Texte intégral
Le président de l'UDF est sur tous les fronts. Il presse les conservateurs autrichiens de ne pas s'allier au parti d'extrême droite d'Haider. Au Parlement européen, il vote la taxe Tobin, censée imposer les mouvements de capitaux internationaux. Il fut l'un de ceux qui ont incité le Président de la République à repousser le Congrès prévu le 24 janvier dernier pour la réforme de la justice. Il l'exhorte désormais à modifier le calendrier électoral de l'année 2002, en remettant la présidentielle avant les législatives. Une activité tous azimuts que sous-tend une ambition présidentielle de moins en moins fardée. Même s'il n'est pas le seul à faire sienne cette stratégie, François Bayrou compte bien être le " troisième homme " qui rassemblerait tous ceux qui en ont assez du combat entre les deux têtes de l'exécutif.
Vous vous êtes opposé publiquement à l'alliance entre les conservateurs autrichiens et l'extrême droite dirigée par Haider. Ne craignez-vous pas un éclatement de la démocratie chrétienne européenne ?
Le risque de l'éclatement, c'est dans le reniement des convictions fondamentales qu'il se trouve et nulle part ailleurs. Pour ma part, je n'accepterai jamais de compromission avec l'extrémisme. Il est des sujets sur lesquels il faut avoir des idées simples et même brutales.
Si le mot d'humanisme a un sens, c'est la valeur de l'homme qui en est la base. Si le mot de démocratie a un sens, c'est le contraire des populismes. Tout contrat d'association avec le populisme et l'extrémisme, sous quelque forme et pour quelque motif que ce soit, est un marché de dupe et un poison mortel. Il aboutit, à terme proche, à la marginalisation, à la décomposition, et finalement, à la disparition, des tièdes et des mous.
Ces crises de la démocratie chrétienne européenne autrichienne et allemande, autour du scandale entourant Helmut Kohl, qui viennent après la disparition de leur homologue italienne, n'annoncent-elles pas la fin historique du courant politique dont vous êtes issu ?
Comme lors de toute grande crise, il y a deux issues possibles : la décomposition ou la refondation. Si, comme je l'espère, c'est la refondation qui l'emporte, cela ne pourra ne se faire qu'en retrouvant les idéaux qui ont présidé à la naissance de ce courant politique, c'est-à-dire la priorité donnée à la vision morale de la société sur tous les matérialismes, à l'homme sur le marché. Le marché existe, il faut le connaître, mais il n'est qu'une technique, des règles qui ordonnent les échanges matériels, la production, la consommation. Le marché, c'est bon pour ce qui est marchand. Mais pour les raisons de vivre des hommes, la loi ne doit pas être celle du marché. La démocratie, l'idéal républicain, ne sont pas là pour suivre le cours des choses économiques, mais au contraire, imposer au marché, le juste, le bon, le moral. L'intérêt général n'est pas la somme des intérêts particuliers. Aujourd'hui, la désaffection à l'égard du politique ne signifie pas, comme on croit, la fin du politique, mais une quête de politique.
Le problème politique des conceptions et du positionnement que vous exprimez, c'est qu'ils ont déjà été captés par des socialistes qui, en acceptant les règles du marché, se sont installés confortablement au centre de l'échiquier politique, ne vous laissant plus guère d'espace.
Si nous acceptions cet état de fait, nous aurions en effet perdu. L'idée d'une voie originale entre matérialisme socialiste et matérialisme marchand est l'idée fondamentale et fondatrice de notre famille. Lorsque la droite et le centre l'oublient, les socialistes s'installent sur ce champ abandonné. C'est pourquoi je plaide sans relâche pour une refondation de l'idéal démocratique autour de valeurs qui ne sont pas matérielles, ou matérialistes. Or je reste persuadé qu'il existe un modèle à définir qui réunisse les humanismes chrétien, laïque et libéral autour d'un projet de société, réaliste et généreux.
Qui singera celui des socialistes ?
Au contraire, ce sera un vrai recours face au socialisme français. Il est vrai que le projet politique et philosophique de certains socialistes en Europe, comme Tony Blair, est effectivement assez proche du nôtre. Pas celui des socialistes français. Ces derniers demeurent des jacobins, qui croient que tout doit venir d'en haut., ils privilégient l'assistance et le règlement, et trouvent habile de saborder les valeurs morales traditionnelles de notre société pour se donner un vernis progressiste et libéral.
Les ambitions politiques de votre famille politique ont toujours été ruinées par les institutions de la Vème République. Or vous défendez, aujourd'hui, l'esprit de ces institutions, selon vous mis en danger par la cohabitation. Etonnant, non ?
Pas du tout. D'abord, il est faux de dire que ma famille n'a jamais réussi à vaincre dans le cadre de la Vème République. Valéry Giscard d'Estaing a gagné l'élection présidentielle en 1974, et Raymond Barre en 1988 n'est pas passé loin du succès.
Quant aux institutions, il va bien falloir choisir : Vème République ou régime parlementaire classique. Régime des partis ou contrat entre le président et le peuple. Poursuivre la cohabitation pendant cinq et faire des élections législatives l'échéance principale, comme nous semblons nous y résigner, en ne modifiant le calendrier électoral de 2002, c'est choisir la démocratie régie par les partis. Ce choix peut être parfaitement défendu mais il aura deux conséquences inéluctables : l'inutilité de l'élection présidentielle au suffrage universel ; la nécessité de donner en France davantage de pouvoir aux partis politiques, en instaurant par exemple le scrutin proportionnel qui crée un lien d'allégeance plus fort entre les élus et leur parti.
Mais si on considère que le dialogue direct entre un homme et un peuple permet dans les moments graves de proposer un projet plus fort, plus cohérent, il faut alors refonder la Vème République en rendant à l'élection présidentielle la prééminence qui fut la sienne. On ne peut pas rester dans l'ambiguïté entre les deux systèmes.
Comment refonder la Vème République ?
D'abord, en modifiant le calendrier électoral de l'année 2002, dans lequel nous sommes enfermés. En remettant l'élection présidentielle avant les élections législatives. Puis, en conduisant une révision constitutionnelle qui empêche la cohabitation de pervertir la Vème République.
C'est l'éternel retour du quinquennat, qui ne tarderait pas à transformer la Vème en un régime présidentiel à l'américaine.
Le quinquennat est une clarification et une modernisation essentielle de nos institutions. La concomitance des élection s présidentielles et législatives redonnera au Président de la République son rôle d'inspirateur de la vie politique nationale.
Pour l'élection présidentielle de 2002, les deux favoris, Jacques Chirac et Lionel Jospin, s'affrontent désormais à visage découvert. On dit que les Français attendent un troisième homme, vous voyez-vous dans la peau de ce troisième homme ?
Soit les Français choisiront de rester dans le duel classique de la cohabitation, soit ils chercheront et imposeront une voie nouvelle. Pour ma part, je sens le besoin et l'attente d'une proposition, d'une offre nouvelle. Mais seules les deux années qui viennent permettront de vérifier la force de cette attente.
Le Président Chirac ne s'est-il pas définitivement imposé sur votre terrain, européen, humaniste et social, vous empêchant ainsi d'être vous-même candidat ?
Vous confondez les genres. Les affaires de " terrain ", comme vous dites, sont des affaires de parti.
L'élection présidentielle, elle, c'est un homme et un projet face au peuple. La vertu de cohérence y est la vertu principale.
(Source http://www.udf.org, les 29 et 30 janvier 2000)
Vous vous êtes opposé publiquement à l'alliance entre les conservateurs autrichiens et l'extrême droite dirigée par Haider. Ne craignez-vous pas un éclatement de la démocratie chrétienne européenne ?
Le risque de l'éclatement, c'est dans le reniement des convictions fondamentales qu'il se trouve et nulle part ailleurs. Pour ma part, je n'accepterai jamais de compromission avec l'extrémisme. Il est des sujets sur lesquels il faut avoir des idées simples et même brutales.
Si le mot d'humanisme a un sens, c'est la valeur de l'homme qui en est la base. Si le mot de démocratie a un sens, c'est le contraire des populismes. Tout contrat d'association avec le populisme et l'extrémisme, sous quelque forme et pour quelque motif que ce soit, est un marché de dupe et un poison mortel. Il aboutit, à terme proche, à la marginalisation, à la décomposition, et finalement, à la disparition, des tièdes et des mous.
Ces crises de la démocratie chrétienne européenne autrichienne et allemande, autour du scandale entourant Helmut Kohl, qui viennent après la disparition de leur homologue italienne, n'annoncent-elles pas la fin historique du courant politique dont vous êtes issu ?
Comme lors de toute grande crise, il y a deux issues possibles : la décomposition ou la refondation. Si, comme je l'espère, c'est la refondation qui l'emporte, cela ne pourra ne se faire qu'en retrouvant les idéaux qui ont présidé à la naissance de ce courant politique, c'est-à-dire la priorité donnée à la vision morale de la société sur tous les matérialismes, à l'homme sur le marché. Le marché existe, il faut le connaître, mais il n'est qu'une technique, des règles qui ordonnent les échanges matériels, la production, la consommation. Le marché, c'est bon pour ce qui est marchand. Mais pour les raisons de vivre des hommes, la loi ne doit pas être celle du marché. La démocratie, l'idéal républicain, ne sont pas là pour suivre le cours des choses économiques, mais au contraire, imposer au marché, le juste, le bon, le moral. L'intérêt général n'est pas la somme des intérêts particuliers. Aujourd'hui, la désaffection à l'égard du politique ne signifie pas, comme on croit, la fin du politique, mais une quête de politique.
Le problème politique des conceptions et du positionnement que vous exprimez, c'est qu'ils ont déjà été captés par des socialistes qui, en acceptant les règles du marché, se sont installés confortablement au centre de l'échiquier politique, ne vous laissant plus guère d'espace.
Si nous acceptions cet état de fait, nous aurions en effet perdu. L'idée d'une voie originale entre matérialisme socialiste et matérialisme marchand est l'idée fondamentale et fondatrice de notre famille. Lorsque la droite et le centre l'oublient, les socialistes s'installent sur ce champ abandonné. C'est pourquoi je plaide sans relâche pour une refondation de l'idéal démocratique autour de valeurs qui ne sont pas matérielles, ou matérialistes. Or je reste persuadé qu'il existe un modèle à définir qui réunisse les humanismes chrétien, laïque et libéral autour d'un projet de société, réaliste et généreux.
Qui singera celui des socialistes ?
Au contraire, ce sera un vrai recours face au socialisme français. Il est vrai que le projet politique et philosophique de certains socialistes en Europe, comme Tony Blair, est effectivement assez proche du nôtre. Pas celui des socialistes français. Ces derniers demeurent des jacobins, qui croient que tout doit venir d'en haut., ils privilégient l'assistance et le règlement, et trouvent habile de saborder les valeurs morales traditionnelles de notre société pour se donner un vernis progressiste et libéral.
Les ambitions politiques de votre famille politique ont toujours été ruinées par les institutions de la Vème République. Or vous défendez, aujourd'hui, l'esprit de ces institutions, selon vous mis en danger par la cohabitation. Etonnant, non ?
Pas du tout. D'abord, il est faux de dire que ma famille n'a jamais réussi à vaincre dans le cadre de la Vème République. Valéry Giscard d'Estaing a gagné l'élection présidentielle en 1974, et Raymond Barre en 1988 n'est pas passé loin du succès.
Quant aux institutions, il va bien falloir choisir : Vème République ou régime parlementaire classique. Régime des partis ou contrat entre le président et le peuple. Poursuivre la cohabitation pendant cinq et faire des élections législatives l'échéance principale, comme nous semblons nous y résigner, en ne modifiant le calendrier électoral de 2002, c'est choisir la démocratie régie par les partis. Ce choix peut être parfaitement défendu mais il aura deux conséquences inéluctables : l'inutilité de l'élection présidentielle au suffrage universel ; la nécessité de donner en France davantage de pouvoir aux partis politiques, en instaurant par exemple le scrutin proportionnel qui crée un lien d'allégeance plus fort entre les élus et leur parti.
Mais si on considère que le dialogue direct entre un homme et un peuple permet dans les moments graves de proposer un projet plus fort, plus cohérent, il faut alors refonder la Vème République en rendant à l'élection présidentielle la prééminence qui fut la sienne. On ne peut pas rester dans l'ambiguïté entre les deux systèmes.
Comment refonder la Vème République ?
D'abord, en modifiant le calendrier électoral de l'année 2002, dans lequel nous sommes enfermés. En remettant l'élection présidentielle avant les élections législatives. Puis, en conduisant une révision constitutionnelle qui empêche la cohabitation de pervertir la Vème République.
C'est l'éternel retour du quinquennat, qui ne tarderait pas à transformer la Vème en un régime présidentiel à l'américaine.
Le quinquennat est une clarification et une modernisation essentielle de nos institutions. La concomitance des élection s présidentielles et législatives redonnera au Président de la République son rôle d'inspirateur de la vie politique nationale.
Pour l'élection présidentielle de 2002, les deux favoris, Jacques Chirac et Lionel Jospin, s'affrontent désormais à visage découvert. On dit que les Français attendent un troisième homme, vous voyez-vous dans la peau de ce troisième homme ?
Soit les Français choisiront de rester dans le duel classique de la cohabitation, soit ils chercheront et imposeront une voie nouvelle. Pour ma part, je sens le besoin et l'attente d'une proposition, d'une offre nouvelle. Mais seules les deux années qui viennent permettront de vérifier la force de cette attente.
Le Président Chirac ne s'est-il pas définitivement imposé sur votre terrain, européen, humaniste et social, vous empêchant ainsi d'être vous-même candidat ?
Vous confondez les genres. Les affaires de " terrain ", comme vous dites, sont des affaires de parti.
L'élection présidentielle, elle, c'est un homme et un projet face au peuple. La vertu de cohérence y est la vertu principale.
(Source http://www.udf.org, les 29 et 30 janvier 2000)