conception que nous pouvons nous faire du dialogue et de la concertation puisque je reçois les gens. Il n'est évidemment pas question d'intervenir par avance."
Q- On n'intervient pas par avance, mais on prépare peut-être le terrain.
R- "Le terrain, on le préparer depuis six mois, avec le diagnostic partagé qui a été fait par le haut conseil, présidé par M. Fragonard, qui s'est terminé début février. Depuis février, je rencontre, à un rythme soutenu, les quelque 57 partenaires et j'ai dépassé la trentaine désormais. Je me suis déplacé dans six régions, je suis allé à l'étranger à deux reprises, avec des délégations. Les choses sont effectivement en train de se préparer. Mais cela ne se fait pas du tout de manière solitaire, cela ne se fait pas du tout de manière secrète. Et pour une raison très simple, c'est que nous avons le profond sentiment que la Sécurité sociale, c'est le bien commun. Nous l'avons créée ensemble en 1945, sans esprit partisan, sans polémique politicienne. Et si on pouvait, en 2004, tous ensemble, la remettre dans les rails. D'autant que j'ai rappelé les principes, c'est la même..."
Q- Oui, mais, "la remise dans les rails", vous ne cessez de le dire, et on le voit bien, ce sont des réformes, des réformes douloureuses. Cela va passer par, peut-être, des déremboursements, peut-être, une augmentation -on s'en doute - des cotisations. Cela, ce ne sera pas non plus fait par ordonnance ?
R- "Le problème, pour le moment, n'est pas là. Nous l'aborderons, et quand il faudra le faire, nous aborderons le problème budgétaire. Mais je vous rappelle que dans le rapport de M. Fragonard, du haut conseil, il y a trois leviers d'action sur lesquels il faut agir - celui des recettes étant le dernier -, en disant : d'abord de l'ordre et on ajuste ensuite. Je suis en train d'essayer de voir comment mettre de l'ordre pour organiser l'offre de soins en ville. Est-il normal que nous ayons une inégalité de répartition des professionnels de santé sur le territoire ? Est-il normal que l'on n'ait pas, chacun, un médecin traitant qui soit responsable du dossier et de l'orientation éventuelle ? Est-il normal que la ville et l'hôpital ne soient pas suffisamment soudés et articulés entre eux ? C'est cela dont nous essayons de discuter. Et puis, nous allons..."
Q- On a envie de répondre "non" aux questions que vous posez, tout cela n'est pas normal. Comment va-t-on y remédier : par la loi, par la concertation, ou par ordonnance, encore une fois ?
R- "Là encore, il y a probablement des idées fausses qui circulent. Le débat sur la Sécurité sociale ne sera pas confisqué. Comment pourrait-il se faire ? Nous aurons au moins trois textes sur la Sécurité sociale, sans aucun doute. Nous aurons un texte qui reverra les réformes de structure, les réformes de fonctionnement..."
Q- La gouvernance...
R- "La gouvernance. Deuxièmement, nous aurons peut-être une révision de la loi organique pour réorganiser le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, les objectifs nationaux de dépenses d'assurance maladie, qui datent des ordonnances de 1996. Et puis, nous aurons le projet de loi de financement de la Sécurité sociale à l'automne. Je veux dire que nous aurons, sans aucun doute, défini la structure et ses modes de fonctionnement, comme le président de la République et le Premier ministre l'ont demandé avant le 14 juillet. Et puis le reste va se mettre en place, petit à petit, et donnera lieu à d'autres débats, d'autres discussions. La Sécurité sociale, l'assurance maladie, nous n'avons pas fini d'en parler."
Q- Cela, on l'a bien compris. Mais la réforme, la grande réforme, elle est pour quand ?
R- "La grande réforme est pour maintenant ; elle est en train de se construire. Nous avons des entretiens, nous avons des groupes de travail, nous avons prévu - c'est le calendrier qui est programmé - de proposer courant avril un texte d'orientation qui clôturera la deuxième phase. Je vous rappelle le calendrier : diagnostic, dialogue, décision. Nous sommes dans le dialogue. Au mois d'avril, cette période de dialogue se clôturera par la remise d'un document d'orientation. Et là, vont commencer les concertations, négociations et finalement la décision."
Q- Décision quand ?
R- "La décision, probablement fin mai ou au mois de juin, pour un vote avant le 14 juillet. C'est en tout cas le calendrier qui est prévu et c'est à cela que je me prépare en recevant tous les partenaires que je sollicite véritablement et ils voient bien que le projet est encore ouvert. Je soutiens aujourd'hui ceux qui disent qu'il faut sauver la Sécurité sociale. C'est très exactement ce que l'on est en train de faire."
Q- Vous êtes d'accord avec M.-G. Buffet, quand elle dit : "Touche pas à ma
Sécu !" ?
R- "Touche pas à ma Sécu !", "soigne ma Sécu, remet-là d'aplomb". Mais naturellement, c'est notre Sécu à la française que nous voulons garder. J'ai été très bien accueilli en Allemagne, aux Pays-Bas, au Québec, très bien accueilli. J'ai regardé, j'ai eu de bonnes idées, mais..."
Q- On est toujours bien accueillis, mais après il faut retranscrire la copie...
R- "...Mais je pense que nous voulons garder la Sécurité sociale à la française ; le message, c'est celui-là. Parce qu'elle est juste, parce qu'elle est solidaire, parce qu'elle ne laisse personne de côté, parce que chacun paie en fonction de ses moyens. C'est cette Sécurité sociale-là que nous voulons, c'est celle que nous avons. Mais il faut lui donner les moyens de faire face aux défis de demain, lui donner une viabilité financière et la recentrer sur les missions..."
Q- Le geste que vous venez de faire, c'est un geste de serrer les boulons. Vous l'avez fait peut-être inconsciemment, mais...
R- "Non. Mais serrer les boulons, naturellement ! Tous ceux qui nous écoutent savent qu'il y a des gaspillages, savent qu'il y a des abus. Cela, dès lors qu'on est responsable de l'argent public - parce que les gens pensent quelquefois, cela pourrait être gratuit, c'est de l'argent qui nous appartient à nous tous, on l'a tous mis dans le pot commun, on en est responsables !".
Q- Et donc, il faut mieux répartir ?
R- "Il faut faire très attention."
Il faut augmenter les recettes...
R- "Je vous rappelle le haut conseil : "modulation de la prise en charge en fonction de choix. Le choix reposant sur l'utilité et l'efficience." Je ne fais que citer le rapport de M. Fragonard."
Q- Oui, donc, il faudra bien définir les choix...
R- "Bien entendu."
Q- ...Et il faudra bien trouver les recettes. Aujourd'hui, l'augmentation de la CSG n'est plus taboue ?
R- "Pour l'instant, nous ne l'évoquons même pas, parce que, pour le moment, nous pensons que nous pouvons faire des économies. Et ce qui restera à couvrir au-delà des économies, nous verrons à ce moment-là. Il sera bien temps de le discuter le moment venu. Pour le moment, ce n'est pas une priorité."
Q- Qu'allez-vous dire aux médecins aujourd'hui, au MEDEC
R- "Au MEDEC, je vais leur dire que d'abord, nous sommes fiers de nos professionnels, parce qu'ils sont compétents. Deuxièmement, je vais leur dire, que nous comptons sur eux pour faire la réforme. On ne fait pas une réforme de l'assurance maladie sans les médecins et encore moins contre eux. Et je vais leur dire : il faut vous retrousser les manches ; nous avons besoin d'aller plus loin encore pour la qualité et pour la coordination des soins. La médecine est de plus en plus un exercice collectif."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 mars 2004)