Déclaration de M. Francis Mer, Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, sur la capacité des pays du Nord à fournir aux pays en développement les moyens d'assurer leur décolage économique et l'éradication de la pauvreté et le rappel que l'aide publique au développement est une des priorités de la politique extérieure de la France, Paris le 16 février 2004.

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Circonstance : Cinquième conférence annuelle du réseau parlementaire sur la Banque mondiale à Paris le 16 février 2004

Texte intégral


Mesdames et Messieurs les Parlementaires, Monsieur le Président,
La tenue de votre 5e conférence, à Paris, comme le programme de travail très complet qui a été le vôtre depuis déjà deux jours, constituent à mes yeux un événement majeur. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu, en dépit d'un agenda chargé, à être ce matin parmi vous.
J'ai dit " un événement majeur " et je veux m'en expliquer.
Avec les Objectifs de développement pour le Millénaire, la communauté internationale s'est assigné une grande ambition. Nous pouvons légitimement penser que si nous parvenons à être au rendez-vous de cette ambition, c'est " un autre monde " que nous aurons su créer : à rebours des égoïsmes, le sentiment d'une communauté de destin, rassemblant solidairement toutes les nations, sera l'une des meilleures nouvelles pour l'Humanité.
En revanche, quelle lourde responsabilité sera la nôtre, si en dépit des diagnostics partagés, des objectifs définis, des moyens nécessaires savamment quantifiés, nous devions reconnaître d'ici à quelques années nous être bercés de paroles et d'illusions ? Quelle démission constituerait un tel échec, au regard enjeux de ce début de siècle, et alors que chacun a clairement le sentiment que le premier défi est de réduire la " fracture " Nord et Sud, avant qu'elle ne devienne irrésistible ?
Or cette responsabilité, que notre Gouvernement entend assumer pour ce qui lui incombe, est avant tout une responsabilité partagée. Partagée bien sûr, et j'y reviendrai, entre le Nord et le Sud : l'effort de solidarité des uns n'ayant de sens que s'il lui correspond, de la part des autres, un emploi rigoureux des ressources mobilisées et des politiques déterminées, de nature à assurer le décollage économique et l'éradication de la pauvreté. Je sais que les parlementaires du Sud sont conscients de cet enjeu.
Mais une responsabilité partagée aussi, au-delà des gouvernements, par tous ceux qui concourent à animer et à instruire le débat démocratique dans nos sociétés développées : au premier chef, les parlementaires, élus du peuple, qui en font entendre la voix dans les assemblées où ils siègent. Sans votre mobilisation, qui nourrit aujourd'hui un dialogue utile avec la Banque mondiale, et qui saura demain relayer les messages essentiels vers nos opinons publiques, rien ne sera possible.
Ne nous y trompons pas : l'enjeu essentiel est bien une prise de conscience plus conséquente, au Nord, de ce que représente la question du développement du Sud. Nos Gouvernements ne pourront agir avec constance et avec succès que si l'ambition qui nous anime ce matin devient une " ardente nécessité " pour l'ensemble de nos concitoyens. Votre rôle est déterminant pour nous y aider et c'est en ce sens que je tenais à saluer votre réunion à Paris.
1.Le Gouvernement français, vous le savez, a fait de l'aide publique au développement une des priorités de sa politique extérieure. La semaine dernière, aux États-Unis, j'ai rappelé cet engagement, aux côtés du Président de la Banque mondiale, à mes collègues du G7, et je les ai invités à engager une réflexion plus ambitieuse sur les meilleurs moyens de mobiliser des ressources publiques en faveur du développement. C'est aussi le sens de la rencontre récente entre le Président Chirac et ses homologues du Brésil et du Chili, à Genève, avec le secrétaire général des Nations Unies.
Pour atteindre les objectifs du millénaire, nos pays doivent prendre des décisions qui se heurtent souvent à des contraintes budgétaires. Mais, je vous l'ai dit, la France est prête à assumer ses responsabilités : le Président de la République a annoncé que notre effort d'aide publique au développement atteindrait 0.5 % de notre PIB d'ici 2007, et 0,7 % d'ici 2012.Il a déjà progressé de 0.32 % du PIB en 2001, à 0.41 % en 2003, il se poursuivra en 2004.
Mais au-delà des chiffres, c'est à un véritable effort d'imagination qu'il faut se livrer, compte tenu de l'ampleur du défi. Ceci passe par la mise en place de mécanismes innovants de financement du développement, comme la facilité de financement internationale, proposée par les Britanniques, que nous soutenons fermement. Cette facilité a l'intérêt de mobiliser rapidement des ressources supplémentaires, démultipliant aujourd'hui via des emprunts sur les marchés les quelque 16 milliards de dollars annuels additionnels promis en marge de la conférence de Monterrey par l'ensemble des bailleurs.
La France est également intéressée par des approches internationales de nature plus systémiques : un groupe de travail a été constitué récemment pour réfléchir à ces mécanismes, au premier rang desquels les taxations internationales. Il fera partager ses conclusions à tous ceux qui sont mobilisés en faveur du développement.
J'aurai l'occasion de discuter de ces approches innovantes le 8 avril prochain, lors d'un séminaire que j'organise à Paris avec mon collègue et ami Gordon Brown. Nous comptons aborder ces thèmes de manière informelle, avec plusieurs de nos collègues du Nord et du Sud. Notre souhait est multiple : promouvoir une vision politique commune, aborder ensemble de façon pragmatique les questions techniques relevant de la mise en uvre de l'IFF, chercher à surmonter les difficultés liées à l'efficacité de l'aide, avoir un échange de vues sur les taxations internationales.
2.Mais ne s'intéresser qu'au volume de l'aide ne suffira pas à atteindre les objectifs du Millénaire : l'aide doit également être efficace, et il faut s'en donner les moyens.
Justifier des résultats des politiques que nous conduisons est un devoir vis-à-vis de nos concitoyens. C'est d'ailleurs la légitime contrepartie du soutien que vous-mêmes pourrez nous apporter dans notre mobilisation en faveur des Objectifs du Millénaire. Pour les pays qui reçoivent cette aide, c'est une responsabilité au moins aussi grande, tant vis-à-vis des bailleurs que de leurs opinions publiques, de plus en plus exigeantes.
Chacun en est convaincu, nous devons donc agir plus efficacement. Mais comment faire ?
Pour ce qui la concerne, et sans vouloir nous poser en " modèle ", la France achèvera en 2006 une grande réforme de son processus budgétaire. Dans un esprit de souplesse et de transparence, le Parlement votera désormais un budget organisé par grandes missions, associées à des objectifs et évaluées par des indicateurs de réussite. Naturellement, le Gouvernement a retenu l'aide au développement parmi ses " grandes missions " : ceci nous impose aujourd'hui de définir les indicateurs de résultats de cette mission, afin de réconcilier nos concitoyens avec le développement en leur présentant les points d'application concrets de notre action, en phase avec les Objectifs du Millénaire. C'est là un chantier indispensable.
La même démarche anime la Banque mondiale et les autres institutions financières internationales, qui souhaitent mettre en place une gestion orientée vers la mesure et l'obtention de résultats. Les travaux évoluent favorablement, ce dont je me félicite, en lien étroit avec les bailleurs de fonds bilatéraux, comme on l'a vu récemment lors de la réunion de Marrakech consacrée aux résultats. Il est clair qu'il faudra aider chaque pays à s'approprier les indicateurs définis, à les transcrire en fonction de ses propres priorités et caractéristiques nationales, et à mettre en place des systèmes statistiques fiables pour en mesurer l'évolution.
Maximiser l'obtention de résultats concrets impose également de rechercher un équilibre entre une allocation des ressources fondée sur les besoins d'un pays donné et celle fondée sur sa performance en termes d'utilisation de l'aide. Cette dernière approche est en place à la Banque mondiale, à la Banque africaine de développement, et bientôt dans les institutions d'aide européennes. C'est une réflexion que nous avons également engagée dans notre pays. Elle s'inscrit d'ailleurs dans un processus plus large de modernisation de l'aide française, que nous menons en concertation avec nos partenaires du Comité d'aide au développement de l'OCDE, auxquels je veux rendre hommage pour la qualité de ses travaux en la matière.
Heureusement, nous disposons déjà de résultats concrets. Les derniers documents de la Banque mondiale présentent quelques exemples de pays qui ont démontré leur capacité à bien utiliser l'aide au développement et ont su améliorer leurs politiques. J'attends beaucoup du prochain rapport que la Banque mondiale doit produire pour les assemblées annuelles sur ces questions.
3.Bien entendu, l'effort de mobilisation des ressources pour le développement n'a de sens que si lui correspond un engagement sans faille de nos partenaires du Sud. C'est en menant de bonnes politiques, en aménageant un environnement favorable à l'investissement privé et à la croissance, et en s'appropriant les politiques de développement que nous parviendrons à une réduction de la pauvreté et des inégalités.
Parmi les objectifs du Millénaire, la France est très attachée à la réalisation du premier d'entre eux : réduire de moitié la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar par jour et réduire de moitié la proportion de la population qui souffre de la faim. C'est dans cet esprit que le Président Chirac a lancé son initiative de Genève avec son homologue brésilien et M. Kofi Yannan. Or cet objectif est au cur même du mandat de la Banque mondiale, que je ne puis qu'inviter à intensifier les programmes dédiés à la lutte contre la faim. Il me semble particulièrement important, dans ce domaine, qu'il y ait une bonne coordination sur le terrain avec les autres bailleurs (FIDA, FAO, Programme alimentaire mondial, banques régionales de développement), et j'engage la Banque à y jouer un rôle actif.
L'accès à l'eau, autre priorité, illustre la nécessité de mobiliser des capitaux privés : dans son rapport sur le financement de l'accès à l'eau et à l'assainissement, Michel Camdessus a estimé qu'il faudrait 400 000 branchements par jour d'ici 2015 pour atteindre l'objectif fixé dans la déclaration du Millénaire. Ceci pourrait coûter jusqu'à 50 milliards de dollars par an. Compte tenu de l'ampleur des investissements en jeu, et aussi parce qu'une partie de ces projets s'avérera rentable, il est clair que des financements privés seront nécessaires.
Ainsi, je ne peux que saluer le Plan d'action engagé par la Banque mondiale pour répondre aux propositions du panel Camdessus, qui reprend notamment plusieurs mécanismes permettant de faciliter les investissements, et j'attends des propositions concrètes en ce sens. La France soutient également les initiatives de la Commission Européenne dans ce domaine, et encourage les banques régionales de développement, notamment la Banque africaine de développement, à poursuivre leurs initiatives en ce sens.
Plus généralement, il faut dire clairement que le développement du secteur privé doit constituer une priorité car il n'y aura pas de réduction de la pauvreté sans croissance économique. C'est ce qu'ont rappelé les responsables africains lors de la dernière réunion du partenariat stratégique pour l'Afrique, en janvier dernier, à la Banque africaine de développement. La croissance économique, créatrice d'emplois, contribue à la réduction de la pauvreté. Plusieurs pays en attestent, à commencer par la Chine et l'Inde. Mais elle le pourra d'autant mieux que des politiques renforçant la cohésion sociale et luttant contre les inégalités seront parallèlement mises en place. Je pense que la Banque mondiale continuera les travaux sur ces thèmes chers à son nouvel économiste en chef, François Bourguignon.
C'est dans cet esprit que nous sommes résolus, avec mes collègues du G7, à encourager les politiques permettant de développer un tissu de PME dans les pays en développement. Nous souhaitons que les bailleurs multilatéraux renforcent leur intervention dans ce secteur, et nous ferons, de notre côté, les efforts supplémentaires. Je suis convaincu que de telles initiatives peuvent s'appuyer sur certaines approches réussies que nous avons appliquées dans nos propres pays, comme par exemple l'incitation au capital risque, ou le développement de mécanismes de garanties.
Un secteur privé dynamique sera d'autant plus une source de réduction de la pauvreté que les entreprises sont conscientes de leur responsabilité sociale et environnementale. La France avait mis ce sujet à l'agenda de sa présidence du G8 en 2003. C'est également dans cet esprit que nous soutenons l'initiative " publiez ce que vous payez ".
Soyons clairs : les investissements ne peuvent s'épanouir que si l'environnement des affaires est favorable. Ceci vaut pour tous les pays. Alors que notre monde est marqué par une demande de capitaux privés qui excède très largement l'offre disponible, un " climat " des affaires incertain écarte durablement les investisseurs de certains pays ou même de certaines régions. Je suis convaincu que vos pays pourraient inverser cette situation si vous mettiez en place les mesures nécessaires, et si vous le faisiez savoir. Vous pouvez compter sur la communauté internationale, et en particulier les institutions multilatérales, pour vous y aider : le Président Jim Wolfensohn vous confirmera que le prochain rapport sur le développement humain de la Banque mondiale traitera justement des moyens d'améliorer le climat des affaires.
Cela passe au premier chef par une amélioration de la gouvernance. C'est ce qu'avaient à l'esprit les Chefs d'État africains qui ont lancé le NEPAD, que la France soutient fermement. Comme le plan d'action du NEPAD le rappelle, les investissements ne peuvent se développer que dans un environnement où règne la paix et la sécurité. La lutte contre la corruption, à tous les niveaux, est un combat qui mérite d'être mené. La transparence des ressources publiques est nécessaire pour permettre aux structures de contrôle de la société civile, dont les Parlements, de détecter et dénoncer les dérives. Tout ceci ne peut être fait en un jour, et reste d'ailleurs largement perfectible dans les pays du Nord également. Mais c'est l'une des conditions indispensables pour qu'une collecte fiscale, efficace et équitable, procure aux États les ressources nécessaires à la conduite de politiques sociales de réduction de la pauvreté.
Ces politiques ambitieuses de réforme ne pourront être mises en uvre avec succès que si elles sont pleinement appropriées par ceux qui les mettent en uvre. Les cadres stratégiques de lutte contre la pauvreté (CSLP), qui résultent d'un processus de consultation, sont en ce sens des instruments prometteurs. De façon croissante, les Parlements sont associés à l'élaboration de ces CSLP. Pour rendre pleinement pertinents ces documents de stratégie, il reste dans beaucoup de cas à les traduire concrètement dans les budgets des États. Il restera aussi aux bailleurs de fonds à intégrer leur action dans ce cadre, et je sais les efforts que nous devons encore fournir, nous aussi, pour progresser sur ce point.
Je vous l'ai dit en préambule, nous sommes parvenus à une " heure de vérité " sur les questions de développement. Nous, pays du Nord, devons être capables à brève échéance de fournir aux pays en développement les moyens de mettre en uvre des réformes structurelles et d'améliorer leur gouvernance. Nos partenaires doivent respecter leur part du contrat, afin d'accélérer le rythme de leur croissance ainsi que les progrès en matière sociale.
Pour réussir, il nous faut de part et d'autre être capables de créer une dynamique de succès en capitalisant sur les réussites, fussent-elles partielles ou locales. Car la confiance, non seulement dans la justesse de notre ambition - qui ne fait pas de doute - mais dans notre propre capacité à relever ce défi est une condition essentielle du succès. Il reste beaucoup de chemin à parcourir, mais je suis certain de notre capacité à avancer ensemble.
A cet égard, notre réunion de ce matin est une étape qui doit en appeler d'autres.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 8 avril 2004)