Texte intégral
L'édification d'un ensemble commun - d'une union - ne peut se concevoir sans se préoccuper des cultures qui composent cet ensemble. L'économique, le social et le culturel forment ensemble la base sur laquelle peut se développer une communauté politique.
Parmi les questions culturelles, celles qui touchent à l'audiovisuel, et globalement à la communication, pèsent bien sûr de tout leur poids simplement parce qu'elles touchent à la vie quotidienne des européens.
Nous connaissons les enjeux cruciaux de ce secteur : enjeux économiques, industriels, sociaux, culturels au travers des contenus que la télévision permet de véhiculer. Le thème qui nous occupe aujourd'hui est donc central.
Parce qu'il s'agit d'une question politique qui nous préoccupe tous et parce que le rôle des Etats est ici très directement concerné, la Présidence française vous propose de centrer nos débats sur les télévisions publiques européennes.
De fait, il est rare que nous ayons l'occasion de confronter nos expériences - en partie convergentes, en partie diverses. Je suis donc particulièrement heureuse de vous recevoir aujourd'hui à Lille, et je vous remercie sincèrement de votre présence. Ce sera l'occasion pour nous tous, de mieux apprécier et de mieux comprendre nos préoccupations respectives et, peut être aussi, je l'espère, d'esquisser des solutions communes.
Je commencerai par un rappel. Dans tous nos pays, le secteur public occupe une part de marché significative, autour de 35 à 40%. Et la plupart d'entre eux se sont engagés dans des programmes visant à clarifier leur financement à 4 ou 5 ans, renforcer leurs structures et moderniser leur gestion, entamer une politique de développement et de diversification. Il y a là l'expression d'une volonté politique commune, confortée en 1997 par le protocole additionnel au traité d'Amsterdam.
Ainsi donc, et ce sera le 1er point de mon propos, il me semble que nous avons bien des objectifs communs, des objectifs qui, d'ailleurs, ne me paraissent pas devoir être fondamentalement changés à l'ère des mutations économiques et technologiques dont vous aurez à analyser les effets.
En revanche, ces mutations ont un impact réel sur les moyens que nous devons déployer pour atteindre ces objectifs : je me permettrai d'évoquer, dans un second temps et en guise d'introduction à vos travaux, les trois questions qui seront traitées dans le cadre des trois tables rondes de ce colloque.
Les objectifs : ils perdurent en effet dans un monde en profonde mutation
1.1 Un mot, d'abord, de ces mutations profondes qui marquent le secteur audiovisuel, car même s'il est devenu assez banal de les évoquer, on ne peut faire l'économie de ce rappel.
C'est d'abord une révolution technologique dont il est question. Une révolution qui affecte certes les règles de la création, mais qui a surtout bouleversé la diffusion. Avant même de se poser la question - devenue récurrente - de la convergence, c'est par une démultiplication de l'offre que s'est traduit cette arrivée des nouvelles technologies. On l'a vu sur le câble et le satellite. On commence à le voir sur le réseau hertzien, grâce à la numérisation. On le verra plus encore demain lorsque le haut débit fera de l'internet un nouveau mode de diffusion des programmes audiovisuels. Au total, l'offre se compte maintenant par dizaines de programmes sur le hertzien, par centaines ailleurs. Certes, et en tout cas s'agissant de l'internet, il ne s'agit pas à chaque fois de systèmes de diffusion parfaitement substituables - et de ce point de vue, la convergence technologique ne vaut pas convergence des modes de consommation et des modes de création. Mais le constat est là : le téléspectateur se trouve aujourd'hui face à une offre considérablement élargie.
Couvre-t-elle pour autant tout le spectre des possibles, ou est-elle redondante ? Permet-elle également de prendre en compte l'ensemble des évolutions que connaît notre mode de vie ? L'allongement de la durée de la vie, l'allongement de la durée de l'éducation, la réduction du temps de travail, la stratification - culturelle, ethnique, sociale.... - qui caractérise les sociétés modernes doivent aussi être appréhendées.
Ce sont au fond ces questions fondamentales qui sous-tendent celles que vous aurez à traiter aujourd'hui et demain dans le cadre de ce colloque.
Car si l'existence d'un secteur public audiovisuel n'était pas remise en cause dans son principe, sinon dans ses modalités, à l'heure d'une offre restreinte, on peut se demander s'il en est toujours de même dès lors que le marché s'élargit et se présente comme étant à même de satisfaire une demande très large. N'y a-t-il pas, en d'autres termes, un paradoxe à voir l'offre publique conserver une place importante en Europe, dans le contexte d'une offre démultipliée ?
1.2 Notre conviction est que ce paradoxe n'est qu'apparent En effet, les enjeux et les objectifs restent les mêmes : l'offre publique est la seule dont la mission même est de s'adresser à tous les publics, et d'accueillir la création, dans un souci de diversité et de pluralisme. La démultiplication d'une offre privée, mue pour l'essentiel par un souci de rentabilité, n'exclut certes pas la qualité des programmes et un intérêt pour des types variés de programmes. Mais elle se traduit plus naturellement par un partage du marché, sous la forme d'une fragmentation des approches ; ou bien par une reproduction à l'identique de modèles culturels et de communication s'inscrivant dans des stéréotypes. Il n'y a pas de fatalité absolue en la matière et il faut se garder d'une opposition caricaturale entre privé et public. Mais simplement, les objectifs - de rentabilité d'un côté, de diversité de l'autre - ne se recoupent pas toujours.
Même si l'on impose aux diffuseurs privés un certain nombre de règles et d'obligations qui contribuent à la diversité culturelle et visent à soutenir la production d'uvres européennes, il reste que les opérateurs privés s'intéressent avant tout à ce que l'on peut appeler le public médian - un public certes très large, mais dont on écrête les particularités et les goûts spécifiques. Le secteur public doit au contraire continuer de répondre à toutes les attentes, dans leur diversité et dans leur originalité, et rappelons-le aussi, dans le cadre de la gratuité.
Il faut donc préserver un espace distinct au sein du marché. Le développement de l'offre privée libère d'ailleurs le secteur public d'un soupçon qui, au temps contestable du monopole, ne pouvait manquer de le caractériser : celui d'être un média d'Etat. Le secteur public peut se consacrer aujourd'hui à ce qu'il doit être : une télévision au service de tous les publics. Cependant, cette permanence des objectifs ne doit pas conduire à un maintien paresseux. Elle ne doit pas cacher l'impérieuse nécessité devant laquelle se trouvent les télévisions publiques d'une part de repenser l'offre elle-même, en fonction des possibilités offertes par les nouvelles technologies et en fonction de ce qui existe par ailleurs sur le marché, d'autre part et en conséquence, de rénover le discours qui l'accompagne, ce qui relève aussi de la tâche des pouvoirs publics.
2. Dans cette perspective, les trois principales questions que vous aurez à traiter au cours de ces deux journées me semblent bien résumer la réflexion que nous devons mener en commun
Vous aborderez trois thèmes.
2.1 La question des missions, d'abord La définition traditionnelle des missions imparties au secteur public - diversité, pluralisme, qualité, éducation, culture ...- reste bien sûr pertinente dans ses grandes lignes. Elle fait cependant l'objet de contestations, à cause de sa généralité excessive et de son caractère parfois jugé, à l'aune de l'évolution de l'offre, incomplet.
Ce point est fondamental, puisque c'est au cur même de la définition du secteur public que l'on se trouve. Sur ce sujet, on peut sans doute s'entendre pour dire que le secteur public ne doit pas être limité à une logique de stricte complémentarité par rapport au secteur privé. Il ne peut s'agir pour lui de n'intervenir que sur les segments de marché abandonnés par le secteur privé ou traités par lui de manière trop marginale, faute de rentabilité. La télévision publique doit aussi être une télévision généraliste.
On sait en Europe que se jouent là des questions fondamentales : le pluralisme des points de vue, la diversité des cultures, l'exercice de la pensée critique, et donc au total, la vitalité de notre culture, de notre démocratie et de cette diversité culturelle qui est au cur de beaucoup de nos discours, mais que nous devons aujourd'hui concrétiser.
Il faut donc dire ce que recouvrent, pour une entreprise publique, ces notions. Je vous invite à vous poser quelques questions que nous sommes tous, je crois, amenés à nous poser aujourd'hui, dans le cadre de la définition de nos propres services publics nationaux :
quelles adaptations apporter à la définition des missions de service public ?
quelles précisions ajouter ?
quelles déclinaisons donner aux concepts génériques dont nous nous sommes contentés jusqu'à aujourd'hui ?
quelles modalités concrètes de traduction peut-on imaginer pour ces missions ?
quel rôle joue le secteur public à l'égard de la production audiovisuelle et quelle est sa contribution à la création et à la diversité culturelle ?
2.2 La question de la diversification des activités des chaînes publiques s'impose en second lieu.
Elle s'est posée partout en Europe, où les chaînes publiques ont étendu ou élargi le champ de leurs activités, afin de s'adapter aux évolutions technologiques, et, plus largement, aux évolutions d'un marché de plus en plus concurrentiel.
Activités d'édition, développement de chaînes thématiques, développement de services, investissement dans l'internet, développement du numérique terrestre : dès lors que les modes de diffusion se diversifient, dès lors que l'existence d'une chaîne d'abord généraliste tend à s'exprimer également à travers ses déclinaisons, le secteur public ne pouvait que suivre ce mouvement. En y déclinant les missions que vous aurez évoquées dans la première table ronde.
Il ne faut pas se tromper d'enjeu : il ne s'agit pas de s'opposer aux opérateurs privés qui, partout, se sont d'ailleurs considérablement développés, mais bien de faire exister à côté une forte proposition alternative. Les équilibres sont toujours délicats à trouver, et chaque pays a, en tenant compte de ses particularités, cherché celui qui lui convenait le mieux.
Dans tous les cas, concernant le service public, il s'agit, en l'autorisant à diversifier ses activités, de lui permettre d'exister pleinement et de s'assurer de l'accomplissement des missions qui lui sont confiées par la collectivité. Cela ne saurait être possible que si on lui assure une visibilité certaine, matérielle, financière, juridique, une place conséquente dans le paysage audiovisuel. Et par visibilité financière, je songe en particulier à la redevance et au débat qui s'élève ici ou là, pour en contester la légitimité.
Là encore, vous devrez chercher à répondre à quelques questions que nous nous posons tous : quelle légitimité pour le secteur public à intervenir sur des secteurs nouveaux ? sur quelles thématiques développer des contenus nouveaux ? dans quelles proportion développer ces activités nouvelles ?
2.3 Reste enfin la question du financement : elle est sans doute une des plus aiguës et des plus vitales.
Les deux premiers thèmes évoqués conduisent en tout cas naturellement à se la poser : quel lien doit-il y avoir entre missions de service public et financement public et comment identifier ce lien ; comment, parallèlement, se positionner sur un marché dont les ressources tendent à se diversifier (publicité, abonnements... : ressources auxquelles le secteur public a parfois accès dans des conditions limitées) et où la concurrence est extrêmement vive ?
Ce sujet est particulièrement sensible. Il est surtout au cur d'une actualité dont la dimension contentieuse est bien sûr préoccupante.
Je ne vais pas revenir en détail sur ces contentieux. Quelques mots seulement. S'agissant de la France, de l'Espagne, de l'Italie du Portugal, mais également du Danemark, de la Grèce, de l'Irlande et de la Finlande, c'est la question du financement mixte - fonds publics et recours à la publicité - qui a été mise en cause par les concurrents privés. S'agissant de la Grande Bretagne et de l'Allemagne, c'est à travers des exemples d'activités de diversification que cette même question du financement a été posée.
La question de principe reste partout posée : quel financement et quelle marge de manoeuvre des États pour en décider ? Voilà donc une interrogation qui nous concerne tous. Toutes les chaînes publiques européennes et tous les Etats qui ont du secteur public une vision ambitieuse ont là un intérêt commun à débattre et des intérêts communs à défendre.
Je crois que l'on peut identifier de fait un fond commun de pensée, en vertu duquel nous disons : " oui " à l'existence d'un financement public, " oui " à l'existence d'un financement mixte, et " oui " à l'existence d'un secteur public intervenant sur un spectre large, et en particulier sur le champ de la télévision généraliste - parce qu'un secteur public " de niche " est un secteur public condamné. Je crois également - et vos débats pourraient y contribuer - qu'il convient de trouver aujourd'hui des solutions juridiques adaptées aux préoccupations que nous partageons. De ce point de vue, la problématique de la transparence financière - à travers par exemple la séparation comptable entre activités selon leur mode de financement - est une piste sans doute intéressante, mais à la condition qu'elle ne remette par en cause le caractère global de la mission de service public et la responsabilité de chaque Etat à cet égard.
Je veux souligner que toutes ces questions relèvent évidemment d'une approche plus entrepreneuriale. Je crois par exemple qu'il vous appartient, à vous présidents des chaînes publiques européennes, de mettre en uvre des projets de coopération plus nombreux, d'inventer des échanges plus fréquents, de favoriser la circulation de nos programmes européens. A ce titre je veux saluer les discussions en cours au niveau des entreprises elles-mêmes dans le cadre de l'UER : ZDF, ARD, RAI, RTVE, et France Télévision. Tout comme il revient aux gouvernements de travailler à la modernisation des tutelles, à une visibilité à moyen terme pour chaque entreprise, un objectif majeur étant de préserver durablement au service public une part de marché significative.
Mais vous aurez l'occasion de revenir sur tous ces points beaucoup plus longuement que je ne le fais ici.
Permettez-moi donc de conclure en insistant d'abord sur l'importance du regard comparatif : il est particulièrement utile de pouvoir confronter les expériences et les sensibilités. C'est le but de cette rencontre.
Il nous faut en même temps construire pour l'avenir un regard commun, en vue de déterminer une position commune . La présidence française sera, je le souhaite, l'occasion d'avancer sur ce point.
Cette question sera d'ailleurs à l'ordre du jour de la réunion informelle des Ministres qui se tiendra demain ; je proposerai en effet à mes collègues ministres et à la commission que nous débattions ensemble sur ce sujet. C'est dire toute l'importance que nous accordons à vos conclusions et aux pistes de réflexion que vous aurez ouvertes.
A l'heure où l'Europe cherche à rassembler dans la diversité, il m'apparaît en tout cas évident que les télévisions de statut public ont un rôle essentiel à tenir.
Je vous souhaite bon travail, et vous remercie.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 25 juillet 2000)
Parmi les questions culturelles, celles qui touchent à l'audiovisuel, et globalement à la communication, pèsent bien sûr de tout leur poids simplement parce qu'elles touchent à la vie quotidienne des européens.
Nous connaissons les enjeux cruciaux de ce secteur : enjeux économiques, industriels, sociaux, culturels au travers des contenus que la télévision permet de véhiculer. Le thème qui nous occupe aujourd'hui est donc central.
Parce qu'il s'agit d'une question politique qui nous préoccupe tous et parce que le rôle des Etats est ici très directement concerné, la Présidence française vous propose de centrer nos débats sur les télévisions publiques européennes.
De fait, il est rare que nous ayons l'occasion de confronter nos expériences - en partie convergentes, en partie diverses. Je suis donc particulièrement heureuse de vous recevoir aujourd'hui à Lille, et je vous remercie sincèrement de votre présence. Ce sera l'occasion pour nous tous, de mieux apprécier et de mieux comprendre nos préoccupations respectives et, peut être aussi, je l'espère, d'esquisser des solutions communes.
Je commencerai par un rappel. Dans tous nos pays, le secteur public occupe une part de marché significative, autour de 35 à 40%. Et la plupart d'entre eux se sont engagés dans des programmes visant à clarifier leur financement à 4 ou 5 ans, renforcer leurs structures et moderniser leur gestion, entamer une politique de développement et de diversification. Il y a là l'expression d'une volonté politique commune, confortée en 1997 par le protocole additionnel au traité d'Amsterdam.
Ainsi donc, et ce sera le 1er point de mon propos, il me semble que nous avons bien des objectifs communs, des objectifs qui, d'ailleurs, ne me paraissent pas devoir être fondamentalement changés à l'ère des mutations économiques et technologiques dont vous aurez à analyser les effets.
En revanche, ces mutations ont un impact réel sur les moyens que nous devons déployer pour atteindre ces objectifs : je me permettrai d'évoquer, dans un second temps et en guise d'introduction à vos travaux, les trois questions qui seront traitées dans le cadre des trois tables rondes de ce colloque.
Les objectifs : ils perdurent en effet dans un monde en profonde mutation
1.1 Un mot, d'abord, de ces mutations profondes qui marquent le secteur audiovisuel, car même s'il est devenu assez banal de les évoquer, on ne peut faire l'économie de ce rappel.
C'est d'abord une révolution technologique dont il est question. Une révolution qui affecte certes les règles de la création, mais qui a surtout bouleversé la diffusion. Avant même de se poser la question - devenue récurrente - de la convergence, c'est par une démultiplication de l'offre que s'est traduit cette arrivée des nouvelles technologies. On l'a vu sur le câble et le satellite. On commence à le voir sur le réseau hertzien, grâce à la numérisation. On le verra plus encore demain lorsque le haut débit fera de l'internet un nouveau mode de diffusion des programmes audiovisuels. Au total, l'offre se compte maintenant par dizaines de programmes sur le hertzien, par centaines ailleurs. Certes, et en tout cas s'agissant de l'internet, il ne s'agit pas à chaque fois de systèmes de diffusion parfaitement substituables - et de ce point de vue, la convergence technologique ne vaut pas convergence des modes de consommation et des modes de création. Mais le constat est là : le téléspectateur se trouve aujourd'hui face à une offre considérablement élargie.
Couvre-t-elle pour autant tout le spectre des possibles, ou est-elle redondante ? Permet-elle également de prendre en compte l'ensemble des évolutions que connaît notre mode de vie ? L'allongement de la durée de la vie, l'allongement de la durée de l'éducation, la réduction du temps de travail, la stratification - culturelle, ethnique, sociale.... - qui caractérise les sociétés modernes doivent aussi être appréhendées.
Ce sont au fond ces questions fondamentales qui sous-tendent celles que vous aurez à traiter aujourd'hui et demain dans le cadre de ce colloque.
Car si l'existence d'un secteur public audiovisuel n'était pas remise en cause dans son principe, sinon dans ses modalités, à l'heure d'une offre restreinte, on peut se demander s'il en est toujours de même dès lors que le marché s'élargit et se présente comme étant à même de satisfaire une demande très large. N'y a-t-il pas, en d'autres termes, un paradoxe à voir l'offre publique conserver une place importante en Europe, dans le contexte d'une offre démultipliée ?
1.2 Notre conviction est que ce paradoxe n'est qu'apparent En effet, les enjeux et les objectifs restent les mêmes : l'offre publique est la seule dont la mission même est de s'adresser à tous les publics, et d'accueillir la création, dans un souci de diversité et de pluralisme. La démultiplication d'une offre privée, mue pour l'essentiel par un souci de rentabilité, n'exclut certes pas la qualité des programmes et un intérêt pour des types variés de programmes. Mais elle se traduit plus naturellement par un partage du marché, sous la forme d'une fragmentation des approches ; ou bien par une reproduction à l'identique de modèles culturels et de communication s'inscrivant dans des stéréotypes. Il n'y a pas de fatalité absolue en la matière et il faut se garder d'une opposition caricaturale entre privé et public. Mais simplement, les objectifs - de rentabilité d'un côté, de diversité de l'autre - ne se recoupent pas toujours.
Même si l'on impose aux diffuseurs privés un certain nombre de règles et d'obligations qui contribuent à la diversité culturelle et visent à soutenir la production d'uvres européennes, il reste que les opérateurs privés s'intéressent avant tout à ce que l'on peut appeler le public médian - un public certes très large, mais dont on écrête les particularités et les goûts spécifiques. Le secteur public doit au contraire continuer de répondre à toutes les attentes, dans leur diversité et dans leur originalité, et rappelons-le aussi, dans le cadre de la gratuité.
Il faut donc préserver un espace distinct au sein du marché. Le développement de l'offre privée libère d'ailleurs le secteur public d'un soupçon qui, au temps contestable du monopole, ne pouvait manquer de le caractériser : celui d'être un média d'Etat. Le secteur public peut se consacrer aujourd'hui à ce qu'il doit être : une télévision au service de tous les publics. Cependant, cette permanence des objectifs ne doit pas conduire à un maintien paresseux. Elle ne doit pas cacher l'impérieuse nécessité devant laquelle se trouvent les télévisions publiques d'une part de repenser l'offre elle-même, en fonction des possibilités offertes par les nouvelles technologies et en fonction de ce qui existe par ailleurs sur le marché, d'autre part et en conséquence, de rénover le discours qui l'accompagne, ce qui relève aussi de la tâche des pouvoirs publics.
2. Dans cette perspective, les trois principales questions que vous aurez à traiter au cours de ces deux journées me semblent bien résumer la réflexion que nous devons mener en commun
Vous aborderez trois thèmes.
2.1 La question des missions, d'abord La définition traditionnelle des missions imparties au secteur public - diversité, pluralisme, qualité, éducation, culture ...- reste bien sûr pertinente dans ses grandes lignes. Elle fait cependant l'objet de contestations, à cause de sa généralité excessive et de son caractère parfois jugé, à l'aune de l'évolution de l'offre, incomplet.
Ce point est fondamental, puisque c'est au cur même de la définition du secteur public que l'on se trouve. Sur ce sujet, on peut sans doute s'entendre pour dire que le secteur public ne doit pas être limité à une logique de stricte complémentarité par rapport au secteur privé. Il ne peut s'agir pour lui de n'intervenir que sur les segments de marché abandonnés par le secteur privé ou traités par lui de manière trop marginale, faute de rentabilité. La télévision publique doit aussi être une télévision généraliste.
On sait en Europe que se jouent là des questions fondamentales : le pluralisme des points de vue, la diversité des cultures, l'exercice de la pensée critique, et donc au total, la vitalité de notre culture, de notre démocratie et de cette diversité culturelle qui est au cur de beaucoup de nos discours, mais que nous devons aujourd'hui concrétiser.
Il faut donc dire ce que recouvrent, pour une entreprise publique, ces notions. Je vous invite à vous poser quelques questions que nous sommes tous, je crois, amenés à nous poser aujourd'hui, dans le cadre de la définition de nos propres services publics nationaux :
quelles adaptations apporter à la définition des missions de service public ?
quelles précisions ajouter ?
quelles déclinaisons donner aux concepts génériques dont nous nous sommes contentés jusqu'à aujourd'hui ?
quelles modalités concrètes de traduction peut-on imaginer pour ces missions ?
quel rôle joue le secteur public à l'égard de la production audiovisuelle et quelle est sa contribution à la création et à la diversité culturelle ?
2.2 La question de la diversification des activités des chaînes publiques s'impose en second lieu.
Elle s'est posée partout en Europe, où les chaînes publiques ont étendu ou élargi le champ de leurs activités, afin de s'adapter aux évolutions technologiques, et, plus largement, aux évolutions d'un marché de plus en plus concurrentiel.
Activités d'édition, développement de chaînes thématiques, développement de services, investissement dans l'internet, développement du numérique terrestre : dès lors que les modes de diffusion se diversifient, dès lors que l'existence d'une chaîne d'abord généraliste tend à s'exprimer également à travers ses déclinaisons, le secteur public ne pouvait que suivre ce mouvement. En y déclinant les missions que vous aurez évoquées dans la première table ronde.
Il ne faut pas se tromper d'enjeu : il ne s'agit pas de s'opposer aux opérateurs privés qui, partout, se sont d'ailleurs considérablement développés, mais bien de faire exister à côté une forte proposition alternative. Les équilibres sont toujours délicats à trouver, et chaque pays a, en tenant compte de ses particularités, cherché celui qui lui convenait le mieux.
Dans tous les cas, concernant le service public, il s'agit, en l'autorisant à diversifier ses activités, de lui permettre d'exister pleinement et de s'assurer de l'accomplissement des missions qui lui sont confiées par la collectivité. Cela ne saurait être possible que si on lui assure une visibilité certaine, matérielle, financière, juridique, une place conséquente dans le paysage audiovisuel. Et par visibilité financière, je songe en particulier à la redevance et au débat qui s'élève ici ou là, pour en contester la légitimité.
Là encore, vous devrez chercher à répondre à quelques questions que nous nous posons tous : quelle légitimité pour le secteur public à intervenir sur des secteurs nouveaux ? sur quelles thématiques développer des contenus nouveaux ? dans quelles proportion développer ces activités nouvelles ?
2.3 Reste enfin la question du financement : elle est sans doute une des plus aiguës et des plus vitales.
Les deux premiers thèmes évoqués conduisent en tout cas naturellement à se la poser : quel lien doit-il y avoir entre missions de service public et financement public et comment identifier ce lien ; comment, parallèlement, se positionner sur un marché dont les ressources tendent à se diversifier (publicité, abonnements... : ressources auxquelles le secteur public a parfois accès dans des conditions limitées) et où la concurrence est extrêmement vive ?
Ce sujet est particulièrement sensible. Il est surtout au cur d'une actualité dont la dimension contentieuse est bien sûr préoccupante.
Je ne vais pas revenir en détail sur ces contentieux. Quelques mots seulement. S'agissant de la France, de l'Espagne, de l'Italie du Portugal, mais également du Danemark, de la Grèce, de l'Irlande et de la Finlande, c'est la question du financement mixte - fonds publics et recours à la publicité - qui a été mise en cause par les concurrents privés. S'agissant de la Grande Bretagne et de l'Allemagne, c'est à travers des exemples d'activités de diversification que cette même question du financement a été posée.
La question de principe reste partout posée : quel financement et quelle marge de manoeuvre des États pour en décider ? Voilà donc une interrogation qui nous concerne tous. Toutes les chaînes publiques européennes et tous les Etats qui ont du secteur public une vision ambitieuse ont là un intérêt commun à débattre et des intérêts communs à défendre.
Je crois que l'on peut identifier de fait un fond commun de pensée, en vertu duquel nous disons : " oui " à l'existence d'un financement public, " oui " à l'existence d'un financement mixte, et " oui " à l'existence d'un secteur public intervenant sur un spectre large, et en particulier sur le champ de la télévision généraliste - parce qu'un secteur public " de niche " est un secteur public condamné. Je crois également - et vos débats pourraient y contribuer - qu'il convient de trouver aujourd'hui des solutions juridiques adaptées aux préoccupations que nous partageons. De ce point de vue, la problématique de la transparence financière - à travers par exemple la séparation comptable entre activités selon leur mode de financement - est une piste sans doute intéressante, mais à la condition qu'elle ne remette par en cause le caractère global de la mission de service public et la responsabilité de chaque Etat à cet égard.
Je veux souligner que toutes ces questions relèvent évidemment d'une approche plus entrepreneuriale. Je crois par exemple qu'il vous appartient, à vous présidents des chaînes publiques européennes, de mettre en uvre des projets de coopération plus nombreux, d'inventer des échanges plus fréquents, de favoriser la circulation de nos programmes européens. A ce titre je veux saluer les discussions en cours au niveau des entreprises elles-mêmes dans le cadre de l'UER : ZDF, ARD, RAI, RTVE, et France Télévision. Tout comme il revient aux gouvernements de travailler à la modernisation des tutelles, à une visibilité à moyen terme pour chaque entreprise, un objectif majeur étant de préserver durablement au service public une part de marché significative.
Mais vous aurez l'occasion de revenir sur tous ces points beaucoup plus longuement que je ne le fais ici.
Permettez-moi donc de conclure en insistant d'abord sur l'importance du regard comparatif : il est particulièrement utile de pouvoir confronter les expériences et les sensibilités. C'est le but de cette rencontre.
Il nous faut en même temps construire pour l'avenir un regard commun, en vue de déterminer une position commune . La présidence française sera, je le souhaite, l'occasion d'avancer sur ce point.
Cette question sera d'ailleurs à l'ordre du jour de la réunion informelle des Ministres qui se tiendra demain ; je proposerai en effet à mes collègues ministres et à la commission que nous débattions ensemble sur ce sujet. C'est dire toute l'importance que nous accordons à vos conclusions et aux pistes de réflexion que vous aurez ouvertes.
A l'heure où l'Europe cherche à rassembler dans la diversité, il m'apparaît en tout cas évident que les télévisions de statut public ont un rôle essentiel à tenir.
Je vous souhaite bon travail, et vous remercie.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 25 juillet 2000)