Déclaration de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur le projet de réforme des retraites, notamment les implications des dispositions du projet de loi, le déroulement des négociations, l'appel de la CGT en faveur de la poursuite de la mobilisation, et notamment le lancement d'une consultation nationale des salariés, Marseille le 12 juin 2003.

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Circonstance : Meeting de la CGT à Marseille le 12 juin 2003

Texte intégral

Chers amis,
chers camarades,
Merci d'abord à vous toutes et à vous tous d'être venus si nombreux, si déterminés pour cette grande démonstration unitaire et solidaire, qui s'inscrit dans une mobilisation des salariés de notre pays depuis des semaines. Je le dis à tous ceux qui feignent de l'ignorer, c'est autre chose que la majorité silencieuse aux cortèges invisibles dont se réclame le gouvernement .
La municipalité de Marseille nous a refusé le stade vélodrome. Monsieur GAUDIN, qui dans un premier temps avait apparemment accepté, mais s'est sans doute fait remonter les bretelles par le Premier Ministre, nous a servi un pitoyable plaidoyer. Le droit à la manifestation est inscrit dans la Constitution, et parce qu'elle rassemble le monde du travail et celui de l'école pour défendre avec vigueur une conception solidaire de notre société, notre manifestation d'aujourd'hui est digne de ce lieu prestigieux et hautement symbolique qui appartient à tous les Marseillais.
J'ajouterais que notre démonstration présente un aspect sportif indéniable et que nous reprenons totalement à notre compte le slogan de l'olympisme : plus haut, plus loin, plus fort ! Ils n'ont pas voulu nous donner le stade, mais ça ne nous empêchera pas de continuer le match qui nous oppose à l'équipe de Paris Faubourg Saint Germain, et ce n'est pas Monsieur le Maire qui sifflera la fin de la partie.
Le zéro pointé adressé à son maire, ne peut que m'inciter à saluer et à féliciter Marseille qui, une fois de plus, est à la pointe du combat.
Faisons bouillir la marmite, l'unité nous y invite. J'avoue que depuis le 25 mai, où la délégation des Bouches du Rhône ouvrait la grande manifestation nationale à Paris, cette exhortation culinaire et musicale me trotte sans cesse dans la tête.
Les retraites sont un enjeu de société fondamental. Les salariés de notre pays veulent un projet de loi qui sauvegarde effectivement et durablement leurs systèmes de retraite solidaire. Mais ils refusent que l'on confonde la réforme qu'ils attendent avec la mise en cause de la retraite à 60 ans et la régression programmée du niveau des pensions, dans le public comme dans le privé.
Je ne vais pas ici éplucher devant vous l'ensemble du projet de loi. Vous le connaissez désormais.
Je me contenterai de rappeler que cette réforme est enclenchée depuis 10 ans. C'est en effet en plein mois d'août 1993, que le gouvernement d'alors a courageusement glissé par décret une bombe à retardement, destinée à ruiner le niveau des pensions du secteur privé. C'est cette arme de destruction massive, dont le nom de code est BALLADUR 93, que Messieurs FILLON, DELEVOYE et RAFFARIN ont décidé de réamorcer pour en faire profiter tout le monde au nom de l'équité.
Le projet du gouvernement n'est ni juste ni équitable.
La durée moyenne validée étant aujourd'hui d'environ 35 ans dans le privé et 32 ans et demi dans la fonction publique, peut-on raisonnablement penser que tout salarié travaillera 42 ans en 2020, condition pour toucher une retraite à taux plein ? La réponse est évidemment non, moralité les pensions baisseront et dans des proportions considérables. Ceci est tellement vrai qu'il est proposé de créer de véritables " emplois vieux " pour permettre aux intéressés de survivre tout en fournissant une main d'oeuvre qualifiée très bon marché aux entreprises !
Le minimum de pension serait, paraît-il, garanti à 85% du SMIC. C'est de la poudre aux yeux !
D'abord, comme le stipule l'article 4 de la loi, ceci est un objectif et non un engagement. Mais surtout ce niveau sera éphémère au premier sens du terme, car il ne sera vrai qu'un seul jour, celui de la liquidation des droits. Ensuite ce minimum ne sera pas garanti pour la même raison qui fait que depuis 1994 les retraites du privé ont déjà perdu 10% de leur valeur par rapport au salaire, en vertu du système d'indexation instauré par BALLADUR 93 et confirmé par RAFFARIN 2003.
J'affirme que le gouvernement masque les graves effets qu'auraient les dispositions du projet de loi sur les retraites actuellement soumis au Parlement. Je maintiens que, contrairement à ses allégations, les solutions qu'il a retenues portent en elles une mise en cause de notre système par répartition, débouchant sur l'accroissement des inégalités. Et je suis prêt, avec nos camarades des autres organisations, à le prouver, lors d'un débat public télévisé contradictoire, comme j'en ai déjà fait la proposition il y a maintenant plusieurs semaines.
Pourquoi le gouvernement refuse-t-il d'accepter le débat public avec les syndicats ?
C'est dommage pour le pays et pour la démocratie, mais ce n'est pas autrement surprenant de la part d'une équipe qui, dès le départ, a délibérément choisi de biaiser avec les syndicats en acceptant des consultations mais pas des négociations, en enfermant prématurément ce qui devrait relever d'un débat public large et de longue durée dans le carcan d'une procédure parlementaire hâtive s'inscrivant dans un calendrier tronqué. La France est le seul pays d'Europe où une telle procédure a été adoptée et, parole de cheminot, là où l'on met un butoir ça sent l'impasse !
Rappelons nous le scénario. Le 14 mai, lendemain de la forte mobilisation du 13 marquée par des arrêts de travail et de grandes manifestations dans toute la France, se déroulait ce qui aurait du n'être qu'une première séance de négociation en appelant d'autres.
Au lieu de cela, dans l'après-midi du 15 mai, le gouvernement s'est livré à des chassés croisés secrets auxquels deux organisations syndicales ont cru bon de s'adonner, rompant ainsi le front uni établi sur une plate-forme commune depuis le 7 janvier. En ratifiant une conception à la fois politicienne et ringarde du dialogue social, et en lâchant la proie pour l'ombre, elles ont apporté au gouvernement l'aide dont il avait besoin. Et, depuis, leurs dirigeants se sentent malheureusement obligés de jouer avec outrance le rôle de faire valoir d'un projet rejeté par 75% des salariés. Quelle erreur et quel gâchis !
On ne peut pas décider de réformes qui vont structurer la vie de millions de salariés sur des décennies, sans accepter un débat réel, une confrontation des points de vue et une vraie négociation.
On ne peut pas baptiser accord une coquille au trois quart vide ayant recueilli le soutien d'organisations syndicales représentant moins du tiers des salariés concernés. J'en profite pour redire devant vous, avec la certitude que vous soutenez largement cette revendication légitime : il est urgent de réviser les règles concernant les accords en introduisant sans ambiguïté le principe majoritaire. Il n'est plus tolérable qu'une seule signature puisse nous être opposée pour prétendre clore un débat dont dépend notre avenir.
Quand près de 70% des français et 75% des salariés ne veulent pas d'un texte et demandent l'ouverture de nouvelles négociations, l'heure n'est plus au dédain ou à la dérobade.
Pourtant nos interlocuteurs s'entêtent. Le Premier Ministre adresse un courrier publicitaire dans chaque foyer, comme s'il n'avait pas déjà eu, jusqu'à ces tous derniers jours, de multiples occasions de faire l'article de sa marchandise en étant largement relayé par les principaux médias.
J'attire l'attention de la Presse, en général, sur les risques qu'elle prend pour sa propre crédibilité à être de plus en plus souvent perçue comme aux ordres en ayant choisi son camp.
Dans ce contexte, nous n'avons pas d'autres choix que de faire appel à la mobilisation pour obtenir d'autres négociations.
Oui, il faut continuer à faire bouillir la marmite.
Oui, il faut poursuivre et amplifier la mobilisation.
Oui, il y a de quoi gagner d'autres milliers de salariés, pour qu'ils passent de la sympathie ou du soutien au mouvement à leur engagement dans le mouvement.
Il y a de quoi faire pour que le sentiment de fatalité recule, que les hésitations soient surmontées.
Il y a encore beaucoup d'énergies à libérer ; des pressions patronales, de la répression anti-syndicale à combattre.
Oui, nous pouvons élargir encore davantage la participation aux grèves et aux manifestations.
Nous pouvons convaincre celles et ceux dont c'est l'avenir qui est à l'ordre du jour, qu'ils peuvent trouver leur place dans ce mouvement décisif.
Il y faut, je sais, beaucoup de patience et de persuasion. Il faut un travail de terrain, de proximité tel que celui que vous avez engagé.
Cela peut apparaître usant - en face, ils cherchent d'ailleurs à nous user - mais nous avons une force qui nous anime, c'est celle de la justice et du progrès social et vous verrez qu'au final tout cela nous portera loin.
Les salariés dans leur très grande majorité sont opposés aux projets Raffarin-Fillon -Delevoye-Ferry.
Ce n'est pas nous qui avons peur de la démocratie.
Nos organisations, qui suivent quotidiennement la situation, ont pris de nouvelles
dispositions.
Nous lançons une grande consultation nationale des salariés, de notre pays, à l'adresse des députés et des sénateurs.
Nous avons l'ambition de recueillir, dans les prochains jours, plusieurs millions de soutiens à cette démarche.
Nous allons redire ensemble aux élus que nous sommes opposés au projet FILLON.
Nous allons réclamer d'autres mesures pour le financement de nos retraites.
Nous allons exiger de vraies négociations et de mander, dans cette attente, aux députés et
sénateurs de surseoir au vote à la fin de leurs débats.
L'heure n'est pas au renoncement, mais à la persévérance pour nos objectifs revendicatifs.
Il faut, dès aujourd'hui, relayer cette nouvelle initiative nationale et interprofessionnelle dans toutes les entreprises, les localités.
Il faut faire du samedi 14 juin et du dimanche 15 juin un week-end pour la défense de sa retraite par de multiples initiatives dans toutes les villes.
Il faut envisager un nouveau rendez-vous d'actions et de mobilisations interprofessionnel dès la semaine prochaine.
Ne nous laissons pas circonvenir par les bonimenteurs qui vantent leur mauvaise marchandise ou prêchent la paix des résignés. Derrière la bonhomie apparente et les sourires condescendants, la réalité c'est la brutalité de la position politique du gouvernement.
Comment expliquer qu'après les succès répétés et un soutien qui ne se dément pas de nos initiatives en dépit des enquêtes d'opinion très largement défavorables à son projet et à sa conduite, le gouvernement maintienne sa copie en l'état ? Où peut conduire ce parti pris d'un défi prenant de front une grande partie des salariés ? Certains dans les rangs du gouvernement comme de sa majorité caresseraient-ils le dessein de provoquer le mouvement social en cherchant à broyer toute forme de résistance au libéralisme économique et social ?
Cette hypothèse est sérieuse. Le mauvais esprit de Madame THATCHER rôde dans les rangs gouvernementaux. Nous devons tous être extrêmement vigilants par rapport au danger de cette dérive réactionnaire, à la colère et aux provocations qu'elle peut alimenter.
Le Premier Ministre s'est très tôt illustré en se faisant acclamer au Congrès du MEDEF. En prêtant complaisamment une grande attention aux uns et en faisant grossièrement la sourde oreille aux autres, le gouvernement se discrédite vis-à-vis d'une large majorité de l'opinion qui a prouvé ces dernières années qu'elle pouvait avoir de la mémoire.
Voilà un MEDEF qui propose, hier encore, d'exclure plus de la moitié des intermittents du spectacle des indemnités chômage auxquelles ils ont droit.
C'est toujours comme ça avec le MEDEF, dès que l'on présente les revendications c'est la fin du monde qui s'annonce.
Le débat à l'Assemblée Nationale, délibérément coupé de ce que ressent réellement le corps social, risque de n'être qu'une parodie sans cesse menacée de tourner à la mascarade.
Un gouvernement qui fait le constat qu'une réforme n'est pas partagée ne perdrait pas la face, bien au contraire, en révisant le calendrier et en renégociant les contenus qu'il a initialement retenus. Le vrai courage politique serait de surseoir clairement au vote pour donner à l'Assemblée nationale l'occasion de restaurer la confiance dans le débat public.
Faire adopter une loi qui est considérée comme irrecevable par la majorité des salariés, pourrait bien s'apparenter à une victoire à la Pyrrhus. Sécurité sociale, emploi, pouvoir d'achat va-t-on, là aussi céder aux injonctions des employeurs ? Car tout se tient et le gouvernement, en s'obstinant, accélère un processus - qui mine déjà notre société - par l'approfondissement des inégalités et l'extension brutale ou rampante de l'insécurité sociale.
" Il ne faut surtout pas toucher aux revenus du capital ", c'est devenu un crime de lèse -compétitivité !
Le gouvernement fait un contresens complet sur ce que le Premier Ministre a pompeusement appelé " L'esprit de mai " qui aurait suivi le choc sismique du 21 avril 2002. Il a fait de la sécurité son étendard, mais il se refuse à prendre en compte, quand il ne contribue pas à l'aggraver, l'insécurité sociale, mère de tous les risques. C'est une nouvelle version du pompier pyromane.
Aucun parti politique, quel qu'il soit, n'est, à lui seul, capable aujourd'hui de représenter une opinion majoritaire dans la population sur les principaux enjeux économiques et sociaux. Tous les partis politiques devraient faire preuve d'une grande modestie vis à vis des problèmes sociaux et reconnaître que les organisations syndicales sont des interlocuteurs incontournables pour bien appréhender ce qui permettrait à la société française de retrouver sa cohésion.
Nous manifestons depuis des semaines pour faire vivre une conception solidaire de la retraite, nous étions aussi des plus mobilisés le 1er mai 2002 pour défendre les principes et les valeurs républicaines. Les organisations syndicales n'ont donc pas de leçon de civisme à recevoir de la part de ceux qui à l'époque ne se sont pas départis d'une certaine tiédeur. Le gouvernement ne peut pas refaire l'histoire : son investiture ne doit rien à une adhésion majoritaire à la réforme des retraites proposée aujourd'hui et nous allons continuer de le prouver.
L'heure n'est ni à la soumission, ni à la résignation.
L'heure est à l'action !
(Source http://www.cgt.fr, le 16 juin 2003)