Extraits de l'interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à RTL le 1er août 2000, sur la présidence française de l'Union européenne, la préparation de la Conférence intergouvernementale, les clivages entres pays membres sur les orientations des réformes préalables à l'élargissement européen.

Prononcé le 1er août 2000

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Depuis le 1er juillet, la France préside pour six mois, l'Union européenne. Pour l'instant, on ne peut pas dire que ce soit très spectaculaire, il n'y a pas un vaste débat public sur les enjeux et le déroulement de cette présidence...
R - Ce n'est pas du tout anormal, parce que la Présidence du deuxième semestre est courte, elle dure le mois de juillet qui est la mise en route, et puis ce mois déjà d'été - enfin en principe, si la météo le veut bien - n'est pas très propice au débat spectaculaire. Ensuite, tout est concentré sur les trois mois de fin d'année : septembre, octobre, novembre, et le début décembre. En fait, le gouvernement français s'est vraiment mis au travail. On reconnaît, à la fois, à la Commission, et du côté du Parlement européen, qu'il y a une mobilisation assez exceptionnelle. Nous avons lancé les dossiers, certains sujets ont été traités de façon approfondie. Vous parliez de Jean-Pierre Chevènement : il y a eu le Conseil " Justice Affaires intérieures ". Il y était, ce week-end à Marseille, avec Elisabeth Guigou. Il y a eu des progrès très importants, vers une Europe de l'immigration, et vers une Europe de la justice, qui sont des sujets fondamentaux. Mais cela étant, nous allons, à partir du mois de septembre, vivre dans une véritable effervescence, touchant aux sujets les plus délicats, notamment la Conférence intergouvernementale, pour réformer les institutions. Tout cela culminera dans deux sommets, à Biarritz et à Nice. Donc, je crois que nous avons jeté les fondations de cette présidence et maintenant le gros uvre va commencer, et cela va être très difficile.
Q - Parlons de cette Conférence intergouvernementale qui doit donc adapter les institutions pour permettre l'élargissement de l'Europe. Où en est-elle ? Arrivez-vous à entraîner les autres gouvernements dans votre volonté de réformes ?
R - Très franchement, si je devais donner une réponse aujourd'hui, elle serait un peu... inquiète. Car je dois constater que les premiers travaux de la CIG, sous présidence française, sont encore à un stade tout à fait balbutiant, que la plupart des délégations nationales se contentent pour l'instant de répéter ce qu'on connaît de leur position. Donc, il n'y a pas eu d'évolution réelle sous présidence portugaise, même s'il y a eu un bon travail de défrichage. Maintenant il est temps de passer dans le vif de la négociation. Si la plupart des délégations étrangères ne bougent pas, si nous-mêmes d'ailleurs nous ne savons pas aussi créer le compromis, alors à ce moment-là, on peut être pessimiste par rapport à cette réforme qui est très très importante. C'est pour cela que je lance un peu un appel dès maintenant. Arrêtons de faire des tours de tables interminables et statiques, passons dans le vif de la négociation pour trouver des solutions qui seront nécessairement des compromis. Encore une fois, c'est une réforme indispensable, à la fois à l'élargissement et au fonctionnement de l'Union européenne.
Q - Y a-t-il au moins quelques pays qui suivent la France, qui veulent ces changements, alors que d'autres préfèrent ne rien changer pour élargir simplement une logique de libre-échange ?
R - On peut trouver plusieurs types de clivages. Il y a des clivages entre des pays qui sont effectivement très libre-échangistes et donc qui sont plus volontaristes sur le terrain européen. Il y a le fameux clivage entre les grands supposés - ceux qui sont les pays les plus peuplés -, et les petits pays, qui veulent garder leurs commissaires, alors que c'est une notion qui n'a pas en fait tellement de sens, la Commission européenne étant un collège, un collectif, qui ne peut fonctionner que s'il n'est pas trop nombreux. Il y a ces deux clivages, et il y a encore d'autres clivages sur les conceptions de l'Europe, sur la volonté d'avoir une Europe qui soit plus rigide ou plus souple.
Q - Quels sont les pays les plus proches de la France actuellement ?
R - Il y en a un que je veux citer avant tous les autres, qui est l'Allemagne, puisque nous avons eu avec les Allemands des sommets qui ont été tout à fait conclusifs, à Rambouillet, à Mayence. Donc, nous avons une position qui est quasiment commune, à 99 %. Il y a des pays comme l'Espagne, les pays du Bénélux. Le problème n'est pas de trouver des alliés, mais de mettre tout le monde d'accord. Encore une fois, je souhaite que cette Conférence intergouvernementale passe maintenant à un stade beaucoup plus profond et beaucoup plus rapide de discussion, et nous prendrons l'initiative pour cela, dès le début du mois de septembre.
Q - Sans quoi Nice serait un échec ?
R - Il y a encore du temps. Je suis très conscient que nous allons être jugés, à Nice, sur cette CIG. Ce que je veux dire, c'est que maintenant il faut marquer une rupture. Mais je reste très confiant pour Nice. C'est difficile, très difficile, et ce n'est pas une surprise pour nous. Mais cela reste parfaitement jouable. Je crois à un dénouement heureux.
Q - Que dites-vous à ceux qui voudraient que, début 2003, soit le début, la date pour entamer l'élargissement ? Robin Cook, le ministre anglais, est le dernier à avoir dit cela.
R - Vous avez parlé tout à l'heure de certains qui souhaitaient que l'Europe soit une vaste zone de libre-échange. J'ai l'impression que, parfois, certains pays, quand ils se font les champions de l'élargissement, ne seraient pas fâchés qu'il y ait un peu moins de contenu et un peu plus d'étendue dans l'Europe. Ce n'est pas exactement notre conception. Pour le reste, on peut avoir ce débat sur la bonne date de l'élargissement, simplement, au lieu de le mener, je ne sais pas, à Varsovie ou à Budapest - quand on va visiter un pays ami, pour lui faire plaisir...
Q - C'est pour Robin Cook ?
R - Je ne le vise pas particulièrement. Mais certains ont eu des annonces de ce type, dans des capitales étrangères. Ce qu'il faut faire, c'est avoir ce débat dans les enceintes du Conseil des ministres des Affaires étrangères, que certains nous disent : voilà telle date, tel pays, à tel moment. Et puis que l'on nous dise : par contre pour tel autre, ce sera plus tard, à tel autre moment. On verra que ce n'est pas si simple. Nous, nous voulons un élargissement réussi et maîtrisé, nous sommes favorables à l'élargissement, violemment favorables, parce que c'est un grand projet politique. Mais prenons en aussi les conditions de la réussite.
Q - Il y avait une allusion à Jacques Chirac qui avait parfois annoncé...
R - Non, non, pas du tout, pas du tout !
Q - ... l'élargissement...
R - Pas du tout ! Mais c'est vrai que nous avons tous succombé à ce péché mignon.
Q - Jacques Chirac justement, le discours au Bundestag qu'il a fait il y a maintenant un peu plus d'un mois, est-ce qu'il vous gêne dans le travail quotidien de cette présidence européenne ?
R - Pas du tout. Il est important de réfléchir déjà au futur de cette Europe élargie. En même temps, on voit bien que ce futur ne se dessine pas de la même manière, si nous réussissons à Nice ou si nous échouons à Nice. Si nous réussissons à Nice, c'est une sorte de scénario de consolidation, de prolongement, de continuité. Si il y avait un échec à Nice, alors il y aurait un scénario de rupture. C'est pour cela que je crois qu'il est prématuré de dire dès maintenant, dans le détail, ce que sera l'avenir de l'Union européenne. Commençons par réussir la CIG, qui est encore une fois la tâche principale de la présidence française, et ensuite nous pourrons penser à l'avenir de l'Europe, sur la base d'institutions qui seront confortées et non pas affaiblies.
Q - Lionel Jospin, lui-même, fera un discours sur l'Europe pendant cette présidence ?
R - Je n'en ai pas parlé avec lui dans le détail, mais je le crois et je le souhaite. Je connais bien ses convictions européennes, et je sais que le jour où il parlera de l'Europe, on verra qu'il a là-dessus beaucoup d'idées, beaucoup de convictions.
Q - Ce sera pendant la présidence ou pendant la campagne présidentielle dans deux ans ?
R - Je pense qu'il aura, de toute façon, l'occasion de s'exprimer pendant la présidence puisque le chef du gouvernement joue un rôle très important dans cette affaire. Il coordonne l'action du gouvernement, il coordonne l'action des ministres, qui eux-mêmes, président les Conseils des ministres. Il a donc plus qu'un mot à dire.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 août 2000