Point de presse de M. Julien Dray, porte-parole du PS, le 29 mars 2004, interview à "LCI" le 2 avril 2004 et déclaration le 3 avril 2004, sur les résultats des élections régionales 2004, l'intervention télévisée du Président de la République après le vote contre la politique gouvernementale et les mesures annoncées, et les causes de la victoire électorale de la gauche.

Prononcé le

Circonstance : Déclaration à l'occasion du conseil national du PS à Paris le 3 avril 2004

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

29/03/04
La victoire de toute la gauche
Pour nous ce qui importe, c'est d'insister sur le contenu de la victoire. Ce n'est pas une victoire par défaut pour la gauche, qui serait due à des triangulaires. La victoire est historique. Elle est le produit de la politique du gouvernement et d'une logique nouvelle quand une partie de la population se tourne vers la gauche
Nous ne sommes plus dans l'après 21 avril, mais après le 28 mars. Une page nouvelle commence car la gauche a su se mobiliser. Ce n'est pas la victoire du PS, ce n'est pas une vague rose, mais la victoire de toute la gauche qui a su se rassembler. C'est la victoire d'un état d'esprit, grâce aux accords du 1er tour, sans compétition électorale. C'est une victoire collective.
De toute la gauche, sauf de l'extrême gauche, qui a commis la faute de vouloir fructifier sur les décombres du 21 avril. Mais les reports des voix de gauche sont parfaits.
Une nouvelle responsabilité pèse sur l'ensemble de la gauche, et sur le PS qui a créé la dynamique en faisant les concessions nécessaires et en associant tout le monde.
Nous sommes dans une nouvelle situation. Il nous faut rendre la victoire utile. Nous allons montrer qu'une autre politique est possible avec les présidents de régions et de départements.
Que va-t-il se passer à droite ?
Nous insistons sur une question importante. La question n'est pas le rythme des réformes. Ce n'est pas une question de pédagogie, ni de casting. C'est une sanction aux réformes considérées par les citoyens comme injustes. L'injustice est la véritable marque de fabrique du gouvernement à tous les niveaux. C'est cela qui a été refusé.
Nous disons qu'il faut changer de politique. Plus de réformes qui remettent en cause le pacte social, à l'exemple de la Sécurité sociale ou du droit du travail. Le message ne peut pas être ignoré par le Président de la République et le gouvernement. Il ne peut plus y avoir de la part de la droite de mépris et d'arrogance comme nous en avons eu, notamment au Parlement.
Face au discours de la France d'en bas et de la France d'en haut, la France qui se bat s'est réveillée et demande à être entendue.
Toutes les régions gagnées par la gauche l'ont été indépendamment de la situation créée par les triangulaires. Aux vues des écarts, à situation de duel, les résultats auraient été les mêmes.
Sur la Corse, la gauche en sièges est majoritaire sans apport extérieur. Nous appelons très fortement à une rencontre des leaders de gauche pour une gestion majoritaire de la région. Nous appelons à la responsabilité.
Pour les socialistes, nos engagements sont atteints et dépassés grâce aux bons résultats :
- renouvellement des élus (70% formeront une nouvelle génération avec un premier mandat),
- présence d'élus issus de l'immigration (avec nos partenaires ils seront au minimum 45).
Cantonales
Nous pensons conquérir la présidence des départements : Charente, Cher, Doubs, Drôme, Ille et Vilaine, Loire-Atlantique, Oise, Saône et Loire, Seine et Marne.
Nous suivrons ceux de Charente Maritime et de Corse du Sud, notamment avec les élus divers gauche.
Au total, un minimum de 45 présidents de département PS seront élus d'ici la fin de semaine, ce qui est le plus haut jamais atteint depuis 1979 (43).
Nous notons également une très forte progression dans l'Indre et Loire, la Sarthe et l'Allier.
Dans les départements aussi, le PS renouvèle beaucoup ses élus.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 30 mars 2004)
2 avril 2004
- A. Hausser -. Hier soir, après avoir entendu J. Chirac, vous avez dit : "Il n'a rien compris sur le fond." Vous aviez bien entendu son message : suspension de l'allocation de chômage pour les chômeurs en fin de droit, on écoute les chercheurs, on abandonne les ordonnances que l'on avait prévues pour la réforme de la Sécu. Ce matin, vous ajoutez quoi ?
R- "Je pense que le président de la République, qui est malin, c'est le moins que l'on puisse dire, a compris qu'il fallait céder sur les mesures les plus choquantes de la politique précédente pour sauvegarder l'essentiel. Donc, évidemment, je ne vais pas pleurer sur le fait qu'aujourd'hui, les chômeurs en fin de droits vont peut-être toucher une allocation qu'on leur avait suspendue. Je vais aussi me satisfaire que l'on reprend le dialogue en matière de convention de l'Unedic, sur les intermittents du spectacle. Mais il y a deux choses essentielles dans la politique de J. Chirac qui conduisent à l'injustice sociale, qui a été mal vécue par le pays : les baisses d'impôts et les allégements de charges. Sur ces deux questions, le président de la République n'est pas revenu, au contraire. Il dit : "Je continue, je garde le cap." Cela veut donc dire que l'essentiel de la politique, qui était en cause dans le vote de dimanche dernier, n'est pas remis sur la table. Et c'est ce qui va poser problème, dans les mois à venir. Alors, évidemment, le chef de l'Etat a compris la pression, donc il dit qu'il faut dialoguer, qu'il faut discuter. Il a beaucoup de mots qui illustrent cela, mais sur le fond, je n'ai pas le sentiment que cela va changer grand-chose."
Q- Le Parti socialiste continue de dire qu'il faut réhabiliter l'impôt, autrement dit qu'il faut les augmenter ?
R- "Non, cela ne veut pas dire qu'il faut augmenter les impôts, cela veut dire qu'il faut mieux répartir les impôts. Ce qui est choquant, dans les baisses d'impôts, c'est qu'on a baissé les impôts des gens les plus fortunés à leur profit, et que ceux qui sont en situation difficile se voient aujourd'hui pénalisés. On a demandé l'effort toujours aux mêmes. Je crois que ce qui caractérise la politique, depuis 18 mois, c'est que c'est toujours les salariés qui ont été mis à contribution, au nom de cette fameuse politique de l'offre qui vise à rendre compétitives nos entreprises et qui font qu'elles sont très favorisées aujourd'hui, notamment au regard des salariés. Et c'est ce déséquilibre-là qui pose problème."
Q- Mais ce sont les entreprises qui créent les emplois, c'est l'éternelle quadrature du cercle !
R- "Mais ce n'est pas par les baisses d'impôts des plus riches que l'on crée des emplois, c'est d'abord par la relance de la consommation. Et lorsqu'il n'y a pas de relance de la consommation, il y a atonie de l'économie ; et lorsqu'il y a atonie de l'économie, il y a retour du chômage. Donc on aurait préféré que la charge soit aujourd'hui mieux répartie. Par exemple, quand on a fait la réforme des retraites, ce qui a choqué les gens, c'est que ceux qui ont été mis à contribution, ce sont les salariés, tous les revenus du capital ont été épargnés. C'est ça l'injustice qui caractérise la politique du Gouvernement."
Q- Le Parti socialiste a remporté une grande victoire, dimanche dernier, dans les régions. Est-ce qu'il va bloquer la politique du Gouvernement et notamment la décentralisation ?
R- "D'abord, ce n'est pas le Parti socialiste, c'est toute la gauche qui a gagné dimanche dernier. Le Parti socialiste est la colonne vertébrale, rien n'est possible sans lui, mais je crois qu'il faut associer tous nos partenaires, parce que c'est le rassemblement de la gauche qui a permis une victoire aussi importante. Il ne faut donc pas qu'il y ait une vision hégémonique de la part du Parti socialiste sur la situation nouvelle qui a été créée et nous devons être respectueux de toutes ces forces qui se sont rassemblées. Maintenant, il ne s'agit pas de bloquer, nous ne sommes pas dans des stratégies qui visent à paralyser le pays ou à paralyser le Gouvernement. Les présidents de régions vont mettre en uvre leur programme. Il y avait, contrairement à ce qui a été dit, des engagements très précis qui ont été pris en matière de logement, en matière d'éducation, en matière de transport. Il faut réaliser cela, parce que je crois qu'en politique, il faut tenir ses engagements et si on veut réhabiliter la politique, il ne faut pas donner le sentiment que, dans les campagnes électorales, on fait des promesses et puis après, on oublie ce que l'on a promis. Maintenant, il y a une question qui est posée, c'est que nous sommes, en ce moment, en train de discuter de lois de décentralisation, qui visent à donner aux régions des compétences nouvelles, dont le vote est prévu la semaine prochaine. Et la question qui est posée est : est-ce qu'il va s'agir d'un transfert de charges, c'est-à-dire, est-ce qu'un certain nombre de déficits vont être transférés aux régions ou est-ce que l'on va garantir, financièrement, ces transferts de nouvelles compétences ?"
Q- Ce qui est écrit dans la constitution ne vous suffit pas.
R- "Non, je vais prendre un exemple très concret qui, me semble-t-il, va illustrer cela. Le président de la région Ile-de-France va devenir, d'un certain point de vue, le patron des transports en Ile-de-France, c'est-à-dire qu'il va diriger..."
Q- Là, la situation n'est pas réglée, justement, avec le syndicat des transports parisiens
R- "Voilà, et là il y a un énorme déficit. Donc est-ce qu'on va nous transférer le déficit et, à partir de là, évidemment, l'ensemble de nos recettes fiscales vont être consacrées à boucler le déficit ? Donc on ne pourra pas améliorer la qualité des transports, donc on aura un transfert de charges, mais ce n'est pas acceptable."
Q- Vous posez justement un problème qui n'est pas résolu, même dans la loi, puisque pour l'instant, les transports parisiens restent à la charge de l'Etat...
R- "Oui, mais la garantie... J'ai pris cet exemple pour montrer le problème qui est posé."
Q- Il y a d'autres problèmes. Il y a, par exemple, la culture, qui est quand même très largement à la charge des régions. Est-ce qu'aujourd'hui, il va y avoir une sorte de bloc des régions contre la politique du Gouvernement en matière culturelle ?
R- "Il n'y aura pas de "bloc des régions", il y a simplement une demande qui est faite par les 20 présidents de régions socialistes - et qui s'exprimera d'ailleurs au Conseil national - que des garanties soient données dans la loi, qu'à chaque fois qu'il y a transfert de compétences, il y a pérennisation financière. Si cette garantie est donnée, on appliquera, à partir de là, un certain nombre de choses. Il ne s'agit pas de créer un contre-pouvoir régional qui s'affronterait au pouvoir central."
Q- Et vous ne croyez pas que c'est à cela que l'on va aboutir ?
R- "Non, je crois qu'il y aura effectivement une politique différente qui sera menée dans les régions, et qu'il y aura illustration que l'on peut faire autrement. Je pense par exemple, qu'en matière d'emploi, nous allons essayer de mettre en place ce que nous avons appelé les "premiers emplois", les "emplois tremplin", c'est-à-dire que l'on va montrer qu'il y a une politique volontaire qui est possible"
Q- Ce sont des emplois-jeunes revus ?
R- "Oui, c'est-à-dire que l'on va, d'un certain point de vue, reprendre en charge ce qui a été abandonné et qui pénalise beaucoup les associations notamment, ces fameux emplois-jeunes notamment, qui ont été une réussite pour des centaines et des centaines de jeunes qui ont pu, grâce à cela, s'insérer et acquérir des emplois plus stables. Donc en matière d'emploi, comme en matière de transport, comme en matière d'éducation, avec la généralisation de la gratuité des livres, qui sera mise en place dès la rentrée dans un certain nombre de régions. Ce sont autant d'éléments qui montrent qu'une politique de solidarité est possible à l'échelle des régions, sans entretenir d'illusion. Il y a un gouvernement, il y a une politique nationale, et on ne va pas tout changer grâce aux régions."
Q- D'une manière générale, est-ce que vous avez envie d'empêcher ce Gouvernement de gouverner ou est-ce que vous allez être attentif à ce qui peut être fait, éventuellement participer à cette fameuse union nationale qui est demandée sur la réforme de la Sécu ?
R- "Tout pouvoir qui est en difficultés, évidemment, joue la carte de la main tendue à l'opposition. Bon, pour essayer de la piéger, il ne faut pas se tromper, pour essayer de trouver une béquille par rapport à la situation. Il ne s'agit pas de faire une opposition systématique, négative, il s'agit simplement d'apprécier, à chaque étape, les propositions qui sont faites et de regarder si elles vont dans le sens de l'intérêt général. Si cela va dans le sens de l'intérêt général, on ne va pas dire "non." Mais pour l'instant, on nous dit simplement qu'il faut "dialoguer". Mais à la limite, J.-P. Raffarin, dans la phase précédente, a passé son temps à dialoguer. Mais en dernière analyse, il faisait ce qui lui passait par la tête, plus exactement il allait jusqu'au bout de sa logique. Donc, là-dessus, je suis prudent, parce que je connais cet appel au consensus national..."
Q- Vous savez qu'il faut faire une réforme de l'assurance maladie, je pense que vous en convenez...
R- "Vu la situation des comptes, on est obligé de faire une réforme, on ne peut pas laisser les choses en l'état. Mais encore une fois, quelles sont les directions qui seront prises ? Je dirais que d'un certain point de vue, si on veut avoir un dialogue.."
Q- Mais êtes-vous prêt à vous associer à cette direction ?
R- "Non, mais je pense que quand il y a un gouvernement, il doit gouverner, donc il doit faire des propositions. Et sur la base de ces propositions, il peut y avoir une discussion. Et nous ferons des contre-propositions, dans les 15 jours qui viennent, ou trois semaines. Je crois que le premier secrétaire a demandé à un certain nombre de camarades, qui sont spécialistes de cela, de formaliser maintenant, par écrit, les propositions du Parti socialiste en matière de protection sociale."
Q- Et donc ce sera propositions contre propositions ?
R- "Eh bien oui, c'est ça le dialogue démocratique d'ailleurs, parce qu'il ne s'agit pas de faire le consensus pour le consensus. Je me méfie, en démocratie, de ces consensus a priori. Je pense qu'il faut qu'il y ait un débat, il faut que nos concitoyens soient confrontés à des options différentes, parce qu'il n'y a pas qu'une seule politique possible. Il y a des politiques différentes en fonction de conceptions que l'on peut avoir, les uns les autres, de la solidarité."
Q- Et au final, il faudrait un référendum là-dessus ?
R- "Je ne sais pas s'il faudrait un référendum. Je pense simplement qu'il faut d'abord un débat démocratique, et puis on verra. Je me méfie de ces référendums qui, en général, deviennent des points de concentration de tous les maux de la société."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 2 avril 2004)
3 avril 2004
Je vais aller vite, d'autant que je sais que Jean-Luc va me succéder. Je voudrais simplement dire que la victoire électorale n'efface pas les débats que nous avons eus entre nous et que l'euphorie qui nous gagne dans le moment actuel ne doit pas nous empêcher de réfléchir au parcours que nous avons fait collectivement depuis plusieurs mois et que ce parcours éclaire aussi les tâches nouvelles qui sont les nôtres au regard du succès électoral.
Alors d'abord une première chose qui, je crois, est nécessaire. Oui, il y a eu un vote sanction mais, dans ce vote sanction, il y a aussi un vote d'adhésion. Et un vote d'adhésion au parti socialiste. Les gens, quand ils sont venus dans les isoloirs, ont choisi d'abord le bulletin du Parti socialiste pour exprimer un message. Ils n'ont pas choisi l'abstention, ils n'ont pas choisi le vote d'extrême gauche, ils n'ont pas choisi le vote front national, ils ont d'abord, majoritairement, et dans les catégories populaires, choisi le Parti socialiste, le remettant au centre du combat de la gauche.
Je crois que si cela a été possible, c'est parce qu'effectivement il y a eu affrontement frontal, mais c'est parce que le contenu de cet affrontement frontal a placé le Parti socialiste à la tête du combat social. Et c'est là effectivement où les débats que nous avons eus entre nous se clarifient, parce que la marche a été longue. La victoire ne s'est pas construite dans les derniers jours. Elle s'est construite progressivement depuis plusieurs mois. Elle s'est construite de la position que nous avons prise sur les retraites et qui conduit à ce que 65 % des adhérents de la CGT votent désormais socialiste au premier tour des élections. Elle s'est construit dans ce qui nous avait été reproché : le positionnement que nous avons pris au moment de la canicule et qui a permis à ce qu'un certain nombre de gens qui souffraient, et les plus pauvres, les plus frappés par cette canicule aient le sentiment qu'il y avait quelqu'un qui osait dénoncer l'injustice dans laquelle nous nous trouvions.
On nous avait dit à l'époque que nous étions des récupérateurs, des charognards. Mais je pense que, dans un certain nombre de citées, la manière dont nous avons affronté le gouvernement dans cette période difficile a aussi joué en écho d'un parti socialiste qui été à nouveau là, pour les défendre et pour dire la colère qu'ils ressentaient face à l'injustice de cette situation. Elle s'est aussi jouée, cette victoire, et je sais que cela à fait débat entre nous, dans la participation assumée au forum social européen. Dans le refus du schisme que voulaient établir certains entre radicaux et réformistes, en assumant notre rôle de socialiste mais en refusant d'installer le schisme que voulait mettre en place l'extrême gauche.
Elle s'est jouée aussi, disons-le franchement, dans le combat laïque que nous avons mené et dans le refus du communautarisme qui a permis, justement, que le Parti socialiste retrouve aussi son identité laïque et qu'il donne le sentiment qu'il ne cédait pas aux sirènes du droit à la différence ou du communautarisme.
Elle s'est jouée aussi, je le dis à Marie-Lise, dans la manière dont nous avons continué à assumer notre positionnement sur le droit à la sécurité. Je crois qu'heureusement que nous avons montré que nous étions pré justement à assumer ce combat, ce droit parce que, dans les quartiers populaires, les gens qui ont souffert de cela ont entendu aussi le message que nous délivrions quand nous disions qu'il n'y avait pas d'effet Sarkozy, qu'il n'y avait pas de prise de risque dans le combat contre les mafias qui s'installent dans les cités et que ce n'était pas ça le droit à la sécurité qu'il fallait faire, même si ce droit devait être préservé et être maintenu.
Voilà la manière dont s'est construite, je m'excuse de le dire, une orientation nouvelle que nous devons assumer et que nous avons appelé le réformisme de gauche. Ce réformisme de gauche assume donc une partie de l'héritage, Dominique, de la phase précédente, mais qui est en même temps aussi une critique d'un certain nombre d'erreurs que nous avons commises dans la phase précédente et qu'il nous faut aujourd'hui assumer.
Il y a eu, je l'ai déjà dit, des glissements dans la phase précédente qui ont porté atteinte à notre crédibilité dans les classes populaires. Il y a eu le sentiment que, à un moment, donné le volontarisme était défaillant dans le combat contre les inégalités, contre les injustices, contre la précarité.
Et c'est cela qui a créé le trouble dans les classes populaires, et c'est cela qui est porteur de l'échec du 21 avril. C'est cela qui efface aussi l'échec du 21 avril le 28 mars, parce que le 28 mars n'est pas un accident, comme le 21 avril ne l'était pas. Les même causes ont produit des effets différents parce qu'il y a eu un comportement politique du parti socialiste et d'une orientation défendue mois après mois, qui a permis cela et qui permet effectivement aujourd'hui d'assumer des responsabilités nouvelles.
Alors, à partir de là, quelles sont les questions qui nous sont posées ? Premièrement, oui, la question de l'Europe. Et nous savons tous que l'élection européenne qui arrive peut être un piège terrible pour la gauche. Parce que, peuvent se créer à nouveau les conditions d'un affrontement au sein même de la gauche et que peuvent se créer effectivement à nouveau les conditions d'une dispersion et que tout le travail que nous avons fait peut être remis en cause.
De ce point de vue-là, la première étape est d'assumer la confrontation au sein du Parti socialiste européen. Dès l'échéance du congrès du Parti socialiste européen.
Parce qu'il y a bien deux orientations qui sont en train de prendre forme. Il y a celle de nos camarades de l'Europe du Nord ou, plus exactement, de Tony Blair et de Schröder. Et il y en a une autre, qui est née à Madrid, et que nous prolongeons aujourd'hui dans la victoire aux régionales et qu'il nous faut assumer comme une confrontation politique sur le volontarisme d'une Europe qui s'affronte au modèle anglo-saxon et qui s'affronte à l'Amérique comme puissance dominante.
C'est cela que nous devrons porter au congrès du Parti socialisme européen pour donner le sentiment qu'il y a bien une nouvelle identité socialiste qui se refonde, adossée à la contestation nouvelle qui est en cours aujourd'hui au niveau mondial.
La deuxième chose c'est effectivement la difficulté qui naît de notre victoire. Beaucoup de camarades nous ont dit : " Il ne faut pas semer d'illusions. Nous n'avons pas la capacité de bloquer institutionnellement la droite. " Cela est vrai et nous ne devons pas, à ce moment-là, avancer un certain nombre de formules politiques ou de mots d'ordre qui apparaissent comme des mots d'ordre impossibles, et qui pourrait, d'un certain point de vue, se retourner contre nous. Mais nous pouvons, et c'est, je crois, le travail essentiel que nous devons faire, bloquer politiquement la droite. Cela veut dire que nous devons passer à une phase nouvelle. Cette phase nouvelle, c'est qu'à chaque étape, nous devons être en capacité de démontrer qu'il y a une autre politique possible et que la gauche a ses propres solutions par rapport à la situation. C'est la manière dont nous serons capables de montrer que nous ne sommes pas le camp de l'immobilisme, le camp de ceux qui refusent la réforme, mais que nous, nous donnons un contenu social à ces réformes, à ces progrès et à cette orientation. C'est en faisant vivre nos contre-propositions, pas à pas, sur chaque dossier, que nous pourrons à ce moment-là, alimenter le débat politique, donner une conscience politique à ceux qui ont voulu bloquer la droite et, à partir de là, faire vivre cette gauche nouvelle. Je crois que c'est le travail essentiel.
C'est pourquoi, dans ce travail, il faut aussi, et j'en finirai par là, que nous ne soyons pas simplement renvoyés à un projet qui serait un projet historique, mais il faut que nous soyons capables d'illustrer à chaque étape ce que veut dire le projet historique en matière de protection sociale, en matière de politique industrielle, même si le mot peut choquer. Parce que c'est bien la question qui est posée aujourd'hui dans la lutte contre les délocalisations, c'est : comment l'État est en capacité aujourd'hui de mettre en place à nouveau des politiques industrielles, comment il peut mobiliser le tissu de la recherche, comment il peut industrialiser un certain nombre de régions.
Voilà les questions qui sont posées aujourd'hui, et on pourrait les développer dans d'autres domaines. Je suis d'accord sur la question des flux migratoires, sur ce débat que nous n'avons jamais eu et qu'il faudra bien avoir, sur la question des quotas, notamment, sur la manière dont nous devons mettre en place une politique de maîtrise de ces flux migratoires, parce que ce sera aussi une question essentielle.
Voilà d'après moi la manière dont nous devons travailler, mais avec une idée en tête qui, je crois, est essentielle, et qu'il faut aussi examiner. Il faut tirer pleinement les leçons de ce qu'est le quinquennat. Le quinquennat implique désormais une action rapide sur le plan politique. Cela veut dire que nous ne pourrons pas nous contenter de gagner simplement une élection et de réfléchir après à la mise en place des politiques. Nous savons désormais que le temps actif du quinquennat se joue dans les deux premières années, et dans la capacité à mettre tout de suite en uvre des politiques de transformation sociale qui sont autant d'acquis qui justifient après l'adhésion et le soutien lorsque arrivent les élections à moyen terme régionales et cantonales.
Nous savons désormais que nous ne pouvons pas perdre de mois dans la concertation, lorsqu'on arrive au pouvoir, mais qu'il faut mettre en pratique. Je vais prendre un exemple illustratif de cela. Je crois que nous devrons reprendre notre politique de réduction du temps de travail, c'est-à-dire reprendre la marche vers les 35 heures. Mais nous savons, y compris parce que maintenant nous avons l'expérience, que cette fois-ci, lorsque nous arriverons au pouvoir, nous devrons être en capacité, parce que nous avons en amont discuté avec les organisations syndicales, préparé les projets, je dirais même quasiment écrit ces projets, que nous serons en capacité de les mettre tout de suite en application et de corriger après s'il le faut les distorsions qui peuvent apparaître. C'est là une leçon nouvelle pour nous qui découle de la situation.
Cela veut dire que dans l'élaboration du projet, nous devons travailler effectivement avec le Parti socialiste et au sein du Parti socialiste. Mais nous savons tous, et de ce point de vue-là, il y a un résultat qui est très intéressant et qui n'a pas été signalé, c'est dans les régions où l'unité a été faite au premier tour que la dynamique de la victoire est plus forte au deuxième tour. Cela veut dire que quand les conditions du rassemblement de la gauche, du travail a été bien fait au préalable par des discussions sérieuses, alors l'électorat sanctionne cela et pousse encore plus. C'est cela le travail qu'il nous faut faire maintenant si nous voulons gagner les échéances présidentielles.
(source http://www.parti-socialiste.fr, le 7 avril 2004)