Interview de M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "Europe 1" le 23 septembre 2003, sur le plan de consolidation financière et industrielle d'Alstom, sur la prévision du déficit public de 4 % pour 2004.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Pour Alstom c'est donc le répit. Est-ce que le plus dur est à venir ?
- "Il y a deux sujets différents : le premier, c'était la reconsolidation financière, c'est fait ; le deuxième, c'est la poursuite de la consolidation industrielle qui était démarrée depuis presqu'un an, et elle va se poursuivre dans les années à venir."
Est-ce que les vrais patrons de la politique industrielle de la France ne sont pas aujourd'hui la Commission de Bruxelles et M. Monti ?
- "Non. M. Monti fait son travail qui consiste à s'assurer que, lorsqu'on est obligé d'intervenir pour aider une entreprise, ceci se fait sans que les concurrents en pâtissent."
Est-ce qu'il y a une différence entre Bruxelles et Canossa, pour les Français ?
- "Il y a sûrement une différence, parce que ce n'est pas au même endroit. Vous faites allusion à la difficulté que nous avons eue à convaincre Bruxelles que notre plan d'août était le bon. Il est vrai que dans ce plan, nous avions décidé, à la demande des banques, de participer à une augmentation de capital. Un mois et demi plus tard, après beaucoup de discussions avec M. Monti et ses troupes, nous arrivons à une situation où nous remplaçons cette augmentation de capital, tant qu'elle n'est pas autorisée, par un prêt à long terme, qui a, vu par moi et vu par le marché financier, des conséquences à peu près équivalentes."
La prochaine fois on préviendra peut-être plus facilement et plus tôt l'Europe.
- "C'est pas une question de prévenir plus facilement. Début août, cette affaire était au bord de la faillite. Il s'agissait donc en quelques jours de créer les conditions pour que les banques assurent un relais financier. J'ai pris mes responsabilités, je ne le regrette pas. Je me suis précipité, verbalement au moins, à Bruxelles, deux jours après Bruxelles avait le dossier, c'était le 8 août. Et le 8 août à Bruxelles, comme ailleurs en Europe, on ne travaille pas forcément beaucoup, ce qui a créé, si vous voulez, la situation dont nous venons de sortir."
Selon M. Monti, la Commission commence à examiner le fond du dossier Alstom. Elle n'autorise pas encore l'Etat et Alstom à agir. Cela veut dire que c'est un accord conditionnel.
- "C'est un accord qui peut se concrétiser en termes de besoins financiers sans un nouveau feu vert de la Commission, puisque d'ici décembre, la Commission est d'accord pour que nous fassions les avances de trésorerie nécessaires à Alstom pour continuer à fonctionner. La Commission est d'accord pour qu'en décembre, la mise en place de toutes les opérations décidées par les banques et par l'Etat soient réalisées. Je vous rappelle qu'il s'agit d'un gros paquet d'argent - 3,2 milliards d'euros -, dont les trois quarts, soyons clairs, les trois quarts viennent des banques, et dont un un seul quart vient de l'Etat. Et quant à la partie de l'Etat, il est clair que l'Etat n'aura pas le droit de convertir en actions les obligations à hauteur de 300 millions qu'il s'est engagé et que la Commission est d'accord pour qu'il engage à fournir à Alstom avant que la Commission ait effectivement donné son feu vert."
C'est-à-dire, autour de... ?
- "Aux alentours, je pense, de Pâques."
On vous demande aussi des contreparties, à l'entreprise des contreparties. Vous avez été chef d'entreprises monsieur Maire...
- "Certes."
Faut-il laisser Alstom fabriquer des bateaux à perte, vendre aux Anglais des turbines qui ne marchent pas et qu'il faut ensuite rembourser, rêver de commandes d'Etat, d'ailleurs qui ne viennent plus ? En plus, la Chine...
- "Là, vous faites une description volontairement manichéenne. Alstom est une très belle entreprise. Comme n'importe quelle entreprise, même si elle est solide, elle a quelquefois des problèmes techniques."
Mais alors, comment la rendre plus compétitive et plus profitable ?
- "Mais ça c'est un problème de management. Il y a un nouveau management, comme vous le savez, depuis le début de l'année. J'ai confiance en lui, nous avons tous confiance en lui ainsi que les banques. Je vous rappelle que ce sont les banques qui ont fait l'effort principal. Et il n'y a aucune raison que cette affaire, qui a un très beau portefeuille technologique, n'arrive pas à surmonter ses problèmes."
Sinon, l'Etat revient dans deux ans, trois ans...?
- "Ce n'est pas une question... Non, non. L'Etat ne reviendra pas, l'Etat n'a pas vocation pour constamment renflouer des entreprises qui ne le mériteraient pas. Cette entreprise n'avait pas de problèmes fondamentalement au sens technique ou portefeuille. Elle a eu deux pépins majeurs, dont un financier et l'autre, découlant des conditions d'acquisition d'un certain fonds de commerce. Ce sont ces deux pépins qui ont failli la mettre par terre. Nous avons tous considéré, y compris les banques, y compris la Commission que ceci n'était pas dans l'intérêt de l'Europe."
C'est-à-dire qu'il fallait lui donner les moyens éventuellement de se sauver.
- "Il fallait lui donner un peu d'oxygène."
Vous avez entendu peut-être les auditeurs d'Europe 1 qui téléphonaient : la plupart craignent une sorte de nouveau Crédit Lyonnais.
- "Ca n'a rien à avoir avec le Crédit Lyonnais. Ca n'a rien à voir. Il n'y a aucune subvention, il n'y a que des prêts, ces prêts sont faits tant par les banques que par l'Etat aux conditions du marché. Donc, il y a un résultat lié à ces prêts. Cette entreprise est techniquement, managérialement, humainement saine. Elle va se redresser, et une fois que l'on aura réinjecté les 3,2 milliards de prêts ou d'augmentation de capital, cette entreprise continuera une course qu'elle a commencée il y a 130 ans."
Mais doit-elle revoir ses produits, son périmètre, ses effectifs, ses coûts ? Que faut-il qu'elle réorganise ou restructure ?
- "Toute entreprise, dans le monde actuel, notamment ces grandes entreprises qui sont à l'échelle mondiale - Alstom a trois ou quatre concurrents dans le monde seulement -, toute entreprise, a le devoir d'être en permanence en train de réviser ses performances, techniques et commerciales."
Que doit-elle restructurer ?
- "Il faut probablement qu'elle restructure, mais c'est déjà lancé puisque le plan qui est en cours de réalisation, qui concerne des réductions d'effectifs, des concentrations, des spécialisations, se fait aux quatre coins de l'Europe depuis le début de l'année et va continuer à se faire."
Qu'est-ce que tout ça va coûter aux Français ?
- "Aux Français, rien de particulier. Ca ne coûte rien aux Français. C'est simplement le Gouvernement qui, à côté des banques, décide de faire un prêt à cette entreprise, dont une partie, si la Commission, comme je le pense, l'autorise, sera convertie en augmentation de capital. Mais cet argent n'est pas perdu, il est placé."
Mais il n'empêche que, quand on écoute les Français réagir - et peut-être ils se trompent - [ils voient] que le Crédit Lyonnais pour son amende américaine, et Alstom, vont consommer autour d'1,5 milliard d'euros, alors que les 3 % de baisse d'impôts sur le revenu c'est 2 milliards.
- "Comparaison n'est pas raison."
Enfin... C'est des chiffres, ce n'est pas la même caisse...
- "C'est facile d'additionner les torchons et les serviettes. Mais d'un côté, il s'agit de permettre aux Français de payer moins d'impôts, dans l'autre cas, il s'agit de sortir d'une impasse juridique majeure et dangereuse avec les Etats-Unis, et dans le troisième, il s'agit de faire un prêt comme n'importe quelle banque. Alors n'additionnons pas les torchons et les serviettes."
D'accord. Mais, ils ouvrent Le Figaro aujourd'hui et, sur cinq colonnes : "Les dettes publiques, 31 000 euros par Français."
- "Les dettes publiques, c'est une information tout à fait exacte. Et je remercie Le Figaro ..."
De le rappeler ?
- "De le rappeler. Parce qu'effectivement, la dette publique, donc la dette des Français, a été multipliée par trois en pourcentage du chiffre d'affaires France, depuis 20 ans, et qu'il faudra quand même assez rapidement arrêter de la faire croître."
C'est bien, vous avez du tonus, ce matin, et vous assumez tout ce qui vous tombe dessus. Mais, c'est en même temps la réaction des Français. Par exemple, aujourd'hui, on leur dit : des entreprises s'effondrent, d'autres se vendent, comme Péchiney, d'autres sont menacées, et voyez le titre du Monde Economique d'hier, et comment vous y répondez : "France ton industrie fout-elle le camp ?"...
- "Oui, il y avait un point d'interrogation derrière cette affirmation..."
Oui, c'est une question.
- "Quand vous lisez l'article, vous n'en tiriez pas la conclusion que l'industrie française "fout le camp", comme vous dites."
En-dehors du textile, de l'habillement ...
- "Non, non..."
... il y a des secteurs qui se développent et qui s'installent.
- "Non, non. Il n'est pas correct de considérer que, au prétexte que Péchiney fusionne amiablement avec son concurrent canadien, ceci traduit une fuite de l'industrie de France. Ne serait-ce que parce que Alcan a très clairement confirmé que tous les atouts technologiques de Péchiney seraient, bien entendu, développés, y compris en France."
Donc, ça peut continuer comme ça ? Une fois les Canadiens, une fois les Américains, une fois...
- "Sur ce plan-là, il est très probable qu'au fur et à mesure que le monde se "globalisera", comme on dit, les entreprises auront de plus en plus de mal à définir où elles sont "implantées". Elles seront implantées dans le monde entier, il y aura des centres de recherche, des centres de décisions partout dans le monde, y compris en France. Ca sera notre nouveau monde."
Il ne faut pas oublier l'Asie et la Chine en particulier. Monsieur le ministre, dans deux jours avec A. Lambert, vous allez présenter le budget 2004. Vous confirmez 4 % de déficit en 2003.
- "Oui."
La presse prédit 3,7 en 2004. Vous confirmez ?
- "Nous espérons que nous ferons mieux."
C'est-à-dire ?
- "Un peu plus bas."
Vous avez souvent répété qu'on ne peut réduire les déficits que d'un demi point par an. Est-ce que ce sera vraiment les 3 % que vous avez promis pour 2005 à Bruxelles ?
- "J'ai souvent répété et je le maintiens, que si l'on veut gérer les choses correctement, c'est-à-dire sans casser une certaine dynamique, il ne faut pas avoir l'ambition de brutalement réduire trop fortement le déficit. Et le O,5 % nous paraît effectivement quelque chose de plus raisonnable."
Votre collègue, J.-F. Mattei, va annoncer aujourd'hui un trou qu'il appelle lui-même "abyssal" pour la Sécurité sociale. Est-ce vrai que le Gouvernement envisage de lancer un emprunt ?
- "C'est pas une question d'emprunt. Financer ce trou, comme vous dites "abyssal", n'est pas plus difficile que de financer le déficit budgétaire qui est beaucoup plus important que ledit "trou". Notre problème, c'est, en France, comme c'est le cas d'ailleurs dans le reste de l'Europe, de trouver les conditions pour que le financement de la santé des Français se fasse d'une manière moins..."
D'accord. Mais comment fait-on quand il y a ce déficit ? Vous dites : pas d'emprunt.
- "Ce n'est pas une question d'emprunt. De toute façon, on fera des avances, le problème n'est pas là."
C'est même pas une hypothèse etc... Est-ce qu'aujourd'hui la solution c'est, en attendant la croissance - et je pense que vous pouvez être comme Pascal, faire le pari de Pascal -, attendre que la croissance arrive et prier pour qu'elle vienne assez vite, quelle est la solution ? Et est-ce que le Gouvernement va arrêter sa politique de réformes alors que, peut-être, il faut qu'elle accélère, je ne sais pas ?
- "Ca dépend ce que vous appelez par le mot "arrêter". Quand vous arrêtez une position, c'est que vous l'avez définie. Alors, je peux vous assurer que là-dessus, que le Gouvernement a sa politique de réformes. Après les retraites, le sujet de la Sécu et de la santé en général est majeur. Le sujet de l'Education a commencé à faire l'objet de réflexions que vous connaissez. Et le sujet de la réforme de l'Etat, y compris dans l'amélioration de sa performance, est en route. Nous savons ce nous voulons faire, nous le faisons à notre rythme, peut-être que d'aucuns sont impatients. Mais si nous voulons réussir, il faut mener tout ce train de réformes jusqu'au bout et nous avons encore des années devant nous. On va le faire."
La même équipe ?
- "Ca, c'est pas à moi de répondre."
Non, mais donc, vous dites aux Français qui doutent ou qui s'interrogent : nous savons où nous allons ?
- "Exact."
Bonne journée. Vous serez tout à l'heure à Nancy dans deux heures. Ca va être une bonne occasion de tester auprès des élus de l'UMP votre popularité.
- "Merci."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 septembre 2003)