Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, lors du point de presse avec son homologue suédois, sur les relations franco-suédoises, la construction de la paix en Irak et au Proche-Orient, Paris le 16 mai 2003.

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Circonstance : Visite de Mme Anna Lindh, ministre des affaires étrangères de Suède, à Paris le 16 mai 2003

Texte intégral

Permettez-moi de vous dire combien je suis heureux aujourd'hui de recevoir ma collègue et amie, Anna Lindh. Il s'agit de notre première rencontre à Paris et je m'étais pour ma part rendu, à son invitation, à Göteborg il y a quelques semaines.
L'adhésion de la Suède à l'Union européenne en 1995, puis la succession des présidences française et suédoise en 2000 et 2001 ont permis de rendre notre coopération encore plus étroite et nos contacts plus fréquents.
Le Premier ministre suédois, M. Goran Persson a été reçu à Paris par le président de la République et le Premier ministre le 15 avril dernier. La Suède est pour nous, vous le savez, un interlocuteur politique essentiel mais aussi notre premier partenaire commercial dans la zone nordique.
La Suède compte enfin parmi nos partenaires scientifiques et culturels majeurs, comme en témoignent les nombreux échanges entre les organismes de recherche français et suédois. Au titre des relations bilatérales, la France et la Suède ont signé le 9 avril dernier, un accord portant création d'un groupe de travail sur les biens publics mondiaux.
Outre la qualité de nos relations bilatérales, ce déjeuner a également été pour nous l'occasion de constater à nouveau notre grande convergence de vues sur les principales questions européennes et internationales.
S'agissant de l'Irak, nous avons constaté la convergence de nos objectifs : assurer l'unité, l'intégrité territoriale, la souveraineté de l'Irak en même temps que la stabilité de l'ensemble de la région. Nous avons marqué notre volonté commune de travailler ensemble à la reconstruction économique et politique de ce pays.
S'agissant du Proche-Orient, nous partageons l'idée que la transmission de la feuille de route offre une réelle opportunité, une chance pour sortir de la crise. Les Européens doivent se mobiliser pour en assurer la mise en oeuvre avec l'ensemble de nos partenaires.
S'agissant des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Union, nous avons eu un échange de vues ouvert et fructueux sur l'ensemble des sujets relatifs à l'avenir institutionnel de l'Union. L'Europe élargie doit relever le défi central de l'efficacité. La question posée est celle de la capacité de l'Union à décider et à agir. Nous considérons que les propositions du praesidium constituent une base utile. Nous partageons la même ambition que la Convention parvienne à dégager les grandes lignes d'un consensus sur les institutions, ce qui ouvrirait la voie à un succès de la conférence intergouvernementale.
Indépendamment de quelques divergences, notamment en ce qui concerne la création d'un ministre européen des Affaires étrangères, nous sommes convaincus de devoir rechercher encore ensemble, un consensus autour des orientations proposées par le praesidium.
Inutile de dire que la France soutient pleinement la perspective d'avoir la Suède membre de la zone euro. Nous attendons avec beaucoup d'impatience et soutenons avec beaucoup de force les efforts du gouvernement suédois en ce sens.
Q - On voit que le froid diplomatique entre Washington et Paris se poursuit, Colin Powell était en Allemagne, Donald Rumsfeld également a annoncé qu'il allait visiter Berlin, ne craignez-vous pas que Washington parvienne à isoler Paris ou à casser l'axe diplomatique Paris-Berlin, si c'est le but de Washington ?
R - Ecoutez, je suis évidemment certain que ce n'est pas le but tel que vous l'exprimez et je n'ai aucune inquiétude dans ce sens. Les relations avec l'Allemagne sont solides, fortes, et dépassent évidemment toutes les turbulences de la conjoncture et il en va de même d'ailleurs des relations que nous entretenons avec Moscou. Je suis donc tout à fait serein.
Nous avons souhaité avoir une clarification avec nos amis américains et c'est pour cela que j'ai demandé à notre ambassadeur à Washington d'intervenir - et j'ai souhaité que l'on fasse de même à Londres - dans la mesure où nous assistions à une campagne, à des articles très nombreux, mensongers, calomnieux même parfois, s'appuyant sur des sources internes à l'Administration, sur des services de renseignement et évoquant donc des critiques totalement infondées.
J'ai souhaité que l'on puisse donner les éléments à nos amis du Congrès et de l'Administration de façon à ce que les choses soient claires entre nous.
Nous sommes des alliés, des amis depuis de nombreuses centaines d'années et il est important que nous travaillions ensemble dans un esprit de responsabilité, dans un esprit de clarté, d'amitié et de vérité. C'est pour cela qu'il était important que les choses soient mises au point, je suis convaincu qu'évidemment tout ceci contribuera à l'amélioration de nos relations. D'autant plus convaincu, on le voit bien, que les défis dans le monde, les défis en Irak, au Proche-Orient sont d'une telle importance que nous avons besoin de travailler ensemble. C'est ce que nous faisons, ce que nous voulons faire. Aux Nations unies, il y a un projet de résolution sur la reconstruction de l'Irak, nous souhaitons que chacun puisse apporter ses idées, ses propositions avec un seul but, faire en sorte de répondre aux préoccupations du peuple irakien, faire en sorte que l'action qui est engagée puisse avoir toutes les garanties du succès.
Notre conviction est que pour réussir en Irak, comme pour réussir dans le processus de paix, il nous faut être unis.
Q - S'agissant de l'Irak, les Américains ont mis sur la table une nouvelle mouture du projet de résolution auquel ils ont apporté des modifications. Quel est votre sentiment à ce sujet ? Et avec ces modifications, se rapproche-t-on d'un consensus ? la France agrée-t-elle ces modifications ? Lui conviennent-elles ?
R - Nous avons évidemment engagé un processus de concertation à New York, cette concertation se double d'un travail approfondi entre les différentes capitales. J'ai eu ce matin au téléphone Igor Ivanov, mon homologue russe, j'ai eu l'occasion de parler avec mon homologue anglais Jack Straw ; je verrai tout à l'heure M. Fischer, cette concertation doit se poursuivre, nous pensons que ce texte peut être encore sensiblement amélioré. Nous l'avons dit, nous souhaitons que les Nations Unies puissent avoir un rôle central et ceci parce que nous pensons que c'est ainsi que nous aurons les plus grandes garanties d'efficacité et de succès.
Qu'il s'agisse du désarmement où il est important qu'il y ait une certification de ce désarmement, ce qui implique un rôle donné à la CCVINU et à l'AIEA, qu'il s'agisse des sanctions, je vois que les choses progressent après les déclarations de Colin Powell, nous pensons que la suspension des sanctions permet d'obtenir un résultat immédiat, très rapide et permettra par ailleurs de travailler à la satisfaction des conditions qui mettraient en mesure d'avancer vers une levée des sanctions.
Il faut trouver une solution pour le dispositif "pétrole contre nourriture", trouver des solutions aux problèmes du désarmement, alors nous pourrons lever les sanctions.
Il y a aussi la question délicate d'une autorité politique à constituer en Irak, c'est l'intérêt de tous que cette autorité politique puisse bénéficier de la légitimité indispensable. Il faut donc que tout le monde s'emploie, en liaison avec les partis politiques irakiens, en liaison avec les pays de la région, à fabriquer ce processus.
Il est évident qu'un représentant spécial des Nations unies doit pouvoir avoir les moyens de travailler dans cette direction, c'est pour cela que nous sommes en train de proposer à New York un certain nombre de modifications, d'amendements qui rendront cette résolution, je le crois, plus efficace. C'est en tout cas la concertation que nous avons aujourd'hui avec l'ensemble de nos partenaires, une fois de plus dans un esprit d'ouverture, dans un esprit constructif, puisque c'est un défi pour toute la communauté internationale.
Q - Quelle réaction a-t-on eue de Washington sur la lettre envoyée par votre ambassadeur et ne craignez-vous pas qu'une telle démarche, en ce moment, risque de rendre encore plus tendues vos relations avec les Etats-Unis ?
R - Non, pas du tout. Vous savez, on a toujours intérêt à s'expliquer, surtout entre amis. Je pense que dans ces moments-là, il faut justement faire preuve de courage et de sang froid. Il y a des difficultés, parlons-en, le propre de l'amitié c'est la capacité que l'on a de parler en toute franchise, d'aller au fond des choses. Nous ne pouvons, entre pays amis, entre pays alliés, nous laisser gouverner ni par les humeurs, ni par les rumeurs. C'est pour cela que nous avons privilégié évidemment la voie de la franche explication. Je suis sûr qu'elle se fera au bénéfice de tous. Je le répète, dans la communauté internationale aujourd'hui, les défis sont trop grands pour que cette communauté internationale ne travaille pas davantage à son unité. C'est en agissant ensemble que nous trouverons la force, la capacité d'avancer.
Q - A propos de cette lettre, croyez-vous que les différends entre les Etats-Unis et la France sont simplement dus à une campagne de presse ou bien les efforts français en politique européenne et étrangère peuvent constituer l'un des d'éléments de ces différends ?
R - Quelles que soient les raisons qui puissent justifier, à un moment ou à un autre, des différends, l'important est de pouvoir en parler franchement. Nous sommes dans une société internationale où nous ne nous sommes pas toujours d'accord, l'important est de parler des choses, de s'expliquer et de se comprendre. Nous avons besoin d'agir ensemble, nous sommes plus forts si nous agissons ensemble, c'est dans cet esprit que la France agit, c'est dans cet esprit que la France a pris l'initiative d'adresser une lettre aux membres de l'Administration et aux membres du Congrès. Nous le faisons avec nos amis américains, nous le faisons avec nos amis britanniques, nous pensons que les choses sont toujours plus claires lorsque l'on décide d'aborder les questions avec franchise.
Q - Tout à l'heure, vous avez dit que la question palestinienne et le Proche-Orient sont une grande priorité en ce moment. Allez-vous participer, par exemple, au "monitoring" sur place qui sera déployé par l'intermédiaire d'observateurs suédois pour voir si les deux parties respectent les engagements pris ? La France enverra-t-elle des observateurs sur place sachant, Monsieur le Ministre, que vous vous rendrez prochainement en Israël et dans les Territoires palestiniens ?
R - Je partage évidemment la détermination que vient d'exprimer Anna Lindh. Nous sommes aujourd'hui confrontés, au Proche-Orient, à un véritable défi et nous n'avons pas le droit de ne pas avancer.
Lorsque j'étais dans la région, rencontrant un grand nombre des autorités des différents Etats, j'ai constaté à quel point il y avait une attente. Il y a la conviction qu'il faut, là, maintenant, résolument avancer et le but des pays européens est d'appuyer ce processus et sur cette question, l'Europe est unie. L'Europe veut avancer unie et nous avons joué notre rôle, un rôle important dans la définition de la feuille de route, il faut maintenant que nous nous impliquions pour permettre son application. C'est le vu de tous les Européens aujourd'hui.
Anna Lindh a raison lorsqu'elle dit qu'il faut absolument essayer de trouver, à chaque étape, le moyen d'appuyer les efforts. Certes, les élections sont un rendez-vous important, nous avons évoqué aussi la possibilité d'un référendum qui pourrait avoir lieu en territoire israélien et en territoire palestinien. Nous pensons que l'étape de la conférence internationale, à la fin de la première phase, est un rendez-vous essentiel qui pourrait marquer la mobilisation de l'ensemble de la communauté internationale.
Pour cela, il faut un mécanisme de supervision qui a été évoqué, c'est un mécanisme essentiel, il faut pouvoir garantir le processus et éventuellement prévoir les déploiements afférents et permettant cette garantie. Nous sommes prêts, en liaison avec tous nos partenaires européens, à faire le maximum dans ce sens, parce qu'il y a urgence, parce qu'il n'y aura pas de paix au Moyen-Orient tant que le processus de paix n'avancera véritablement. Nous pensons donc qu'il faut mobiliser l'ensemble de nos efforts dans ce sens, c'est le devoir des Européens, c'est le devoir de l'ensemble des partenaires de la communauté internationale.
Q - Pour parvenir à l'application de la feuille de route, il faut que les Israéliens acceptent. Le ministre israélien de la Défense dit que ce n'est pas une bonne chose. Comment procéderez-vous pour amener les Israéliens à accepter et à appliquer la feuille de route ? Vous parlez sur l'Irak de propositions constructives, quelles sont vos idées ? Comment pensez-vous améliorer le projet américain ?
R - Je soutiens bien sûr ce que vient de dire Anna Lindh, j'insisterai uniquement sur le Proche-Orient sur la nécessité, une fois encore, d'agir collectivement, d'agir tous ensemble. Chacun doit avancer et faire sa part du chemin, sans oublier que cette paix qui doit être collective doit être aussi globale, c'est-à-dire qu'au-delà du volet israélo-palestinien, il ne faut pas oublier le volet israélo-libanais et le volet israélo-syrien. Je crois aussi qu'il faut souligner le risque de nous enfermer dans une logique d'insécurité où l'on chercherait uniquement à traiter les problèmes de cette région par la répression et par cette logique sécuritaire.
Il ne peut pas y avoir de solutions véritables si, au-delà de cette politique de sécurité, il n'y a pas une véritable perspective politique de paix.
C'est en ralliant l'ensemble des pays, l'ensemble des peuples de la région à cette perspective que nous pourrons véritablement ne pas devenir otages de la violence et du terrorisme.
Vous avez posé la question des propositions françaises sur l'Irak, j'ajouterai seulement à ce que j'ai dit tout à l'heure que sur chacun des points qui sont aujourd'hui en discussion et qui sont l'objet de la concertation en cours, nous avons, dans le fond, une approche qui est assez similaire de nos amis allemands ou russes et de la plupart des membres du Conseil de sécurité. Ce que nous demandons, c'est que l'ensemble des mécanismes mis en uvre et prévus par cette résolution puisse véritablement être l'objet d'un travail collectif.
Dans le cadre du désarmement, bien sûr, les inspecteurs envoyés sur place par les Américains et les Britanniques ont une responsabilité particulière dans le contexte de l'après-guerre. Faisons en sorte que les inspecteurs des Nations unies puissent assumer leur responsabilité vis-à-vis de la communauté internationale.
Nous avons besoin de crédibilité et de légitimité, c'est pour cela que la CCVINU et l'AIEA peuvent certifier et vérifier le travail qui a été fait.
Concernant l'exploitation pétrolière, faisons en sorte que les mécanismes prévus donnent toutes les garanties de transparence indispensables afin que nulle suspicion, nulle contestation, ne puissent entacher les décisions prises.
En ce qui concerne la partie de l'immunité juridique, faisons en sorte, là encore, que le droit international soit pleinement respecté et que le principe de responsabilité s'applique, que le principe de contrôle de la communauté internationale s'applique et donc, à intervalles réguliers, que les Nations unies puissent être informées de ce qui se passe en Irak.
Une fois de plus, c'est l'intérêt de tous. Si l'on veut avoir un processus parfaitement respecté et soutenu par chacun, il faut que ce processus soit le plus légitime et le plus ouvert possible.
Sur la question politique, c'est évidemment l'intérêt de chacun que tous les partis politiques puissent travailler ensemble en Irak, avec le soutien de la communauté internationale, avec l'implication d'un représentant du Secrétaire général des Nations unies en liaison bien sûr avec les pays qui sont aujourd'hui présents sur le terrain.
En d'autres termes, il y a eu plusieurs étapes dans cette crise irakienne, l'étape de la négociation diplomatique, l'étape de la guerre, nous sommes dans l'étape où il faut construire la paix et pour construire la paix, il faut rassembler toutes les énergies. Ne nous divisons pas, travaillons ensemble, c'est le vu le plus cher de la France.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mai 2003)