Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, dans "Le Généraliste" du 15 avril 2004, sur la réforme de l'assurance maladie, notamment la réorganisation du système de soins et les dépenses de santé, la couverture santé totale et la question du financement de l'assurance maladie par la CSG.

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Média : Le Généraliste

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Le Généraliste. Dans le contexte actuel avez-vous le sentiment qu'une réforme structurelle est envisageable pour l'Assurance maladie et un consensus possible ?
François Chérèque. Si l'on veut une réforme efficace, il faut qu'elle soit d'abord structurelle, sinon elle ne sera que financière, la Cfdt ne pourrait l'accepter. Cela reviendrait à transférer une partie du financement sur les assurés, donc sanctionnerait les plus modestes. Nous avons toujours dit qu'il serait bon de rechercher le consensus. Il s'agit d'une évolution de notre modèle social qui ne doit pas être l'enjeu de combats politiciens. Mais dans notre pays, les consensus, sont toujours difficiles
A quelles conditions la réforme en cours peut-elle réussir et la CFDT est-elle prête à en être partenaire, comme sur les retraites ?
Nous posons trois conditions principales. La première, essentielle, est que cette réforme permette une couverture santé totale de toute la population. C'est-à-dire que tout le monde puisse avoir un remboursement complet, base et complémentaire. Aujourd'hui, l'avancée importante qu'est la CMU laisse tout de même presque 10% de la population sans mutuelles, parmi les plus modestes. Ce n'est pas normal. La deuxième condition est que la réforme réorganise le système de soins. Elle doit avoir pour objectif de mieux utiliser nos moyens, pour éviter les dépenses inutiles, en liant la réorganisation du système à celle des comportements, des professionnels comme des usagers. Enfin, il faut redéfinir les fonctions de l'Etat et des caisses ainsi que la place des partenaires sociaux. Quand on aura réglé ces trois sujets, on pourra aborder la question du financement. Nous plaidons pour une CSG sur tous les revenus - quoi qu'on en dise c'est le système le plus juste- et pour un financement par les entreprises, par le biais des cotisations employeurs, mais aussi du transfert de la contribution sur les bénéfices des entreprises(CBE), du Forec à l'assurance maladie.
Entre centrales syndicales peut-on envisager des positions communes ? La réforme peut-elle être portée par la seule CFDT ?
Il ne faut pas donner de fausses illusions qui masqueraient nos désaccords, ne pas refaire l'erreur commise sur les retraites, les syndicats n'ont pas su expliquer leurs divergences, ce qui a rendu la rupture plus douloureuse. Cela dit, on travaille entre organisations syndicales depuis plusieurs mois, avec la Mutualité, pour essayer de se comprendre. D'ailleurs, à la lecture de la déclaration commune de la FNMF et de la CGT, je constate qu'ils parlent d'efficacité économique et de choix dans la prise en charge des soins. J'y vois une inflexion des propositions de la CGT vers ce que l'on défend avec la Mutualité depuis pas mal de temps. La Mutualité tient un rôle de médiation positif. Il est bien évident que cette réforme, pour être comprise, ne peut pas être soutenue que par un seul syndicat. Avec l'assurance maladie, nous ne sommes pas dans la situation des retraites. On rentre dans une négociation gouvernement-syndicats, mais aussi avec la Mutualité, les professionnels de santé, les usagers et les partis politiques. Donc le consensus doit être plus large.
Avez-vous l'impression que, depuis que la CFDT assure la présidence de la cnamts cette dernière a été entravée dans son action du fait du flou sur le pilotage du système ?
Les gestionnaires de l'assurance maladie n'ont pas pu faire leur travail en toute autonomie. En particulier dans les relations avec les professionnels de santé, le fait qu'un tiers puisse se substituer dans les négociations entre les caisses et les professionnels, a amené les uns et les autres à se reposer sur l'Etat. Ce qui est plusconfortable que de s'engager. On l'a vu avec les médecins. Reconnaissons que c'est une attitude finalement naturelle quand on sait que l'interlocuteur en face de soi n'a pas tout le pouvoir de décision Il faut donc remettre l'assurance maladie dans sa capacité de négocier, en lien avec les complémentaires, dans un vrai dialogue avec les professionnels. De ce point de vue, il faut une instance de coordination forte entre assurance maladie et complémentaires, à la fois pour maintenir leur espace -car nous avons la volonté de ne pas transférer plus sur les complémentaires- et leur donner la place qui leur revient.
Comment, selon vous, responsabiliser les acteurs, patients ou médecins ?
D'abord, il est inutile de se dire que l'on va revenir à des systèmes de régulation par la sanction. Il faut plutôt aider à changer les comportements. Et cela peut aller jusqu'à des différentiels de remboursements en fonction, non pas des choix de vie (sports, conduites à risques, etc), mais pour encourager les parcours médicalisés. Dans ce processus, le généraliste a un rôle essentiel à jouer pour éviter la redondance des actes, la surconsommation, l'accès trop systématique aux urgences. Il faut mettre en place un dossier de soins informatisé, et que les personnes qui multiplient de leur propre chef consultations et actes inutiles ne soient pas pris en charge de la même façon que ceux qui respectent les parcours, sur des bases médicales.
S'agissant des professionnels, cela doit se régler dans le cadre conventionnel. L'accord sur les antibiotiques est un bon exemple. On peut imaginer d'autres systèmes pour modifier les comportements. Enfin, nous sommes favorables à des incitations pour que l'on ait des professionnels dans tous les espaces géographiques, zones rurales, mais aussi d'exclusion urbaines.
L'option médecin référent et les expérimentations lancées n'ont pas entraîné de bouleversements. Pourquoi ?
Sans doute parce que l'on s'est enlisé dans des débats idéologiques. A chaque fois que l'on a voulu mettre plus d'organisation dans la médecine de ville, on nous a fait le reproche de remettre en cause le principe libéral de la médecine. Aujourd'hui, tout le monde a fait le constat que les choses pouvaient évoluer, et les systèmes des autres pays le montrent aussi. On peut sortir de cette opposition idéologique. Personne ne remet en cause les grands fondements de l'organisation entre le public et le privé. Les principaux syndicats de médecins, CSMF et MG France, en tête, ont fait un pas important dans cette direction. La situation démographique, ainsi que l'arrivée des femmes et des plus jeunes changent la donne. Nous devons entendre les généralistes. Ils ne veulent plus être corvéables à merci, et à l'époque des trente cinq heures, ils estiment qu'ils ont droit eux aussi à une vie privée. C'est un changement de mentalité. En contrepartie de cette reconnaissance, il y a moyen de mieux organiser le système.
Dans le système français, médecine de ville et hôpital s'ignorent parfois. Comment changer cet état de fait ?
Ce sont deux secteurs qui s'ignorent trop. La coordination ville-hôpital va être déterminante dans l'évolution du système. A cet égard, nos gouvernants doivent éviter la tentation de la facilité. Prenons les services des urgences. Il faut des réponses à leurs besoins. Mais tout excès dans ce sens, serait encourager un système où les gens iraient trop facilement et inutilement à l'hôpital. Il faut donc réorganiser aussi le système de ville. L'amélioration du lien ville-hôpital en dépend. Tout le monde le dit, mais on ne le fait pas ! Les praticiens libéraux ont eux aussi des missions de service public. Il faut les reconnaître et les rémunérer en tant que tels par la voie de la négociation. Tant que ce ne sera pas fait, on ne soulagera pas des urgences. Cela est fondamental, car c'est source d'échec dans les soins - on l'a vu cet été - et de dépenses inutiles.n
(Source http://www.cfdt.fr, le 16 avril 2004)