Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à RMC le 23 avril 2003, sur la réforme des retraites, notamment sur le niveau des pensions et la durée des cotisaations, la garantie minimum, et les retraites anticipées.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin - Vous avez rencontré hier les ministres Fillon et Delevoye ; vous étiez assez mécontent de ce rendez-vous, pourquoi ?
- "Pour une raison simple : le texte que nous ont remis les ministres donne des directions, et sur ces directions, nous ne contestons pas qu'il faille discuter du niveau des pensions de la durée des cotisations et autres, mais on a toujours pas de chiffre, et en particulier sur deux points qui sont centraux pour la CFDT : c'est d'une part, le niveau des pensions avec notre revendication première qui est de dire que l'on ne peut rester dans un système où on a des retraites en dessous du Smic - dans le public comme dans le privé d'ailleurs."
Vous demandez une garantie : aucune retraite en dessous du Smic ?
- "On veut une garantie minimum. Actuellement, si on ne fait rien dans les années qui viennent, le niveau minimum des pensions va descendre à 70 % du Smic. C'est quand même faible. Donc, nous voulons que cette dégradation du minimum des retraites soit arrêtée et que l'on atteigne, dans les années qui viennent, 100 % du Smic. Le second point central, c'est la durée de cotisation : on a des durées très diverses dans notre pays, entre ceux qui payent 37,5 ans et ceux qui cotisent jusqu'à 46 ans - ce sont ceux qui ont commencé à travaillé à 14 ans. Il faut savoir qu'il y a, à ce jour, presqu'un million de salariés qui ont déjà 40 ans de cotisation. Et ceux-là, nous souhaitons qu'ils puissent partir dès qu'ils ont 40 ans de cotisation.
Le Gouvernement dit qu'il ouvrira progressivement le droit à une retraite anticipée sous réserve de condition d'âge, de durée de cotisation, aux salariés ayant commencé à travailler très jeunes.
- "C'est la direction, c'est ce que l'on souhaite. Maintenant, va-t-on donner la possibilité de partir plus tôt à ceux qui ont commencé à cotiser à 14 ou 15 ans, ou à 16-17 ans ? C'est ce que l'on ne sait pas."
Ce que vous regrettez dans le texte gouvernemental, c'est le flou ?
- "Oui, c'est le manque de précision et le flou. On a soutenu les directions du Gouvernement, ce sont les bonnes directions. Pour la CFDT, il ne faut se tromper de combat : ne pas faire de réforme, c'est la pire des choses qui puisse arriver, en particulier pour ceux qui ont les niveaux de salaire les plus modestes, parce que ce sont eux auront les retraites les plus basses et qui n'ont pas les moyens d'épargner. Alors que ceux qui ont les niveaux de salaire les plus élevés épargnent déjà souvent par des assurances-vie. C'est la pire des choses, pour les jeunes en particulier, parce que ne pas faire de réforme, c'est laisser l'ardoise aux plus jeunes, qui auront une espèce de double peine : ils vont payer plus que les autres et toucheront moins. Avouez que vis-à-vis des générations qui arrivent après nous, ce n'est quand même pas un cadeau à leur faire. La pire des choses, c'est donc de ne pas faire de réforme. D'où la volonté de la CFDT de peser sur cette réforme et de faire en sorte que le Gouvernement l'améliore, et non pas de s'opposer à une réforme, ce qui serait la voie de l'échec."
On parle de 40 ans de cotisation pour le public comme pour le privé, à partir de 2008. Vous pensez qu'on va aller plus loin après 2008 ? Ce n'est pas clairement annoncé ?
- "C'est aussi un point difficile avec le Gouvernement qui ne lie les rentrées financières dans les années futures que par un allongement de la durée de cotisation. Il y a une phrase un peu compliquée à comprendre qui est de dire qu'à chaque fois qu'on a une augmentation de l'espérance de vie, par exemple un trimestre, à partir de 2008, on donne deux mois d'allongement de la durée de cotisation et un mois d'allongement de la retraite. C'est lier la durée de cotisation à l'espérance de vie. C'est un débat intéressant et intelligent mais ce que nous ne voulons pas aujourd'hui, à la CFDT, c'est dire que l'on va uniquement faire rentrer des moyens financiers pour les retraites par l'allongement de la durée de cotisation. Or qui nous dit aujourd'hui qu'en 2008, on n'aura pas quelques moyens supplémentaires, une baisse du chômage, par exemple, pour financer les retraites ? On ne souhaite pas aujourd'hui prendre la décision définitive d'allonger la durée de cotisation après 40 ans."
Le décote, la surcote, à la fois pour le privé et le public, vous paraît juste ?
- "Ce qui nous parait juste, c'est de mettre en place un système de retraite à la carte pour que les salariés qui veulent partir avant 40 ans de cotisation puisse le faire avec des pénalisations acceptables. Actuellement, je rappelle qu'elles sont de 10 % par an dans le privé. C'est-à-dire qu'un salarié qui a 38 ans de cotisation et qui veut partir, perd 20 % sur sa retraite. C'est tellement dissuasif qu'il ne peut pas le faire. Donc, nous souhaitons qu'il y ait une harmonisation de ce point en baissant les décotes du privé et discutant des décotes du public. Cela fait partie du débat sur l'harmonisation."
Vous allez rencontrer tous les autres syndicats : est-ce que vous appelez à la mobilisation, y aura-t-il une mobilisation unitaire ?
- "Je le disais précédemment, il ne faut pas que l'on se trompe de combat : la CFDT souhaite se mobiliser pour faire pression sur la réforme, c'est-à-dire que l'on souhaite que le Gouvernement..."
Pour résumer votre position, dans l'ensemble, ce texte vous va mais il manque de précision ?
- "Les directions sont celles sur lesquelles il faut discuter. Il y a des points qui ne sont pas acceptables comme je l'ai dit, sur la durée de cotisation mais nous voulons modifier le texte pour aller vers une réforme. On va donc discuter d'abord entre syndicats sur ce que l'on veut modifier dans le texte et essayer de se mobiliser pour l'améliorer."
Certains syndicats ne veulent rien, ils sont totalement opposés à cette réforme, je pense par exemple à Force Ouvrière.
- "Nous avions fait une déclaration commune qu'ils ont signée, sur les éléments d'une réforme. Maintenant, il faut que l'on reste sur les éléments principaux de cette déclaration commune qui sont pour une réforme. Mais si l'on veut s'opposer à une réforme, le Gouvernement va faire sans nous et il fera ce qu'il veut. Donc, nous voulons absolument peser sur lui pour qu'il ne fasse pas n'importe quoi et qu'il fasse la bonne réforme."
Comment allez vous pesez sur le Gouvernement ?
- "Notre proposition, c'est d'organiser dans les 15 premiers jours de mai une mobilisation des salariés du public et du privé, ensemble."
Une grève générale ?
- "En tant que secrétaire général de la CFDT, je suis gêné de dire, "le salarié X, dans une petite entreprise, doit s'arrêter de travailler". Je trouve que c'est facile de ma part de dire que tout le monde doit s'arrêter de travailler parce que ce n'est pas moi qui en supporte les conséquences financières et c'est une liberté individuelle le droit de grève. On veut donc amener le plus de monde possible dans la rue pour montrer qu'on a un rapport de force. Maintenant, entreprise par entreprise, je pense que les gens sont en capacité de se décider eux-mêmes."
Ces journées de mobilisation seront décidées avec les autres syndicats ?
- "Oui. Nous avons une réunion ce soir où nous déciderons, si possible, de le faire ensemble dans les 15 premiers jours de mai, en tenant compte que le 1er mai, qui est un moment traditionnel de rassemblements sur tous les problèmes qui existent dans le monde du travail, sera un moment fort d'expression sur les retraites mais aussi sur l'emploi. Je rappelle que le chômage qui est un des éléments majeurs des difficultés - on le voit bien sur les comptes de la Sécurité sociale, on le voit sur le problème de retraites - est un élément majeur pour régler les problèmes des retraites. Si on baisse par exemple en cinq ans de 3 % le niveau de chômage, on a 15 milliards d'euros de plus pour les retraites, c'est-à-dire, en partie les problèmes financiers réglés. Donc, le problème de l'emploi est un problème primordial, aussi pour régler le problème de retraites."
Je voudrais vous faire intervenir sur la Sécurité sociale. On a les chiffres, pas officiels, puisqu'ils vont tomber courant mai, mais ils sont catastrophiques pour les finances de la Sécurité sociale. On parle de 16 milliards de déficit cumulé. Tout à l'heure, nous avions avec nous un député UMP du Maine-et-Loire qui nous parlait de la responsabilisation des assurés sociaux et il nous disait : pourquoi ne pas faire payer les assurés sociaux : ceux qui le peuvent, pourraient payer une partie de leurs dépenses de santé.
- "Je réagis très mal. Ce type de proposition, si c'est dans les cartons du Gouvernement ou de la majorité, est bien sûr inacceptable. La Sécurité sociale est basée sur un principe solidaire : on paye en fonction de ses revenus et on est remboursé en fonction de ses besoins de santé. Instituer une partie complètement à la charge des assurés, selon ses revenus, cela voudrait dire que demain, ceux qui ont les revenus les plus élevés vont finir par dire, "il n'est pas question que l'on paye en fonction de nos revenus, on paye plus que les autres et en plus, on va être moins remboursés". Ils vont donc sortir du système de solidarité et prendre une assurance privée. Ce sera la casse totale de la Sécurité sociale. Il n'est donc pas acceptable pour nous d'aller dans ce sens. Ce que nous proposons, c'est de décider quel est le périmètre des soins assurance-maladie + assurance complémentaire et faire ce que l'on appelle du 100 % et non pas de faire ce que vient de faire le ministre de la Santé, de décider de dérembourser des médicaments - en plus, des médicaments dont l'utilité est reconnue par tous - et de décider que ce sont les Mutuelles qui s'en chargeaient. J'ai entendu hier, à la télévision, que ce n'était pas un problème pour les 85 % de personnes qui ont une mutuelle, mais les 15 % qui n'ont pas de mutuelles ? C'est d'une part ceux qui sont couverts par la CMU, les revenus les plus pauvres, ce sont souvent des retraités qui sont au minimum retraite, qui n'ont pas d'aide parce qu'ils ne sont pas dans une entreprise. Ce sont des gens des petites entreprises qui ne peuvent pas se payer de mutuelle, et ce sont eux qui ont les plus bas revenus et on va encore les sanctionner. C'est une position qui n'est pas acceptable. Nous souhaitons discuter des rapports entre assurance de base et assurance et assurance complémentaire dans le cadre d'une couverture à 100 % pour tout le monde, avec une aide aux salariés pour avoir une mutuelle, mais pas de sortir une partie des remboursements de l'assurance-maladie qui serait la casse de la Sécurité sociale."
Question de David, 39 ans, un directeur d'entreprise d'origine britannique, à propos du poids des charges sociales et du financement de la retraite. Pour lui, la durée de cotisation ce n'est pas la question essentielle.
- "On a actuellement un débat sur les charges sociales dans notre pays. Autant on peut comprendre qu'aujourd'hui, dans la période difficile que l'on traverse au niveau économique, que l'on ne veuille pas faire d'augmentation de charges, je veux bien le comprendre temporairement. Maintenant, rien ne doit nous empêcher de penser que si le chômage baisse, on pourra transférer une partie des charges qui sont sur le chômage sur les retraites. L'exemple qui nous est donné [par l'auditeur], c'est l'exemple anglais, c'est un système de retraite surtout basé sur les fonds de pensions et on voit bien tout le risque que cela peut avoir, en particulier ce qui s'est passé en Angleterre sur les fonds de pensions d'entreprise comme chez Murdoch, le grand magnat de la presse, où les fonds de pensions se sont écroulés et les salariés se sont retrouvés sans système de retraite. On a donc un système social solidaire, basé que des principes totalement différents, qui sont un principe collectif par rapport à des principes plus individuels en Angleterre. Donc, inévitablement, on a un désaccord sur la façon de faire entre nos deux pays mais ça, c'est la culture anglo-saxonne et la culture plus européenne telle qu'on la vit en France."
Suite de la question de l'auditeur : Pourquoi a-t-on peur de prendre une partie d'une autre culture ?
- "Il y a plein de choses positives dans la culture anglaise, je ne le nie pas. D'ailleurs, la CFDT pense qu'une fois que l'on aura réglé ce système de retraite par répartition, il n'est pas interdit de pouvoir permettre aux salariés de faire une épargne retraite pour compléter s'il le souhaite, mais nous souhaitons garder ce socle solidaire parce que l'on sait très bien que si on ne le garde pas, ce sont évidemment les basses pensions qui vont trinquer. Nous tenons à garder un niveau de basses pensions assez élevée."
Question de Vincent, un assureur, 33 ans, à propos du choix des jours de manifestation et de la gêne pour les parents d'élèves. Il suggérant les samedis ou les dimanches.
- "C'est que nous avons fait le 1er février. Je ne rejette en rien une manifestation le samedi, le 1er mai est un jour férié. Je partage avec vous le fait que le dialogue social dans les services publics est très mal organisé dans notre pays. On a besoin de réfléchir. Ce n'est pas dans les moments de crise qu'on le fait car il y a des crispations, mais on a besoin de réfléchir sur des anticipations dans le dialogue social. Ce qui se passe à l'Education nationale est déplorable en termes de dialogue social. Il n'y a pratiquement pas de dialogue construit avec le ministre de l'Education nationale, d'où ces grèves à répétition. Je comprends vos désagréments, mais il faudrait que les Gouvernements qui donnent des leçons sur le dialogue social par rapport au privé, feraient bien de prendre parfois exemple sur ce qui se passe dans le privé pour développer le dialogue social dans les fonctions publiques."
J.-J. Bourdin : C'est vrai que vous avez un discours syndical qui change. On sait que la CFDT, depuis quelques années, a changé son discours syndical...[Parole à Marie-Jo, clerc de notaire en Haute-Corse qui pose la question] : que deviennent les régimes spéciaux dans les propositions du Gouvernement ?
- "Dans les propositions du Gouvernement, les régimes spéciaux seront cocnernés. Dans le cas des professions libérales, l'UNAPL a été reçue hier sur sujet et ils sont bien satisfaits. C'est plutôt un régime d'employeur où je n'interviens pas directement mais la réforme concernera inévitablement les régimes spéciaux parce qu'ils sont financés en partie par des systèmes solidaires par les autres régimes."
J.-J. Bourdin qui passe la parole à un patissier retraité. Vous disiez tout à l'heure qu'il faut au moins l'aligner les retraites sur le Smic.
- "C'est un double débat : celui du niveau minimum des retraites qui, quand il est en dessous du Smic, il faut essayer de l'aligner progressivement sur le Smic. Et puis c'est le problème des longues carrières. [...] Comment faire avec les gens qui ont commencé à travailler très jeune ? Ceux qui ont cotisé 40 ans pourraient partir s'ils le désirent mais s'ils désirent continuer, il y a un paradoxe : on va mettre un système de bonus-malus au-delà de 60 ans pour ceux veulent travailler au-delà de 40 ans ; le jeune apprenti qui commence à travailler 16 ans travaillera 44 ans et n'aura pas de bonus. Donc, il lui semble normal qu'il puisse améliorer sa retraite s'il le souhaite en cotisant après 40 ans ou partir au bout de 40 ans de cotisation s'il le désire. Ce sont deux des problèmes centraux soulevés par la CFDT."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 avril 2003)