Texte intégral
R. Sicard-. C'est aujourd'hui que commence à l'Assemblée nationale le débat d'orientation sur le budget. Le budget, ce sont les impôts. J. Chirac a rappelé que les baisses d'impôts commencées l'an dernier se poursuivraient cette année. Vous, vous avez toujours été contre. Est-ce que vous ne risquez pas de ne pas être bien compris ?
- "Nous ne sommes pas contre par principe mais à condition qu'on ne le fasse pas n'importe comment et le Gouvernement a choisi de baisser les impôts pour les plus riches, pour petite catégorie des Français qui ont plutôt épargné plutôt que consommé. D'ailleurs, vous voyez bien que cela ne donne pas de bons résultats, parce que la croissance est en panne, que le chômage a remonté, qu'il y a des destructions d'emplois depuis le début de l'année. Les derniers chiffres qui viennent de tomber qui sont très mauvais : la consommation est en baisse. On n'avait jamais vu cela depuis des années, alors que c'est le principal moteur de l'économie."
Mais justement, si la consommation est en baisse, si on baisse les impôts, cela peut la relancer et ce serait bon pour la croissance.
- "A condition que l'on baisse les impôts qui concernent tous les Français et qui vont leur donner du pouvoir d'achat. Ce n'est pas du tout ce que le Gouvernement a choisi. Que se passe-t-il ce matin à l'Assemblée nationale ? On va parler du budget 2004. C'est la préparation d'un plan d'austérité. Le Gouvernement n'ose pas dire le mot, ni rigueur ni austérité, mais c'est quand même la réalité : les Français vont se serrer la ceinture de plus en plus. Cela n'est bon pour personne du point de la justice sociale et c'est très mauvais l'économie et pour l'emploi. Depuis quelques mois, le chômage est redevenue la priorité des Français et ce n'est quand même pas ce que nous avions connu ces dernières années."
Vous disiez que le Gouvernement ne reconnaît pas l'existence de cette rigueur. Qu'est-ce qui vous permet de dire qu'il va appliquer la rigueur alors qu'il dit qu'il n'en est pas question ?
- "Il suffit de regarder ce qui se passe. Si vous regardez tous les secteurs qui sont utiles pour l'avenir : l'éducation, la recherche, l'équipement, le logement, la politique de la ville, l'aménagement du territoire, tous les budgets..."
En matière d'aménagement de la ville, en matière de logement social, il y a eu un plan très important qui a été annoncé par J.-L. Borloo.
- "Oui, il y a un plan, mais moi qui suis maire d'une grande ville, la ville de Nantes, je peux vous dire que l'on voit les crédits gelés. Par exemple, le ministère de la Ville a gelé 60 millions d'euros de crédits. Il y a des plans sur plusieurs années dont on ne sait pas très bien d'ailleurs comment ils sont financés, qui sont généreux, sympathiques. Mais sur le terrain, concrètement, que voit-on ? Pourquoi les enseignants sont-ils mécontents - ou les parents d'élèves ? C'est parce qu'il y a eu des gels de crédit, des postes ont été supprimés. Dans la recherche, tout le monde de la recherche est en ébullition. La ministre de la Recherche a reconnu elle-même, cette semaine, que ses crédits avaient baissé de 10 %. Vous vous rendez compte ! La recherche, ce sont les dépenses d'avenir, c'est comme la formation. Quand on veut qu'un pays avance, progresse, on s'en donne les moyens."
Le Gouvernement dit qu'il faut des priorités. Donc, on fait des économies d'un côté pour dépenser de l'autre côté.
- "Oui, mais vous savez qu'elles sont les priorités, celles auxquelles on ne peut pas toucher - c'est selon les choix du Gouvernement. D'abord, il y a le remboursement de la dette qui a augmenté ces derniers mois."
La dette, ce Gouvernement n'est pas le seul à l'avoir contractée.
- "Oui. Enfin, sauf que sous le gouvernement Jospin, elle avait baissé progressivement. Là, elle a augmenté très brutalement. Il y a les déficits de la Sécurité sociale, il y a à peu près 15 milliards d'euros - on n'avait jamais vu cela. Et puis, vous avez quand même le budget de la défense, le budget de la police, qui eux, ne bougent pas. Qu'est-ce qui bouge ? Ce sont toutes les dépenses de solidarité et d'avenir - je les ai citées à l'instant. Donc, ce n'est pas très rassurant. Aujourd'hui, on a quand même l'impression qu'il y a un mauvais climat qui s'est instauré en France, car une fois de plus, comme à chaque fois que J. Chirac est élu, il y a eu beaucoup de promesses et après, une fois, élu, quelques mois après, on les oublie."
Cela dit, ces difficultés économiques ne sont pas que de la faute du Gouvernement, la crise est mondiale.
- "Il y a un contexte général qui - il faut le reconnaître - n'est pas favorable, aussi bien aux Etats-Unis qu'en Europe. Mais c'est peut-être là qu'il faudrait prendre des initiatives justement, pour relancer, pour encourager la croissance. Je me souviens bien que quand J. Chirac avait dissous l'Assemblée nationale en 1997, A. Juppé disait qu'il ne pouvait pas arriver à faire l'euro, qu'il fallait faire un plan de rigueur. Et nous, nous avons pris les responsabilités en 1997. Non seulement, nous n'avons pas fait de plan de rigueur, nos seulement nous avons relancé la croissance et fait reculer le chômage par les choix politiques que nous avons fait - je pense notamment aux emplois-jeunes - et nous avons fait l'euro."
Est-ce qu'il faudrait rediscuter les critères très strictes que Bruxelles impose en matière de déficit, justement pour éviter cette rigueur ?
- "Je pense que nous n'avons pas de grande initiative européenne de la France et de l'Allemagne qui est en panne, elle aussi, en très grande difficulté, du fait de la réunification qui coûte si cher depuis des années. Je pense que les Européens, s'ils veulent vraiment donner une perspective à l'Europe, devraient se fixer comme priorité la croissance et l'emploi et donc, ensemble, discuter, non pas pour tout mettre en cause, mais peut-être trouver les souplesses et les ajustements nécessaires qui remettraient un peu de carburant dans le moteur."
Mais ces critères très stricts, quand vous étiez au Gouvernement, vous ne les avez pas modifiés.
- "Non, parce que nous avons bénéficié d'un contexte favorable que nous avons su utiliser. La croissance était au rendez-vous, nous avons eu un taux de croissance très élevé avec le Gouvernement Jospin. Deux millions d'emplois ont été créés. Aujourd'hui, on voit que les emplois sont détruits. Depuis le début de l'année, l'Insee indique qu'il n'y a pas un seul emploi de créer que le solde est négatif. J'entendais hier, à l'Assemblée nationale, le ministre du Budget dire que si cela va mal, c'est l'héritage. Franchement, il faut arrêter. Cela fait 13 mois que ce Gouvernement est en place, il a ses responsabilités, qu'il les assume."
Autre dossier, les retraites. Vous allez commencer à aborder un dossier particulièrement délicat qui est celui des fonctionnaires qui devront cotiser 40 ans ; vous serez contre ?
- "Franchement, je crois que la durée de cotisation pour les fonctionnaires, y compris à 40 ans ne doit pas être un sujet tabou. Mais ce que nous avons dit - je l'ai encore dit cette nuit à l'Assemblée nationale, c'est qu'il faut discuter et négocier avec les fonctionnaires, en partant de la pénibilité des métiers et de l'espérance de vie. Parce que, entre un éboueur qui court derrière sa benne, qui est employé municipal, et qui fait donc partie de la fonction publique et un professeur d'université ou un cadre ou un ingénieur, ce n'est pas la même pénibilité, ce n'est pas la même espérance de vie. Donc, pour l'ouvrier qui court derrière sa benne, il devrait peut-être travailler moins de 40 ans et pour l'autre, ce ne sera pas le même problème. Ce que nous proposons, c'est une négociation globale qui porte à la fois sur les fonctionnaires et sur les salariés du secteur privé, qui parte de la pénibilité des métiers et de l'espérance de vie et qui permette de trouver un accord, et qui permettra ainsi, à la fois de financer les retraites sur les années qui viennent, en partie par la durée de cotisation mais aussi, en partie, en permettant à ceux qui doivent partir plus tôt de pouvoir le faire."
Mais le fait que les fonctionnaires cotisent 40 ans ne vous choque pas ?
- "En soit non, mais à partir du moment où on limite la question à ces 40 années alors que certains devraient partir plus tôt, je pense que l'on fait fausse route. Parce que ce qu'il faut savoir, c'est que dans le projet du Gouvernement, il y a non seulement la durée de cotisation des fonctionnaires mais il y aura pour tous 41 et 42 ans à partir de 2008, et peut-être plus, si malheureusement, ce que nous craignons, le projet du Gouvernement n'est pas financé, il faudra sans doute cotiser encore beaucoup plus. Donc, on ne dit pas la vérité aux Français. On fait croire que l'on va allonger la durée de cotisation pour tous les fonctionnaires à 40 ans, et que le problème sera réglé. Ce n'est pas la vérité. La vérité, c'est que la loi prévoit pour tous les Français de cotiser 41, 42 ans. Ce qui veut dire qu'à la fin, lorsqu'ils arriveront à 60 ans et peut-être un peu plus, ils n'auront pas leur taux de pension maximum. Donc, cela veut dire aussi la baisse du niveau des pensions pour tous les Français."
Autre sujet : J. Bové. La gauche est contre son incarcération, pourtant, il a été condamné. Est-ce que la justice ne doit pas être la même pour tout le monde ?
- "Si, bien sûr. Mais peut-être que l'on aurait pu imaginer, que pour un syndicaliste, sa place n'était pas en prison, que des peines d'intérêt général auraient pu être mieux adaptées. Au-delà de cela, je trouve que cette mise en scène extraordinaire, comme si on voulait arrêter un criminel, l'ennemi public numéro 1 - hélicoptère, gendarmes, etc., au petit matin - est disproportionnée. D'autre part, on sait bien que tout cela est fait pour préparer le discours du président de la République du 14 Juillet, qui sera comme le père de la Nation, qui aura réconcilié tout le monde, "ni vainqueur ni vaincu", et qui aura, comme un prince régnant, accordé sa grâce. Franchement, je trouve ça assez choquant."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 juin 2003)