Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de Force Ouvrière, à LCI le 27 mai 2003, sur le projet de réforme des retraites, notamment la poursuite des mouvements de protestation, le déroulement des négociations et les contre-propositions de FO en matière de financement des retraites.

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Média : LCI - Télévision

Texte intégral

Anita Hausser.- Je vais vous poser la question : et maintenant ? Hier, c'était la grande manifestation. Les organisations syndicales ont rassemblé beaucoup de monde. Et hier soir, F. Fillon a dit que c'était terminé, que c'était bouclé et que maintenant, le projet va être présenté en Conseil des ministres et qu'après, c'est le Parlement qui débattra de la réforme des retraites. Qu'est-ce que vous allez faire ?
Marc Blondel.- "Le premier constat est que M. Fillon n'écoute pas les salariés qui s'exprimaient dans la rue. Je le croyais plus démocrate, mais c'est un simple constat. Deuxièmement, je sens qu'il y a une volonté de politiser le débat, ce que nous voulions éviter, en tout cas moi et d'autres organisations syndicales. Nous pensons que c'est un débat qui aurait dû rester dans le cadre des relations sociales, entre le syndicat, le Gouvernement, voire le patronat, qui a fait faire le travail par le Gouvernement..."
Mais il faut bien légiférer à un moment ?
- "Mais bien entendu, sauf qu'il faut mieux légiférer sur un texte qui aurait obtenu l'assentiment du plus grand nombre. Je ne rentre pas dans ces démarches. Vous savez, c'est très curieux : il y a une espèce de parti pris. J'ai cherché pourquoi..."
Comment "du parti pris" ?
- "Sur deux formes. J'ai relu d'abord la lettre qu'avait envoyée M. Seillière à M. Fillon, après les consultations, lettre dans laquelle M. Seillière dit que la réforme, c'est allonger la durée des cotisations, non seulement d'ailleurs pour le privé, mais aussi pour le public. D'un seul coup, M. Seillière devient le patron des fonctionnaires ! C'est curieux mais c'est ainsi. Et deuxièmement, on a fermé toutes les autres voies, toutes les autres possibilités. Mieux : hier soir, M. Fillon répond "Ce n'est pas possible". Eh bien moi, je vais répondre à M. Fillon : "Si, c'est possible"."
Alors, qu'est-ce que vous allez faire maintenant ?
- "Plusieurs choses. On va dire à M. Fillon que nous avons, contrairement à ce que l'on raconte partout, l'intention de négocier et de faire des contre-propositions."
Ces contre-propositions, elles ont tardé à arriver !
- "Mais non, pas du tout. Le soir où nous avons passé cette jolie nuit avec M. Fillon, j'ai proposé qu'on mette des cotisations sur l'intéressement de la participation des stocks options."
Cela n'aurait pas suffit...
- "Mais attendez, laissez-moi faire entrer de l'argent dans la caisse ! Qu'on discute au moins sérieusement. Il ne suffit pas de dire que cela n'aurait pas suffit, tous les petits ruisseaux arriveront et amèneront de l'argent. Pourquoi les petits ruisseaux ? Regardons un petit peu les choses. J'ai proposé aussi qu'on envisage d'augmenter les cotisations, en réaffectant tout simplement une partie de l'argent. A l'heure actuelle, ce sont les profits qui prennent le plus d'argent par rapport à il y a une dizaine ou à une vingtaine d'années. Il y avait 25% qui allaient au profit, il y en a 31,6% qui vont au profit maintenant. Il faut rétablir, il faut faire une politique de salaire. On est en train de nous raconter des histoires d'investissement. Du coup, j'ai regardé un peu les choses et j'ai vu qu'en 2001-2002, il y avait 1.100 milliards d'euros qui étaient rentrés, 1.153 qui étaient sortis. Ce sont maintenant les capitalistes français qui vont sortir leur argent du pays !"
Les capitalistes français sortent parce qu'ils disent qu'ils ont trop de charges, c'est l'éternel problème.
- "Et c'est curieux : nous sommes le second pays pour les rentrées, pour les investissements étrangers..."
A qui on facilite peut-être davantage la vie qu'aux investisseurs français ?
- "Mais pas du tout ! Les investisseurs étrangers qui rentrent, ils ont les 35 heures, les taxes, les impôts comme tout le monde. Cela veut donc dire que les investisseurs étrangers verraient un intérêt au marché français que nos propres investisseurs ne verraient pas ? Oh, mon grand-père avait raison : l'argent n'a pas de patrie ni d'odeur, c'est clair ! Il faut arrêter ce petit jeu. C'est un petit jeu d'arguments et d'arguties. Fillon ne veut pas le dire, il ne veut pas de débat là-dessus : moi, je reproche à M. Fillon de nous proposer une réforme qui ne tiendra pas, et il le sait !"
Pourquoi il la fait, alors ?
- "Pourquoi il la fait ? Pour se débarrasser du dossier, tout simplement !"
On ne se débarrasse pas du dossier si une réforme ne tient pas !
- "Mais la réforme, vous savez très bien qu'elle est assurée jusqu'à 2012."
2006...
- "2006, parce qu'en 2006, bravo, paraît-il que le chômage va tomber dans ce pays ! Ce que je ne peux que souhaiter. Et c'est là-dessus qu'il s'accroche..."
C'est une question démographique...
- "Pas du tout, il y aura à la fois la démographie, il y aura à la fois l'ouverture du marché européen à 25 pays, il y aura à la fois l'immigration, il y aura à la fois les délocalisations et il y aura à la fois ce que je viens de dire, des investisseurs français qui iront chercher de l'argent ailleurs."
On est en train de faire du fond, c'est très bien, mais vous appelez à la grève demain, vous appelez à d'autres grèves. Est-ce que vous voulez bloquer le pays pour faire passer...
- "Quel est l'objectif ? Pourquoi voulez-vous bloquer le pays etc. ? Tout cela, c'est de la polémique inutile. Le problème est simple : est-ce que, oui ou non, la proposition de M. Fillon est en mesure d'assurer la solvabilité des régimes par répartition - pas les fonctionnaires : là aussi, ambiguïté volontaire - et notamment des régimes du privé ? C'est cela, le problème le plus important. Je dis que non, parce que la condition est de baisser en dessous de 5 % le chômage en 2006. Qui peut présumer de ce genre de choses ? Je le souhaite, mais je ne suis pas du tout certain que ce soit possible. A moins que - et là il y a un problème énorme. Vous noterez que le projet de loi de M. Fillon prévoit un minimum de revenu de retraite au niveau à la fois du régime de Sécurité sociale plus régime complémentaire. Alors, je pose une question et j'attends la réponse claire : est-ce qu'il y a la garantie de l'Etat derrière cela ? S'il y a la garantie de l'Etat derrière cela, cela mérite d'être joué, c'est tout à fait autre chose. Mais pour l'instant, il n'en est pas question."
Vous ne lui avez pas posé la question ?
- "Mais si. Vous savez, les questions que j'ai posées... Nous sommes l'année des handicapés..."
Restons sur la retraite !
- "Non, j'en ai assez, M. Fillon ne dit pas la vérité ! Je crie peut-être, mais je veux me faire entendre ! Je propose à M. Fillon, avec les travaux difficiles, qu'on discute sur les handicapés. M. Fillon ne reprend pas le dossier. Il ne me répond pas ! Cela veut dire qu'il avait un parti pris, il n'a pas accepté la négociation de l'ensemble des organisations !"
Il dit "Parlons", il ne dit pas "Négocions". Il dit que la négociation est terminée.
- "Mais heureusement, si le ministre des Affaires sociales n'est pas prêt à recevoir les syndicats, qui va les recevoir ?!"
Est-ce que vous allez l'appeler ?
- "Pourquoi voulez-vous que je l'appelle ? Je lui propose un truc... Qu'on débatte ici ensemble, chiffres à l'appui, et qu'on discute. Voilà, un débat public !"
C'est un appel que vous lui lancez ?
- "Oui, bien entendu. Le débat public, qu'on y aille. Calmement d'ailleurs ! Je m'engage à ne pas m'énerver, bien que le sujet, vous le comprenez, me passionne. Je défends les salariés et cela me met en colère d'entendre ces contrevérités permanentes. Alors, on en débat calmement, on donne les chiffres, on regarde et on verra. On verra si M. Fillon a fait tous les efforts pour assurer justement une stabilité des retraites."
Mais pendant la nuit et les heures que vous avez passées avec lui, vous ne lui avez pas avancé ces arguments ?
- "Je viens de vous en expliquer un ! Celui des handicapés, il n'y a pas répondu. Je lui ai proposé de mettre des cotisations sur pratiquement toutes les exonérations, il n'a pas répondu. Parce qu'il s'est senti mandaté par le Medef pour refuser absolument toute augmentation."
Avant qu'il vous réponde sur le débat, donnez-moi votre calendrier.
- "Mon calendrier est relativement simple. Aujourd'hui il y aura des manifestations et des grèves, et demain il y aura des manifestations et des grèves."
Et après-demain ?
- "Après-demain, nous arriverons le jour où M. Raffarin va déposer son texte devant le Conseil des ministres. Et le dossier va changer complètement de mains. Cela va devenir une bagarre entre l'opposition et la majorité, et la majorité gagnera, puisqu'elle est majoritaire au Parlement. Mais cela va changer absolument de caractère. Ce ne sont plus les syndicats qui vont l'élément moteur, cela va être les partis politiques. Je considère que ce n'est pas normal..."
Vous avez perdu ?
- "Non, ce n'est pas perdu. Je vous le dis et je vous le répète : je ne sais pas de quoi sera faite la retraite demain. Cela veut donc dire qu'il y aura des réactions et qu'il y aura des réactions beaucoup plus larges, par définition. Et puis, comme on entame le problème de la Sécurité sociale, il en aura quelques souvenirs dans quelques moins. Bien entendu, les gens se sentiront frustrés."
Et on aura l'occasion d'en reparler...
- "Vraisemblablement..."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 mai 2003)