Déclarations et interviews de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, le 12 avril 2003, sur l'avenir de l'Irak après la chute de Saddam Hussein.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Tournée de M. de Villepin au Moyen-Orient du 11 au 13 avril 2003-au Caire (Egypte) le 11 et 12-à Damas (Syrie) le 12-à Beyrouth (Liban) le 12 et 13-à Riyad (Arabie saoudite) le 13

Média : Abu Dhabi TV - Al Jazeera - Nile News - Presse étrangère - Télévision

Texte intégral

(Conférence de presse conjointe au Caire, le 12 avril 2003) :
Je suis très heureux, d'abord, que ma tournée au Proche-Orient puisse commencer par Le Caire, ce qui m'a donné l'occasion hier d'un dîner amical de travail avec mon ami Ahmed Maher et la rencontre ce matin avec le président Moubarak. Chacun connaît la relation exceptionnelle d'amitié et de confiance qui unit nos deux pays, et il était essentiel, après trois semaines de guerre en Irak, que la France et l'Egypte se consultent, réfléchissent ensemble à l'avenir de cette région.
A propos de la situation en Irak j'ai, bien sûr, présenté les analyses et les actions de la France. Avec la chute du régime de Saddam Hussein, c'est une page sombre qui se tourne, celle des souffrances endurées par le peuple irakien. Je connais sa dignité et nous souhaitons que les combats s'achèvent le plus rapidement possible.
Nous avons trois préoccupations immédiates : d'abord répondre à l'urgence humanitaire, la situation doit être gérée à la fois avec générosité et pragmatisme, sous la coordination des Nations unies. Il faut, par ailleurs, réfléchir à l'évolution du programme "pétrole contre nourriture". Deuxième préoccupation, répondre à l'urgence de sécurité. Chacun le voit bien aujourd'hui à Bagdad et en Irak, il est important que cette sécurité puisse revenir sur l'ensemble du territoire et la responsabilité des puissances présentes sur le terrain est évidemment centrale. Enfin, il faut clore très rapidement le dossier du désarmement. La situation en Irak a profondément changé. Nous devons en tenir compte. Les sanctions doivent pouvoir être levées aussi rapidement que possible dans le respect des résolutions du Conseil de sécurité et les inspecteurs doivent donc pouvoir revenir sur place constater cela afin que les sanctions puissent être levées.
Concernant l'avenir de l'Irak, nous souhaitons travailler dans un esprit d'ouverture, un esprit constructif, à travers les différentes phases qui s'ouvriront au lendemain de la guerre : une phase de sécurité où, je l'ai dit, la responsabilité particulière des forces sur le terrain est engagée ainsi que, nous l'espérons très vite, une nouvelle phase qui sera celle de la reconstruction politique, économique, administrative et sociale. Il est important que le gouvernement irakien, reconnu par la communauté internationale puisse, dans ce contexte, se mettre rapidement en place.
Nous devons avoir deux objectifs majeurs : d'une part, la souveraineté et le bien-être du peuple irakien ; d'autre part, la stabilité de la région. Trois principes doivent guider notre action : d'abord le rôle central des Nations unies, en particulier dans la reconstruction économique et politique du pays ; l'unité et l'intégrité territoriale de l'Irak ; la protection de ses ressources naturelles dont les Irakiens doivent rester les maîtres. Au-delà de l'Irak c'est pour toute la région que nous devons nous mobiliser.
La mobilisation doit évidemment concerner au premier chef ce douloureux conflit israélo-palestinien qui meurtrit cette région depuis tant d'années. Les frustrations, le sentiment d'injustice et la violence nourrissent une spirale à laquelle il faut mettre fin si nous voulons éviter d'aviver le choc des cultures, le choc des sociétés, d'aviver les conséquences qui, aujourd'hui, ne sont pas seulement pour la région mais qui aussi concernent bien d'autres territoires à travers le monde. Pour y parvenir, il nous faut réconcilier une exigence de justice et un impératif de sécurité.
Les principes qui nous guident sont ceux du droit international, ce sont les résolutions du Conseil de sécurité et le principe de la terre contre la paix posé par la Conférence de Madrid en 1991, principes enrichis par l'initiative arabe de paix endossée, l'an dernier, par le Sommet arabe de Beyrouth. Notre objectif est clair, c'est celui de la communauté internationale, la création d'un Etat palestinien viable et démocratique aux côtés d'un Etat d'Israël vivant en sécurité et pleinement intégré dans la région.
Puisque nous sommes unis sur l'essentiel, il nous appartient collectivement de reprendre l'initiative et c'est pourquoi nous demandons la publication et la mise en oeuvre sans délai de la feuille de route du Quartet. La gravité de la situation impose à chacun des responsabilités, à chacun de réévaluer les certitudes qui sont les siennes. Aux uns, il faut reconnaître que le terrorisme est inacceptable, vain, sans issue. Pour les autres, il faut renoncer à assurer sa sécurité par la seule puissance militaire. Pour tous, il faut accepter les concessions qu'impose la négociation. Ensemble nous pouvons surmonter la fatalité de l'affrontement.
Enfin, nous avons évoqué nos relations bilatérales qui sont entrées dans l'Histoire et dans la conscience d'un intérêt commun très profond. Dans le domaine politique, la concertation entre nos deux pays, entre nos dirigeants, est étroite et les positions très convergentes. Dans le domaine économique, je souligne la présence des grands groupes français, l'importance des investissements réalisés et le renforcement des exportations égyptiennes en Europe. Sur le plan culturel, au-delà d'un passé prestigieux, il y a aussi ce formidable dynamisme dont je prendrai, pour exemple, l'ouverture cette année de l'université française en Egypte qui est un événement marquant dans la longue histoire des relations entre nos deux civilisations. Nous continuerons à travailler de conserve avec nos amis égyptiens à la stabilisation et à la modernisation du Proche-Orient.
Q - Monsieur de Villepin, vous avez dit que la sécurité c'est la responsabilité des forces présentes en Irak. Qu'est-ce que cela veut dire ? Est-ce que cela veut dire que les forces occupantes doivent rester pour un temps illimité et ensuite donner aux Nations unies l'habilitation de l'Irak ? Vous pouvez peut-être nous expliquer un peu ce que vous vouliez dire...
R - Avec la chute du régime de Saddam Hussein, nous nous trouvons naturellement en Irak devant une situation nouvelle. Les forces de la coalition présentes sur le terrain ont une responsabilité particulière du fait même de leur présence sur place. Ce sont les termes de la quatrième Convention de Genève, donc c'est l'application du droit international. Il y a une situation de fait. Il est donc important que tout soit fait pour que la sécurité des personnes en Irak puisse être satisfaite et c'est la demande de l'ensemble de ceux qui s'investissent sur le terrain, notamment dans le domaine humanitaire. C'est la demande de la Commission internationale de la Croix-Rouge, c'est la demande des organisations non gouvernementales. Je l'ai dit, parmi les priorités qui se posent aujourd'hui, il y a bien sûr cette assistance humanitaire dans un pays où la situation est évidemment encore très cruelle. Il est donc important que la sécurité puisse être satisfaite. Au lendemain d'une guerre, inévitablement, il y a une période de sécurisation indispensable. Dans cette période là, il y a une responsabilité spécifique pour ceux qui sont présents sur le terrain. Nous souhaitons évidemment que cette période soit la plus courte possible et que la période nouvelle de reconstruction politique, économique, administrative et sociale de l'Irak puisse s'engager et, pour ce faire, il est important que les Nations unies puissent jouer tout leur rôle puisque les Nations unies apportent cette source essentielle de légitimité internationale. Dans ce contexte, il est important, dès que possible, qu'un gouvernement, qu'une autorité irakienne puisse être composée, la plus représentative possible, et qu'un processus de légitimité de cette instance puisse être mis en place. C'est une garantie à la fois de réussite du processus qui est engagé, c'est une nécessité aussi pour le respect de la souveraineté irakienne et pour l'efficacité de tout ce qui sera engagé par la communauté internationale.
Q - Monsieur le Ministre, à propos de l'après-guerre, est-ce que vous croyez que l'Egypte et la France, en particulier, aient un rôle pour la reconstruction ou bien l'avenir de l'Irak (...) ?
R - Je crois que l'enjeu de la reconstruction qui s'engagera, je l'espère très vite, en Irak est un enjeu qui concerne l'ensemble de la communauté internationale et peut-être au premier chef la région elle-même, l'ensemble des pays voisins de l'Irak. On n'imagine pas un processus de reconstruction qui ne se fasse pas avec toutes les énergies, tout le soutien des pays de la région. Je pense que l'ampleur des défis à relever, quand on mesure à la fois les difficultés d'un processus politique, les difficultés de la reconstruction économique, l'importance d'avancées sociales, la nécessité de mettre en uvre des administrations capables de gérer un pays difficile, un pays qui a une longue histoire, certes, mais qui a aussi une mosaïque de communautés, de tribus, de groupes, de confessions, tout cela est véritablement à la mesure de la seule communauté internationale et c'est bien pour cela que nous avons besoin de la légitimité des Nations unies de la communauté mondiale rassemblée pour officier. Je l'ai souvent dit et je le redis, l'Irak a été une longue épreuve et le défi irakien restera une épreuve pour la communauté internationale encore pendant de longs mois et peut-être de nombreuses années. Pour cela, pour abréger, pour faciliter, pour accélérer la recherche d'une solution au bénéfice du peuple irakien, dans le respect de la souveraineté irakienne, dans le respect de l'unité de l'Irak, il est essentiel que les efforts de la communauté internationale soient tous rassemblés. La communauté internationale s'est divisée sur le problème de la guerre ou de la paix. Vous savez que mon pays a soutenu les efforts qui allaient dans le sens de la paix parce que nous pensions qu'il y avait une alternative à la guerre. Aujourd'hui c'est une époque nouvelle qui va s'ouvrir, c'est une nouvelle page qui va s'écrire. Et il est important qu'elle se fasse dans la paix, dans le respect de chacun et avec le concours de tous. Car nous le voyons, tout a une résonance dans cette région du Moyen-Orient. Je l'ai dit, il y a ce défi irakien, il y aussi ce défi israélo-palestinien. Prenons la mesure du sentiment des peuples de cette région, des sentiments de frustration et d'injustice. Nous devons aller, ensemble, dans la recherche de solutions
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2003)
(Allocution pour l'exposition "Quand les sciences parlent arabe" suivie d'un entretien à la chaîne de TV "Nile News" au Caire, le 12 avril 2003) :
Laissez-moi vous dire l'immense plaisir, l'immense honneur qui est le mien d'être parmi vous dans ce magnifique musée d'Art islamique.
Nous sommes ici pour une occasion tout à fait exceptionnelle, pour célébrer ce temps où "les sciences parlent arabe". Et en visitant cette très belle exposition, on mesure à quel point les temps, les époques, les peuples parlent entre eux. Quelle meilleure illustration du dialogue des hommes, du dialogue des cultures, du dialogue des civilisations que ce témoignage de sciences se faisant l'écho des recherches grecques, syriaques, persanes, trouvant ici un écho fort, rayonnant, qui modifie les idées, les conceptions qui seront celles des penseurs de l'Europe à la Renaissance. Quelle capacité d'échange, de partage, et on le voit dans des secteurs aussi divers que l'anatomie, l'astronomie, la musique, les mathématiques. Poésie, mathématiques, musique, échange encore entre les Arts et les Sciences. Il y a là je crois une illustration qui, non seulement, enorgueillit la culture et les sciences arabes mais qui nous montre un chemin qui vaut encore aujourd'hui dans cette capacité à faire parler ensemble les peuples, dans cette capacité à faire parler ensemble les cultures. Oui, cette ambition-là, ce talent-là, ce génie-là nous invite à l'humilité devant ce que sont aujourd'hui nos propres cultures et qui doit nous inviter au respect de celles des autres.
Ces temps d'épreuves, de souffrance, sont des temps où nos peuples doivent relever ensemble les défis sur cette terre meurtrie du monde arabe. Je le dis parce que c'est ma conviction. Il n'y a pas de fatalité à l'injustice, il n'y a pas de fatalité à l'humiliation quand le coeur, la raison, la passion sont là pour fixer un autre chemin, un chemin de paix, un chemin de recherche, un chemin de respect.
C'est ce partenariat entre l'Egypte et la France, et qui mobilise ici tant de bonnes volontés, que je tiens à remercier. Je crois que c'est cela la bonne foi, celle qui consiste à trouver des preuves de notre capacité à travailler, à vouloir, à rêver ensemble. Ce chemin-là c'est notre chemin commun.
Je veux vous le dire aujourd'hui à la fois simplement et solennellement : la France marche en amitié avec l'Egypte, en amitié avec cette terre du Moyen-Orient, marche dans le respect pour ce que nous sommes les uns et les autres.
Je vous remercie.
Q - Monsieur le Ministre, cette manifestation culturelle "Quand les sciences parlent arabe" a l'honneur de vous recevoir aujourd'hui pour son inauguration. Justement, c'est une manifestation dont on aurait besoin plus que jamais, puisqu'elle s'inscrit dans le dialogue des cultures. Est-ce qu'il y a aura plus de relations culturelles justement pour soutenir la politique ?
R - Nous le souhaitons, et si vous me le permettez, je trouve que cette exposition traduit merveilleusement l'ambition de ce dialogue des cultures puisque que nous le voyons à la fois du monde ancien vers le monde arabe, et du monde arabe vers l'Europe. Et l'on voit à quel point les penseurs, les chercheurs de la Renaissance, ont été influencés par ces recherches menées en terre arabe. "Quand les sciences parlent arabe" voilà un titre magnifique qui nous montre cet échange, qui nous montre à quel point nos différents peuples peuvent être des ponts entre, justement, les recherches, les idéaux qui sont communs aujourd'hui. Plus que jamais notre monde a besoin d'échange, de dialogue et de partage. Et qu'il s'agisse des sciences, qu'il s'agisse de la littérature, qu'il s'agisse des recherches en tout genre, il y a là la capacité et le moyen, ensemble, d'avancer. Et il faut le faire dans un respect mutuel, dans un respect commun.
Ce que nous apprennent ces expositions, c'est l'indispensable nécessité d'écouter l'autre. Quand les penseurs, les chercheurs arabes écoutent les penseurs grecs, les penseurs persans, et bien, ils font eux-mêmes de nouvelles recherches. Et quand les penseurs européens de la Renaissance écoutent les penseurs arabes, et bien ils font encore de nouvelles recherches. Il y a besoin de tisser ces liens entre nos pays, entre nos cultures, entre nos peuples. Je ne crois pas à la fatalité qui marquerait au fer rouge telle et telle région du monde, tel et tel peuple.
Il y a une aspiration profonde aujourd'hui qui existe dans chacun de nos peuples ; aspiration à vivre en liberté, aspiration à partager les bénéfices de la culture, aspiration à la dignité. Nous sommes là justement pour créer ce chemin. Et des expositions comme celle-ci, je crois, y contribuent pleinement. La France veut multiplier ce genre d'exposition, ces contributions.
Et nous voulons surtout le faire dans un esprit d'équilibre, de partenariat. A quoi serviraient des expositions qui seraient montées "clé en main" ? Tout ceci est d'un autre temps. Il faut le faire ensemble. D'abord parce que nous nous comprenons mieux. Nous apprenons aussi à faire mieux à chaque fois, à mieux répondre aux demandes et aux attentes du public. Et c'est bien pour eux, pour ces peuples, que nous travaillons.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2003)
(Interview à la télévision égyptienne pour l'émission "Bonjour l'Egypte" au Caire, le 12 avril 2003) :
Q - La France jouera-t-elle un rôle efficace dans la reconstruction de l'Irak après la chute du régime de Saddam ? La Grande-Bretagne et les Etats-Unis lui permettront-ils d'assurer ou d'assumer ce rôle bien que la France ait refusé de participer à la guerre ?
R - La France a été fidèle à ses principes. Nous avons toujours pensé qu'il y avait une alternative à la guerre et c'est pour cela que nous avons soutenu les inspecteurs dans leur travail sur place. Car la guerre, nous le savons, est toujours tragique. Nous le voyons encore aujourd'hui avec son cortège de malheurs, de misère. Il est donc important, cette page étant tournée avec la chute du régime de Saddam Hussein, que la communauté internationale puisse se retrouver toute entière. L'Irak a été une épreuve pendant de longues décennies. Il a connu la souffrance et la douleur. L'Irak mérite qu'aujourd'hui la communauté internationale se retrouve pour l'aider à franchir les étapes. Il y a bien sûr une première phase de sécurité et il appartient aux forces présentes sur le terrain d'assumer cette responsabilité. Ce sont les conventions internationales qui le disent. Passée cette phase de sécurité, viendra le temps de la reconstruction politique, économique, sociale, et le temps où les Irakiens pourront reprendre en main leur propre souveraineté. La communauté internationale doit accompagner, faciliter, ce processus et nous avons besoin, c'est indispensable, de la légitimité que peuvent donner les Nations unies. Nous avons besoin de la capacité de cette communauté internationale à se mobiliser financièrement, économiquement, pour aider à la reconstruction de l'Irak. Je l'ai dit souvent, l'Irak a été une épreuve, l'Irak n'est pas un quelconque "Eldorado". On ne peut pas espérer trouver là toutes sortes de richesses. L'Irak est un pays à reconstruire, c'est un pays où il y a des difficultés, c'est un pays où il y a des problèmes et c'est donc une raison pour la communauté internationale de se mobiliser. Et nous pensons qu'il faut être lucide, qu'il faut être ouvert, qu'il faut être pragmatique. Il faut que tous les membres de la communauté internationale se parlent, travaillent ensemble, pour essayer de trouver le meilleur moyen de répondre à la souffrance, à la douleur, au sentiment d'injustice qu'éprouvent les Irakiens.
Je l'ai dit tout à l'heure dans une conférence au Caire, la douleur cela ne se divise pas. Il y a une autre douleur dans le monde arabe. Une douleur qui tient à coeur à tous les hommes, à toutes les femmes. Une douleur que nous ressentons nous aussi, Européens, Français, très profondément, qui est cette douleur de la crise israélo-palestinienne. Il faut avancer, trouver des solutions, être en initiative. Et c'est au prix de la relance d'une dynamique de paix, de stabilité, de développement, que cette région pourra trouver son équilibre, pourra trouver confiance en elle-même, que les peuples de cette région pourront enfin, tous ensemble, se tourner vers l'avenir.
Vous voyez bien que ces défis là, ce ne sont pas des défis qu'une seule puissance ou que quelques puissances peuvent relever. Il y a besoin de toute la communauté internationale et au premier chef des pays de la région, des pays de cette région, qui connaissent le peuple irakien, qui aiment le peuple irakien, qui veulent l'aider face à tout cela. C'est pour cela que j'ai choisi très vite de venir me concerter, rencontrer nos amis de cette région. J'ai eu l'honneur de pouvoir longuement parler de cela avec le président Moubarak, m'entretenir avec mon ami le ministre des Affaires étrangères Ahmed Maher. Je serai cet après-midi en Syrie, au Liban, en Arabie Saoudite. Je reviendrai dans quelques jours pour rencontrer les autres pays de cette région où le monde a besoin de paix, de concertation et de dialogue. Le monde a besoin d'échanges, et nous savons tous que quand nous sommes ensemble, réunis, nous sommes plus efficaces, mieux à même de répondre aux besoins des autres.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2003)
(Interview à "Abu Dhabi TV au Caire, le 12 avril 2003) :
Q - Avant tout, Monsieur le Ministre, nous vous remercions de nous accorder cette interview. Ma première question est la suivante : les Etats-Unis ont déjà demandé à 65 pays dans le monde entier de prendre part au processus de reconstruction de l'Irak. Cette initiative a été interprétée, ici même en Egypte comme dans bien d'autres pays, comme traduisant la volonté persistante des Etats-Unis de laisser les Nations unies à l'écart de toute action future en Irak. Qu'en pensez-vous ?
R - Nous devons d'abord voir la réalité en face. Quelle est-elle, cette réalité ? L'Irak constitue un sujet de préoccupation pour l'ensemble de la communauté mondiale. C'est, bien entendu, un grave sujet de préoccupation pour la région où nous sommes. C'en est un aussi pour l'Europe : les problèmes du Moyen-Orient ont tous, bel et bien, des incidences sur notre vie quotidienne ; la France compte cinq millions de musulmans. Les problèmes auxquels vous êtes confrontés ici nous concernent donc effectivement. Ce ne sont pas des questions qui nous sont étrangères, elles ont des incidences sur nos propres sociétés. Nous y sommes donc partie prenante et, naturellement, la reconstruction de l'Irak sera un défi très lourd pour la communauté internationale. Lorsque l'on est confronté à un défi très lourd, on a besoin de tout le monde. On ne va pas dire : "Nous allons prendre ceux-ci mais non ceux-là", on a besoin de tous. On a besoin de tous pour bâtir un nouvel Irak reposant sur une légitimité nouvelle. Nous avons donc besoin des Nations unies car elles sont le seul organisme qui dispose d'une légitimité internationale et qui puisse la conférer à ce processus. Pour la reconstruction politique, nous avons besoin des Nations unies ; pour la reconstruction de l'économie, nous avons besoin de tout le monde car les besoins des Irakiens sont si élevés, si importants, que l'on a besoin de tous pour partager le prix de cette reconstruction. Nous savons tous, bien sûr, à quel point la situation actuelle en Irak est complexe et difficile sur le plan humanitaire, sur le plan de la sécurité ; nous devrons déployer des efforts considérables pour maintenir l'unité et l'intégrité territoriale de l'Irak et pour maintenir et donner la souveraineté au peuple irakien. C'est la raison pour laquelle je pense que nous devons être ouverts, réalistes, pragmatiques. Nous devons cependant nous fonder sur des principes, sur les principes que nous avons en commun, qui sont partagés par la société internationale, et il sera très important de nous en tenir à ces principes si nous voulons éviter des mésaventures en Irak.
Q - Certains pensent, cependant, que la position que défendent la France et même la Russie, l'Allemagne et certains pays arabes, est vouée à l'échec ; en d'autres termes, on estime que les Etats-Unis ne veulent toujours pas des Nations unies, que votre position n'y change rien et que vous vous heurtez au même obstacle qu'auparavant, lorsque vous n'avez pas pu empêcher la guerre. Pour quelle raison pensez-vous pouvoir infléchir le cours des événements ?
R - Parce que, comme vous l'avez dit vous-même, les choses ne font que commencer. Si l'on peut envisager de gagner une guerre seul, on ne peut pas bâtir la paix à soi seul, ce n'est pas possible. Voyez toutes les difficultés qui se présentent sur le terrain pour sécuriser l'Irak, voyez à quel point il est difficile d'assurer l'aide humanitaire : on imagine ce que cela représentera de reconstruire l'Irak.
Je pense aussi que nous devons nous montrer responsables à l'égard de l'ensemble des problèmes de cette région. On ne peut, dans une telle région, faire de distinction entre différents types de souffrance. Certes, l'Irak est un enjeu important, mais nous ne devons pas oublier ce qui se passe entre Israël et la Palestine. Cela dure depuis des dizaines d'années et nous ne sommes pas disposés à l'accepter plus longtemps. Il faut absolument que l'ensemble de la communauté internationale fasse pression pour résoudre ce conflit si douloureux et si difficile. Il le faut car, voyez-vous, si l'on ne répond pas à ce sentiment de frustration, à ce sentiment d'injustice, on aura du mal à faire la paix. Si l'on veut faire la paix en Irak, on doit mettre toutes les chances de son côté, on doit travailler avec tout le monde. On ne fera pas la paix sans les pays de la région. Tous les peuples arabes, tous les pays arabes devront prendre part à cette reconstruction. L'Irak a été en guerre avec presque tous ses voisins. Nous devons fonder notre action sur la paix, sur la stabilité et la justice. Cela ne saurait dépendre d'un seul pays, fût-il le plus puissant du monde. On ne peut pas faire la paix tout seul.
Q - Qu'attendez-vous du monde arabe, notamment de l'Egypte, de l'Arabie saoudite et des autres puissances arabes, qu'en attendez-vous vraiment ?
R - D'abord, nous devons discuter, et c'est la raison de ma venue en ce moment même, à un moment si difficile pour cette région, c'est parce que nous avons besoin de maintenir ce dialogue. Celui-ci est absolument indispensable pour préparer l'avenir. Si nous voulons reconstruire l'Irak, si nous voulons que cela repose sur des principes, nous devons d'abord discuter de ce que sont ces principes, de ce qui est nécessaire pour aller de l'avant. Il va de soi que nous devrons faire en sorte que les Irakiens puissent prendre leur destin en main, qu'ils puissent être souverains et former un gouvernement. Ce ne sera pas une chose facile, il faudra rassembler tout le peuple irakien. Pour cela, on aura besoin du soutien de l'ensemble de la région, de tous les gouvernements de la région. C'est évidemment très difficile, et c'est pourquoi nous pensons qu'il importe de maintenir ce dialogue, de venir dans cette région, de discuter avec l'ensemble des dirigeants de la région pour comprendre leur manière de voir la situation et sous quelle forme, à leur avis, nous pouvons être utiles. La France est réellement désireuse de contribuer à ce processus et nous pensons que l'Europe a un grand rôle à y jouer. Pour répondre davantage à votre question, je dirai qu'il y a un élément important que l'on doit avoir présent à l'esprit en ce moment même : c'est que cette Europe qui s'est montrée divisée quant à la manière de répondre à la question irakienne ne l'est pas quant à la réponse à apporter à la question de la reconstruction. Nous avons la même façon de voir que les Britanniques, la même que les Espagnols. J'étais hier en Espagne. J'ai rencontré il y a quelques jours mon collègue Jack Straw et je pense que nous avons le même point de vue : les Nations unies devront avoir effectivement un rôle crucial dans la reconstruction et chacun devra apporter son soutien.
Q - Une dernière question : les Etats-Unis ont demandé à la France, ainsi qu'à la Russie, d'annuler la dette de l'Irak. Etes-vous prêts à le faire ?
R - La dette irakienne est, bien sûr, très importante, c'est une préoccupation majeure. Cette question devra être traitée de manière généreuse et la plus utile possible. Il existe un organisme, le Club de Paris, qui est l'instance essentielle pour la traiter et pour examiner en détail tous les aspects de la dette irakienne, et nous pensons que ce club, dont la France assure la présidence, se réunira prochainement pour traiter cette question.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 avril 2003)
(Interview à la chaîne de télévision "Al Jazeera" au Caire, le 12 avril 2003) :
Q - Comment expliquez-vous le revirement soudain de la France depuis le début de la guerre ? La France a salué le triomphe des alliés dans une guerre qu'elle avait refusée d'emblée. Les Français veulent-ils obtenir une part du gâteau irakien après la guerre ?
R - Pas du tout, la France s'en est tenue à une position tout à fait cohérente. Nous étions opposés à la guerre parce que nous pensions qu'il existait une autre solution. Nous pensions qu'il fallait faire en sorte que l'Irak soit désarmé par des moyens pacifiques. C'était possible, d'après les inspecteurs, et nous avions écouté avec la plus grande attention ce qu'ils disaient à New York. Nous avons demandé que la guerre soit aussi courte que possible et qu'elle s'accompagne d'un minimum de souffrances et de morts, car on sait que la guerre entraîne toujours des conséquences tragiques. Je pense qu'aujourd'hui c'est une nouvelle page qui va s'ouvrir, après la page sombre qu'a été le régime de Saddam Hussein. Nous maintenons que la position de la France a toujours été cohérente. C'est la raison pour laquelle nous persistons à dire qu'il revient aux Nations unies d'assurer la légitimité de l'action qui sera entreprise et que seules les Nations unies peuvent organiser la reconstruction de l'Irak et en assurer l'efficacité. En disant cela, nous nous fondons uniquement sur le respect des principes et sur le soutien du droit et de la conscience. Nous sommes opposés à tout régime dictatorial ; c'est pourquoi nous nous sommes dits soulagés par la fin du régime de Saddam Hussein. Nous pensons évidemment que l'action décidée hors de la légitimité internationale des Nations unies doit à présent s'inscrire à nouveau dans ce cadre, afin de faire en sorte que l'ensemble de la communauté internationale ait la possibilité d'oeuvrer à la reconstruction. Nous n'avons jamais pensé que cette reconstruction serait une tâche facile et ce que nous voyons aujourd'hui se produire en Irak montre clairement qu'elle ne le sera pas. L'Irak n'est pas un "Eldorado". Certes, il dispose de ressources, et je pense que ces ressources devront être exploitées pour le bien des Irakiens. La communauté internationale se doit à présent d'aider le peuple irakien à reconstruire son pays sur les plans politique, économique, social et administratif. Tout cela constitue un défi très lourd et je ne pense pas que nous ayons beaucoup de profits à en retirer.
Q - Voulez-vous dire que la participation de la France au projet de reconstruction de l'Irak n'est pas une véritable préoccupation pour votre pays et ne constitue pas un objectif de sa politique étrangère pour l'après-guerre ?
R - Absolument pas. La France n'a jamais défini sa politique en fonction d'intérêts de ce type. Elle cherche à promouvoir un ordre international fondé sur des principes, des principes de justice, de légalité, de responsabilité collective. C'est là ce qui guide notre politique. Si vous écoutez le discours que j'ai prononcé aujourd'hui, le point essentiel réside dans ces principes de référence. L'Irak a défié la communauté internationale pendant vingt ans, il représentera encore un défi dans les années à venir. Si l'on veut être efficaces, il faut être plus unis. Je ne pense pas que l'idée d'intérêt personnel, d'avantage personnel joue un rôle quelconque. Je pense que ce qui doit nous guider, c'est l'intérêt du peuple irakien, l'intérêt de la région, car nous devons assurer la sécurité du peuple irakien, la sécurité et l'unité de l'Irak, l'intégrité du territoire irakien et la stabilité de la région. C'est pourquoi nous pensons que l'on doit avoir une vue globale des problèmes de la région. On ne peut, je l'ai dit, établir de distinction entre différents types de souffrance et nous pensons tous, naturellement, à la situation du Proche-Orient, au conflit israélo-palestinien auquel nous devons nous atteler, dans lequel nous devons reprendre l'initiative car on ne peut espérer résoudre une question sans traiter l'autre. Tout cela est lié, le sentiment d'injustice est actuellement très fort dans cette région. Nous devons en tenir compte, nous devons tenter de trouver des réponses communes. Ce n'est donc pas le moment de penser à des intérêts personnels, à des intérêts privés, mais bien de penser à l'intérêt de cette région car cela fait partie de l'intérêt que nous attachons tous à la sécurité et à la stabilité du monde.
Q - La France a-t-elle vraiment la possibilité de faire pression sur Washington pour l'amener à accepter que les Nations unies jouent un rôle en Irak après la guerre ou ne peut-elle guère qu'exhorter les Etats-Unis à leur accorder un rôle, en échange de l'acceptation par la France du rôle dominant des Etats-Unis en Europe et sur l'ensemble de la scène internationale ?
R - Je pense que ce qui est plus fort que tout, ce sont les réalités. Nous devons faire face au défi, voir quelle en est l'ampleur et tout ce dont nous aurons besoin pour reconstruire l'Irak. Il ne s'agit pas d'un dilemme qui se pose à un seul pays, ni à cinq, ni à dix. Il faut jouir de la légitimité de la communauté internationale, il faut avoir le soutien de l'ensemble de la communauté internationale, de l'Union européenne, et celle-ci est très claire là-dessus. Cela devra s'inscrire dans un processus légitime et cette légitimité ne pourra provenir que des Nations unies. Je pense donc que nous devons être pragmatiques, nous devons être ouverts. Nous sommes en train de discuter de ces questions avec nos amis américains, avec les Britanniques, avec toutes les parties prenantes dans le monde entier. Je pense que nos amis britanniques et nous-mêmes avons un même point de vue très clair car nous avons le même souci de faire en sorte, naturellement, que tout soit fait avec la communauté internationale. Outre la communauté internationale, nous ne devons pas oublier que le facteur-clef est le soutien des acteurs de la région, des pays de la région. Ils sont les premiers intéressés, ce sont eux qui soutiendront ce processus, leur voix a beaucoup d'importance et c'est la raison pour laquelle je suis venu aujourd'hui dans cette région pour en discuter avec mon ami Ahmed Maher et pour rencontrer le Président Moubarak. Je me rendrai demain en Syrie, au Liban et en Arabie saoudite. Je reviendrai très prochainement pour me rendre dans d'autres pays, en Jordanie, en Israël, en Palestine, car je pense que c'est important. Nous devons aussi, bien sûr, penser à tous les pays voisins, et je me rendrai très bientôt aussi en Iran et en Turquie afin de discuter de toutes ces questions. Cela dit, nous avons besoin d'un soutien global, régional et international.
Q - Pourquoi n'avez-vous pas appelé ouvertement au retrait d'Irak des troupes américaines et britanniques, à présent surtout que Londres et Washington ont annoncé la fin du régime du dictateur Saddam Hussein ?
R - Avec la chute du régime de Saddam Hussein, une page a été tournée, mais si l'on considère la situation en Irak, l'ordre et la sécurité ne sont pas satisfaisants sur l'ensemble du territoire. Les troupes présentes sur le terrain ont pour responsabilité essentielle de faire en sorte que la sécurité soit partout effective. Lorsque le temps sera venu, après cette période de sécurisation, nous nous attellerons tous à la reconstruction. Je pense que le défi numéro un, à l'heure actuelle, est d'ordre humanitaire. Ce défi, nous souhaitons le voir résolu par les Nations unies. Le deuxième défi est celui de la sécurité et les forces présentes sur le terrain ont une responsabilité toute particulière à cet égard. Ensuite viendra le temps de la reconstruction, reconstruction politique, économique et sociale, qui constituera le facteur essentiel et à laquelle nous apporterons tout notre soutien.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 avril 2003)