Interview de M. Alain Lambert, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, à "Europe 1" le 9 septembre 2003, sur l'hypothèse d'une taxe sur les vins pour aider la Sécurité sociale, sur la préparation du budget pour 2004 et le déficit public envisagé.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. C'est la Saint Alain. Bonjour, A. Lambert.
- "Bonjour."
Merci d'être là. Otez-moi d'un doute, tout de suite : pour aider la Sécurité sociale, il paraît que le Gouvernement envisage de taxer les vins ? Oui, non ?
- "C'est une hypothèse sur laquelle l'administration travaille, la décision n'est pas prise, et il n'est pas possible de faire un commentaire sur un sujet qui n'est pas sorti de la sphère d'instruction administrative."
Cependant ?
- "Cependant, j'ai une vie parlementaire assez longue et ça me paraît une mesure qui a des chances relatives."
Même 5 centimes d'euro de taxe par bouteille de vin, le lobby et les élus locaux de la viticulture ne l'acceptent pas.
- "Les lobbies c'est une chose. Je crois que la compétitivité de la France en matière de vin doit être également prise en compte. Donc, il faut que la décision prise soit la plus appropriée possible du point de vue de l'intérêt de la France."
Votre pronostic ?
- "Je vous ai dit que je suis un vieux parlementaire qui a rarement vu l'augmentation des taxes sur les vins."
Depuis 50 ans ça ne se fait pas. En tout cas...
- "Je ne suis pas parlementaire depuis 50 ans."
Non, mais je dis, historiquement, [qu'] une mesure sanitairement bienvenue serait politiquement saugrenue, c'est ça ?
- "L'expression est très belle mais c'est la vôtre."
Merci. Comment va faire alors M. Mattei pour combler probablement 25 milliards d'euros en deux ans de déficit de la Sécurité sociale ?
- "Il ne faut pas toujours voir les sujets par les recettes, je m'épuise à le dire, il faut prendre les sujets par les dépenses. Nous ne pouvons pas dans notre pays, qu'il s'agisse d'ailleurs de l'Etat, de la Sécurité sociale, envisager toujours plus de dépenses, toujours plus de dépenses, parce qu'en envisageant toujours plus de dépenses, il faut envisager des impôts. Et donc, s'agissant de la Sécurité sociale, comme d'ailleurs de la gestion de l'Etat, il nous faut apprendre à maîtriser les dépenses. C'est une question de responsabilité individuelle. C'est une question de responsabilité également des médecins, c'est une plus forte responsabilisation de tous les acteurs de la santé."
Au passage, vous prévoyiez, il y a quelque temps pour 2003, 5 milliards d'euros de perte fiscale. Au rythme actuel, fin 2003, ça sera plus et combien ?
- "Au rythme actuel, je crains des moins values fiscales de 9,4 milliards d'euros. Vous savez que le Gouvernement de J.-P. Raffarin s'est fixé une très haute exigence de sincérité. Cela veut dire que nous donnons dans les publications mensuelles sur la situation budgétaire toute les informations dont nous disposons. C'est vrai que fin juillet, le solde, c'est-à-dire le déficit, "le découvert" comme disent les Français, s'établirait en fin d'année à moins 53 milliards d'euros."
Plus 16 milliards en un an. Le Figaro dit ce matin que "c'est un gouffre". Et de plus il y a le mois d'août. Alors, vous aviez annoncé, la France, avait annoncé à Bruxelles un déficit de 4 %. Avec ces chiffres qui évoluent, est-ce qu'on sera plus près de 5 que de 4 % ?
- "Non. Quand nous avons fait notre estimation révisée de 4 %, nous avons pris en compte tous les éléments dont nous parlons, y compris ceux qui sont présents dans cette situation mensuelle. Cela étant, ce qu'il faut que les Français sachent, c'est que tout ça est sous contrôle. Nous perdons des recettes fiscales tout simplement parce que nous subissons un ralentissement économique. Nous avons également un léger dérapage des dépenses mais c'est un dérapage temporaire. C'est lié à des facteurs techniques qui sont ponctuels. Ce sont des décalages de dépenses, c'est-à-dire des dépenses qui ont été avancées, comparé à l'an dernier. Mais nous devons impérativement en fin d'année, respecter notre objectif qui est de ne pas dépasser les 273,8 milliards qui ont été autorisés par le Parlement."
Vous venez de donner des chiffres, 53 milliards d'euros qui concernent et qui vont jusqu'en juillet. Mais il y a le terrible, le tragique mois d'août, avec ses multiples conséquences. A-t-on évalué le coût humain, financier que ça représentera même si c'est très douloureux d'ici à la fin de l'année ?
- "Les dépenses supplémentaires qui peuvent être liées aux circonstances tragiques que nous avons connues au cours de l'été, seront pour la plus grande partie également financées par redéploiement au sein des crédits des ministères qui sont concernés. Nous n'allons pas imaginer que des crédits des ministères soient des blocs de glace sur lesquels on ne pourrait rien."
Simplement parce qu'il fondent, on peut avoir cette idée là...
- "Non, mais il faut simplement que nous nous habituions également dans notre pays à considérer que, lorsque nous avons des dépenses imprévues, nous devons les financer sur les dépenses prévues."
Par exemple, les 500 millions attribués aux agriculteurs, dès le mois d'août, ils viendront d'un redéploiement ?
- "Oui, parce qu'au sein du budget du ministère de l'Agriculture, la totalité des crédits n'étaient pas définitivement affectés et également au sein du budget général, il y a des crédits qui peuvent très bien être fléchés vers ces mesures nouvelles. Comment faites-vous dans le budget d'un ménage ? Vous faites absolument la même chose. Lorsque vous avez une dépense imprévue, vous la financez en remplacement d'une autre dépense qui s'avère moins nécessaire."
Surtout, que moi je ne peux pas faire d'impôt, je ne peux pas le décider d'impôts... Bercy a annoncé une annulation de crédits d'1,4 milliard d'euros. A partir de quand déjà ?
- "Dans les semaines qui viennent, cette annulation d'1,4 milliard va être mise en oeuvre. Elle vient après une autre annulation qui s'est produite au printemps..."
D'1,4 milliard, ça fait 2,8 milliards d'euros dans l'année. Quels sont les ministères qui vont être concernés ? Où allez-vous faire des coupes ?
- "Tous les ministères seront concernés à l'exception de ceux pour lesquels un effort de rattrapage a été promis. Il s'agit de la Défense et de la Justice en particulier. Mais ces annulations seront mises en oeuvre de façon équilibrée et proportionnelle, c'est-à-dire chaque ministère participera à proportion des crédits dont il dispose dans le budget général. Il faut savoir que c'est la preuve de la volonté absolue du Gouvernement de maîtriser ces dépenses. Si nous voulons ne pas dépenser 1 euro de plus que ce qui a été autorisé par le Parlement, nous devons en cours d'année d'abord mettre en réserve des crédits, et ensuite annuler des crédits, afin de montrer notre détermination à tenir notre exécution, c'est-à-dire rendre crédible notre politique de maîtrise des dépenses et tenir notre parole."
Mais est-ce que ça veut dire que des secteurs, comme la Recherche, la Culture, l'Education vont en baver, vont souffrir ? Les services publics, on va vous le dire ?
- "Vous êtes un trop fin analyste pour confondre beaucoup de dépenses et efficacité. Ceci, entre nous, a de moins en moins à voir. Un ministère qui assure le meilleur service aux Français n'est pas un ministère qui gaspille. Donc, ça n'est pas en dépensant plus qu'on démontre aux Français qu'on est plus utile."
Ca, c'est valable pour l'Education, mais aussi pour la Défense peut-être ?
- "C'est vrai pour tous les ministères. L'appareil de Défense mérite d'être en effet remis en fonction, dans de meilleures dispositions. Mais ça veut dire qu'au sein des dépenses classiques du ministère de la Défense, on peut faire autant de progrès qu'au ministère des Finances ou de l'Education."
Le Premier ministre promet de relancer l'économie, grâce à 2 milliards d'euros d'impôts. Vous annulez 2,8 milliards. Donnez-vous d'une main ce que vous enlevez de l'autre ? Comment l'économie dans des conditions peut-elle redémarrer si vous permettez ?
- "Non, mais là, il ne faut pas lier les annulations d'un côté avec la baisse des impôts de l'autre. S'agissant des annulations, c'est tout simplement pour éviter qu'il y ait un dérapage, c'est pour éviter qu'on dépense plus. Donc on annule exclusivement pour dépenser ce qui a été convenu. S'agissant de la baisse d'impôts, c'est partir de l'idée dans notre pays, qu'il faut encourager tous ceux qui travaillent, encourager tous ceux qui entreprennent, il faut encourager tous ceux qui prennent des risques, il faut les attirer sur notre territoire, il faut les conserver quand ils y sont. Il faut le faire d'un manière claire, nette, sans aucune ambiguïté, afin précisément d'encourager l'activité en France."
Et vous croyez que c'est le cas ?
- "Mais c'est tout à fait le cas, et je pense que les Français voient qu'ils ont un Gouvernement qui tient son cap, qui est déterminé en effet à faire de la France un pays d'entrepreneurs."
Mais avec un déficit plus grand que les autres pays. Par exemple ...
- "Mais ça c'est lié à la conjoncture économique."
Par exemple, M. Aznar est en train de faire le mariole. Il a 2,4 % et pas déficit. Je ne sais pas comment il fait.
- "C'est un bon exemple, en Espagne, en effet, on a redressé les finances publiques. Aujourd'hui, on a de la croissance et l'Espagne est un pays qui est en meilleure santé financière que la France."
Vous affirmez aussi à Bercy, que l'objectif du Gouvernement et vous nous le respectez, reste la maîtrise des dépenses. Si ce n'est pas un gag, comment, et j'ai envie de dire, quand ?
- "La maîtrise des dépenses, c'est se fixer au début de l'année un montant de dépenses et ne trouver aucune bonne raison pour dépasser ce montant. C'est ce que nous faisons. Nous nous sommes fixé un montant de dépenses en début de l'année, et nous avons pris l'engagement de ne pas dépenser 1 euro de plus. Nous utilisons des moyens pour qu'il en soit ainsi. La mise en réserve de crédits, les annulations, ce sont éventuellement des dispositions que vous nous reprochez, mais c'est pour nous le moyen une fois pour toutes de maîtriser notre dépense."
A Bruxelles vous dites : à quel moment le déficit on le ramènera aux 3 % voulu par l'Europe ?
- "Selon les prévisions que nous avons faites sur plusieurs années, et avec la détermination que nous montrons à réduire le déficit, d'1 demi point de PIB par an, on le dit sur le déficit structurel mais c'est très difficile à expliquer, nous devrions pouvoir être à l'équilibre à, pardonnez-moi - à l'équilibre ! vous voyez, c'est un souhait tellement fort que je le fixais déjà dans notre calendrier - mais de revenir en-dessous de 3 %, à l'horizon 2006. C'est d'ailleurs ce que le Premier ministre appelle "l'Agenda 2006"."
Ni 2004, ni 2005. D'autre part, on s'est fâché parce qu'on a parlé de l'Europe, avec un peu de désinvolture et y peut-être de condescendance. Etait-ce le meilleur moment alors qu'on a besoin d'une action coordonnée et concertée de toute l'Europe pour la croissance et l'emploi ? Est-ce malin ?
- "Nous sommes attachés au Pacte de stabilité, personne n'en doute. C'est "oui" au Pacte de stabilité, "non" à la récession de la France."
Dernière question : vous connaissez mieux que tous l'état sincère des finances de la France, des caisses. Aujourd'hui, il y a un débat à la mode et d'ailleurs récurrent, N. Bavrès, écrit 120 pages pour dire que "la France tombe". Et A. Minc, hier, dans Le Monde : "Le pire est devant nous". Est-on dans la récession, dans le déclin ?
- "Je ne crois pas du tout au déclin de la France. Je crois que les humains obéissent à deux émotions principales : à la peur et à l'espoir. Si nous les mettons dans la peur, on ne peut plus espérer qu'ils agissent. Si nous les mettons dans l'espoir, je crois qu'ils sont capables de devenir champions. C'est un mental qu'il faut avoir dans l'économie comme dans le sport."
Vous avez choisi le camp de... ?
- "De l'espoir."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 9 septembre 2003)