Texte intégral
Participent à la table ronde :
Nicole AMELINE, Ministre déléguée à la Parité et l'Egalité professionnelle
Gérard MASSON, conseiller auprès du président d'EDF pour l'insertion et la prise en charge des personnes handicapées
Bruno GOMILA, entrepreneur indépendant en région parisienne
Françoise LEMEN, directrice d'un centre de formation et d'ateliers protégés à Lannion
Chantal STEMMER, employée au CAT de Ty Hent Glaz à Quimper
Wallis GOELEN, chef du bureau " Handicap " à la Commission européenne
Catherine JACQUEMIN, vice-présidente du Conseil général d'Ille-et-Vilaine et maire adjointe de Saint-Malo.
Nicole AMELINE - J'insiste tout d'abord sur la nécessité de faire évoluer les consciences pour défendre une belle et juste cause. Cette manifestation ouvre un regard et une responsabilité renouvelés. En tant que Ministre chargée de l'Egalité professionnelle et au nom de Monsieur Fillon, Ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, je suis sensible à cette évolution de la conscience personnelle et collective.
La promotion de l'égalité des chances sous la forme de l'urgence sociale et politique conduit à une réflexion plus large sur une société plus démocratique, respectueuse des différences. Chaque citoyen doit se sentir concerné. Comme l'a montré la précédente table ronde, c'est à l'école que doit être affirmé le principe d'égalité comme principe actif pour permettre au plus grand nombre d'enfants handicapés de vivre une scolarité normale.
Ce principe d'égalité doit aussi viser à l'ouverture à l'emploi et aux formations. L'adéquation entre la formation et l'emploi doit être améliorée et les emplois qualifiés doivent être proposés de manière beaucoup plus systématique. Le recours à l'enseignement à distance par le biais d'équipements informatiques pourrait être développé en ce sens et déboucher sur la mise en place de dispositifs de monitorat individualisé.
Il faut donc faciliter l'accès aux équipements et services à toutes les personnes, afin qu'elles puissent construire un projet de vie qui leur rende une autonomie, dans le respect de l'égalité des chances et des droits.
J'insiste sur la situation particulière des femmes handicapées qui représentent 52,6 % personnes handicapées. Elles doivent faire face à une double discrimination intolérable liée à leur sexe et à leur handicap. Ces femmes veulent avant tout être insérées dans la vie professionnelle. Elles représentent 32 % des travailleurs handicapés : 48 % d'entre elles exercent leur activité à temps partiel contre seulement 29 % des hommes. Cette double inégalité appelle à des mesures spécifiques d'accompagnement.
Au sujet de l'accueil au travail, les centres d'aide par le travail sont et resteront des centres médico-sociaux offrant des activités productives et un soutien médico-social. Parallèlement, vont être développés de nouveaux modes d'exploitation dits CAT " Angle et Mur " qui cherchent à procurer un soutien médico-social aux travailleurs handicapés accueillis dans le milieu ordinaire de travail, par exemple auprès de collectivités territoriales, sous réserve d'un accompagnement médico-social approprié.
Je rappelle que l'objectif du gouvernement est de favoriser l'émergence de réponses diversifiées. C'est pourquoi les CAT vont accueillir près de 102 000 travailleurs handicapés. Par ailleurs, des partenaires comme l'ANPE et la GFIP qui ont signé une convention en 2001 établissant un programme national d'action personnalisé pour un nouveau départ, participent au plan national d'action pour l'emploi.
De plus, pour mieux préparer les personnes handicapées à travailler en milieu normal, il convient de développer les services d'accompagnement médico-social en vue de favoriser les passerelles avec le milieu du travail ordinaire. Ces services constitueront un élément déterminant pour une meilleure insertion professionnelle et complèteront l'action de Cap Emploi qui s'attache à faciliter l'insertion des travailleurs handicapés au niveau de l'adéquation de la personne au métier. Il existe également 80 centres de rééducation professionnelle qui offrent aux personnes handicapées des formations initiales ou continues qui débouchent sur une qualification.
La volonté du gouvernement va donc dans le sens d'une autonomie. Elle pose le problème de l'équité salariale, de l'accueil dans les entreprises et les services publics, de l'aménagement des postes de travail et de l'accueil par les autres salariés. Nous souhaitons que l'emploi direct se développe au-delà des contributions de substitutions accordées par la GFIP.
En conclusion, il semble nécessaire de prendre en compte toutes les formes de handicap. Notre action doit traduire notre volonté d'élaborer une politique centrée sur l'homme, la vie et la dignité humaine.
Stéphane PAOLI - Monsieur Masson, est-ce que les grandes entreprises ne doivent pas donner l'impulsion dans le domaine de l'intégration professionnelle ? Que faites-vous concrètement ?
Gérard MASSON - Ce sont effectivement les grandes entreprises qui ont le plus de moyens pour agir. A EDF-GDF, c'est la volonté du président qui domine. Il s'agit pour lui d'un problème de citoyenneté. Selon lui, une entreprise citoyenne doit refléter la vie extérieure.
Stéphane PAOLI - S'agit-il d'embaucher des personnes handicapées ou de conserver des personnes qui deviennent handicapées ?
Gérard MASSON - L'objectif premier est l'embauche. Néanmoins, il existe un réel problème de qualification, qui peut faire obstacle à ce programme d'embauche. Le maintien à l'emploi est notre devoir.
Stéphane PAOLI - Ne faut-il pas que les gens se sentent utiles pour être véritablement insérés ?
Gérard MASSON - La présence de personnes handicapées oblige à individualiser l'emploi et constitue la clé d'une véritable politique des ressources humaines.
Stéphane PAOLI - Qui peut dans l'entreprise proposer un projet professionnel, dans l'optique du projet de vie évoqué par Monsieur Roy ?
Gérard MASSON - A EDF-GDF ont été créés des comités de suivi qui aident et accompagnent la personne handicapée. Celle-ci est prise en charge par un autre agent qui l'accompagne, non seulement au sein de l'entreprise mais aussi dans sa vie personnelle.
Stéphane PAOLI - Qu'en est-il des nouvelles technologies ?
Gérard MASSON - Le télétravail est certainement une solution pour les handicapés lourds. Il leur permet de s'insérer de cette manière dans l'entreprise. Ce mode de travail permet également d'avoir son propre rythme de travail.
Stéphane PAOLI - La qualité de la formation n'est-elle pas déterminante ?
Gérard MASSON - Je ne pense pas qu'elle soit essentielle. C'est une richesse pour une entreprise d'embaucher des personnes handicapées. Accompagner une personne handicapée, c'est aussi l'aider à la former.
Stéphane PAOLI - Au sujet de l'accessibilité des locaux, comment se fait le partage avec les personnes valides ?
Gérard MASSON - Une enquête a montré que les Français accordaient beaucoup d'importance au problème de la mobilité. Au nom de l'égalité des droits, si une personne correspond au poste, il est évident qu'on doit l'embaucher, même si elle est handicapée. On peut toujours adapter son poste de travail et son accessibilité. La citoyenneté dont se targue notre entreprise devrait être copiée. Aujourd'hui, on parle encore de quotas pour réaliser des progrès au niveau de l'intégration des personnes handicapées dans le milieu du travail, cette situation ne devrait pas durer et laisser place à une véritable prise de conscience.
Comme l'a montré le témoignage de Madame Stemmer, il faut également souligner l'importance du travail des CAT qui sont pour nous des entreprises intégrées.
Stéphane PAOLI - Madame Lemen, un atelier protégé est-il une entreprise comme une autre ?
Françoise LEMEN - Si l'on définit l'entreprise comme une unité de production générant des richesses, ayant un cadre de travail régi par un code de travail et des relations de partenaires sociaux, l'atelier protégé est une entreprise. Je souhaiterais d'ailleurs que dorénavant on utilise plutôt l'expression " entreprise de travail adapté ".
Stéphane PAOLI - Comment vous est venue cette idée ?
Françoise LEMEN - Cette initiative est le résultat d'une volonté individuelle. Elle a débuté par un centre de reclassement professionnel qui a permis à des personnes de changer de métier. L'entreprise de travail adapté s'est créée en 1985 avec une dizaine de salariés et constitue aujourd'hui un atelier de fabrication artisanale de coques de bateau. C'est l'ancien maire de Lannion, paraplégique, qui a contribué à la création de cette entreprise qui reçoit une subvention de l'ordre de 8 000 francs par an et par personne. Elle a une spécificité : ce n'est pas le salarié qui s'adapte au poste de travail mais le poste de travail qui s'adapte au salarié.
Plus le salarié est productif, moins il coûte cher à l'Etat. Au-delà de la subvention d'accompagnement, il y a le principe de la garantie de ressources qui est une compensation à la baisse de l'efficience de la personne. C'est l'application du droit à la compensation pour le bénéficiaire. C'est un système qui a sa raison d'être mais ce principe fragilise la production.
De plus, toute entreprise est soumise à l'obligation de la formation professionnelle, qui est à calculer sur la masse salariale et est de l'ordre de 1 %. De notre côté, nous consacrons 2,2 % à cette formation. Nous déplorons le désengagement de l'Etat à ce niveau.
Stéphane PAOLI - Que faites-vous pour les personnes qui n'ont pas de formation adaptée à un poste au sein de votre structure ?
Françoise LEMEN - Notre action consiste à recomposer les métiers, ce qui influe sur nos investissements. En effet, toute entreprise qui embauche un travailleur handicapé bénéficie d'une aide tandis que l'entreprise de travail adapté ne bénéficie d'aucune aide pour l'adaptation du poste de travail. Il convient donc de modifier la loi en tenant compte de l'individu à part entière et en se gardant d'avoir un discours idéologique qui distingue le milieu ordinaire et le milieu protégé. C'est l'exclusion du travail qui est essentiellement ségrégative. Le taux de chômage des personnes handicapées est beaucoup plus élevé que celui des personnes valides. Je souhaite que le statut de l'atelier protégé change. Il faut une égalité des salaires et des droits.
Stéphane PAOLI - Monsieur Gomila, vous êtes sourd. Comment avez-vous décidé de créer votre entreprise ?
Bruno GOMILA - Après avoir été licencié je ne voyais qu'une seule solution pour avoir du travail, il me fallait créer une entreprise.
J'ai pu obtenir l'aide de ACCRE qui permet au chômeur créateur d'entreprise d'être exonéré des charges patronales pendant un an et l'aide de l'organisme AGEFIPH qui subventionne les handicapés créateurs d'entreprise.
J'ai pu très bien démarrer mon activité mais j'avais du mal à convaincre les clients que je pouvais en tant qu'handicapé offrir mes services. Mon plus gros problème c'était le téléphone. Heureusement que le portable avec l'utilisation des textos, m'a beaucoup aidé et les clients sont satisfaits mais j'ai été obligé de casser les prix pendant 3 mois pour me faire une clientèle.
J'ai aussi un problème relationnel avec mes employés qui ont du mal à accepter que leur chef est sourd. Même si le portable avec textos est un bon outil de travail pour échanger des messages urgents j'aurai toujours besoin de conversations soit avec mes clients soit avec les fournisseurs ou organismes sociaux.
Mais je garde un bon espoir avec l'arrivée du WEBSOURD qui permet aux sourds de communiquer en ligne comme les entendants mais par internet avec webcam . L'experience est très prometteuse mais le service ne sera opérationnel que si l'Etat aide à financer une partie de l'investissement.
A l'heure actuelle je viens d'investir dans une entreprise au bord de la faillite pour essayer de la sauver et participer à sa gestion.
C'est un bon moyen de tester mes limites en tant qu'entrepreneur sourd.
Stéphane PAOLI - Madame Goelen, quelle est la problématique européenne sur un sujet aussi important ?
Wallis GOELEN - C'est une problématique d'environnement et de droits. Pour la Commission européenne, c'est tout d'abord l'environnement économique et social qui est handicapant. Nous essayons par conséquent de réduire les barrières qui font obstacle à la vie des personnes handicapées grâce, par exemple, à la libre circulation des biens et des services.
Au niveau des droits des personnes handicapées, l'article 13 de la Constitution européenne impose de veiller à ce que les personnes handicapées soient traitées sans aucune discrimination. Ainsi, une directive cadre importante en matière d'emploi qui s'adresse aux Etats membres prohibe toute discrimination sur le lieu de travail et crée une obligation d'aménagement raisonnable de ce lieu de travail.
La question de l'emploi nous semble prioritaire pour plusieurs raisons.
·Nous considérons que les difficultés d'accès à l'emploi constituent une première barrière à l'intégration des personnes handicapées dans l'économie et dans la société.
·L'emploi des personnes handicapées est une urgence en fonction des objectifs macroéconomiques définis à Lisbonne en mars 2000. Dans le contexte de la mondialisation, nous visons à faire de l'Europe une entité économique à croissance durable et soutenable qui compte un certain degré de cohésion sociale et d'intégration. Eu égard au vieillissement de la population, les personnes handicapées qui représentent 25 % de la population européenne élargie représentent un apport en matière de force de travail et un marché à part entière de consommateurs de biens et de services.
Stéphane PAOLI - Quels sont vos marges de manoeuvre et vos outils au sein de la Commission européenne ?
Wallis GOELEN - Nous n'avons pas de compétences directes en matière d'emploi. Cependant, nous disposons d'une stratégie européenne de l'emploi qui répond avant tout à notre objectif d'accroître le taux de participation dans l'économie européenne d'ici à l'an 2010. Avec les Etats membres, nous nous sommes mis d'accord sur des objectifs communs pour surmonter les problèmes de compétence et de subsidiarité. Suivant une méthode ouverte de coordination, les Etats membres soumettent à la Commission leurs plans nationaux d'action. Lors du sommet qui a lieu au printemps, nous établissons un rapport commun de ces plans. Il faut rappeler que le sommet de printemps de l'Union européenne est une instance importante qui lie les Etats politiquement.
Cette stratégie prévaut depuis 1997 avec pour objectif :
- d'accroître l'adaptabilité du marché du travail ;
- de dynamiser " l'employabilité " des différentes parties prenantes à la force de travail.
Je tiens à souligner que depuis 2001, nous mettons en place une méthode ouverte de coordination avec les Etats membres dans le domaine de la jeunesse au niveau de la participation. Les thèmes centraux de cette méthode sont les suivants :
- la qualité de l'éducation ;
- l'accroissement de la dimension européenne en termes d'éducation ;
- la participation des jeunes handicapés.
L'Année européenne n'est donc qu'un point de départ pour sensibiliser les populations et faire en sorte que ces problématiques soient prises en compte par les politiques communautaires et nationales. Il reste néanmoins beaucoup à faire. D'ici fin 2003, nous allons présenter une communication sur le suivi de l'Année européenne. Lors d'une rencontre avec Madame Boisseau, notre Commissaire Madame Diamantopoulos a d'ailleurs exprimé sa satisfaction par rapport à l'action de la France depuis le mois de juillet en faveur du handicap désigné comme grande cause nationale.
Stéphane PAOLI - Madame Jacquemin, en tant que témoin de cette table ronde, qu'avez-vous à ajouter ?
Catherine JACQUEMIN - L'intégration scolaire et professionnelle est une compétence de l'Etat alors que tout ce qui touche à la vie sociale de la personne handicapée est une compétence des collectivités locales et territoriales. Dans le contexte actuel de décentralisation, il est donc nécessaire de déterminer quelle est l'instance la mieux placée pour trouver des réponses adaptées et appropriées.
Pour permettre l'échange d'informations et d'idées, le projet de vie de la personne handicapée devra être fondé sur son itinéraire personnel. S'agissant de l'articulation entre les CAT, les ateliers protégés et le milieu du travail ordinaire, la logique financière de coût à la place pose problème. Il est donc indispensable d'établir de nouvelles coopérations entre les CAT, les ateliers protégés et l'entreprise. J'espère qu'une réflexion sera engagée pour donner de la souplesse au système en offrant une polyvalence de prise en charge.
Stéphane PAOLI - Dans un monde de vitesse et de rentabilité, saurons-nous prendre le temps pour mettre en place les systèmes qui conviennent ?
Catherine JACQUEMIN - Pour cela, il convient de proposer un accompagnement individualisé à la personne handicapée selon son propre itinéraire. Cette démarche doit permettre de recentrer la personne handicapée au coeur du dispositif en essayant de développer au sein des entreprises une nouvelle culture de représentation.
Wallis GOELEN - Pour conclure ce débat, je tiens à rappeler :
- aux Etats membres que l'exclusion des personnes handicapées coûte cher ;
- à la société que l'exclusion du lieu de travail ajoute une charge d'imposition dans les budgets nationaux ;
- aux entreprises comme EDF que la non-insertion des personnes handicapées accroît la pression fiscale des entreprises et affecte leur rentabilité et leur compétitivité ;
- enfin à Monsieur Gomila, chef d'entreprise, que je l'invite à rejoindre le programme de participation à l'Année européenne lancé à Athènes par Madame Diamantopoulos pour remplir les objectifs de cette Année.
Cette Année européenne offre avant tout un formidable cadre pour l'échange de bonnes pratiques.
(source http://www.handicap.gouv.fr, le 8 octobre 2003)
Nicole AMELINE, Ministre déléguée à la Parité et l'Egalité professionnelle
Gérard MASSON, conseiller auprès du président d'EDF pour l'insertion et la prise en charge des personnes handicapées
Bruno GOMILA, entrepreneur indépendant en région parisienne
Françoise LEMEN, directrice d'un centre de formation et d'ateliers protégés à Lannion
Chantal STEMMER, employée au CAT de Ty Hent Glaz à Quimper
Wallis GOELEN, chef du bureau " Handicap " à la Commission européenne
Catherine JACQUEMIN, vice-présidente du Conseil général d'Ille-et-Vilaine et maire adjointe de Saint-Malo.
Nicole AMELINE - J'insiste tout d'abord sur la nécessité de faire évoluer les consciences pour défendre une belle et juste cause. Cette manifestation ouvre un regard et une responsabilité renouvelés. En tant que Ministre chargée de l'Egalité professionnelle et au nom de Monsieur Fillon, Ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité, je suis sensible à cette évolution de la conscience personnelle et collective.
La promotion de l'égalité des chances sous la forme de l'urgence sociale et politique conduit à une réflexion plus large sur une société plus démocratique, respectueuse des différences. Chaque citoyen doit se sentir concerné. Comme l'a montré la précédente table ronde, c'est à l'école que doit être affirmé le principe d'égalité comme principe actif pour permettre au plus grand nombre d'enfants handicapés de vivre une scolarité normale.
Ce principe d'égalité doit aussi viser à l'ouverture à l'emploi et aux formations. L'adéquation entre la formation et l'emploi doit être améliorée et les emplois qualifiés doivent être proposés de manière beaucoup plus systématique. Le recours à l'enseignement à distance par le biais d'équipements informatiques pourrait être développé en ce sens et déboucher sur la mise en place de dispositifs de monitorat individualisé.
Il faut donc faciliter l'accès aux équipements et services à toutes les personnes, afin qu'elles puissent construire un projet de vie qui leur rende une autonomie, dans le respect de l'égalité des chances et des droits.
J'insiste sur la situation particulière des femmes handicapées qui représentent 52,6 % personnes handicapées. Elles doivent faire face à une double discrimination intolérable liée à leur sexe et à leur handicap. Ces femmes veulent avant tout être insérées dans la vie professionnelle. Elles représentent 32 % des travailleurs handicapés : 48 % d'entre elles exercent leur activité à temps partiel contre seulement 29 % des hommes. Cette double inégalité appelle à des mesures spécifiques d'accompagnement.
Au sujet de l'accueil au travail, les centres d'aide par le travail sont et resteront des centres médico-sociaux offrant des activités productives et un soutien médico-social. Parallèlement, vont être développés de nouveaux modes d'exploitation dits CAT " Angle et Mur " qui cherchent à procurer un soutien médico-social aux travailleurs handicapés accueillis dans le milieu ordinaire de travail, par exemple auprès de collectivités territoriales, sous réserve d'un accompagnement médico-social approprié.
Je rappelle que l'objectif du gouvernement est de favoriser l'émergence de réponses diversifiées. C'est pourquoi les CAT vont accueillir près de 102 000 travailleurs handicapés. Par ailleurs, des partenaires comme l'ANPE et la GFIP qui ont signé une convention en 2001 établissant un programme national d'action personnalisé pour un nouveau départ, participent au plan national d'action pour l'emploi.
De plus, pour mieux préparer les personnes handicapées à travailler en milieu normal, il convient de développer les services d'accompagnement médico-social en vue de favoriser les passerelles avec le milieu du travail ordinaire. Ces services constitueront un élément déterminant pour une meilleure insertion professionnelle et complèteront l'action de Cap Emploi qui s'attache à faciliter l'insertion des travailleurs handicapés au niveau de l'adéquation de la personne au métier. Il existe également 80 centres de rééducation professionnelle qui offrent aux personnes handicapées des formations initiales ou continues qui débouchent sur une qualification.
La volonté du gouvernement va donc dans le sens d'une autonomie. Elle pose le problème de l'équité salariale, de l'accueil dans les entreprises et les services publics, de l'aménagement des postes de travail et de l'accueil par les autres salariés. Nous souhaitons que l'emploi direct se développe au-delà des contributions de substitutions accordées par la GFIP.
En conclusion, il semble nécessaire de prendre en compte toutes les formes de handicap. Notre action doit traduire notre volonté d'élaborer une politique centrée sur l'homme, la vie et la dignité humaine.
Stéphane PAOLI - Monsieur Masson, est-ce que les grandes entreprises ne doivent pas donner l'impulsion dans le domaine de l'intégration professionnelle ? Que faites-vous concrètement ?
Gérard MASSON - Ce sont effectivement les grandes entreprises qui ont le plus de moyens pour agir. A EDF-GDF, c'est la volonté du président qui domine. Il s'agit pour lui d'un problème de citoyenneté. Selon lui, une entreprise citoyenne doit refléter la vie extérieure.
Stéphane PAOLI - S'agit-il d'embaucher des personnes handicapées ou de conserver des personnes qui deviennent handicapées ?
Gérard MASSON - L'objectif premier est l'embauche. Néanmoins, il existe un réel problème de qualification, qui peut faire obstacle à ce programme d'embauche. Le maintien à l'emploi est notre devoir.
Stéphane PAOLI - Ne faut-il pas que les gens se sentent utiles pour être véritablement insérés ?
Gérard MASSON - La présence de personnes handicapées oblige à individualiser l'emploi et constitue la clé d'une véritable politique des ressources humaines.
Stéphane PAOLI - Qui peut dans l'entreprise proposer un projet professionnel, dans l'optique du projet de vie évoqué par Monsieur Roy ?
Gérard MASSON - A EDF-GDF ont été créés des comités de suivi qui aident et accompagnent la personne handicapée. Celle-ci est prise en charge par un autre agent qui l'accompagne, non seulement au sein de l'entreprise mais aussi dans sa vie personnelle.
Stéphane PAOLI - Qu'en est-il des nouvelles technologies ?
Gérard MASSON - Le télétravail est certainement une solution pour les handicapés lourds. Il leur permet de s'insérer de cette manière dans l'entreprise. Ce mode de travail permet également d'avoir son propre rythme de travail.
Stéphane PAOLI - La qualité de la formation n'est-elle pas déterminante ?
Gérard MASSON - Je ne pense pas qu'elle soit essentielle. C'est une richesse pour une entreprise d'embaucher des personnes handicapées. Accompagner une personne handicapée, c'est aussi l'aider à la former.
Stéphane PAOLI - Au sujet de l'accessibilité des locaux, comment se fait le partage avec les personnes valides ?
Gérard MASSON - Une enquête a montré que les Français accordaient beaucoup d'importance au problème de la mobilité. Au nom de l'égalité des droits, si une personne correspond au poste, il est évident qu'on doit l'embaucher, même si elle est handicapée. On peut toujours adapter son poste de travail et son accessibilité. La citoyenneté dont se targue notre entreprise devrait être copiée. Aujourd'hui, on parle encore de quotas pour réaliser des progrès au niveau de l'intégration des personnes handicapées dans le milieu du travail, cette situation ne devrait pas durer et laisser place à une véritable prise de conscience.
Comme l'a montré le témoignage de Madame Stemmer, il faut également souligner l'importance du travail des CAT qui sont pour nous des entreprises intégrées.
Stéphane PAOLI - Madame Lemen, un atelier protégé est-il une entreprise comme une autre ?
Françoise LEMEN - Si l'on définit l'entreprise comme une unité de production générant des richesses, ayant un cadre de travail régi par un code de travail et des relations de partenaires sociaux, l'atelier protégé est une entreprise. Je souhaiterais d'ailleurs que dorénavant on utilise plutôt l'expression " entreprise de travail adapté ".
Stéphane PAOLI - Comment vous est venue cette idée ?
Françoise LEMEN - Cette initiative est le résultat d'une volonté individuelle. Elle a débuté par un centre de reclassement professionnel qui a permis à des personnes de changer de métier. L'entreprise de travail adapté s'est créée en 1985 avec une dizaine de salariés et constitue aujourd'hui un atelier de fabrication artisanale de coques de bateau. C'est l'ancien maire de Lannion, paraplégique, qui a contribué à la création de cette entreprise qui reçoit une subvention de l'ordre de 8 000 francs par an et par personne. Elle a une spécificité : ce n'est pas le salarié qui s'adapte au poste de travail mais le poste de travail qui s'adapte au salarié.
Plus le salarié est productif, moins il coûte cher à l'Etat. Au-delà de la subvention d'accompagnement, il y a le principe de la garantie de ressources qui est une compensation à la baisse de l'efficience de la personne. C'est l'application du droit à la compensation pour le bénéficiaire. C'est un système qui a sa raison d'être mais ce principe fragilise la production.
De plus, toute entreprise est soumise à l'obligation de la formation professionnelle, qui est à calculer sur la masse salariale et est de l'ordre de 1 %. De notre côté, nous consacrons 2,2 % à cette formation. Nous déplorons le désengagement de l'Etat à ce niveau.
Stéphane PAOLI - Que faites-vous pour les personnes qui n'ont pas de formation adaptée à un poste au sein de votre structure ?
Françoise LEMEN - Notre action consiste à recomposer les métiers, ce qui influe sur nos investissements. En effet, toute entreprise qui embauche un travailleur handicapé bénéficie d'une aide tandis que l'entreprise de travail adapté ne bénéficie d'aucune aide pour l'adaptation du poste de travail. Il convient donc de modifier la loi en tenant compte de l'individu à part entière et en se gardant d'avoir un discours idéologique qui distingue le milieu ordinaire et le milieu protégé. C'est l'exclusion du travail qui est essentiellement ségrégative. Le taux de chômage des personnes handicapées est beaucoup plus élevé que celui des personnes valides. Je souhaite que le statut de l'atelier protégé change. Il faut une égalité des salaires et des droits.
Stéphane PAOLI - Monsieur Gomila, vous êtes sourd. Comment avez-vous décidé de créer votre entreprise ?
Bruno GOMILA - Après avoir été licencié je ne voyais qu'une seule solution pour avoir du travail, il me fallait créer une entreprise.
J'ai pu obtenir l'aide de ACCRE qui permet au chômeur créateur d'entreprise d'être exonéré des charges patronales pendant un an et l'aide de l'organisme AGEFIPH qui subventionne les handicapés créateurs d'entreprise.
J'ai pu très bien démarrer mon activité mais j'avais du mal à convaincre les clients que je pouvais en tant qu'handicapé offrir mes services. Mon plus gros problème c'était le téléphone. Heureusement que le portable avec l'utilisation des textos, m'a beaucoup aidé et les clients sont satisfaits mais j'ai été obligé de casser les prix pendant 3 mois pour me faire une clientèle.
J'ai aussi un problème relationnel avec mes employés qui ont du mal à accepter que leur chef est sourd. Même si le portable avec textos est un bon outil de travail pour échanger des messages urgents j'aurai toujours besoin de conversations soit avec mes clients soit avec les fournisseurs ou organismes sociaux.
Mais je garde un bon espoir avec l'arrivée du WEBSOURD qui permet aux sourds de communiquer en ligne comme les entendants mais par internet avec webcam . L'experience est très prometteuse mais le service ne sera opérationnel que si l'Etat aide à financer une partie de l'investissement.
A l'heure actuelle je viens d'investir dans une entreprise au bord de la faillite pour essayer de la sauver et participer à sa gestion.
C'est un bon moyen de tester mes limites en tant qu'entrepreneur sourd.
Stéphane PAOLI - Madame Goelen, quelle est la problématique européenne sur un sujet aussi important ?
Wallis GOELEN - C'est une problématique d'environnement et de droits. Pour la Commission européenne, c'est tout d'abord l'environnement économique et social qui est handicapant. Nous essayons par conséquent de réduire les barrières qui font obstacle à la vie des personnes handicapées grâce, par exemple, à la libre circulation des biens et des services.
Au niveau des droits des personnes handicapées, l'article 13 de la Constitution européenne impose de veiller à ce que les personnes handicapées soient traitées sans aucune discrimination. Ainsi, une directive cadre importante en matière d'emploi qui s'adresse aux Etats membres prohibe toute discrimination sur le lieu de travail et crée une obligation d'aménagement raisonnable de ce lieu de travail.
La question de l'emploi nous semble prioritaire pour plusieurs raisons.
·Nous considérons que les difficultés d'accès à l'emploi constituent une première barrière à l'intégration des personnes handicapées dans l'économie et dans la société.
·L'emploi des personnes handicapées est une urgence en fonction des objectifs macroéconomiques définis à Lisbonne en mars 2000. Dans le contexte de la mondialisation, nous visons à faire de l'Europe une entité économique à croissance durable et soutenable qui compte un certain degré de cohésion sociale et d'intégration. Eu égard au vieillissement de la population, les personnes handicapées qui représentent 25 % de la population européenne élargie représentent un apport en matière de force de travail et un marché à part entière de consommateurs de biens et de services.
Stéphane PAOLI - Quels sont vos marges de manoeuvre et vos outils au sein de la Commission européenne ?
Wallis GOELEN - Nous n'avons pas de compétences directes en matière d'emploi. Cependant, nous disposons d'une stratégie européenne de l'emploi qui répond avant tout à notre objectif d'accroître le taux de participation dans l'économie européenne d'ici à l'an 2010. Avec les Etats membres, nous nous sommes mis d'accord sur des objectifs communs pour surmonter les problèmes de compétence et de subsidiarité. Suivant une méthode ouverte de coordination, les Etats membres soumettent à la Commission leurs plans nationaux d'action. Lors du sommet qui a lieu au printemps, nous établissons un rapport commun de ces plans. Il faut rappeler que le sommet de printemps de l'Union européenne est une instance importante qui lie les Etats politiquement.
Cette stratégie prévaut depuis 1997 avec pour objectif :
- d'accroître l'adaptabilité du marché du travail ;
- de dynamiser " l'employabilité " des différentes parties prenantes à la force de travail.
Je tiens à souligner que depuis 2001, nous mettons en place une méthode ouverte de coordination avec les Etats membres dans le domaine de la jeunesse au niveau de la participation. Les thèmes centraux de cette méthode sont les suivants :
- la qualité de l'éducation ;
- l'accroissement de la dimension européenne en termes d'éducation ;
- la participation des jeunes handicapés.
L'Année européenne n'est donc qu'un point de départ pour sensibiliser les populations et faire en sorte que ces problématiques soient prises en compte par les politiques communautaires et nationales. Il reste néanmoins beaucoup à faire. D'ici fin 2003, nous allons présenter une communication sur le suivi de l'Année européenne. Lors d'une rencontre avec Madame Boisseau, notre Commissaire Madame Diamantopoulos a d'ailleurs exprimé sa satisfaction par rapport à l'action de la France depuis le mois de juillet en faveur du handicap désigné comme grande cause nationale.
Stéphane PAOLI - Madame Jacquemin, en tant que témoin de cette table ronde, qu'avez-vous à ajouter ?
Catherine JACQUEMIN - L'intégration scolaire et professionnelle est une compétence de l'Etat alors que tout ce qui touche à la vie sociale de la personne handicapée est une compétence des collectivités locales et territoriales. Dans le contexte actuel de décentralisation, il est donc nécessaire de déterminer quelle est l'instance la mieux placée pour trouver des réponses adaptées et appropriées.
Pour permettre l'échange d'informations et d'idées, le projet de vie de la personne handicapée devra être fondé sur son itinéraire personnel. S'agissant de l'articulation entre les CAT, les ateliers protégés et le milieu du travail ordinaire, la logique financière de coût à la place pose problème. Il est donc indispensable d'établir de nouvelles coopérations entre les CAT, les ateliers protégés et l'entreprise. J'espère qu'une réflexion sera engagée pour donner de la souplesse au système en offrant une polyvalence de prise en charge.
Stéphane PAOLI - Dans un monde de vitesse et de rentabilité, saurons-nous prendre le temps pour mettre en place les systèmes qui conviennent ?
Catherine JACQUEMIN - Pour cela, il convient de proposer un accompagnement individualisé à la personne handicapée selon son propre itinéraire. Cette démarche doit permettre de recentrer la personne handicapée au coeur du dispositif en essayant de développer au sein des entreprises une nouvelle culture de représentation.
Wallis GOELEN - Pour conclure ce débat, je tiens à rappeler :
- aux Etats membres que l'exclusion des personnes handicapées coûte cher ;
- à la société que l'exclusion du lieu de travail ajoute une charge d'imposition dans les budgets nationaux ;
- aux entreprises comme EDF que la non-insertion des personnes handicapées accroît la pression fiscale des entreprises et affecte leur rentabilité et leur compétitivité ;
- enfin à Monsieur Gomila, chef d'entreprise, que je l'invite à rejoindre le programme de participation à l'Année européenne lancé à Athènes par Madame Diamantopoulos pour remplir les objectifs de cette Année.
Cette Année européenne offre avant tout un formidable cadre pour l'échange de bonnes pratiques.
(source http://www.handicap.gouv.fr, le 8 octobre 2003)