Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur la coopération internationale et décentralisée pour "l'humanisation de la mondialisation", l'aide au développement durable et la lutte contre la pauvreté notamment en direction de l'Afrique, Paris le 10 novembre 2003.

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Circonstance : Réunion du Haut Conseil de la coopération internationale (HCCI) à Paris le 10 novembre 2003-remise des prix de la coopération internationale

Texte intégral

Merci, Monsieur le président, de cet excellent discours, dont je n'ai vu qu'une seule information, que je ne partage pas tout à fait, c'est la confiance que vous faites aux sondages. Mais à part cela, je n'y ai vu que des choses denses et intéressantes.
Puisque j'ai commencé par l'humour, je voudrais vous dire que nous assistons aujourd'hui à une grande première, car je dois présenter les excuses de P-A. Wiltzer, qui est outre-Atlantique, et qui est, aujourd'hui remplacé par son prédécesseur, C. Josselin, que je suis heureux de saluer, ici, et de souhaiter la bienvenue. Comme quoi, la coopération internationale rassemble et c'est heureux.
Cher président, je voudrais vous remercier, et vous remercier, Mesdames et Messieurs, de votre présence pour cette cérémonie importante, puisqu'elle honore des structures, des personnes, qui se sont engagées avec succès dans ce qui nous anime, la coopération internationale pour la lutte contre la pauvreté.
Nous savons qu'il s'agit là d'une grande ambition. Une ambition des Etats mais aussi une ambition des personnes, et de tous les lieux où les personnes se rassemblent pour agir, notamment les associations, les collectivités territoriales. Je crois que nous sommes aujourd'hui dans une période où il faut évidemment redoubler d'efforts, et les prix qui sont aujourd'hui remis, sont, de fait, des exemples pour tous ceux qui veulent agir et tous ceux qui doivent participer de cette mobilisation, face à une mondialisation qui présente un certain nombre d'atouts positifs, mais qui présente, aussi, un certain nombre de grandes préoccupations, et notamment ce que le Prix Nobel [...] appelle "la grande bifurcation." C'est cette conjugaison de plusieurs révolutions simultanées, notamment, le numérique, le génétique et l'économique, qui font qu'aujourd'hui, les richesses se partagent avec brutalité dans le monde. Il nous faut mesurer que l'accélération de ce partage, crée une croissance des forces des inégalités. Au fond, nous voyons bien qu'il y a, aujourd'hui, un besoin de mobilisation mondiale particulièrement pressant pour faire face, ne serait-ce qu'aux objectifs du millénaire pour les développements, tels que les avaient définis les Nations Unies et qui restent pour nous tous un élément très important de notre mobilisation.
Nous souhaitons un développement équitable et durable dans le monde, et nous voyons que les tendances à la non-équité, à la non-durabilité sont très très fortes. Il faut donc mettre toutes les énergies qui sont celles de la France et de ses collectivités, mais aussi de l'Europe, pour organiser une action dans la mondialisation au service de l'homme.
Je remercie beaucoup votre organisation, le Haut Conseil, monsieur le président, d'avoir, non seulement, mis en ordre cette dynamique des Prix et des références d'actions, mais aussi d'animer la réflexion sur ces sujets. C'est, je crois, très important. Plusieurs écrivains, aujourd'hui, nous montrent bien que, face à la mondialisation, nous sommes dépourvus de pensée. Nous devons faire des efforts et rassembler dans des lieux comme le vôtre, ceux qui veulent participer d'une réflexion sur la nécessaire humanisation de la mondialisation. Il ne suffit pas de désigner le mal pour définir le bien.
Et J.-C. Guillebaud dans son beau livre "Le goût de l'avenir", dit que : "Le contraire du mal, ce n'est pas le bien, c'est le sens." C'est par la pensée que nous donnerons du sens à l'humanisation de la mondialisation. Il y a là, je crois, une vraie réflexion. C'est pour cela que j'attends beaucoup de votre Haut Conseil, non seulement pour les initiatives qu'il prend, mais aussi pour cette pensée, qu'il nous faut aujourd'hui avoir pour donner du sens à la place de l'Homme dans cette organisation mondiale.
C'est pour cela que la France accueille avec bonne humeur, et je dirais générosité, le Forum social européen de Saint-Denis. C'est un élément important de la réflexion. Nous voulons que la pensée dans le monde sur ces sujets, puisse être la plus fertile possible, la plus tolérante possible, pour que l'on réfléchisse à ces questions, que l'on puisse se rassembler et échanger, qu'il n'y ait pas une diabolisation de la mondialisation, mais qu'il y ait une vraie réflexion pour engager les actions qui nous paraissent très importantes pour faire face au développement de la misère, des souffrances, sous toutes leurs formes, très nombreuses dans le monde.
Il nous faut pour cela, redynamiser évidemment, la politique de solidarité internationale. C'était le message de Johannesburg, c'était au coeur même du discours que le président de la République y a prononcé. Nous respecterons l'engagement qui a été pris à cette occasion d'augmenter de 50 % notre aide en cinq ans. Malgré les difficultés budgétaires, le niveau d'aide de la France devrait atteindre 0,40 % du PIB en 2003, puis se rapprocher progressivement de l'objectif que le président de la République a fixé au Gouvernement.
Je souhaite que notre effort ne soit pas uniquement un effort financier. Mais aussi, que nous puissions repenser nos méthodes d'organisation et notre méthode d'intervention. Notamment, je compte beaucoup sur l'engagement de la jeunesse. Je compte beaucoup sur la générosité de la vie associative pour participer à cette dynamique internationale.
Il y a une différence entre la solidarité et la fraternité : pour moi, la fraternité appelle, au-delà de la solidarité, la notion d'engagement, donner un peu de soi-même. C'est ce que nous voulons faire avec le CIVIS par exemple, pour que ceux qui ont un projet, les jeunes qui ont au coeur, une envie de participer du développement du Sud, notamment en Afrique, puissent trouver là, le moyen de réaliser leur projet personnel. S'engager personnellement, donner un peu de soi-même, de son intelligence, de sa compétence, de son coeur, de sa volonté, de son énergie pour le développement.
Il y a la bataille de l'argent, bien sûr. Mais il n'y a pas que la bataille de l'argent, il y a la bataille du coeur. C'est vrai à l'extérieur, pour lutter contre la pauvreté, c'est aussi vrai à l'intérieur, pour lutter contre les conséquences de la dépendance. De l'argent, oui, mais aussi de l'engagement personnel. C'est cela, je crois, cette fraternité moderne qui doit être celle de nos sociétés.
Je pense que nous devons être très mobilisés - vous devez être très mobilisés - autour des initiatives qui sont prises. Je pense, en ce qui concerne l'Afrique, notamment au Nouveau Partenariat pour le Développement. C'est un élément très important de notre mobilisation mondiale. La France se doit d'être aux côtés de l'Afrique pour faire face à tous les fléaux qui la rongent. Je pense au Sida, je pense à la tuberculose, je pense au paludisme. Il y a, là, véritablement, une énergie à redéployer. C'est pour cela que nous avons pris un engagement pour le triplement de notre contribution au Fonds mondial contre le Sida, à partir de 2004.
Je pense que beaucoup d'initiatives qui sont ici à développer, je voudrais dire que l'Etat se sent engagé par cette lutte contre la pauvreté, mais qu'il faut aussi que cette mobilisation soit partagée, notamment par les collectivités locales et par les ONG. Les collectivités locales, que ce soient les Côtes-d'Armor ou le Poitou-Charentes, sont déjà une vieille tradition ; la Picardie, pardon ! je peux les citer toutes, mais il se trouve que nous nous étions retrouvés avec C. Josselin, au Vietnam, dans des actions de coopération pour ensemble pouvoir agir auprès de populations qui, à l'époque, étaient victimes notamment des inondations à Hué. Je sais qu'il y a en Picardie, en Rhône-Alpes, je sais qu'un grand nombre de régions, tel le Nord-Pas-de-Calais, sont très engagées dans la coopération décentralisée. Beaucoup de départements, beaucoup de villes sont également très engagés dans cette mobilisation.
Je voudrais dire que ceci me paraît très important, et vous pouvez compter sur moi pour que l'Etat simplifie les contacts. Je ne souhaite pas que l'on puisse multiplier les initiatives partenariales entre la collectivité et l'Etat, pour qu'à chaque niveau de l'action, la collectivité se sente encadrée par l'Etat. Un interlocuteur pour l'Etat et un seul. A mon avis, le plus pertinent, c'est l'ambassadeur du pays où la collectivité a décidé d'intervenir. C'est, je crois, le moyen d'intervenir en cohérence et de donner au responsable de l'Etat sur place, qui est l'ambassadeur, les moyens d'intégrer la coopération décentralisée à la stratégie de cohérence qui est celle de la France sur le territoire concerné. Je pense qu'il faut, là, faire en sorte, aussi bien pour les ONG que pour les collectivités territoriales, que nous puissions assouplir les procédures et libérer les initiatives afin de permettre de multiples engagements, et notamment les engagements, au travers des collectivités territoriales, de toutes les associations qui veulent participer à cette coopération internationale. C'est un des éléments majeurs de la mobilisation populaire. La France a un coeur énorme, elle veut s'engager dans un certain nombre d'actions, elle a besoin d'organisations médiatrices. Les ONG sont souvent là pour répondre à cet engagement. Elles donnent souvent une image très engagée et très valorisante de la France à l'étranger. Les collectivités territoriales elles-mêmes sont très mobilisées sur ces sujets.
Il nous faudra engager au niveau de l'Etat, naturellement, un certain nombre d'initiatives. Vous savez que le président de la République a demandé d'une part que nous organisions un Observatoire de la mondialisation pour être mieux branchés sur tous les phénomènes et les conséquences de cette nouvelle donne de la répartition des richesses, notamment dans la société de l'information, dans l'accès aux nouvelles technologies, parce qu'il y a derrière ces nouveaux progrès, aussi, des nouvelles fractures. Il faut aussi, naturellement, mobiliser un certain nombre de nos moyens pour essayer de résoudre les difficultés financières d'un certain nombre de pays. C'est pour cela que le Président a demandé à ce que l'on puisse réfléchir aux prélèvements internationaux de manière à trouver les moyens d'une action de développement efficace au niveau international.
Nous pensons qu'il est aussi essentiel que l'Europe prenne la mesure de son intervention et que nous puissions nous engager, les uns et les autres, dans une mobilisation européenne sur l'ensemble de ces questions. Et l'Europe, au fond, doit sentir un besoin, je dirais d'accélération sur ces sujets comme sur d'autres, car, de sommets en conseils, de réunions informelles en réunions structurelles. L'Europe, finalement, depuis Jean Monnet, depuis Robert Schuman, a pris un peu son temps pour s'organiser. Aujourd'hui, nous voyons un besoin de gouvernance mondiale. Il y a une sorte de compétition dans le temps entre la gouvernance européenne, qui doit aller assez vite - et aujourd'hui, elle va vite, puisque nous sommes à la veille d'un élargissement important et que nous sommes à la veille d'une réforme institutionnelle importante.
Mais parallèlement, le monde aussi doit s'organiser. L'ONU doit se renforcer pour devenir la véritable source du droit - c'est ce que souhaite la France -, cette organisation internationale, plus puissante, dit le président de la République, pour dire le droit international. Et que l'on ne puisse avoir des interventions unilatérales qui ne soient pas des interventions qui soient passées par le lieu où se construit le droit. De même que nous voulons une OMC plus juste, une OMC qui ne donne pas le sentiment de ne pas entendre les pays d'Afrique, comme cela a été le cas à Cancun ; une OMC qui soit attentive à l'équilibre du monde. De même que, sur le plan de l'environnement, le protocole de Kyoto puisse être ratifié. Que ce soit sur l'environnement, que ce soit sur les échanges, que ce soit sur le droit, nous avons besoin de plus en plus d'une gouvernance internationale et la France se bat pour que cette gouvernance se fasse avec un renforcement du droit. C'est pour cela qu'à ceux qui disent "Attention, il faut se méfier de l'OMC", nous disons qu'il faut améliorer l'ONU ; [Et à ceux qui disent :] "Attention, il faut se méfier d'une organisation mondiale de l'environnement", il faut du droit de l'environnement.
Il faut plus de droit pour plus de justice au niveau mondial. C'est l'engagement de la France. C'est le message que la France développe partout dans le monde. C'est un élément très important de notre mobilisation pour aider à ce que le monde soit plus juste et que la coopération soit plus forte. C'est un engagement de notre gouvernement, monsieur le président, que nous voulons gérer avec le Haut Conseil, parce que nous avons conscience qu'il y a, là, une dynamique qui peut s'articuler. Nous avons besoin de la cohérence nationale et européenne pour pouvoir agir à l'intérieur de grands programmes, que ce soit les programmes de l'ONU, que ce soit les programmes du Nepad, par exemple, pour l'Afrique. Nous avons besoin de la cohérence pour que l'on puisse concentrer les efforts sur des objectifs bien identifiés, et que l'on puisse éviter les gaspillages. Il faut donc de la cohérence. Il faut aussi de la vitalité, de la proximité, il faut aussi cette générosité qui part des coeurs - que ce soient des coeurs associatifs, des coeurs territoriaux -, de tous ces coeurs qui ont envie de s'engager pour le développement. Il faut donc donner de la liberté et que la coopération internationale ne soit pas trop bureaucratisée, car si elle était trop bureaucratisée, elle tuerait les élans nécessaires, et nous avons besoin de ces élans pour atteindre les objectifs qui sont les nôtres.
Voilà ce que je voulais vous dire, en vous remerciant les uns et les autres de votre engagement, et en vous disant vraiment que la France est la France quand elle défend les valeurs universelles, quand elle défend la démocratie. Aujourd'hui, la mondialisation, peut-être plus que jamais, a besoin et de valeurs et de démocratie pour être à la hauteur de nos ambitions. Je vous remercie."

(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 21 novembre 2003)