Interview de M. François Baroin, secrétaire général délégué de l'UMP, à Europe 1 le 8 avril 2004, sur le soutien de l'UMP à la politique du nouveau gouvernement Raffarin.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach : François Baroin, bonjour et...
François Baroin (Réponse) : Bonjour.
Question : Et félicitations.
François Baroin (Réponse) : Merci.
Question : Nommé par Alain Juppé, vous avez encore pris du galon à la tête de l'UMP. Mission ?
François Baroin (Réponse) : Oh ! Mission, trois mots : tirer les enseignements de la défaite, assurer l'unité de l'UMP en faisant vivre ses sensibilités et préparer trois temps, les Européens, le départ d'Alain Juppé qui l'a annoncé lui-même, chez vous, la semaine dernière et...
Question : Le congrès...
François Baroin (Réponse) : Et le congrès qui redonnera la parole aux militants.
Question : A la date prévue ?
François Baroin (Réponse) : Fin octobre, début novembre, par rapport aux quatre mois liés au départ d'Alain Juppé.
Question : Et Alain Juppé, en attendant, comme il avait annoncé ici même la semaine dernière, vient de nommer un conseil politique de l'UMP, avec des ministres poids lourds, les présidents du Parlement Poncelet, Debré. Et selon Libération de ce matin, des élus de votre parti sont en train de grogner. Ils disent qu'il n'y a plus de chef, ni à l'UMP, ni à Matignon, c'est vrai ?
François Baroin (Réponse) : On est au lendemain d'une défaite, on doit l'assumer et en tirer toutes les conséquences dans l'action du Gouvernement, ce qui a été fait, par rapport à un certain nombre de mesures qui n'ont pas été suffisamment comprises, notamment dans le domaine social. Et je crois que là-dessus, nous avons dès à présent tiré un certain nombre de conséquences sur la méthode, sur le calendrier, sur les perspectives. Nous devons également tirer les enseignements sur le fait que l'UMP est un parti jeune, il a appris dans la victoire en 2002, il doit apprendre dans la défaite en 2004. Et nous n'avons peut-être pas su, suffisamment, occuper un espace politique adapté à la réalité de ce qu'est l'UMP. Au fond c'est quoi un parti politique, ça doit être le miroir le plus sincère et le moins déformant de la société française. L'UMP c'est le rassemblement des gaullistes, des centristes et des libéraux.
Question : Mais quelle vitamine vous allez donner à tous ceux qui n'ont pas le moral ? Un moral rutilant, là, aujourd'hui ?
François Baroin (Réponse) : D'abord si on parle politique, d'abord la vie est belle. Il faut garder le sourire, il faut regarder devant et il faut toujours se mettre en perspective. Ensuite, si on se souvient du PS après la disparition de Jospin en 2002, ils sont aujourd'hui très souriants et très triomphants. Comme quoi, la roue tourne et la vie politique est une succession de défaites et de victoires.
Question : Et le Président de la République, aujourd'hui, va bien ?
François Baroin (Réponse) : Le Président de la République va bien. Il a réorganisé son Gouvernement, il a redonné des orientations, il a une majorité pour trois ans, pour conduire le pays.
Question : Alors les problèmes ne vont pas manquer. Dans la ville de Troyes dont vous êtes le maire, F. Baroin, est-ce que vous avez eu cette nuit de l'électricité ?
François Baroin (Réponse) : On a eu de l'électricité, il n'y en a pas eu dans le Nord. J'ai été, je le dis, profondément choqué, car je trouve que l'attitude de la part de celles et ceux qui exercent des missions formidables, des missions de service public, qui sont des agents de qualité - j'ai moi-même dans mon département une centrale nucléaire à Nogent-sur-Seine, je connais les agents, nous les voyons régulièrement, ils apportent énormément, ils sont la belle incarnation du service public à la française - et ils ont pris, pour la part de certains d'entre eux, à travers un chantage et à travers cette action, une forme de prise d'otages qui n'est pas acceptable. Alors, qu'il y ait un débat sur le statut d'EDF, son avenir et sa place dans l'Union européenne, nous devons évoluer. Et qu'il y ait cette prise d'otages des particuliers, ce n'est pas acceptable.
Question : Qui doit avoir le dernier mot décisif ? Le syndicaliste ou l'élu ?
François Baroin (Réponse) : La seule légitimité en démocratie, c'est celle du suffrage universel. Voilà pourquoi ce sont les parlementaires qui examineront l'évolution d'EDF. Je voudrais juste rappeler sur ce sujet que nous avons des contraintes liées à l'alignement du statut d'EDF, dans ce qui se fait dans les autres pays de l'Union européenne. Que deuxièmement, tous les engagements ont été pris sur la continuité du service public, cette idée du service public universel à la française, qui garantit le statut des agents et que le ministre de l'Economie, N. Sarkozy, a lui-même annoncé qu'il n'y aurait pas de privatisation.
Question : Il en parlera sans doute ce soir à la télévision, sur TF1, oui ?
François Baroin (Réponse) : Malgré tout, on ferait des prises d'otages préventives, on ferait des menaces préventives et des actions préventives
Question : Oui mais quand on vous dit que les syndicats sont déterminés et en particulier la CGT, comment vous répondez au chantage, parce que c'est d'une certaine façon, vous le dites, un chantage. "Si tu ne cèdes pas, si tu ne retires pas ton projet, je mets tes villes dans le noir ?
François Baroin (Réponse) : On n'a pas le droit. On n'a pas le droit. Il y a des règles de droit, nous sommes dans un Etat de droit. Il y a un dialogue qui doit être naturellement maintenu. Il y a des engagements qui ont été pris, il n'y a pas de menace et il y a tout simplement une adaptation à l'Europe. On n'a pas le droit de faire ce qui a été fait hier.
Question : Mais vous prendriez le pari que le Gouvernement ne cèdera pas ?
François Baroin (Réponse) : Attendez, on ne peut pas prendre le risque de ne pas faire respecter le droit. On ne peut pas prendre le risque de ne pas avoir d'électricité dans notre pays et on ne peut pas prendre le risque d'être à contre-courant, si vous me permettez cette expression, de l'Union européenne en matière d'électricité.
Question : F. Baroin, la crise des chercheurs est finie. Bravo ! Le nouveau gouvernement leur donne satisfaction, sur toute la ligne. Ce qui était impossible hier, devient tout à fait possible. Est-ce que c'est l'ère des miracles qui commence ?
François Baroin (Réponse) : Non. Ce n'est pas l'ère des miracles, c'est la leçon de la défaite. Je ne suis pas venu devant vous et nous ne sommes pas à l'UMP en train de nous fouetter le dos et vous montrer les cicatrices pour dire, on a eu très mal. Non. On a été défait. On assume cette défaite, on comprend pourquoi. Il faut reconnaître que le dossier des chercheurs a pesé. Parce que pour les Français, les chercheurs c'est l'avenir. Et donc c'était une source d'inquiétude supplémentaire, je veux dire.
Question : Mais on pouvait le comprendre avant, si vous étiez venu il y a peut-être deux mois, vous m'auriez dit : Les mesures du gouvernement, les 550 emplois, on ne peut pas les donner de telle ou telle façon. Aujourd'hui, on change. Est-ce que la tranquillité sociale a un prix ? Et puis après qui paie ? Et comment le payer ?
François Baroin (Réponse) : Avant, je crois qu'il y avait une vraie volonté sincère d'offrir des engagements à moyens termes, sur trois ans. C'était les 3 milliards qui avaient été proposés par Claudie Haigneré. Les Français ont tranché, ils ont adressé un message, il faut aller plus vite dans certains cas, moins vite dans d'autres. Il fallait aller plus vite sur les chercheurs, voilà pourquoi le déblocage des crédits.
Question : Il y aura une loi d'orientation sur la recherche. Mais est-ce que ça veut dire, quand on est Français, que l'on voit ce qui est en train de se décider, que le laxisme va maintenant fleurir, ou bien pour payer toutes les réformes que vous allez accepter, parce qu'on va avoir les intermittents et peut-être d'autres choses, Raffarin 3 a découvert une mine d'or, quelque part ?
François Baroin (Réponse) : Non. C'est un exercice difficile, devant une situation de comptes publics qui est compliquée et rendue compliquée par une accumulation de dettes, on ne va pas revenir sur le passé, il faut regarder devant, là aussi. Mais c'est un exercice qui suppose de définir des priorités. Et les priorités c'est éteindre les incendies et mettre en perspective, sur des réformes essentielles.
Question : Les démineurs ou les pompiers sont au travail.
François Baroin (Réponse) : Contre les pompiers incendiaires qui nous donnent des leçons aujourd'hui, je pense à M. Hollande et les représentants du PS.
Question : Eurotunnel, les petits actionnaires viennent donner un coup de balai à l'ancienne direction. C'est une première, est-ce que c'est un bon ou un mauvais exemple ?
François Baroin (Réponse) : Sur le principe c'est intéressant, ça montre qu'une direction ne peut pas faire n'importe quoi, n'importe comment dans n'importe quel domaine. Sur la méthode et sur l'issue, on peut nourrir des interrogations réelles.
Question : Oui. J'ai vu sur toutes les photos et dans toutes les images, P. Cardo, député UMP. Est-ce qu'il vous représente dans ce système ?
François Baroin (Réponse) : Non, pas une seconde. Je tiens à dire que la levée des actionnaires minoritaires devenus majoritaires à Eurotunnel n'a rien à voir avec l'UMP et c'est l'engagement d'un député, seul, et lui-même.
Question : Alors bon, vous allez vous occuper maintenant de l'UMP. Qu'est-ce qui va se passer ? Donc vous avez dit les élections, est-ce que vous allez accepter comme le disait ici Alain Juppé, des courants ? Parce que ça proteste à l'intérieur, est-ce que les différentes sensibilités vont pouvoir s'exprimer ?
François Baroin (Réponse) : Je crois qu'elles doivent le faire plus. Une fois encore, ce rassemblement est peut-être la plus belle grande idée politique de ces 20 dernières années. Rassembler trois familles après tous les coups que l'on s'est donnés pendant une vingtaine d'années, les uns et les autres, c'est une belle idée. On a raté notre coup, il faut le dire, nous ne sommes devenus le grand parti de la droite tel qu'on l'envisageait au lendemain de l'élection présidentielle.
Question : L'idée est abandonnée ?
François Baroin (Réponse) : Elle n'est pas abandonnée, elle est devant nous et un jour ça viendra. Pour que ça vienne, nous devons offrir justement, je crois, une image plus sincère, plus large
Question : Donc il y aura des courants ?
François Baroin (Réponse) : Il faut des courants, il faut des sensibilités. Ce qui se passe depuis quelques jours va dans la bonne direction.
Question : Donc avec vous, d'ici à novembre, et puis après novembre, il y aura de la démocratie plus vivante à l'intérieur du parti UMP ?
François Baroin (Réponse) : C'est une grande prétention de penser cela. Je voudrais dire que nous le souhaitions, qu'Alain Juppé lui-même l'avait mis dans les statuts. Pour des raisons X ou Y, ça n'a pas été possible, on doit le faire aujourd'hui.
Question : Et quand vous parlez avec F. Bayrou qui a accepté la main tendue d'Alain Juppé ?
François Baroin (Réponse) : C'est bien. On va déjà discuter sur le fond, on va essayer de comprendre sur quoi nous ne sommes pas d'accord et puis là aussi regarder devant. La gauche réunie gagne, la droite poursuit sa division, elle perd. On doit en tirer tous des enseignements.
Question : Un mot, F. Baroin, parce que c'est important, c'est un problème qui va monter aussi, Alain Juppé vient de se prononcer, au nom de l'UMP, contre l'entrée de la Turquie dans l'Europe. Pourquoi ? Pourquoi d'ores et déjà ? Et qu'est-ce que ça veut dire ? Est-ce que vous n'êtes pas en contradiction avec le Président de la République ? Ou vous annoncez que le président va changer, lui-même, de position ?
François Baroin (Réponse) : Très rapidement, il y a eu un débat, des contributions à l'intérieur de la formation. On dit " non " très clairement à l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne, ça ne veut pas dire une remise en cause des coopérations douanières qui existent déjà, entre les pays associés. On dit oui à la poursuite de l'élargissement jusqu'à une certaine limite, probablement la Bulgarie et la Roumanie et après on regarde. Et on souhaite renforcer, à travers la nouvelle Constitution, le visage de l'Europe dans sa politique étrangère et au fond pour résumer, l'Europe, aujourd'hui, c'est quoi ? Vous avez d'un côté ceux qui pensent que c'est un grand marché économique, unique et il faut un protectorat militaire américain et vous avez ceux qui pensent, au premier rang desquels se trouve la France par la voix du président Chirac, que l'Europe c'est une plus grande idée que cela. Et il faut un visage en politique étrangère, il faut une politique de défense, il faut des moyens pour lutter contre le terrorisme. C'est aussi cela.
Question : D'accord. La Turquie attendra.
François Baroin (Réponse) : La Turquie attendra. Mais elle est déjà en coopération avec l'Union.
Question : Bonne journée.
(Source : http://www.u-m-p.org, le 8 avril 2004)