Extraits d'une déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, sur l'effort budgétaire prévu en faveur de la défense dans le projet de loi de finances pour 2004, les futures réformes au sein du ministère, et le poids du budget de la défense dans les politiques militaire, économique et internationale de la France, Paris, Assemblée nationale, le 4 novembre 2003.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi de finances 2004, Assemblée nationale, le 4 novembre 2003

Texte intégral

La défense est la première raison d'être de l'État. Il n'y peut manquer sans se détruire lui-même. Cette formule du général de Gaulle est toujours actuelle. L'État a la responsabilité d'assurer la sécurité des Français, tant sur le territoire national qu'à l'extérieur de nos frontières. L'état du monde nous dissuade de baisser la garde. Les crises régionales se multiplient, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie. La menace du terrorisme est plus présente que jamais. Les risques de la prolifération s'étendent à de nouvelles régions.
Tout effort de défense s'inscrit dans le long terme, parce qu'il est l'instrument d'une politique militaire, parce qu'il est l'instrument d'une politique économique, parce qu'il est l'instrument d'une politique étrangère.
- Le projet de loi de finances pour 2004 est l'instrument de notre politique militaire. A ce titre, il s'inscrit strictement dans la poursuite des objectifs de la loi de programmation militaire.
Le premier objectif est la disponibilité des matériels. Les efforts entrepris pour améliorer la disponibilité commencent à porter leurs fruits.
Les crédits consacrés à l'entretien des matériels s'élèveront à 2,9 Md, en progression de 11 % par rapport à l'an passé. Cette disponibilité permettra d'améliorer l'entraînement des forces conformément aux objectifs de la LPM. Ceci se traduit par un accroissement des crédits d'activité (+49,5 M) :
- le nombre de jours d'entraînement de l'armée de terre passera de 86 à 94 jours ;
- les heures de vol de l'armée de l'air passeront de 165 à 175 ;
- le nombre d'heures de mer des bâtiments de combat de la marine progressera de 6 %.
La modernisation des équipements, deuxième priorité de la LPM, doit logiquement accompagner cet effort. Elle prend en compte les objectifs de notre politique militaire :
- la dissuasion, avec la livraison du 3e SNLE/NG et du dernier lot de missiles M45.
- le renseignement et les communications, avec le lancement d'HELIOS II et de SYRACUSE III.
- la capacité de frappe dans la profondeur, avec l'arrivée des 5 premiers RAFALE de l'armée de l'air.
- la maîtrise du milieu aéroterrestre grâce à la livraison des 7 premiers Tigre et de 50 chars LECLERC.
- la sécurité intérieure, avec la fin du renouvellement de la flotte d'hélicoptères de la Gendarmerie.
L'inscription de l'effort de défense dans le long terme exige qu'une attention particulière soit accordée à la préparation de l'avenir. Plus que toute autre institution, la défense a besoin d'anticiper pour rester au niveau de performance qu'exigent les progrès continus de la technologie : 1,2 Md y sont consacrés dans le PLF 2004. La politique de recours aux démonstrateurs technologiques va se poursuivre :
- avec le drone de combat UCAV ;
- avec le démonstrateur de satellite d'écoute embarqué sur Hélios II ;
- avec le démonstrateur de radar de défense aérienne élargie.
Notre capacité opérationnelle ne dépend pas seulement des matériels, mais aussi et surtout des personnels qui les servent et qui en assurent le soutien. La consolidation de la professionnalisation constitue le troisième objectif de la LPM. Elle concerne les trois composantes de l'armée professionnelle : militaires, civils et réservistes.
Le personnel militaire voit ses effectifs augmenter au profit de l'armée de terre (1 000 EVAT), du service de santé (179 élèves médecins et infirmiers) et de la gendarmerie (1 200 postes).
Le fonds de consolidation de la professionnalisation est doté de 46 M dont 27 M de mesures nouvelles pour garantir l'attractivité de la Défense.
Le plan d'amélioration de la condition militaire reçoit 53 M de mesures nouvelles.
Le personnel civil voit son rôle et sa place mieux reconnus. Le projet de budget fait place, pour la seconde année consécutive, à des mesures très importantes de reconnaissance professionnelle (13,5 M).
Enfin, les réservistes seront associés plus souvent et en plus grand nombre aux activités opérationnelles, grâce à 37 M supplémentaires.
L'amélioration de la capacité opérationnelle et celle de la performance administrative vont de pair.
Des réformes de fond ont déjà été engagées en 2003. De nombreuses mesures de réorganisation ont été menées par les armées et la DGA. La gendarmerie a modifié son implantation et créé des communautés de brigades. Quatre chantiers importants pour le personnel ont été ouverts : les retraites des militaires, la révision de leur statut général, le rôle du personnel civil et les réserves.
La stratégie ministérielle de réforme pour 2004 va poursuivre et amplifier ce mouvement.
Elle s'articule autour de trois principes.
Premier principe : clarifier les responsabilités. Chacun dans son domaine de compétences, doit exercer des responsabilités clairement identifiées. Grâce à la mise en oeuvre de la LOLF, les responsabilités respectives des différentes autorités du ministère seront précisées.
Deuxième principe : mutualiser les moyens. Cette mutualisation doit conduire à mieux maîtriser les ressources humaines et financières destinées à assurer des besoins communs aux armées. Sept chantiers devront se concrétiser en 2004 :
- La mutualisation de l'approvisionnement des rechanges aéronautiques ;
- Celle de l'approvisionnement en vivres, y compris en OPEX, avec la création récente de l'Economat des armées ;
- Le regroupement des services d'archives ;
- La mise en cohérence de l'informatique d'administration et de gestion ;
- La gestion centralisée des réseaux informatiques (DIRISI) ;
- Le regroupement de la fonction immobilière et la création d'un service constructeur unique ;
- Le fusionnement des 5 corps administratifs de catégorie A (1 100 agents) en un corps unique.
Le troisième principe conduit à recentrer l'action du ministère sur ce qui relève de son intervention directe ou exclusive. Cette démarche s'accompagnera d'une externalisation de la gestion des logements ainsi que de l'amplification des cessions d'immeubles devenus inutiles à la Défense. La gestion des 25 000 véhicules de la gamme commerciale ainsi que la fourniture d'heures de vol pour la formation initiale des pilotes d'hélicoptères seront externalisées.
Une telle démarche doit répondre à nos objectifs opérationnels, tout en améliorant la gestion et l'organisation de nos structures.
- Instrument de notre politique militaire, le budget de la défense est aussi l'instrument d'une politique économique.
Premier budget d'investissement de l'État, le budget de la Défense irrigue un secteur économique riche d'industries performantes et d'un important capital humain, scientifique et technologique. Avec 15 Md de commandes annuelles, 170 000 emplois directs, 4 Md annuels de produit des exportations et 2 Md de TVA entrant dans les caisses de l'État, l'enjeu économique de la défense est considérable. Outre les grandes entreprises, l'industrie de défense rassemble un tissu de PME où se concentre l'essentiel du potentiel national d'innovation.
La défense joue un rôle souvent ignoré, mais moteur dans l'innovation. La R D issue du budget de la Défense représente 25 % de la R D des entreprises de ce secteur.
Enfin le secteur de la défense représente un capital précieux de compétences et de formation :
- celui des grandes écoles d'ingénieurs de renommée internationale (X, Sup'Aéro) ;
- celui des laboratoires et les centres de recherches (ONERA).
Gérer le budget de la défense, c'est un acte de politique économique. Ces richesses doivent être placées au service de nos intérêts nationaux et de ceux de la défense européenne. Cette action doit être mise en oeuvre à partir de trois grands axes :
Premier axe : promouvoir des entreprises performantes et compétitives, par le recours au marché et à la concurrence. Certaines entreprises sont aujourd'hui des leaders européens, de taille mondiale : c'est le cas d'EADS ou de Thalès. L'aiguillon de la concurrence et de l'ouverture européenne oblige les entreprises à développer sans cesse leur compétitivité et donc leurs performances. Le recours à la concurrence doit être encouragé dès lors que nos priorités stratégiques sont assurées. Il faut inciter les entreprises à réunir leurs efforts pour constituer des " pôles de compétence " à l'échelle du continent et à structurer ainsi le paysage de l'industrie de défense européenne. C'est le pari qui a été gagné avec la constitution d'EADS. D'autres secteurs, notamment les secteurs terrestres et navals, doivent suivre cette voie dans les années qui viennent.
Deuxième axe : maîtriser les enjeux des dépendances technologiques stratégiques. Il s'agit d'abord de garantir notre accès aux technologies-clés, celles qui nous permettent de faire nos propres choix en matière d'équipement. Il s'agit également d'assurer notre indépendance en matière de fournitures de composants ou de matériaux indispensables aux armements d'intérêt stratégique. Des outils sont déjà à notre disposition : procédures de contrôle des investissements étrangers, actionnariat de l'État, recours à des conventions spécifiques. Le Conseil économique de défense est chargé d'analyser ces questions et en particulier le lien entre les enjeux de dépendance et la détention du capital des entreprises de défense. Cette réflexion doit bien sûr être abordée dans une perspective européenne.
Troisième axe : mieux assumer la préparation du long terme et la fonction de stratège, qui incombent à l'État. La préparation de l'avenir, c'est l'objet de la politique de recherche et technologie. Il faut que nous disposions d'une base industrielle et technologique à la hauteur des ambitions de l'Europe de la défense. Il faut donner aux entreprises l'occasion d'acquérir les compétences dont nous aurons besoin pour les programmes futurs. C'est le choix qui a été fait en donnant la priorité aux démonstrateurs à finalités opérationnelles ou industrielles.
- Au service d'une politique militaire et d'une politique économique, le budget de la Défense est également l'instrument d'une politique internationale.
La France entend " contribuer à organiser un nouvel ordre international plus respectueux des identités et plus juste ", le Président de la République l'a clairement rappelé. En reprenant son effort de défense, la France a fait le choix de peser sur les décisions internationales. Dans la lutte contre le terrorisme, la France apporte le poids de ses soldats dont la compétence a été saluée par les plus hautes autorités de l'OTAN. Dans l'action en faveur de la stabilité et de la paix, la France est présente et au premier rang, dans les Balkans comme en Afrique.
A l'échelle européenne, les efforts que nous consacrons à nos équipements donnent de la crédibilité à notre ambition pour l'Europe de la Défense. L'Europe de la Défense a pris une nouvelle dimension grâce au succès des opérations conduites par la France en Macédoine et au Congo. Demain en Bosnie et ailleurs, elle s'affirmera comme puissance militaire capable de faire respecter ses intérêts et ses idéaux.
De nouvelles voies de progrès s'ouvrent à elle. Ils concernent notamment la préparation de l'avenir et la planification des opérations européennes :
- l'agence européenne de défense répond à la première préoccupation ; elle doit permettre d'assurer la cohérence entre recherche, stratégie industrielle et démarche capacitaire.
- l'UE doit acquérir une capacité autonome de planification des opérations conduites sous sa responsabilité, y compris celles faisant appel à des moyens de l'OTAN.
A l'échelle mondiale : la considération dont jouit la France serait bien différente si nous n'avions pas les moyens de mettre en oeuvre notre vision du monde. Notre siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies s'appuie sur notre capacité à intervenir pour soutenir militairement les décisions de l'ONU. Premier contributeur au Kosovo, nous sommes un des contributeurs majeurs dans l'ensemble des Balkans et en Afghanistan. Notre place en Afrique, nos liens avec ce continent expliquent le rôle que nous pouvons être amenés à y jouer, en dirigeant ou en encadrant les opérations de maintien de la paix. Grâce à la panoplie de nos moyens, nos amis et alliés dans le monde savent pouvoir compter sur nous quand il le faut.
Conclusion
Ce projet de budget constitue un élément déterminant de la politique de la France. Alors que certains se lamentent sur le déclin de notre pays, il donne de la France une image bien différente :
- celle d'une France responsable, qui se donne les moyens d'être un acteur au sein de la communauté internationale ;
- celle d'une France riche, inventive et dynamique, soucieuse de faire fructifier le potentiel exceptionnel, humain, économique et technologique, qu'elle détient ;
- celle d'une France visionnaire qui cherche à imaginer l'avenir, sans cynisme, sans naïveté, sans défaitisme.
C'est cette France à laquelle je suis attachée comme, je le sais, beaucoup d'entre vous.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 12 novembre 2003)