Interview de M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur, à "France Inter" le 17 juillet 2003, sur la préparation de la conférence de l'OMC à Cancun avec notamment la question de l'accès des pays pauvres aux médicaments qui permettent de lutter contre le Sida, et la conquête de nouveaux marchés y compris américains.

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Média : France Inter

Texte intégral


A. Ardisson-. En tant que ministre du Commerce extérieur, vous êtes chargé de préparer le terrain pour la conférence de l'Organisation mondiale du commerce qui aura lieu en septembre à Cancun, de faire prévaloir les thèses de la France, en Europe d'abord, et puis dans le monde ensuite. Or, l'un des dossiers qui vous tient le plus à coeur, c'est de permettre aux pays pauvres d'exploiter les brevets qui permettent de lutter contre le Sida. Cela mérite une explication, parce que la seule chose qu'on a retenue de la Conférence des donateurs, ce sont les promesses de dons en quelque sorte, comme le triplement de l'aide de la France. Mais il n'y a pas que l'argent en cause ?
- "Evidemment, il faut beaucoup d'argent, c'est clair. Et il faut savoir comment le distribuer. C'est-à-dire qu'on peut le distribuer de façon bilatérale, de façon multilatérale. Mais, indépendamment de cela, il faut aussi faire en sorte que, le prix des médicaments soit le plus bas possible. Et on ne peut pas compter que sur la générosité des laboratoires pharmaceutiques, même s'ils font des efforts importants pour fournir leurs médicaments à bas prix. Mais la concurrence entre eux fait aussi que certains fabriquent des génériques à partir de médicaments neufs, c'est-à-dire, ne tenant pas compte des brevets. Quand il y a une question de vie ou de mort, le droit de propriété doit être dépassé par la priorité donnée à la vie. Et ceci fait qu'il faut donner un cadre légal à cette possibilité de fabriquer des médicaments génériques tout de suite. Aujourd'hui, ce cadre légal se négocie au sein de l'Organisation mondiale du commerce - l'OMC -, et ça n'est toujours pas réglé, bien que, dans l'agenda de Doha, c'est-à-dire dans les conclusions de cette réunion mondiale qui s'était tenue, après le 11 septembre 2001, on avait décidé que la première chose à traiter, avant fin 2002, ce serait l'accord sur les brevets pour les pays en voie de développement."
Mais ce droit existe déjà pour un certain nombre de pays, dès lors qu'ils sont producteurs. Manque de chance, 90 % des pays atteints par le Sida ne sont pas concernés...
- "Tout à fait. C'est-à-dire que face à des situations d'urgence, on peut faire appel à des génériques quand on est en urgence et quand on sait fabriquer soi-même. Mais quand on ne sait pas fabriquer soi-même et qu'on les achète à un autre pays, on n'en a pas le droit, dans le droit international des brevets, tel qu'il est aujourd'hui. Les Américains ont accepté un moratoire sur cette situation, afin qu'on puisse quand même le faire. Mais le moratoire, c'est la situation la moins solide possible et nous exigeons que le cadre légal se mette effectivement en place. Un accord a été préparé, qui est prêt, et qui permet de faire cela. Pour le moment, il n'est pas encore ratifié par tous les pays, parce que les Américains s'y opposent et préfèrent mettre l'accent sur leur aide bilatérale d'apport d'argent, qui est important, mais qui, dans ce cas-là, c'est l'arbre qui cache la forêt des accords de brevets."
"On vous donne de l'argent, et avec vous nous achetez des brevets"...
- "Voilà. "Vous nous achetez les médicaments"."
C'est votre cheval de bataille. Sommes-nous isolés dans cette affaire ou sommes-nous soutenus ?
- "Non, nous sommes très largement soutenus. Cela veut dire cependant que les combattants n'ont pas tous la même volonté de se bagarrer sur cette question. Je pense que, pour nous, la question est claire : il faut un droit des brevets, il faut un droit de la propriété intellectuelle. C'est important dans le monde d'avoir des brevets pour que la recherche soit valorisée. Mais d'un autre côté, il faut des exceptions pour les cas où cela dépend de la vie et de la mort. Et donc, ici on est vraiment dans un cas où il faut mettre en place le cadre légal, qui permet à ces exceptions de fonctionner. Et nous sommes très près du but. Cela a pour conséquence que les médicaments, dans ce cas-là, seront fournis au plus bas prix possible, c'est-à-dire, sans tenir compte du coût de la recherche, qui est en fait amorti sur les pays riches, les pays occidentaux qui, eux, vont continuer à payer les royalties des brevets."
D'une manière plus générale, que va donner cette négociation de Cancun ? Parce qu'il faut préciser que ce n'est pas vous qui négociez directement. Je l'ai dit, vous préparez le terrain, mais ce sont les Quinze qui donnent tel ou tel mandat au commissaire, en l'occurrence, P. Lamy. Or, au sein des Quinze, il me semble qu'il y a une majorité de libéraux puristes...
- "Ce qui a souvent été le problème dans les derniers mois, c'était la PAC, qui apparaissait comme la position derrière laquelle les autres pays dans le monde se retranchaient. En fait, dans ces négociations multilatérales, il y a les médicaments mais il y a tous les sujets commerciaux, et donc, quand on parle de ce domaine, c'est l'agriculture qui nous mettait en position défensive..."
Et la culture...
- "Et la culture, pour laquelle nous avons obtenu gain de cause, nous, Français. Mais pour l'agriculture, la modification de la PAC, qui a eu lieu avec l'accord de Luxembourg, nous donne une marge de manoeuvre importante par rapport aux autres pays. Dans ce domaine, aujourd'hui, nous pouvons exiger des autres qu'ils fassent les pas que nous avons faits. Et ils s'attendaient tous à ce que nous ne bougions pas. Dans la mesure où ils s'attendaient à cela, eux-mêmes se préparaient à nous reprocher de ne pas avoir bougé. Donc, excusez-moi, c'est un peu tactique et un peu compliqué, mais les pas en avant qui ont été faits dans le domaine de la PAC font qu'aujourd'hui, l'Union européenne est solidaire, les ministres de l'Agriculture, les ministres du Commerce extérieur, chacun entre eux et puis tous ensemble, nous sommes solidaires avec nos commissaires - Lamy et Fischler -, pour défendre nos positions à l'Union européenne et être exigeants, donc ne pas être dans une position défensive, mais exigeants..."
Mais le gros dossier pour lequel cela va bagarrer, c'est lequel cette fois-ci ?
- "C'est l'agriculture. C'est sur les questions agricoles que nous sommes attendus. C'est pour cela que nous sommes aujourd'hui satisfaits de cette marge de manoeuvre que nous donne la modification de Luxembourg."
Je sais que ce n'est pas directement de votre secteur, mais puisque nous parlons de l'Europe, est-ce que le Gouvernement n'entretient pas de faux espoirs chez les restaurateurs en ce moment, en se félicitant bruyamment de la décision de la Commission, de proposer la baisse de la TVA, alors que, nous dit-on, les Allemands y sont fermement opposés ?
- "Nous avons un langage tout à fait cohérent et constant pour cette question. C'est ce que nous souhaitons et c'est ce que nous demandons à l'Union européenne de réaliser. C'est-à-dire que nous avons prêché pour que cela se passe ainsi. Nous espérons effectivement que cela marchera. Je pense qu'il faut que les gens soient maintenant majeurs et se rendent compte que cet effort qui sera fait, il faut qu'il bénéficie effectivement à tout le monde - aux consommateurs, aux salariés -, et que cela permette un développement de ce domaine."
Votre horizon, c'est la conquête de nouveaux marchés, au delà évidemment des frontières de l'Europe et de la zone euro. Vous venez de réorganiser les services du ministère du Commerce extérieur - on ne va pas rentrer dans les problèmes de tuyauterie interne, c'est peut-être un petit peu compliqué. Mais quelles sont vos terres de mission ?
- "La France exporte plutôt [inaud] en Afrique, et plutôt pas beaucoup, aux Etats-Unis, en Amérique et en Asie. Nous avons besoin de nous développer dans les zones du monde qui connaissent une croissance importante et où nous sommes relativement peu présents. Par exemple, en Chine, les Allemands vendent quatre fois plus que nous. Par exemple, dans les pays de l'Est, les Allemands sont beaucoup plus actifs que nous. Donc, nous avons besoin de faire un effort vers certaines zones pour lesquelles notre activité industrielle n'est pas assez présente. Alors, cela vaut pour les voitures... L'industrie, c'est 70 % des exportations."
Je ne voudrais pas être méchante, mais cela fait 25 ans que j'entends cela !
- "Vous avez raison. Et c'est en train de devenir très grave, parce que la croissance dans ces pays est très forte, et donc, si nous ne nous battons pas dans ces zones, nous allons perdre des positions. Aujourd'hui, nos entreprises l'ont bien compris. De fait, depuis 25 ans, ce qui a changé, c'est que la spécialisation internationale se fait, que les entreprises deviennent de plus en plus internationales et que nos entreprises françaises sont en fait aujourd'hui des entreprises qui sont des spécialistes mondiaux, des leaders mondiaux de quelque chose. Il leur appartient maintenant de s'étendre sur le monde pour que, dans tous les pays, on bénéficie de leurs compétences."
On parlait des Etats-Unis, de nos divergences de vues dans un certain nombre de dossiers. Avez-vous des éléments concrets permettant de dire que depuis le conflit en Irak, nos échanges avec les Etats-Unis ont faibli ou, au contraire, ne s'en ressentent pas ?
- "Si je compare les quatre premiers mois de cette année avec les quatre premiers mois de l'année dernière, il y a une baisse importante dans l'aéronautique. Cela tient aux difficultés du secteur aéronautique aux Etats-Unis. Mais il n'y a pas de baisse substantielle sur les autres marchés ; même l'agroalimentaire, qui a connu des difficultés - dans le domaine du vin, il y a des difficultés - est en hausse quand on regarde les chiffres. D'un autre côté, si on compare les chiffres en dollars, on est carrément à égalité, malgré la baisse de l'aéronautique, parce que c'est le dollar qui a baissé de 20 % depuis un an. Donc, au total, les entreprises ne doivent pas être timides vis-à-vis du marché américain. Et dès qu'on a un produit technique et qu'on est compétent, ce marché américain est le plus grand marché au monde, et nos entreprises ont tout intérêt à y être présentes."
Ils ne font pas de politique...
- "Non, c'est "business to business", et heureusement, dans ce domaine, ce qui compte c'est la compétence, la qualité, le prix..."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 juillet 2003)