Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur l'organisation et la mobilisation des professions libérales pour la croissance, l'emploi et la défense du système social, Paris le 10 octobre 2003.

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Circonstance : Congrès de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL), à Paris le 10 octobre 2003

Texte intégral

Chère madame la Présidente,
j'aurais envie de dire mon cher Maître, Monsieur le secrétaire général de l'UNAPL qui n'est pas là aujourd'hui auquel j'adresse mes vux de prompt rétablissement,
Mesdames, Messieurs les présidents,
Mesdames, Messieurs,
c'est en effet mon troisième Congrès des professions libérales et pour ce 25e anniversaire je suis heureux de venir faire le point avec vous et de votre organisation et de votre mobilisation. Je suis très heureux d'être accompagné pour ce faire par N. Ameline et R. Dutreil. R. Dutreil ayant les professions libérales dans sa compétence ministérielle. C'est un des points que nous avions notés en 1996 et c'est un point important. On s'était aperçu que les professions libérales n'avaient pas de correspondant ministériel, et que l'on se trouvait dans une situation où chaque profession, le chiffre, le droit, la santé avait sa verticalité et son organisation ministérielle, qui était son interlocuteur général. Nous nous sommes aperçus très souvent qu'un grand nombre de sujets sont des sujets horizontaux qui doivent être traités de manière globale et pour lesquels il faut une concertation ministérielle des professions libérales. Je suis très heureux de voir que cette idée progresse ; elle est très importante et je le dis à de très nombreux organismes professionnels : le raisonnement uniquement vertical fait oublier que la profession libérale est une entreprise. Quand j'ai eu l'occasion de m'occuper pour la première fois des professions libérales, qui n'étaient pas dans mon décret d'attribution à la nomination du gouvernement quand on s'est aperçu que finalement il y avait des professions qui étaient abandonnées, je me suis aperçu que, sur certains domaines, les professions libérales avaient un statut social très en retard par rapport à d'autres professions. Je pense aux pensions de réversion, à quelques éléments de cette nature qui n'étaient défendus par personne puisque les artisans ont leur ministre, puisque les agriculteurs ont leur ministre, puisque les uns et les autres ont leur ministre. Les professions libérales, dans la logique entrepreneuriale - je ne dis pas que c'est toute la logique, mais c'est une partie de la logique - cette logique-là, entrepreneuriale, économique, sociale, n'est pas suffisamment prise en compte. C'est pour cela que j'ai bien entendu les professionnels de santé, et que je leur propose - à voir avec vous -, soit dans le cadre de l'UNAPL, soit dans le cadre de leur fédération, que nous ayons une réunion sur les sujets dont je sais qu'ils sont difficiles en ce qui concerne les cotisations de retraite, de manière qu'avant que la réforme soit finalisée - puisque nous avons toute une série de décisions qui sont encore à prendre et notamment avec la CNAVPL, mais aussi avec des décrets ; il y a un ensemble de décisions qui doivent être finalisées d'ici le 1er janvier - nous ayons, avec François Fillon et R. Dutreil, la possibilité d'organiser cette concertation. J'y suis prêt, vous me direz sous quelle forme. Mais je crois que ce serait bien de le faire avec les professionnels de santé, mais aussi, au titre des professions libérales parce que là, nous sommes dans un sujet très important qui est un sujet retraite, qui est un sujet lié à l'exercice libéral, et les professionnels de santé doivent avoir comme les autres, leur logique entrepreneuriale. C'est un élément très important. Vous avez 63 organisations et je pense que ce n'est pas facile à organiser, compte-tenu du nombre d'entreprise que vous représentez, et surtout, ce qui est pour moi très important, de la répartition sur le territoire. Je vois bien que beaucoup de territoires aujourd'hui sont blessés, quand de très grandes entreprises connaissent des difficultés, quand il y a une concentration géographique trop forte de l'emploi. Les professions libérales dispersées sur le territoire sont autant d'espaces d'oxygène qui font vivre les emplois et l'activité, et font en sorte que, sur l'ensemble de notre territoire, on puisse avoir une dynamique entrepreneuriale. Mais c'est un des éléments très importants de l'équilibre français parce que, ne croyons pas que l'on sera plus heureux quand on aura mis 80 % de la population sur 20 % du territoire ! Nous n'avons pas forcément les moyens de traiter tous les problèmes consécutifs à cette concentration. Donc, un dispositif entrepreneurial important, qui est un dispositif réparti sur l'ensemble du territoire, est pour nous tous essentiel à notre cohésion sociale, au lien social, au fait que nous devons tisser, dans la société française, en permanence des liens. La société française a tant de fragilités que nous avons besoin de tous ces acteurs économiques sociaux, culturels pour pouvoir favoriser une sorte de Pacte républicain au quotidien par ce lien social renforcé. Il faut défendre ses vraies valeurs, au cur de ce que je pourrais appeler une République qui va dans le bon sens, une République du bon sens, parce que nous sommes très attachés à nos valeurs républicaines. Mais on les a laissées dériver. La liberté, c'est quelque chose de formidable, mais on se rend compte aujourd'hui que, par la paperasse, par la bureaucratie, par toutes les difficultés, la liberté d'entreprendre n'est pas complètement aujourd'hui assumée. Si nous voulons vraiment que la liberté d'entreprendre puisse se développer dans le pays, et soit une des valeurs fondamentales, il faut limiter en permanence toutes les contraintes que nous mettons dans le dispositif économique de liberté. Quand je fais le total de tous les seuils, de tous les plafonds, de tous les zonages, de toutes les séparations, je vois en fait une France qui est une France grillagée, une France où pour ce qui concerne le développement économique la liberté n'est pas vraiment assumée. Revenons à cette liberté et, notamment quand on a comme c'est le cas dans ce qui vous concerne une déontologie et des codes qui valident l'exercice de votre profession, vous avez là, vous-mêmes, votre éthique professionnelle qui doit être la limite de la liberté et c'est là l'essentiel. La liberté doit s'exercer.
Aujourd'hui, dans notre République qu'on a tendance, un peu trop souvent, à penser qu'égalité veut dire égalitarisme et on oublie le mérite, on oublie ceux qui travaillent beaucoup plus et qui, parce qu'ils travaillent beaucoup plus, doivent pouvoir gagner plus. On oublie qu'au fond nous avons une égalité, c'est l'égalité de la dignité, c'est l'égalité de la personne. C'est notre égalité face à notre destin. C'est cela qui fait que nous sommes tous un égale un. Mais un égale un, c'est fondamentalement une valeur de la société, de l'humanisme social. Cela ne veut pas dire qu'en matière de travail, on est tous pareils, systématiquement même durée, même salaire, même organisation. Ce n'est pas possible parce qu'il faut reconnaître que, dans l'égalité, il y a l'accès au mérite qui est un droit. L'égalité et le droit au mérite est un droit dans la société et c'est un des éléments importants.
J'ajoute aussi dans cette notion de solidarité, très souvent l'idée qu'il y a, et notamment dans les professions libérales, l'engagement personnel. La solidarité, ce n'est pas simplement " j'envoie un chèque, je fais un geste, j'ai une procédure administrative et donc je donne puis j'oublie" ; non c'est, "je m'engage". Et vous êtes des professionnels qui s'engagent - oui dans la santé c'est vrai. On a transformé la solidarité un peu en logique administrative. La solidarité n'est pas qu'affaire de logique administrative, c'est une affaire d'engagement. Et nous l'avons connu cet été, avec cette terrible canicule. Je ne fais pas partie de ceux qui accusent, je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que telle ou telle profession aurait des reproches à se faire ; parce qu'au fond, on a été surpris par une crise d'extrême violence et par une dureté extraordinaire. Et naturellement, tous les professionnels, à l'hôpital comme chez les professionnels libéraux, tout le monde a fait de son mieux pour faire face à cette crise. Mais je note que ce qui a été important dans cette affaire, cela n'a pas été la solidarité administrative, cela a été l'engagement personnel des gens qui, derrière les volets clos, allaient voir les personnes, qui allaient au contact des difficultés et allaient traiter personnellement les sujets difficiles. C'est-à-dire que la liberté dans le bon sens, l'égalité dans le bon sens, et cette solidarité qui s'inspire plus de la fraternité -comme le disait d'ailleurs V. Hugo que vous citiez tout à l'heure Madame - est, je crois un élément très important. Je pense que c'est pour cela que, dans le Pacte républicain, on emploie les mêmes mots, mais il faut aussi que ces mots aient le même sens. Et je crois qu'il faut remettre la République dans le bon sens, c'est-à-dire dans ce sens d'une justice importante pour tous. Au fond quels sont les choix économiques - avant de parler des professions libérales - qui vous concernent et que nous engageons ?
D'abord je voudrais vous dire que la conviction qui est la nôtre, c'est que nous avons besoin de créer des richesses pour défendre notre système social. Nous pensons vraiment que nous avons un système social, en France, qui peut être un système qui est parmi d'autres systèmes mondiaux l'un des meilleurs. Mais pour le défendre, encore faut-il créer de la valeur, faut-il créer de la richesse ! Et donc, nous sommes aujourd'hui face à cette responsabilité qui est de faire en sorte que nous puissions retrouver une croissance durable dans notre société, dans notre pays, je dirais même dans notre continent européen pour pouvoir financer notre pacte social. Et cette croissance-là, c'est le choix de la France. C'est le choix du talent : nous n'évoluerons pas, nous ne voulons pas évoluer comme la société américaine, avec les principes du gigantisme et de la concentration, de la standardisation et de la banalisation. Ce ne sont pas les schémas de notre histoire ; ce ne sont pas les schémas dans lesquels notre peuple s'est développé. Les schémas dans lesquels notre peuple s'est développé, c'est l'épanouissement, c'est la création, c'est le talent, c'est l'expression, c'est la qualité, c'est la valeur ajoutée, c'est ce que vous disiez tout à l'heure, me citant, ce dont je vous remercie, c'est "l'humain ajouté". C'est cela qu'il faut faire dans l'économie, la valeur ajoutée, c'est l'humain ajouté, et l'humain c'est du talent, c'est de l'intelligence, c'est du service, c'est de la qualité, c'est du brevet, c'est de l'innovation, c'est de la recherche. Cela prend des formes très différentes, mais c'est cette valeur-là dont nous avons besoin et c'est cette valeur-là qui permet de financer le reste.
C'est pour cela que dans notre société, nous devons faire ce choix qui est un choix essentiel. Il ne faut pas se trouver dans la situation de croissance alternative dans laquelle nous nous sommes trouvés pendant très longtemps, 4 % en l'an 2000 et 2 % en 2001, pour se trouver à un premier semestre 2003 avec une croissance plate. Heureusement, la croissance du second semestre arrive. Je pense qu'elle sera là pour 2004. Nous sommes dans une inflexion positive, c'est heureux, c'est très important. Mais il faut aussi faire les réformes pour que la croissance puisse être durable dans notre pays et que l'on profite des périodes de croissance pour faire les réformes nécessaires, et que l'on puisse faire en sorte que, grâce à la croissance, et notamment en allant chercher, dans les réformes, ce point de croissance que nous n'avons pas aujourd'hui en France et en Europe, qui nous manque sur 20 ans ou 30 ans. Quand vous comparez d'autres pays au nôtre, vous voyez que l'on a un point de croissance sur 20 ans de moins et donc, si l'Europe a un point de croissance sur les 20 prochaines années de moins que les Etats-Unis, on aura beau faire les conventions que l'on voudra, les institutions que l'on développera, on n'aura des difficultés à être un pôle d'équilibre dans le monde. Donc il faut aller chercher cette croissance.
Cette croissance, cela veut dire choisir évidemment le travail comme une valeur centrale de la société. Cela veut dire mettre dans notre programme, je dirais national, une priorité sur le travail. Le travail, cela veut dire qu'il faut faire un certain nombre d'efforts, y compris financiers, pour alléger tout ce qui pèse sur le travail et qui freine le développement du travail. Nous avons une bonne productivité horaire - c'est quelque chose de très important - mais nous n'avons pas suffisamment en nombre d'heures travaillées. Et c'est cela, le problème de la France. Je dirais que cela ne se résume pas aux 35 heures, parce que cela concerne aussi les chômeurs qui, moins ils sont dans le système économique et moins ils peuvent augmenter naturellement le nombre d'heures travaillées. Cela ne se résume pas aussi qu'aux 35 heures, quand je pense aux seniors, parce que, quand on a développé les systèmes de préretraite et que l'on met un certain nombre de gens de 52 ans, de 53 ans en dehors du circuit du travail, on manque aussi d'heures travaillées. Donc, il faut faire travailler plus de Français. C'est un objectif majeur pour créer plus de richesses, et c'est pour cela que l'emploi est une priorité. Mais c'est l'emploi qui crée l'emploi. L'idée du partage du travail : c'est une idée généreuse, mais quand on voit quelqu'un de 53 ans qui part dans une entreprise, il n'est pas remplacé par quelqu'un de 22 ans, c'est inexact. Cela ne s'est pas passé comme cela, et ce n'est pas la réalité : c'est par le développement du travail, par la création de richesses que l'on crée de l'emploi. C'est ce que nous voulons faire, notamment par des allégements de charge, en faisant en sorte qu'on ait ,comme vous l'avez dit tout à l'heure sur la taxe professionnelle, pris un certain nombre de décisions, comme nous voulons le faire sur l'impôt sur le revenu - 10 % pour le total depuis que nous sommes arrivés, depuis le printemps 2002 - et un certain nombre de décisions qui sont, je crois, très importantes pour alléger toutes les charges qui pèsent sur le travail. Il faut que nous rendions le travail plus facile en France et que l'on doit tous faire les uns et les autres, c'est créer du travail pour lutter contre le chômage.
Or, créer du travail, cela se fait avec les entreprises, avec toutes les formes de l'entreprise. C'est pour cela qu'avec R. Dutreil, nous avons engagé sous l'impulsion du président de la République un grand programme de mobilisation de création d'entreprises. Je crois qu'il faut que vous vous y engagiez à fond ; je vous ai vu dans le train de la création d'entreprises, c'est très important que vous soyez présents les uns et les autres. J'ai vu beaucoup de vos professions participer à cette dynamique, pour, notamment, participer à cette création, je dirais que, au nom de l'UNAPL, si nous créons 200 000 entreprises par an, ce qui est notre rythme actuel, pour créer un million sur les 5 ans, comme vous pesez 25 %, il faut que vous créiez 50 000 entreprises de profession libérale par an pendant les 5 ans. Voilà l' objectif qui est le vôtre. Je sais que cela fait quelques concurrents, mais ce n'est pas grave puisque vous êtes meilleurs. Vous y participerez, et cela la compétition du talent et c'est cela, une entreprise et un secteur économique qui veut se développer. C'est un élément très important et nous comptons beaucoup sur vous pour participer à cette dynamique. D'autant plus que vous êtes acteurs de cette dynamique. Vous pouvez aider les entrepreneurs, vous pouvez aider le monde économique à participer à cette dynamique notamment en simplifiant un certain nombre de tâches.
Nous avons notre rôle de simplification et, nous nous engageons dans une simplification des formalités et des démarches. C'est ce qui a été fait avec le guichet unique ; c'est ce que nous voulons faire en vous donnant un seul interlocuteur. Mais il va de soi que vous-mêmes vous participez. Les différents professionnels participent à la simplification de la vie de l'entrepreneur. Parce que je crois que la démagogie consiste à dire que l'on irait vers une société qui serait plus simple. On ne va pas vers une société qui sera plus simple, parce que chaque Français, chaque citoyen européen veut être traité pour lui-même. Donc on habite la Normandie : ah oui ! Mais on habite la basse, ce n'est pas la haute ; et puis, dans la basse, on est du bocage, on n'est pas de Caen ; et puis, dans le bocage on est de là On veut être traité pour ce que l'on est, c'est-à-dire différent. Cela veut dire que l'action publique est souvent de la dentelle. Il n'y a que les dictatures qui sont très simples - tout le monde en file indienne. C'est la dictature qui est la simplicité. Si on veut reconnaître la personne en tant qu'acteur avec sa spécificité, on est obligé de tenir compte d'un certain nombre de différences, de diversité dans la société française. Derrière la diversité il y a forcément un peu de complexité. Alors, ce n'est pas une raison pour ajouter des formulaires. Nous faisons la chasse aux formulaires, cela je suis d'accord avec vous, mais ce n'est pas une raison non plus pour faire croire que l'on n'a pas besoin de professionnels qui doivent externaliser la complexité, pour, eux, la traiter et pour protéger l'entrepreneur d'un certain nombre de soucis. C'est vrai quand je vois un artisan qui devient un administrateur, je me dis qu'il ferait mieux d'avoir un travail administratif externalisé pour qu'il se consacre à son talent. il y réussira mieux, il créera plus de valeur, plutôt que d'être lui-même devenu un administratif. C'est pour cela que votre rôle, dans la dynamique entrepreneuriale est un élément très important. Egalement élément très important dans le rôle de la formation pour les jeunes.
Alors j'ai entendu quelque chose qui ne m'a pas fait plaisir. Mais vous n'êtes pas directement concernés. Mais c'est le fait que vous ne soyez pas suffisamment associés en tant que partenaires sociaux aux grands accords des partenaires sociaux. C'est notre gouvernement de 95/97 qui vous a reconnu comme partenaire social. Vous devez être autour de la table des négociations des partenaires sociaux. Je le dis au MEDEF, je le dis à l'UPA, je le dis à CGPME, il faut que les professions libérales, - elles font partie des partenaires sociaux, - quand les partenaires sociaux sont réunis pour traiter, que ce soit pour les entreprises, que ce soit pour les salariés, les professions libérales doivent être autour de la table. Il n'y a pas les grandes entreprises, les holdings, les très grandes entreprises, et puis ce qui serait marginal, parce que cela n'a pas toujours plus de 5 salariés. Ce n'est pas vrai et, en terme d'emploi, on le voit bien. Là où les artisans ont trouvé leur place, les professions libérales ont droit à la leur ; je le dirais à qui de droit.
En ce qui concerne les professions libérales : d'abord vous avez raison de parler de l'image des professions libérales dans notre pays. Je crois que c'est très important de bien veiller à ce que l'on puisse renforcer le mode d'exercice libéral de vos professions - ce qui vous rassemble malgré la diversité de vos professions ; la représentativité de vos professions dans les grands organismes notamment au conseil économique et social et aux conseils économiques et sociaux régionaux - ça je crois que c'est très important. Moi, je suis vraiment favorable à cette logique des espaces de concertation permanente où les partenaires se rencontrent, travaillent sur des rapports, se connaissent, apprennent les convictions des autres et arrivent à trouver les chemins pour pouvoir avancer. Je vous assure que si le dialogue social aujourd'hui peut repartir dans notre pays, si on a eu cet accord sur la formation professionnelle, c'est parce qu'il y a de multiples débats qui ont eu lieu et quand on a voulu poser le problème des 35 heures, quand on a voulu poser le problème de la modernisation sociale, on a demandé au Conseil économique et social d'abord de se prononcer et de voir la position des uns, des autres, de sentir un peu les convictions. Et c'est comme cela que l'on peut avancer.
Je suis vraiment convaincu qu'il faut faire du dialogue social un élément majeur de notre organisation économique dans notre pays et pour cela il faut des lieux où les partenaires sociaux frottent leurs cervelles, frottent leurs convictions et dégagent des perspectives. Et c'est un élément très important. C'est pour cela que nous allons travailler ensemble sur la représentation des professions libérales. C'est vrai que, quand je compare à d'autres partenaires sociaux, vous n'avez pas la place aujourd'hui qui doit être la vôtre. Il faut aussi faire en sorte que nous nous occupions de l'avenir de vos métiers, notamment en faisant en sorte que les professions libérales, les différentes professions, puissent être partie prenante de la dynamique que R. Dutreil et L. Ferry ont engagé à l'école sur l'esprit créateur, sur la création d'entreprise, sur la responsabilité pour les jeunes, pour leur recherche de métier. Il faut avoir ce contact avec l'Education nationale. C'est essentiel, je pense, pour les jeunes. Ils sont prêts aujourd'hui, et les plus jeunes sont ouverts à la société et beaucoup plus lucides que l'on ne peut le croire, et quand les jeunes voient que contrairement il y a dix, quinze ans on avait le sentiment qu'on entrait dans une grande entreprise et qu'on allait y faire sa carrière tout le temps. Les jeunes voient bien aujourd'hui que l'on rentre chez Paribas, et puis que, quelques jours après, on se retrouve à la BNP. Et ils se rendent bien compte que, finalement, cela bouge beaucoup et que être soi-même créateur de sa vie professionnelle, être soi-même celui qui pilote sa propre vie professionnelle, c'est difficile, mais c'est quelquefois largement aussi sûr que d'aller dans des structures qui ont l'air plus sûres, mais qui sont elles aussi en mouvement. Toute cette capacité à se créer soi-même, à assumer soi-même son propre devenir, c'est un élément très important dont les jeunes ont besoin d'avoir conscience. Ils ne peuvent en avoir conscience que par le contact direct avec les professionnels. Ce n'est pas par l'écrit, ce n'est pas par l'administratif, ce n'est pas par le bureaucratique que tout cela peut passer, c'est par des exemples humains de gens qui se sont forgés, qui se sont construits et qui ont fait de leur métier, finalement, une existence qui fait rêver les jeunes. Et c'est ce modèle-là dont les jeunes ont besoin. Je souhaite, Renaud, qu'avec L. ferry, on puisse faire en sorte que, dans toute cette ouverture de notre Education nationale sur les métiers, les professions libérales, par le témoignage de leurs acteurs, puissent être très présents.
En ce qui concerne l'installation et le fonctionnement de l'entreprise libérale, vous avez, Madame la présidente, posé plusieurs questions sur la dynamique. Je ne reviens pas sur ce qui concerne tout le domaine de la création. Nous en avons parlé, c'est un des éléments importants. Je souhaite que vous puissiez bien avoir accès à tous les dispositifs, qui sont les dispositifs de soutien, les prêts à la création d'entreprise, les accès à la BDPME, l'ensemble des dispositifs de garantie - je pense à la Sofaris -, à tout ce qui est fait aussi maintenant par les régions. Les régions vont avoir un rôle important en matière d'action économique, et notamment de garantie. Il faut veiller à cela pour que vous puissiez avoir les mêmes possibilités que les autres. Vous avez parlé tout à l'heure du contrat de collaboration libérale. Je vous donne mon accord sur ce dispositif. Je crois que c'est un élément très important : cela permet aux jeunes professionnels d'apprendre le métier, de l'apprendre avec les professionnels. Cette logique finalement du maître et du compagnon, cette logique de l'exemple, cette logique de l'apprentissage ou de l'alternance, cette logique finalement de proximité est un élément très important et c'est pour cela que nous le mettons dans notre débat de finance.
C'est pour cela aussi que nous voulons travailler avec R. Dutreil sur ce qui nous paraît très important : c'est, ce clivage souvent qu'il y a entre le statut du salariat et le statut du travailleur indépendant. C'est une difficulté pour passer de l'un à l'autre. Nous sommes quand même les champions aujourd'hui du cloisonnement, et nous mettons, à chaque fois, des barrières à franchir qui sont des barrières complexes, et il faut pouvoir franchir ce Rubicon et, notamment, le contrat de collaboration libéral permettra des avancées dans cette direction. Je pense que la possibilité de débuter en qualité de collaborateur libéral auprès d'un praticien plus expérimenté, c'est pour le jeune diplômé, le moyen de mettre le pied à l'étrier, et c'est le moyen d'avoir cette phase, qui est en fait ce que l'on pourrait appeler une phase d'insertion professionnelle, d'apprivoisement professionnel, cette phase de meilleure connaissance. Il y a une idée qui a été une idée des dix dernières années. On disait finalement, formation = emploi : l'équation n'est pas tout à fait juste, c'est formation + insertion = emploi. Entre la formation et l'emploi, concrètement, il y a une phase qui est la phase de l'apprentissage de l'entreprise qui est la phase de l'apprentissage du quotidien, qui est la phase de l'apprentissage de la pratique. On peut avoir les connaissances théoriques, mais ce n'est pas pour cela que l'on sait faire le métier. Ce n'est pas pour cela que, du jour au lendemain, on est un professionnel assumé. C'est pour cela qu'il faut trouver des statuts comme c'est le cas de celui de l'apprentissage, des statuts qui permettent de maîtriser ses propres connaissances au contact de la pratique et au contact du professionnel. Et il est évident que jamais un ingénieur ou un jeune juriste ne sera avocat du jour au lendemain. Parce que, même s'il a toutes les connaissances, il y a tout un environnement professionnel à maîtriser et à appréhender, et il faut cette phase d'appréhension. C'est pour cela que je trouve que l'entreprise doit avoir des avantages, parce qu'en fait elle participe à l'épanouissement professionnel ; en fait c'est un prolongement de la formation. C'est un prolongement de l'éducation par une forme d'éducation pratique, de formation opérationnelle qui vient prolonger l'uvre d'éducation avant la phase d'épanouissement qui est la phase où le professionnel peut s'assumer lui-même et [doit] pouvoir délibérément se développer. C'est ce souci que nous partageons et c'est pour cela que nous voulons que le collaborateur libéral puisse relever du statut social et fiscal du professionnel libéral et donc exercer en qualité d'indépendant. C'est pour cela que je crois que nous avons là le moyen de pouvoir aider à l'installation ultérieure de jeunes, avec cette qualité-là qui fait que, plus le jeune aura participé à cette phase préalable à l'exercice professionnel, plus il exercera avec succès son exercice professionnel. Je suppose que c'est très important quand on voit, y compris dans tous les domaines aujourd'hui, les difficultés professionnelles. On voit beaucoup de créateurs d'entreprise connaître des difficultés à cinq ans, à dix ans. Souvent ça revient, parce qu'il n'y a pas cette phase qui est une phase préalable, de validation des projets où l'on peut vraiment choisir le métier que l'on fait en le connaissant de l'intérieur.
Je crois qu'il y a également, et c'est très important en ce qui concerne les propositions que vous faites, tout le soutien que nous devons apporter à l'exercice de profession libérale dans un certain nombre d'endroits où il y a aujourd'hui une insuffisance de densité des professions libérales. Nous voyons bien que nous avons un problème urbain et un problème rural. Il nous faut traiter ces deux questions. Ce sont deux sujets très différents, pour un certain nombre de parties de ville, pour un certain nombre de zones rurales. Nous avons besoin des métiers de la santé en zone rurale, c'est un élément très important de la cohésion sociale, c'est un point essentiel. Je crois qu'il faut, là, mobiliser des moyens, parce qu'évidemment l'équation économique en zone rurale n'est pas toujours viable. Et donc, la collectivité publique doit rendre l'équation économique viable. Je pense que c'est quelque chose qui ne doit pas vous choquer, mais cela existe pour un certain nombre d'autres professions. On le fait pour un certain nombre de professions ; c'est pour cela qu'on a le FISAC qui peut aider une boulangerie qui s'installe, on peut aider certains éléments qui font partie de la cohésion sociale. Il faut entrer dans cette phase-là, où on doit dire que quelle que soit la densité de population ou d'un lieu, il faut donner des souplesses d'exercice de la profession et des soutiens pour rendre le métier viable. C'est un élément très important de notre cohésion sociale. Nous sommes dans une société qui se croit être une société de communication, qui se croit être une société d'information et qui, en fait, souvent est une société de solitude et d'isolement. Et c'est pour cela qu'il faut créer du lien, et c'est pour cela qu'il faut aller partout, sur l'ensemble du territoire national, avec des professionnels qui sont les animateurs de ce lien social.
Je voudrais vous dire enfin que, dans ce qui est la dynamique qui est la vôtre, ce qui me paraît très important, c'est d'être des animateurs de tout ce qui peut être l'expression des talents de la jeunesse française. Ce qui me paraît très important aujourd'hui, c'est de redonner à notre pays le goût de l'avenir. Quand j'entends ici ou là ceux qui se complaisent dans les deux uniques scénarios de la pensée de certaines grandes cervelles aujourd'hui [où] il n'y aurait pour la France que deux chemins d'avenir, soit l'arrogance, soit le déclin Non il y a les réalités :une France qui s'assume en croyant à ses talents, une France qui s'assume en ayant le goût de l'avenir, comme le dit J.-C. Guillebaud aujourd'hui dans un livre qui est, je crois, intéressant à lire parce qu'il montre bien que le goût de l'avenir fait partie de notre histoire et que la jeunesse de notre pays aujourd'hui, elle est ambitieuse, elle est courageuse. Nous ne sommes pas un pays de paresseux et les jeunes aujourd'hui, ils veulent la réussite, ils veulent s'engager. Mais que l'on arrête de nous donner ces clichés qui voudraient que l'on pense à la place du peuple français et que l'on veuille empêcher le peuple français d'exprimer ce à quoi il croit, ses propres valeurs et sa confiance en lui-même pour trouver les moyens de faire face à son avenir. C'est cela, je crois aujourd'hui, qui est important de développer, et votre implantation et votre contact avec les jeunes et notamment ceux qui travaillent auprès de vous, vous le montre régulièrement. Il y a un énorme potentiel de création dans notre pays. Ce n'est pas au moment où la France est entendue dans le monde, où le chef de l'Etat a fait exister des grandes idées dans le monde comme la paix, - nous l'avons vu - comme des grandes idées pour lesquelles nous nous battons, pour que l'ONU soit la règle de droit, pour que l'on puisse créer une organisation mondiale de l'environnement, pour que l'OMC soit plus juste avec les pays africains. Nous sommes porteurs des grandes valeurs que la France a toujours portées. Ce n'est pas au moment où le message de la France est entendu dans le monde qu'il faut que la France ait peur d'elle-même. La France a toutes les capacités de croire en elle-même. Nous avons naturellement des périodes plus ou moins faciles à gérer, nous avons naturellement un certain nombre de difficultés à surmonter. C'est vrai que pour faire des réformes je préférerais 4 % de croissance. Mais quand on a eu 4 % de croissance, on n'a pas fait les réformes. Donc, il faut que j'essaie de faire des réformes sans la croissance. Je le fais, mais je le fais avec confiance et nous le faisons en écoutant en permanence le pays, en sentant ce que le pays souhaite. On nous annonce des rentrées chaudes, des rentrées brûlantes et on voit que les Français veulent travailler, et on voit que les Français veulent assumer leurs responsabilités. Alors que la France n'ait pas peur de l'avenir, qu'elle croit vraiment à toutes ses chances et vous-mêmes, qui êtes l'exemple même de gens qui se sont engagés dans des professions, sur leur formation, vous disiez que vous n'aviez rien à vendre, si ce n'est vous-mêmes ; c'est-à-dire ce que vous pouvez. Ce que le Français, ce que la personne peut apporter d'elle-même, ce sont ces talents, ses convictions, ce en quoi votre métier est très utile à notre République. Merci à vous tous.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 27 octobre 2003