Déclaration de Mme Marie-George Buffet, ministre de la jeunesse et des sports, sur les objectifs de la présidence française de l'Union européenne en matière de jeunesse et de sports, Strasbourg le 12 juillet 2000.

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Circonstance : Audition par la Commission culture, sport et médias du Parlement européen le 12 juillet 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les député(e)s,
Je voudrais tout d'abord vous remercier de me donner l'occasion de vous présenter les objectifs de la présidence française de l'Union européenne en matière de jeunesse et de sports, et d'avoir un échange de vue avec vous à ce propos.
J'attache une importance particulière au travail avec le Parlement européen, car je suis convaincue qu'il est source d'avancées et de réussite.
D'une façon plus générale, je pense pour ma part que renforcer le rôle du Parlement européen est une exigence démocratique, qui va de paire avec une construction européenne plus proche des citoyennes et des citoyens.
J'ai notamment à l'esprit les propositions que vous avez exprimées à propos du nouveau programme jeunesse de l'Union, notamment de son budget. Elles ont conduit le Conseil à revoir à la hausse ses engagements initiaux.
Dans le domaine du sport, qui jusqu'à récemment demeurait absent en tant que tel des interventions communautaires, les deux projets de rapports parlementaires que vous allez discuter très prochainement seront - je l'espère - d'un grand apport.
Je commencerais par cette question, si vous me le permettez.
I - Le sport souffre de n'avoir été pris en compte au niveau de l'Union européenne, pendant longtemps, qu'au titre de ses fonctions économiques. Les règles qui lui ont été appliquées ces dernières années, comme l'illustre l'arrêt Bosman, sont les règles communautaires de la libre concurrence, de la libre circulation. Depuis, les choses ont commencé à bouger, ily a eu l'annexe au traité d'Amsterdam, et le rapport d'Helsinki sur le sport.
La non prise en compte des spécificités de cette activité humaine, au même titre que la culture, n'a pas permis de donner au mouvement associatif sportif les moyens de faire face à une dérèglementation de plus en plus grave, liée à l'arrivée forte d'intérêts financiers dans certains sports et à certains niveaux.
Pourtant, le sport c'est d'abord la pratique quotidienne de millions d'hommes et de femmes, de jeunes, l'engagement de milliers de bénévoles. C'est un outil irremplaçable d'éducation informelle, d'insertion, d'accès à la citoyenneté. C'est un moyen, enfin et avant tout, d'épanouissement individuel, de rencontres dans le respect des autres.
En ne voulant voir dans le sport qu'une activité économique concurrentielle, on a oublié que le sport de haut niveau, professionnel ou non, celui qui produit le spectacle, qui vit des droits de télévision et du sponsoring, est indissociable de celui des clubs amateurs et de leurs bénévoles.
D'abord parce que les seconds fournissent au premier ses grands champions. Mais aussi parce que ces derniers ont une force d'entraînement considérable pour soutenir la pratique pour toutes et tous.
Le sport, en définitive, forme un tout. Nous avons besoin de la cohésion fédérale et besoin que toutes les pratiquent s'épaulent. Si nous ne donnons pas au mouvement sportif national et européen les moyens de stopper les dérives commerciales, ce sont toutes les pratiques sportives qui seront touchées.
C'est au nom de cette approche, qu'avec mes collègues des Quinze, nous avons commencé à travailler en lien avec la Commission.
Nous avons obtenu, lors du dernier Conseil européen de Feira, en juin dernier, que les caractéristiques spécifiques du sport soient soulignées comme devant être prises en considération dans la mise en uvre et la gestion des politiques communes.
Mon souhait, sous présidence française, c'est que nous parvenions à cerner concrètement ces spécificités, et ce que leur reconnaissance implique.
Les ministres des sports ont décidé de mettre en place, un groupe de travail pour y réfléchir. Une réunion de la troïka, tenue mercredi dernier à Paris, a pu discuter d'un document de réflexion, dont je vous livre ici l'esprit.
1 - La première question concerne la protection des jeunes sportifs mineurs. Je crois qu'on ne peut pas accepter que certains les considèrent comme des marchandises, dont on cherche à tirer la plus grande rentabilité, au prix d'entraînements précoces aux conséquences sanitaires non évaluées.
Des marchandises sur lesquelles on signe des contrats mirobolants, parfois sans considération pour leur scolarisation, leur qualification professionnelle et donc pour leur chance de réinsertion professionnelle.
Oui, comme le souligne votre rapport, M. Mennea, il faut mettre fin au " commerce des jeunes sportifs ".
Comme vous, je suggère donc que les transactions commerciales sur les sportifs mineurs soient empêchées. Des actions spécifiques devraient être prises pour protéger la santé des jeunes athlètes, notamment pour prévenir le recours aux produits dopants.
A cette fin, j'ai mis la question de la protection des jeunes sportifs à l'ordre du jour du Conseil des ministres de la Jeunesse, qui se réunira le 9 novembre 2000. J'ai bon espoir que, se référant à la Directive consacrée à la protection des jeunes au travail, nous dégagions la perspective de recommandations précises sur ce point.
2 - Je souhaite également que des dispositions soient prises afin de préserver les politiques de formation des clubs sportifs. Vous savez que de plus en plus, des clubs privilégient l'achat de joueurs étrangers, au détriment de leurs propres politiques de formation.
C'est pourquoi je suis convaincue que les fédérations sportives, et les Etats s'ils le souhaitent, doivent pouvoir prendre les mesures adaptées à la protection des clubs formateurs.
Des clauses telles que l'obligation du " premier contrat " ou l'indemnisation doivent pouvoir être mises en place, les clubs devant assurer en contrepartie la qualité de l'accueil des jeunes en formation - c'est ce à quoi s'emploie la loi française de décembre 1999 ; l'indemnisation pouvant aller, pour une part également, au club amateur ayant accueilli le jeune avant son entrée au club professionnel.
Cette mesure, mais aussi une clause telle que la clause de sélectionnabilité, que des instances internationales sportives souhaiteraient pouvoir introduire dans les règles sportives, sont souhaitables pour réguler, moraliser les transferts.
Dans le même temps, ces instances sportives internationales doivent pouvoir prendre des mesures de contrôle de gestion des clubs afin d'éviter des dérives, notamment sur les transferts.
3 - D'une façon plus générale, il me semble urgent de reconnaître le rôle central, unique, des fédérations.
On peut légitimement s'inquiéter des offensives de certains grands groupes financiers et médiatiques pour organiser des ligues privées, comme on l'a vu dans le basket et le football. Je crois que si ces opérations devaient réussir, les structures actuelles du sport seraient gravement remises en cause, et avec elles, les mécanismes de solidarité et de redistribution qui assurent une certaine cohésion au mouvement sportif en permettant le développement des pratiques.
C'est pourquoi je pense qu'il est nécessaire de reconnaître le droit des fédérations sportives à disposer d'un monopole dans l'organisation des compétitions sportives, et dans l'établissement des règles sportives.
Il ne s'agit pas pour moi de donner des droits sans contrepartie. J'envisage donc - en même temps que des droits exclusifs leur seraient reconnus - que les devoirs, et les responsabilités des fédérations soient précisément établis dans leurs missions d'intérêt général.
Des dispositions doivent être prises pour redistribuer les recettes et soutenir les pratiques amateurs, les clubs locaux, pour garantir la protection de la santé des sportives et des sportifs, pour garantir l'égal accès des femmes et des hommes à la pratique sportive, pour préserver l'éthique et les valeurs du sport.
4 - En matière de redistribution des recettes issues de la vente des droits de télévision, nous connaissons dans les différents pays de l'Union des situations très diverses.
Ma préoccupation est que la redistribution se réalise sur des bases qui protègent les championnats nationaux et une certaine équité. Là où existe une obligation de vente collective aux fédérations ou aux ligues, celle-ci doit pouvoir être protégé, dans le but d'assurer la solidarité au sein du mouvement sportif et envers les clubs.
5 - De la même façon, au nom de la spécificité du sport, les Etats membres devraient être autorisés à interdire la multipropriété des clubs professionnels dans une même discipline. C'est une affaire de bon sens. On imagine difficilement une finale de championnat avec deux clubs appartenant au même actionnaire.
La reconnaissance des spécificités sportives est un chantier très vaste. Il est urgent qu'il débouche sur des avancées significatives et une course contre la montre est engagée. La France a décidé d'en faire une priorité de sa présidence. J'aurais ainsi l'occasion de faire une déclaration devant la session plénière du Parlement européen le 7 septembre prochain. Et j'attends beaucoup de votre contribution
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II - J'en viens maintenant à la lutte contre le dopage, dossier tout à fait prioritaire. Je constate d'ailleurs que le Parlement européen, par ses rapports ou ses résolutions, partage cette préoccupation.
Je crois qu'il s'agit d'une lutte longue et difficile, aussi elle doit être menée sans relâche, au nom de la santé publique et de la préservation de l'éthique sportive.
Des affaires récentes, en France, ou encore des saisies record enregistrées en Australie, montrent que nous ne sommes pas au bout de nos efforts, et que des réseaux travaillent et menacent la santé des sportifs, et notamment des jeunes.
Pour autant, je refuse le discours fataliste du " tous dopés " qui vise à nous faire renoncer à cette action.
Nous avons besoin de la mobilisation du mouvement sportif, mais aussi, en complémentarité, de celle des Etats.
Enfin, il y a le rôle que doit jouer l'Agence Mondiale Antidopage. Cette Agence doit son existence à la volonté de l'Union européenne, qui a plaidé pour une Agence indépendante, fondée sur la parité entre mouvement sportif et Etats.
Cette Agence existe à présent. Elle s'est fixé des objectifs pour les Jeux Olympiques de Sydney, avec notamment un programme de nombreux contrôles inopinés.
Pour autant, vous le savez, un débat traverse les Etats membres sur l'opportunité d'une participation directe de l'Union européenne aux instances de l'AMA. Et, par corollaire, à son financement. Pour ma part, je ne comprendrais pas que des Etats adhèrent, et d'autres pas, que l'AMA puisse agir dans un pays de l'Union européenne, et pas dans un autre . Si nous voulons agir contre le dopage, il faut le faire partout, et en permanence.
J'aimerais particulièrement insister sur ce point, car il ressort des échanges avec la Commission que celle-ci ne soutiendra cette participation de l'Union européenne en tant que telle que si elle a reçu un signal politique fort et unanime.
Je crois pour ma part que la base juridique d'une telle participation existe.
En effet, le dopage est d'abord une affaire de santé publique ; il n'est qu'à voir la progression de consommation de produits dopants chez de jeunes amateurs.
C'est aussi une affaire d'éducation, si l'on veut informer correctement les jeunes sur les dangers qu'il y a à se doper.
C'est encore une affaire de lutte contre les trafics, de coopération policière et douanière.
Enfin, la lutte conte le dopage appelle un développement de la recherche, si l'on veut développer les moyens de détection, comme le montre le débat autour de la détection de l'EPO pour les prochains J.O.
Comme le propose votre rapport, Mme Zabell, mon objectif sera donc que, au delà des débats juridiques nécessaires sur l'implication de l'Union européenne, celle-ci parvienne à parler d'une seule voix, de façon offensive, en veillant à ce que l'Agence travaille et travaille bien.
Avec mes collègues de la troïka, nous venons de mettre en place un comité de suivi qui, de façon provisoire, organisera la concertation entre les Etats membres, et favorisera l'élaboration collective de propositions, en concertation avec Mme Suvi Linden, ministre finlandaise qui représente le Conseil de l'Europe au sein du Comité exécutif.
Il s'agira également de faire évoluer le statut de l'Agence, pour qu'elle ait les moyens d'agir dans tous les pays.
L'opinionpublique, les sportives et les sportifs, tous ceux qui s'intéressent à la compétition attendent beaucoup de nous. Il y va de la crédibilité de la lutte contre le dopage.
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III - Je souhaite maintenant aborder les questions de la jeunesse.
Je sais que vous y êtes sensibles, et j'ai rappelé en introduisant mon propos le rôle extrêmement bénéfique joué par le Parlement européen pour accroître les crédits du programme jeunesse.
Le premier objectif de la Présidence française est de donner plus la parole aux jeunes. Leur permettre de nous dire ce qu'ils attendent de l'Europe, comment ils se la représentent, mais aussi comment ils la rêvent, les terrains sur lesquels ils souhaitent lui voir jouer un rôle.
En accord avec la Commission, qui ambitionne de publier un Livre Blanc sur les politiques jeunesse de l'Union européenne, une consultation a été engagée dans chaque Etat membre sous présidence portugaise, et nous accueillerons à Paris, début octobre, une Rencontre européenne des jeunes, à laquelle le Parlement européen sera, bien sûr, étroitement associé.
De premiers enseignements peuvent être tirés des consultations nationales. J'ai entendu, pour ma part, les préoccupations des jeunes Français.
Ils attendent beaucoup de l'Europe, dont ils ont une vision plutôt positive, mais souhaitent qu'elle soit plus concrète, qu'elle accorde une priorité plus grande aux préoccupations qui sont les leur : en matière d'emploi, notamment, mais aussi de lutte contre les exclusions, ou encore pour l'égalité entre les hommes et les femmes.
Alors même qu'ils souhaiteraient être plus respectés, la plupart ont l'impression de ne pas être du tout associés aux décisions.
Ils voient bien que l'Europe est en train de devenir une grande puissance, mais ils n'en voient pas les conséquences concrètes sur leurs vies.
Ils pressentent que l'Europe signifie plus de solidarités entre Européens, mais ils s'étonnent du manque de solidarité avec le reste du monde.
Ils souhaitent s'approprier l'Europe, voyager, découvrir, rencontrer des jeunes de pays différents, mais ils disent peu connaître les programmes de mobilité de la Communauté européenne. Leurs principaux obstacles pour franchir nos frontières sont d'ordre financier et linguistique.
Ce problème de l'accessibilité est un des problèmes majeurs auxquels nous sommes confrontés, et je proposerais qu'il soit traité de façon très concrète dans le cadre d'un projet de résolution que je soumettrai au Conseil jeunesse du 9 novembre qui abordera l'ensemble des aspects de l'intégration sociale des jeunes.
Avec cette résolution, je souhaite que soit affirmé l'objectif de l'amélioration de la situation socio-économique des jeunes, et celui de la lutte contre l'exclusion.
Il faut absolument s'attaquer aux situations de rupture dans les conditions de vie, en préservant l'accès aux services publics ou privés essentiels, et développer les mesures d'aide face aux situations de grande détresse.
La réintégration des jeunes en voie de marginalisation devra être un objectif prioritaire, notamment en développant les possibilités de remise en formation pour les jeunes qui ont été exclus très tôt des systèmes éducatifs.
Des soutiens financiers adaptés devraient être alloués au niveau national afin de permettre l'alternance de périodes de formation et d'emploi, dans des conditions qui garantissent des conditions de vie dignes et décentes pour les jeunes.
Parallèlement, l'aide à l'accès, puis au maintien, dans le logement pour les jeunes devrait faire l'objet de mesures spécifiques.
L'information en matière de contraception et de sexualité, dans des cadres qui garantissent la confidentialité pour les jeunes, doit être développée.
Je souhaite, enfin, que l'accès aux nouvelles techniques de l'information soit également un domaine d'intervention prioritaire.
Il faudrait que cette résolution inscrive les politiques jeunesse au cur de l'Agenda social européen qui devrait être adopté au Conseil européen de Nice, de sorte qu'elles fassent l'objet de dispositions particulières de suivi régulier au cours de chaque réunion du Conseil européen.
Si l'attitude des jeunes reste marquée par une perception positive de l'Europe, l'éloignement la fragilise.
Je crois qu'il faut s'y attaquer sans attendre, innover dans les formes d'association.
C'est pourquoi, je souhaiterais que des dispositions soient prises pour que les mécanismes de consultation que nous avons engagés et qui s'achèveront par la rencontre européenne des jeunes du mois d'octobre puissent être pérennisés - je pense notamment à leur participation à une évaluation du programme jeunesse - car les jeunes veulent être associés en permanence .
C'est, je crois, l'un des défis majeurs que nous aurons à relever.
Monsieur le président, Mesdames et messieurs les député(e)s je vous remercie de votre attention, et suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
(source http://www.jeunesse-sports.gouv.fr, le 13 juillet 2000)