Déclaration de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, sur l'AIMF et la coopération décentralisée francophone, Paris le 15 juin 2000.

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Circonstance : 20ème assemblée générale de l'AIMF (Association internationale des maires et responsables de villes francophones) à Paris le 15 juin 2000

Texte intégral

Monsieur le Maire de Paris, président de l'AIMF
Mesdames et Messieurs les Maires,
Chers Amis,
L'AIMF se réunit cette année à Paris pour sa vingtième assemblée générale. Le président de l'AIMF a dit son plaisir à accueillir cette réunion. C'est pour moi l'occasion de saluer le chemin parcouru en deux décennies et de rendre hommage à la tâche accomplie au service de la coopération décentralisée et de la Francophonie au cours de cette période.
Je ne reviendrai pas sur l'histoire de votre association qui est ici connue de tous ni sur le dynamisme qui l'a portée de 1979 à aujourd'hui. Forte de 99 membres, ayant mené à bien plus de 150 projets de coopération au profit de ses villes membres, l'AIMF a ouvert la voie d'une coopération originale entre grandes métropoles du nord et du sud qui rejoint tant les priorités du gouvernement français que celles de la Francophonie multilatérale.
1 - L'AIMF est un opérateur privilégié de la Francophonie :
L'AIMF et la Francophonie institutionnelle ont eu, à leurs débuts, des routes parallèles. En devenant un opérateur à part entière de la Francophonie au sommet de Cotonou, l'AIMF n'a pas seulement accédé à une reconnaissance légitime, elle a aussi accepté d'inscrire son action dans le cadre des priorités définies par les chefs d'Etat et de gouvernement de la Francophonie et d'établir un dialogue approfondi et constructif avec les autres instances et acteurs du mouvement francophone.
Ce rapprochement est heureux. Cette évolution souhaitable et souhaitée, augure, j'en suis convaincu, de collaborations renforcées, plus fructueuses et plus complémentaires, entre les opérateurs de la Francophonie. Ce développement, conforme aux résolutions du sommet de Moncton, est en outre novateur et, espérons le, précurseur, car avant que l'AIMF devienne opérateur à part entière, la coopération décentralisée, on peut le déplorer d'ailleurs, était peu présente dans les instances et les politiques de la Francophonie institutionnelle. Il est vrai qu'il a fallu attendre la loi de 1992 pour qu'elle sorte de la clandestinité. Cette absence était d'autant plus paradoxale que nombre des collectivités de nos pays engagées dans des programmes de coopération décentralisée ont choisi de faire de la Francophonie leur priorité. Si l'Afrique sub-saharienne, vers laquelle une majorité de collectivités locales du nord continuent de concentrer leur action, demeure le champ d'action traditionnel de la Francophonie, les échanges se sont aussi beaucoup développés avec les collectivités des pays ayant rejoint plus récemment le mouvement francophone, en Europe comme en Asie.
A cet égard, la prise en compte explicite de la coopération décentralisée par la déclaration du sommet de Moncton constitue un progrès notable. La France se reconnaît pleinement dans les objectifs qui ont été définis en Acadie. Parmi ceux-ci, deux doivent retenir notre attention commune et mobiliser toutes les énergies des Etats membres comme des opérateurs de la Francophonie. Il s'agit de la promotion de la diversité linguistique et culturelle. Il s'agit de la promotion de l'Etat de droit et de la démocratie. La Francophonie sera jugée à l'aune de ces deux chantiers.
Alors que le processus de mondialisation qui s'amplifie chaque jour, au nord comme au sud, risque d'engendrer une uniformisation, ignorant la diversité des cultures, la Francophonie peut, doit, aider toutes les langues et les cultures existantes à s'affirmer, en son sein comme chez ses partenaires. Cette cause n'est pas frileuse. Elle n'est pas celle, exclusive, d'une seule langue, le français, dont il conviendrait de restaurer la prééminence. La Francophonie doit plutôt être comprise comme un combat mené pour que chacun puisse continuer à s'exprimer, à créer, à penser dans la langue qui lui est la plus familière, qu'il s'agisse du français bien sûr, ou d'une des nombreuses autres langues vernaculaires ou véhiculaires qui font sa richesse. Cet engagement, la Francophonie entend le mener de front avec tous ceux qui partagent sa préoccupation. Le réseau des villes de l'AIMF peut y prendre sa part car c'est au coeur des métropoles et dans les grandes villes d'abord que se rencontrent et, parfois, malheureusement, s'affrontent, les pratiques et les modèles culturels qui façonnent les nouveaux modes de vie et les références des peuples.
La promotion de la démocratie et des Droits de l'Homme est l'autre grand thème mobilisateur de ce biennum qui, lui aussi, devrait avoir un écho particulier pour l'AIMF. A Hanoï, en instituant un Secrétariat général et en en confiant la responsabilité à Boutros Boutros-Ghali auquel je tiens à rendre hommage, la Francophonie a franchi un cap significatif. Graduellement, elle passe de l'affirmation d'une communauté de valeurs à la mise en oeuvre de pratiques propres à garantir et promouvoir la démocratie de manière effective. Les missions d'observation électorales ou de bons offices organisées sous l'égide de l'Organisation internationale de la Francophonie, les concertations approfondies qui réunissent les représentants de nos Etats et gouvernements au sein des instances politiques de la Francophonie contribuent à établir entre nous un dialogue libre, exigeant, y compris sur les questions politiques, dans le respect de la sensibilité et des prérogatives de souveraineté de chacun. Ce nouveau développement de l'action de notre mouvement renforce sa crédibilité et son assise internationales. En organisant en novembre prochain à Bamako un séminaire sur le bilan des pratiques de la démocratie, la Francophonie s'adonne à un exercice ambitieux dont l'issue, n'en doutons pas, sera déterminante pour l'avenir de notre mouvement.
Les grandes villes francophones sont concernées au premier chef par cet exercice dans la mesure où la démocratie locale est partie prenante de la démocratie. Le symposium de Bamako réservera, dans ses travaux, une place de choix à l'ensemble des réseaux qui participent de la démocratie locale. Les exemples ne manquent pas qui démontrent quel impact une consultation électorale locale peut avoir sur la stabilité politique d'un Etat. Il n'est pas besoin de revenir à Tocqueville pour rappeler quel cadre irremplaçable d'apprentissage de la citoyenneté et d'exercice de la démocratie les communes constituent. L'AIMF l'a bien compris et les programmes d'informatisation de l'état civil qu'elle a mis en oeuvre avec succès dans plusieurs agglomérations africaines témoignent de cette conviction.
Vous, responsables des métropoles de l'AIMF, avez un rôle essentiel à jouer dans la création et l'aménagement des conditions d'exercice de la démocratie, pour le compte de vos villes et de celui de vos habitants d'abord, mais également pour celui des Etats dont vous procédez.
2 - Pourquoi une coopération décentralisée francophone ?
Vous n'aurez pas besoin de me convaincre de l'utilité de la coopération décentralisée. C'est précisément pour en avoir mesuré l'efficacité lorsque j'étais président du Conseil général du département des Côtes d'Armor, que j'ai souhaité, en tant que ministre délégué à la Coopération et à la Francophonie, en faire une des priorités de mon action.
Si je ne considère que les seules collectivités françaises, six mille d'entre elles entretiennent des relations internationales et deux mille conduisent des actions qui relèvent de la coopération décentralisée. Cet effort représente un engagement financier qu'on peut estimer entre 1,4 et 1,6 milliard de francs dont 500 millions sont financés par les seules régions. La part de cet effort total qui concerne des projets relatifs à la Francophonie est difficile à déterminer mais en représente vraisemblablement plus de la moitié.
La coopération décentralisée est relativement récente. Elle correspond pourtant déjà à une réalité profondément ancrée dans le tissu des collectivités locales, rurales comme urbaines, et du nord comme du sud. Si elle recouvre les formes les plus diverses, elle témoigne partout du même élan de générosité et de solidarité qui rapproche les peuples et se fonde sur des liens concrets et pérennes entre les individus. Au plus haut niveau, la convivialité de votre assemblée témoigne de la chaleur et de l'étroitesse de ces liens qui vous unissent même si vous n'avez pas l'exclusivité de cette proximité. Il n'est qu'à voir la chaleur des contacts qui s'établissent entre les personnels de vos villes et parfois même, directement, entre les populations à l'occasion des multiples échanges que vos collectivités entretiennent : stages de formation, chantiers de développement, partenariats culturels, sportifs, qui, chacun à sa façon, concourent à la vitalité de ces liens.
La coopération décentralisée présente à mes yeux trois avantages qui la rendent irremplaçable :
- la proximité ;
- la souplesse ;
- la continuité.
Mais pour avoir un sens et surtout une efficacité, la coopération décentralisée doit s'inscrire dans un mouvement concerté, être fondée sur la recherche de synergies. Ce souci permanent de complémentarité doit s'inscrire dans un double mouvement. En direction des autres collectivités locales d'abord vis-à-vis desquelles, du fait de leur importance démographique, économique et politique, les villes membres de l'AIMF ont un rôle d'entraînement à jouer et vis à vis des autres opérateurs de la Francophonie multilatérale que, je viens de le rappeler, l'AIMF a décidé de rejoindre dès 1993. Cette adhésion consentie aux objectifs de l'Organisation internationale de la Francophonie, aux priorités dégagées par les sommets doit fixer, en concertation avec les autres opérateurs, dans un dialogue régulier et confiant avec les pays contributeurs, un cadre à l'action de l'AIMF, donner une plus grande efficacité et une plus grande lisibilité à sa programmation.
3 - Quelle coopération décentralisée pour la Francophonie ?
Permettez-moi d'élargir mon propos à ce que je crois devoir être les objectifs d'une politique de promotion de la coopération décentralisée. S'il est clair que l'Etat n'a vocation, en la matière, ni à se substituer aux collectivités locales ni à leur imposer leur conduite, il peut, en revanche, par son action sur l'environnement de ces collectivités, contribuer à rendre leurs interventions plus efficaces et plus cohérentes.
La coopération décentralisée s'appuie sur des réseaux d'élus et d'associations. Le caractère spontané de ces initiatives est le gage de leur vitalité, de leur créativité et de l'engagement enthousiaste de leurs promoteurs. Pour autant, s'il faut préserver et encourager cette richesse, ce foisonnement des échanges entre collectivités du nord et du sud, il est du devoir des pouvoirs publics de l'éclairer afin de garantir une cohérence, je serais même tenté de dire une convergence, entre l'ensemble des initiatives des opérateurs publics du développement.
Vous l'avez compris, le gouvernement français apporte un soutien très ferme à la coopération décentralisée. J'ai pris la mesure de l'intérêt et des attentes qu'elle suscite tant de la part de nos partenaires que de celle des collectivités locales françaises. Il m'est apparu qu'une action efficace de l'Etat en ce domaine supposait une clarification des rôles respectifs de chacun.
Des initiatives ont été prises en ce sens. Je me suis efforcé de renforcer la représentation des collectivités locales. La France a ainsi mis en place un Haut conseil de la coopération internationale et du développement au sein duquel les collectivités locales sont bien naturellement représentées. Elle dispose également d'une commission nationale de la coopération décentralisée où les représentants de l'Etat et des collectivités locales siègent à parité. J'ai en outre souhaité développer des "rencontres-pays" qui mettent en présence le plus grand nombre possible d'acteurs publics et privés autour de la stratégie à conduire et des objectifs à atteindre dans les pays partenaires. De la même manière, j'ai souhaité associer les collectivités locales aux commissions mixtes qui sont l'occasion de tirer un bilan de nos coopérations bilatérales, de tracer une feuille de route. Enfin, nous avons entamé un important travail de sensibilisation de nos postes diplomatiques sur le thème de la coopération décentralisée.
Ces préoccupations vous paraîtront peut-être décalées par rapport aux attentes de l'AIMF. L'objet de votre association est exclusivement francophone tandis que les actions que je viens de vous présenter ignorent cette barrière linguistique. Il n'y a, pourtant, aucune contradiction entre ces deux démarches, bien au contraire.
La Francophonie est donc partie intégrante de la coopération décentralisée. Plus du tiers des actions internationales entreprises par des collectivités locales françaises concernent des pays qui adhèrent à la Charte de la Francophonie. La symbiose est étroite entre coopération décentralisée et Francophonie. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé récemment à la Commission nationale de la coopération décentralisée, lors de sa séance plénière annuelle, de réfléchir à la dimension francophone et à sa signification dans les modes de coopération décentralisée. Ce chantier pourrait, en liaison avec les acteurs institutionnels de la Francophonie, nourrir des réflexions sur la dimension culturelle et technique de la notion de services publics locaux par exemple et de bonne gestion des affaires publiques tout en contribuant à la diffusion des pratiques démocratiques.
L'AIMF a, aux côtés des autres opérateurs français et internationaux de la coopération décentralisée francophone, un rôle éminent à jouer dans cette réflexion. C'est ensemble, et conformément aux perspectives dessinées par les instances multilatérales de la Francophonie politique, que nous parviendrons à rendre plus cohérent, plus efficace, plus complémentaire aussi, le dispositif de coopération francophone décentralisée.
Je souhaite pour ma part que l'approfondissement de la démocratie locale par des actions concrètes de coopération entre services municipaux et la promotion de la langue française, en matière d'éducation et de culture d'abord, mais également dans des domaines plus techniques de l'action municipale, demeurent au cur des priorités de l'AIMF. Non seulement, elles sont conformes à sa nature, mais elles conditionnent aussi son devenir. Pour l'AIMF, la modernité passera, à mon sens, plus par l'approfondissement de ces missions dont elle s'acquitte avec la compétence que l'on sait, que par le développement de compétences nouvelles qui risqueraient de brouiller son image et la visibilité de son action.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Maires, chers Amis, je forme des vux de succès pour la suite de vos travaux et vous souhaite une vingtième assemblée générale aussi studieuse que fructueuse
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juin 2000)