Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, dans "Le Monde" du 9 juillet 2003, sur l'échec du référendum sur l'organisation des institutions en Corse.

Prononcé le

Circonstance : Consultation des électeurs de Corse sur la modification du statut particulier de la collectivité territoriale, le 6 juillet 2003

Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Comment expliquez-vous la victoire du "non" au référendum corse ?
D'une part, il y a pour certains l'amertume liée aux conflits des retraites et de l'éducation nationale. D'autre part, un certain nombre d'électeurs très attachés au maintien de la Corse dans la République ont refusé de mêler leur bulletin de vote à ceux des nationalistes. Les déclarations de M. Talamoni affirmant sa solidarité vis-à-vis d'Yvan Colonna n'étaient pas de nature à rassurer cet électorat.
Je pense aussi que la réforme était compliquée pour l'ensemble de l'opinion. Bien comprise par les élus, directement concernés, elle avait un caractère technique pour les électeurs. La réforme visait tout simplement à donner plus de liberté et d'efficacité aux Corses pour administrer leurs propres affaires ; quand on refuse plus de liberté, c'est bien qu'il y a malentendu !
Enfin, je crois au poids du clanisme, qui s'est senti menacé par l'absorption des départements au sein d'une collectivité unique et par le renouvellement de la classe politique du fait de la parité.
Qu'entendez-vous exactement par le mot de "clanisme"?
Ce sont quelques élus de petits territoires qui assurent leur mandat par des services rendus ou des liens familiaux. En bref, c'est du clientélisme. Or, dans le cadre d'une assemblée unique élue à la proportionnelle et dotée de l'essentiel des pouvoirs, ceux-là ont pu se sentir menacés.
Mais ne craignez-vous pas que cet échec ne rende politiquement délicate l'organisation d'autres consultations locales ?
Paradoxalement, ce premier référendum local a un résultat encourageant : l'importance de la participation. Le référendum consiste à poser une question ; la réponse, quelle qu'elle soit, a une valeur. Le référendum n'est pas un mécanisme d'approbation systématique. Le "non" corse a tout de même un sens au regard de la réforme, compte tenu du faible écart de voix. Il veut dire que le refus n'est pas rédhibitoire : d'autres réformes pourront être engagées.
Nous souhaitons banaliser le référendum, qui répond à une attente de nos concitoyens de participer aux décisions qui les concernent. La réponse des Corses ne traduit pas seulement une forme de conservatisme. Elle exprime aussi le besoin de mieux expliquer la nécessité d'une réforme. Le référendum est un outil de questionnement démocratique, et non, je le répète, un moyen d'approbation systématique. Sur la quantité des référendums locaux qui seront faits à l'avenir, il est inévitable que le "non" l'emporte parfois. C'est tout l'intérêt de poser la question !
Ce "non" ne sanctionne-t-il pas aussi un manque d'explication sur la décentralisation ?
Sans doute. Gaston Defferre ne s'y était pas trompé, lui qui n'a fait aucune communication, aucune concertation, et a conduit sa réforme de la décentralisation, en 1982, au pas de charge et par surprise. La décentralisation est par nature un processus juridique complexe et abstrait. Permettre aux électeurs d'avoir une juste appréciation de l'enjeu demande un effort de pédagogie permanent et, avouons-le, difficile.
Que va devenir le dossier corse ? L'avenir est-il au statu quo ?
Non, des questions restent en suspens. Aujourd'hui, la parité, obligatoire pour les élections régionales sur le continent, n'est pas assurée en Corse : elle va devoir s'aligner sur la règle nationale. Ensuite, il est impératif de permettre un meilleur développement économique de l'île et les efforts de l'Etat sont requis, quelles que soient les circonstances. Enfin, pour évoluer, les Corses ont besoin d'avoir confiance, ce qui n'est pas encore le cas. Cette confiance passe par la protection de la légalité républicaine et la répression de la délinquance sous toutes ses formes. A cet égard, l'action efficace de Nicolas Sarkozy produira, j'en suis sûr, des effets positifs sur la modernisation des institutions.
Craignez-vous une reprise des actions terroristes ?
Les terroristes doivent savoir que nous sommes déterminés dans notre lutte contre la violence. Les services de police viennent de démontrer leur efficacité.
(source http://www.interieur.gouv.fr, le 22 septembre 2003)