Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères et interview accordée aux radios et télévisions le 13 juin 2003, sur la préparation de la Conférence intergouvernementale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Session plénière de la Convention européenne à Bruxelles (Belgique) le 13 juin 2003

Média : Télévision

Texte intégral

DECLARATION :

Monsieur le Président,
C'est un moment solennel, un moment important. Je veux saluer la qualité du travail accompli par l'ensemble de la Convention sous votre direction et celle du Præsidium.
Aucune autre assemblée n'aurait réussi en 16 mois, au milieu de vives tensions internationales, à débattre d'autant de questions essentielles et à réaliser autant d'avancées.
C'est dire que les membres de la Convention ont eu la pleine conscience de l'importance historique de l'entreprise, pour répondre avec audace à ce rendez-vous européen.
Je souhaite qu'à Thessalonique nos chefs d'Etat ou de gouvernement puissent exprimer leur soutien à ces propositions, qui répondent au mandat de Laeken et font progresser l'Europe vers plus d'efficacité, plus de démocratie et plus de transparence.
Le texte qui nous est proposé aujourd'hui doit constituer la base de travail de la prochaine conférence intergouvernementale, si nous voulons aboutir aux réformes ambitieuses que nos concitoyens attendent. J'y veillerai lors de cette conférence.
Cette session est une étape fondamentale des travaux de la Convention, mais elle n'en marque pas le terme. Il faut poursuivre les travaux sur les politiques.
Plus précisément, je rappelle l'importance que la France attache au commerce des services culturels et audiovisuels, aux services d'intérêt général, aux questions sociales et à l'agriculture.
Dès aujourd'hui, il nous appartient de nous mobiliser, pour permettre à l'Europe d'affronter les défis du futur.
Avec les travaux de la Convention, nous ouvrons une nouvelle étape de la construction européenne, un nouvel âge politique d'une Europe plus efficace, plus démocratique, qui prenne toute sa place sur la scène internationale.
L'enjeu est bien celui-là. Changer d'âge, changer d'esprit, porter plus haut et plus loin notre ambition, de façon à ce que l'élargissement ne s'accompagne pas d'un affadissement, mais d'un approfondissement et d'une nouvelle volonté pour pouvoir assumer toutes nos responsabilités.
Désormais, avec le cadre proposé par le Præsidium, nous avons les outils nécessaires, nous avons l'élan nécessaire. C'est un formidable gage de réussite.
Cette chance, il faut la saisir. Il faut la saisir à la conférence intergouvernementale, en confirmant les choix courageux de notre Convention, sous l'impulsion de son président, Valéry Giscard d'Estaing.
C'est ce qu'attendent les citoyens de l'Europe toute entière, qui savent que l'Europe peut leur apporter ce qu'aucun d'entre nous, ce qu'aucun Etat ne peut, seul, leur apporter.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juin 2003)


ENTRETIEN AVEC LES RADIOS ET LES TELEVISIONS :
Un pari difficile a été tenu. Je l'ai rappelé, tout ceci a été fait dans une période extrêmement courte, à un moment difficile de la vie internationale. Je crois que la Convention a su faire des choix audacieux qui permettent à cette Europe de travailler sur un projet qui fixe un cap exigeant, un cap ambitieux, pour une Europe à la fois plus efficace et plus démocratique. Je crois donc que nous pouvons être satisfaits du travail des Conventionnels.

Q - La France va soutenir tout le texte dans l'IGC ?
R - La France soutiendra ce projet. Nous pensons que ce texte doit encore être complété, notamment la troisième partie sur les politiques. Il est encore possible de l'améliorer, mais globalement, je crois que nous n'avons pas intérêt à nous éloigner trop de ce cadre pour la conférence intergouvernementale. Un équilibre a été trouvé, un élan a été donné, il faut donc continuer à travailler dans ce sens.

Q - A propos des procédures de vote ?
R - C'est l'intérêt de l'Europe de faire en sorte que, le plus possible, la majorité qualifiée puisse l'emporter, que cette communauté constituée de l'ensemble des Etats européens puisse s'affirmer. C'est donc la voie dans laquelle il faut travailler.

Q - Dans l'IGC ?
R - Dans la Conférence intergouvernementale, c'est notre souhait. Nous avons intérêt à disposer d'une véritable Constitution qui nous permette d'aller de l'avant et d'affirmer le poids de cette Europe sur la vie internationale.
Q - Vous pensez que la CIG va changer et ouvrir le jeu ?
R - Je crois que la Convention vise à proposer un texte qui a de la substance, ambitieux, et il est important qu'au fur et à mesure des discussions au sein de la Conférence intergouvernementale, ce texte ne soit pas renié et que ne soient pas supprimées les orientations formelles qui ont été recommandées, notamment en matière institutionnelle.
Il y a des domaines, comme par exemple le domaine politique où le texte peut être encore amélioré ; il y a un équilibre à respecter ; il ne faut pas que ce texte soit le plus petit dénominateur commun ; bien au contraire, il doit marquer clairement notre volonté d'une Europe plus efficace, plus transparente et plus démocratique. Des choix sont à faire, la Convention a fait preuve de courage et d'initiative.

Q - L'Union s'engage donc à défendre ce texte ?
R - Oui. Je crois que ce texte présente des équilibres audacieux, autant pour toute l'Europe que pour nous. Nous voulons marquer clairement la volonté d'aller de l'avant. La Convention nous donne le cap ; il faut que la CIG fasse son travail en évitant de rentrer dans des discussions qui rouvriraient des chapitres et rogneraient les ailes de ce projet.

Q - Avez-vous le sentiment que vos collègues sont dans le même état d'esprit ?
R - Oui. Je crois que nous en parlerons. Il y aura certainement des points de tension pour arriver à prendre en compte toutes les idées mais l'Union aura à cur de garder la ligne institutionnelle.

Q - Mais il y a quand même des blocages qui sont annoncés ?
R - Oui, ce sera difficile.

Q - Considérez-vous que c'est encore du mandat de la Convention ou non ?
R - Reste à savoir combien de temps la Convention va travailler. Je ne vois pas la Convention reparler de ces sujets.

Q - Pour en revenir au titre 4, vous n'imaginez pas que vous soyez sollicité par un blanc-seing qui dise qu'un équilibre institutionnel soit dégagé ? Quel est le "wording" ?
R - S'agissant de la partie strictement institutionnelle, un équilibre global a été trouvé. Nous pourrons faire un pas pour voir si nous pouvons nous rapprocher de ceux qui se sentent le plus meurtris. Mais je crois que pour la partie cadre, nous aurons du temps disponible. L'idée de rouvrir les débats sera sans doute très difficile.
Le fait que la Convention ait réussi à rouvrir un certain nombre de ces dossiers, à faire des propositions audacieuses, notamment pour la CIG, est une incitation pour la conférence intergouvernementale à se situer au même niveau d'exigence que la Convention. Je pense qu'il y a un élan, une direction qui a été tracée et il sera difficile de revenir sur ces points-là.

Q - Même si certains, comme l'Espagne, ont exprimé clairement leur désaccord ?
R - Nous avons maintenu une concertation très étroite avec l'Espagne, nous essaierons encore de le faire au cours des prochaines semaines. Cela implique effectivement que nous voyions avec eux, très concrètement comment les choses se placent. Je pense qu'il y a un équilibre à respecter. Nous ne pourrons certainement pas repartir à zéro sur l'ensemble de ces questions.

Q - Votre état d'esprit, c'est arriver à la Convention, vous asseoir et vous dire : ce texte me convient.
R - L'équilibre de ce texte, les exigences données par ce texte nous y obligent. La réouverture suppose que nous trouvions des positions meilleures qui satisfassent l'ensemble des parties prenantes. Nous ne nous rassemblerons pas autour d'un texte médiocre. Si nous faisons mieux, si nous trouvons mieux, si la concertation permet de dégager des équilibres qui soient satisfaisants, tant mieux. Je pense que nous ne pouvons pas faire moins bien que ce qui a été proposé.

Q - Sur le CAG, parle-t-on bien d'un poste de vice-Premier ministre qui serait créé avec des ministres qui seraient sous ses ordres ? Mais ce serait ce ministre qui voterait et qui pourrait arbitrer les discordes ? Est-ce ainsi que cela se passera ?
R - Non, ce n'est pas l'idée. Certains peuvent avoir cette idée mais je pense qu'elle n'aboutira pas.

Q - Je crois que vous avez trouvé une bonne cohésion concernant la politique étrangère, pensez-vous qu'elle peut encore s'améliorer ?
R - Nous sommes pour une version exigeante qui vise à trouver des mécanismes permettant de rassurer les Etats les plus inquiets, même si nous ne nous lancerons pas dans des aventures inconsidérées. Il y aura la possibilité de travailler véritablement en confiance car c'est de cela qu'il s'agit. Il faut de la combativité, de la confiance de la cohérence, et c'est bien cela qui est en cause au sein de l'Europe. Il nous faut trouver les mécanismes et les procédures qui apportent ces garanties-là. Le fait que nous ayons un ministre des Affaires étrangères qui puisse proposer un certain nombre d'initiatives et que sur cette base là, nous soyons capables tous ensemble de prendre plus de risques que nous le ferions sur d'autres sujets, ce sont des points que nous pourrons explorer.

Q - La coopération renforcée : pensez-vous que ce soit une voie un peu réelle ou bien va-t-elle rester dans les limbes ?
R - Nous souhaitons beaucoup aborder ce sujet et obtenir des avancées réelles. C'est ce qui permettra de faire vivre l'Europe. Si nous bloquons, si ce produit de constitution ne comporte pas des espaces de "respiration", des espaces d'audace, ne permet pas à ceux qui le veulent, d'avancer, alors les choses se feront autrement, en dehors et dans des conditions qui ne seront pas bonnes. Plus le texte permettra cette "respiration", cette capacité, plus il sera moderne et répondra aux exigences des uns et des autres. Nous sommes dans un monde qui, non seulement sollicite, mais exige aussi des initiatives. A un moment donné nous ressentons profondément la nécessité d'avancer dans tel et tel domaine et cela est salutaire.

Q - C'est un peu de la théorie.
R - Mais non, pas du tout, ce sont des questions concrètes, notamment dans le domaine de la défense.

Q - Pensez-vous que d'ici un an nous pouvons espérer quelque chose ?
R - Nous pouvons le souhaiter, en tout cas nous travaillons en ce sens.

Q - Entre Nice et aujourd'hui, qu'est-ce qui a changé pour permettre l'accord qui n'a pas pu être signé là-bas ?
R - Nous sommes tous conscients du contexte général international. Nous voyons bien à quel point la crise est un stimulant formidable pour l'Europe. Nous voyons les manquements, ce que peut faire chacun de nos Etats et ce que l'Europe pourrait faire, et cette lucidité et cette conscience qui nous guident à souhaiter plus d'Europe, plus d'actions ensemble, plus de capacités à fédérer et à unir nos énergies. C'est une demande très forte de la part de nos concitoyens.
A partir de là, je crois que nous avons une feuille de route solide et claire qui doit nous inciter à avancer.

Q - Quel est votre sentiment aujourd'hui ?
R - C'est un moment solennel. Je crois que le fait d'avoir été capables de relever le défi et de faire des propositions audacieuses qui permettent d'espérer une Europe à la fois plus efficace et plus démocratique, représente un moment important.

(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juin 2003)