Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Haut Commissaire aux Droits de l'Homme,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de participer à l'ouverture de cette soixantième session de la Commission des Droits de l'Homme et d'y porter le témoignage de la France.
Mon pays voue à la protection et à la promotion des Droits de l'Homme un attachement historique. C'est autour de ce projet qu'il a institué sa première République et qu'il n'a jamais cessé, sauf à ne plus être lui-même, d'être actif pour que s'affirme, chez lui comme au-dehors, l'universalité des droits de la personne.
Le président de la République, Jacques Chirac, l'avait déclaré solennellement devant vous il y a trois ans : la nation française s'est toujours voulue aux avant-postes du combat pour la liberté. Les Droits de l'Homme sont au centre de notre conception du citoyen porteur d'universel.
La France veut aussi, à l'heure où de nouveaux défis liés aux évolutions du monde se présentent, renouveler cet engagement.
Nous avons une pensée aujourd'hui très profonde pour les victimes de la barbarie aveugle qui a frappé l'Espagne jeudi dernier. La France réaffirme devant vous sa complète solidarité avec le peuple espagnol et sa détermination sans faille pour lutter, avec ses amis et partenaires, contre le terrorisme, plaie de l'humanité.
Notre rendez-vous doit être une occasion de progrès, à la hauteur de l'aspiration de millions d'hommes et de femmes qui veulent vivre la réalité de leurs droits, les défendre ou les faire reconnaître. Nous le leur devons.
Cette exigence d'action, nous la devons aussi à ceux qui, dans les moments les plus difficiles, ont rappelé qu'il n'y avait d'autres causes qui vaillent que celle de l'Homme.
Je veux rendre hommage à cet égard, à la mémoire de Sergio Vieira de Mello, tragiquement disparu en août dernier. Je salue la force et la conviction de cet homme d'exception qui a porté très haut la mission des Nations unies.
Nous sommes aux côtés du Haut Commissariat pour travailler au renforcement de l'institution et de ses moyens.
Nous attendons qu'il nous alerte sur les violations ou les menaces de violations des Droits de l'Homme. La paix et la sécurité internationales sont inséparables du respect des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Nous souhaitons que le Haut Commissariat joue pleinement son rôle dans la reconstruction de sociétés et de pays qui ont été déchirés par des crises, tels que la République démocratique du Congo ou le Soudan.
Nous tenons tout particulièrement à ce qu'il contribue en Haïti à ce que police et justice soient les garants des droits et libertés, ainsi qu'à la lutte contre l'impunité. Le bureau que cette Commission a demandé l'an passé au Haut Commissariat d'ouvrir en Haïti, et au financement duquel mon pays a contribué, doit commencer à travailler sans tarder.
Notre Commission fait progresser le droit. Avec le concours des institutions nationales de protection des Droits de l'Homme, des organisations régionales, comme la Francophonie, elle a accompli un immense travail ; elle le fait aussi avec l'aide des organisations non gouvernementales qu'il nous faut mieux associer, pour mieux agir ; elle le fait enfin avec tous les défenseurs des Droits de l'Homme et militants humanitaires, qu'il nous faut mieux protéger.
Le corpus mis en place nous impose des obligations et nous invite à décider des mesures d'application.
Mon pays entamera ainsi très prochainement la procédure de ratification du récent protocole à la Convention européenne des Droits de l'Homme qui abolit la peine de mort en toutes circonstances, et celle de l'adhésion au protocole au pacte sur les droits civils et politiques, qui a le même objet.
C'est un pas décisif que nous faisons sur le chemin de l'abolition universelle de cette peine et sur lequel nous invitons le plus grand nombre à nous rejoindre.
Nous comptons aussi sur la collaboration de tous pour que l'élaboration d'un instrument contre les disparitions forcées aboutisse dès l'an prochain.
Il nous faut également achever la rédaction de la Déclaration des droits des peuples autochtones. Victimes de l'histoire, ils sont dépositaires d'une part inestimable du patrimoine commun de l'humanité.
Il est aussi de notre devoir de veiller au respect des textes adoptés et des engagements pris.
Les rapporteurs, les comités d'experts, les groupes de travail nous font des recommandations précieuses. La France coopère pleinement avec eux. Elle soutient notamment le groupe de travail sur la détention arbitraire en présentant à notre Commission la résolution portant sur ses travaux.
La Commission des Droits de l'Homme doit continuer à dénoncer les situations les plus intolérables, telle que celle en Corée du Nord, tout en proposant son aide à ceux d'entre nous qui en ont besoin.
Dialogue et coopération doivent aller de pair avec l'expression de notre légitime inquiétude. Nous souhaitons vivement que la voie de tels dialogues et coopérations nous soit ouverte en Tchétchénie ; que le dialogue engagé avec la Chine porte ses fruits, que celui ouvert avec l'Iran aide à la progression de nos objectifs.
Avec l'instrument remarquable que constitue la Cour pénale internationale, nous pouvons enfin mettre un terme en dernier recours et pour les actes les plus graves, à l'impunité et sanctionner les violations des Droits de l'Homme et du droit international humanitaire.
Nous appelons tous les États qui ne l'ont pas encore fait à en ratifier son statut.
Au-delà de la consolidation de notre droit international et de nos institutions, soyons attentifs aux évolutions qui peuvent brutalement remettre en question les avancées.
Plus de cinquante ans après la Déclaration universelle des Droits de l'Homme, les fléaux anciens ressurgissent : l'intolérance, le fanatisme.
Ouvertes, nos sociétés doivent accueillir dans le dialogue et le respect de l'autre, la diversité qui les enrichit, sans abolir les valeurs qui fondent leur cohésion. C'est dans cet esprit qu'en France nous abordons les questions liées à l'intégration.
Mon pays est fier de ses traditions de liberté religieuse et de neutralité à l'égard des différentes croyances ; elles assurent une stricte séparation entre les églises et l'État et garantissent une égalité de traitement entre tous les citoyens.
La France protége la liberté des cultes, et entretient avec toutes les religions un dialogue respectueux ; elle ne permet pas qu'elles soient attaquées et les défend alors avec force.
C'est parce que nous sommes profondément respectueux des croyances de chacun que nous souhaitons que l'école publique ne devienne pas un terrain d'affrontement et que la neutralité des comportements religieux y soit garantie.
Ce que nous appelons la laïcité est ancré au plus fort de notre histoire républicaine et démocratique. Loin d'être une source de division, elle rassemble au contraire et unit notre nation ; la laïcité n'est pas dirigée contre la religion en général ou une religion en particulier.
La laïcité, c'est une grammaire qui permet le dialogue serein entre religion et politique. C'est pour notre pays une des bases de la paix civile et un régime de droit qui permet à toutes les familles religieuses de s'épanouir librement.
Le spectre du racisme et de l'antisémitisme continue à hanter nos sociétés, et à entretenir la haine et la division. Il se nourrit autant du mensonge que de l'inaction. La France, dans le cadre du suivi de la Conférence de Durban, se dotera d'ici la fin de l'année d'un Plan national d'action contre le racisme et la xénophobie.
Le Premier ministre a par ailleurs décidé de proposer au Parlement la création d'une Autorité administrative indépendante pour l'égalité et la lutte contre toutes les formes de discrimination.
Cette Autorité aura pour mission d'aider les victimes, mais aussi de mettre en uvre la "mobilisation positive" de l'ensemble de la société et d'apporter des réponses concrètes et efficaces.
Soyons attentifs aussi aux dérives que les techniques modernes d'information peuvent favoriser.
La France, qui ratifiera prochainement la convention du Conseil de l'Europe sur la cyber-criminalité et son protocole relatif aux actes racistes, a pris par ailleurs l'initiative d'ouvrir dans le cadre de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe une discussion sur les moyens de lutter contre la propagation des idées racistes et antisémites sur Internet.
Afin de trouver ensemble les bonnes pratiques, elle accueillera à Paris en juin prochain une Conférence qui rassemblera les gouvernements, les industriels et les ONG.
Protégeons enfin les droits des plus faibles et les plus démunis :
- ceux qu'un handicap a frappé : mon pays souhaite l'avancée rapide de la négociation d'une convention sur la protection et la promotion de leurs droits et de leur dignité. En France, nous avons créé un droit à la compensation du handicap qui est une avancée majeure.
- Les enfants, toujours premières victimes des conflits, de la pauvreté, et des discriminations.
- Les populations réduites à l'extrême pauvreté, auxquelles est déniée la jouissance des Droits de l'Homme, comme le rappelle la résolution que la délégation française présentera à votre approbation.
Accomplissons de nouveaux progrès dans la lutte contre la discrimination à l'égard des femmes. Soucieux de faire entrer chez nous l'égalité dans les faits, nous saluons les pays, qui comme le Maroc, font des pas de géant dans la même direction.
Nous appuyons par ailleurs sans réserve l'action internationale contre les violences faites aux femmes. Une réaction est indispensable face aux abominations et à la violence ordinaire dont elles sont victimes. Violences et discriminations sont liées et doivent être ensemble combattues.
A côté des droits civils et politiques, notre Commission a depuis longtemps traité des effets des évolutions économiques et sociales sur les droits.
La France continuera à participer activement à la réflexion en cours sur un protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, offrant un mécanisme de recours contre les violations de ces droits.
Nous devons nous attaquer à d'autres défis.
Des centaines de milliers de femmes, souvent originaires de pays pauvres ou en transition, sont victimes d'un véritable esclavage moderne, organisé par des réseaux criminels transnationaux. De telles pratiques sont un déni de la dignité humaine. Leur gravité exige de la communauté internationale une mobilisation sans faille. Notre Commission doit y prendre sa part.
La France souhaite par ailleurs que la réflexion sur la responsabilité des entreprises transnationales avance, suscite un débat constructif, implique tous les acteurs concernés dans la perspective de déboucher sur des règles à la mesure de la place d'entreprises dans l'économie mondiale.
Rendre le monde plus juste appelle à faire vivre une authentique démocratie des nations.
Nos intérêts collectifs, ceux de la santé, ceux de la connaissance, ceux de la préservation des biens publics mondiaux comme l'air, l'eau et les ressources naturelles en voie d'épuisement, ne peuvent être en effet assumés par les seules capacités de nos États.
Les Droits de l'Homme sont au cur de la réflexion française sur la réforme des Nations unies et sur les menaces auxquelles est confrontée la communauté internationale.
Nous devons renouveler le débat sur le système multilatéral le plus efficace dans ce domaine. Les instruments dont disposent les Nations unies ne répondent pas aujourd'hui à toutes nos exigences.
La communauté internationale doit être plus attentive aux signes avant-coureurs de violations massives. Elle doit se doter des moyens de les prévenir, plutôt que de réagir par des condamnations tardives ou de lourds déploiements de force.
Notre Commission et le Haut Commissariat aux Droits de l'Homme ont, là encore, un rôle essentiel à jouer.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Notre rendez-vous de Genève est chaque année attendu avec espoir ; soyons-en conscients et dignes.
Nous avons ensemble raison d'être confiants dans le progrès des droits et des libertés : jamais les valeurs universelles n'ont autant mérité leur nom et leur expansion poursuit obstinément son chemin.
L'idée des Droits de l'Homme n'est plus depuis longtemps le rêve des Lumières et des philosophes, mais un projet collectif que nous avons la chance unique de pouvoir construire de manière durable en propageant et en renforçant partout la démocratie et la liberté.
Sachons avancer dans cette voie.
Je vous remercie.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2004)