Interview de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, à Europe 1 le 21 octobre 2003, sur la réforme de l'allocation de solidarité spécifique, le RMA et la négociation sociale.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach-. Valenciennes accueille le président de la République. La ville compte, comme ailleurs, des chômeurs en fin de droits, qui sont angoissés sur leur sort. Est-ce que, ce matin, vous annoncez que vous supprimez ou vous modifiez votre réforme contestée de l'ASS, l'Allocation de solidarité spécifique ?
- "Cela fait plusieurs semaines que nous discutons avec l'UMP, en particulier avec P. Méhaignerie et J. Barrot, sur la manière de rendre la plus efficace possible cette réforme. D'abord, on ne supprime pas l'ASS, contrairement à ce que disent certains et notamment le président de l'UDF. L'ASS est maintenue pour les chômeurs qui ont plus de 55 ans, sans limite, et pour les autres, ce que nous voulons faire, c'est..."
Vous la gardez l'année prochaine ou vous la gardez en permanence ?
- "Elle est gardée en permanence, il n'a jamais été question de la modifier de ce point de vue-là. Et pour les autres, ce qu'on veut faire, c'est limiter la durée. Parce que, nous estimons qu'aucune indemnité de chômage n'a vocation à être versée indéfiniment. Quand on a moins de 55 ans, la priorité, c'est de retrouver un emploi. Et quand on est chômage depuis plusieurs années, puisque l'ASS c'est pour les gens qui sont au-delà de l'indemnisation normale du chômage, la priorité ça doit être de leur fournir les moyens de retrouver un emploi et pas simplement de leur verser une allocation."
Ca concerne plusieurs centaines de milliers de personnes.
- "Ca concerne, effectivement, autour de 150 000 personnes. Et pour ces personnes, ce que nous avons décidé, ce que je vais annoncer à l'Assemblée nationale, c'est que, la réforme du revenu minimum d'activité, qui sera donc un emploi dans les collectivités, dans les associations, dans les entreprises, pour lequel l'employeur n'aura à payer que la différence entre le RMI et le Smic, cet emploi, ce revenu minimum d'activité, sera directement ouvert à toutes les personnes qui sortiront de l'Allocation spécifique chômage, sans conditions et sans durée de RMI, comme c'était initialement prévu."
Le RMA, qui est destiné à donner de nouvelles chances personnelles de retravailler. Est-ce qu'il faut préciser que, jusqu'ici, il fallait un délai de deux ans, le Sénat vous a dit 18 mois, pour aller du RMI, le revenu minimum d'insertion, au revenu d'activité ? Vous supprimez donc un passage.
- "On supprimera ce délai, et pour les personnes qui quitteront l'ASS, à partir du mois du 1er juillet, puisque cette mesure ne s'applique qu'au 1er juillet, l'ouverture des droits au revenu minimum d'activité sera totale pour les personnes qui seront en fin de droits."
Vous corrigez votre réforme ?
- "On améliore un dispositif mais dont la philosophie reste la même, c'est-à-dire, plus d'aide indéfinie, mais des systèmes de réinsertion plus efficaces et plus tournés vers le travail."
F. Bayrou dit : "Le Gouvernement veut récupérer 170 millions qui seront payés par les départements et rayer 150 000 RMistes des statistiques du chômage".
- "F. Bayrou dit des bêtises parce que le Gouvernement ne fera pas d'économies sur cette réforme. Je rappelle d'ailleurs que le coût total de l'ASS est 2 milliards d'euros, dont on voit bien qu'elle n'est pas supprimée. Mais ce que nous avons promis, et d'ailleurs c'est la Constitution qui d'ailleurs le prévoit, c'est de compenser intégralement aux collectivités locales et donc aux départements les charges qu'on leur transfert. Donc, s'il y a transfert supplémentaire avec la fin de l'ASS pour certains chômeurs de longue durée, elle sera compensée."
Donc, vous compenserez, vous le confirmez. Vous avez les ressources pour l'ASS ?
- "Bien sûr que nous avons..."
Pour 2004, 2005 éventuellement.
- "Bien sûr."
Certains disaient non. Donc, après le Premier ministre, vous répondez à cette condition de F. Bayrou pour que l'UDF approuve le budget 2004, vous lui donnez, ce matin, ici, une raison de le voter ?
- "J'espère que l'UDF votera le budget, mais l'objectif principal du Gouvernement dans cette affaire c'est de mettre en place un système qui soit efficace pour les chômeurs, et je dois dire que c'est avec l'UMP que nous avons travaillé à l'amélioration de ce système."
Il a deux avantages : vous donnez satisfaction à l'UMP et à l'UDF. Valenciennes accueille donc le président de la République, qui va aller dans tous les quartiers, même les plus populaires. C'est une ville d'abord sinistrée, elle se redresse, elle passe de 30 à 14 % de chômeurs. En quoi est-ce un symbole fort ?
- "Je crois que c'est très important que le président de la République aille dans les quartiers difficiles, qu'il aille parler avec nos concitoyens, mais qu'il aille aussi dire au fond quel est le sens de la politique que nous conduisons sous son autorité, parce que les stigmates du 21 avril n'ont pas disparu."
Mais aujourd'hui, qui a besoin d'une sorte de "oh ! hisse" pour un sursaut : le Gouvernement ou la France ?
- "Je crois que c'est notre pays qui a besoin d'un sursaut. Nous nous sommes endormis, en particulier parce qu'on nous a fait croire pendant un certain nombre d'années qu'on pouvait continuer à se payer le meilleur système de retraite d'Europe, la meilleure santé au monde, les meilleurs services publics, en travaillant moins. Or, aujourd'hui, nous sommes confrontés à une compétition qui est extrêmement rude et au risque de voir notre modèle social remis en cause. Donc, c'est la France qui a besoin d'un sursaut."
Est-ce que l'effervescence de J.-L. Borloo est en train de démontrer qu'une politique sociale, de rénovation urbaine, peut favoriser la sécurité, l'intégration et j'ai envie de dire, même la laïcité ?
- "Oui, bien sûr, et je pense que le président de la République va évoquer ce sujet, qui est un sujet essentiel pour la cohésion de la République. Il y a aujourd'hui une vraie menace sur la laïcité, il y a une perte des repères, y compris d'ailleurs chez un certain nombre de dirigeants politiques. Il faut que le président de la République trace clairement le chemin."
Il va le faire ?
- "J'imagine."
Un mot, la croissance a repris très fortement aux Etats-Unis, beaucoup plus faiblement en Europe. Est-ce que vous commencez à ressentir le début des premiers effets de cette reprise ?
- "Je suis convaincu depuis longtemps que nous sommes à la fin d'un cycle, qui était un cycle d'atonie, lié notamment à l'explosion de la bulle financière. D'ores et déjà, nous sommes repartis sur une pente de croissance ascendante. La Banque de France vient de réviser ses prévisions pour le dernier trimestre à 0,5 pour la France. Nos prévisions pour l'année prochaine de 1,7 point de croissance sont très très raisonnables et ont toutes les chances d'être atteintes. Et dans ces conditions, je suis convaincu que, l'année prochaine, la France présentera un solde positif en matière d'emploi. Cette année, on a détruit, grosso modo, 130 000 emplois, dont plus de 80 000 sont ce que j'appelle "des faux emplois", c'est-à-dire des emplois publics, emplois-jeunes, et contrats aidés. L'année prochaine, nous prévoyons un solde positif au minimum de 180 000 emplois dans notre pays."
Alors, aujourd'hui vous organisez la deuxième table ronde des partenaires sociaux et des régions sur l'emploi. Au printemps, vous souteniez l'emploi en y consacrant pour 2003, 300 millions d'euros. Est-ce que, ce soir, à la fin de cette table ronde, vous allez dire : je vais en mettre encore un peu ?
- "Non, d'abord, ce n'est pas la deuxième table ronde. Au printemps, nous avions organisé une table ronde nationale sur l'emploi et à l'occasion de cette table ronde, nous avions indiqué que, nous allions réunir les présidents de régions, avec les partenaires sociaux, pour impliquer les régions dans la bataille pour l'emploi."
C'est aujourd'hui.
- "C'est aujourd'hui. Il y a deux thèmes principaux Le premier c'est : comment faire que l'accord des partenaires sociaux sur la formation professionnelle, qui va créer le droit individuel à la formation professionnelle pour tous les Français, soit articulé avec le nouveau rôle des régions en matière de formation professionnelle ? C'est technique mais c'est très très important. Et puis, le deuxième thème qui sera examiné, c'est : commente faire en sorte de mettre en place un plan de formation exceptionnel dans toutes les régions françaises, pour permettre à des chômeurs d'aller vers des emplois qui sont non pourvus. Aujourd'hui, il y a plus de 300 000 emplois dans notre pays qui ne trouvent pas preneurs. Dans le Bâtiment, dans les services à la personne, dans l'hôtellerie, dans la restauration, dans les services aux personnes âgées..."
Comment vous allez faire ?
- "...Et en même temps, il y a de plus en plus de chômeurs. Alors, on va proposer aux régions, d'abord, région par région, de regarder quels sont les secteurs dans lesquels les besoins sont les plus forts, et puis on va organiser avec les régions, un plan de formation, exceptionnel, avec le service public de l'emploi, avec l'Afpa, pour permettre aux chômeurs d'aller vers ces emplois. Car, je crois qu'aucun pays ne peut accepter d'avoir, à la fois, autant de chômage et en même temps autant d'emplois vacants."
Pour les salariés, vous confirmez ce que vous disiez avec J.-P. Raffarin : il y a un droit au reclassement, dans la région, des salariés ?
- "Ce que nous voulons en tout cas, c'est que la région soit plus impliquée dans les restructurations industrielles, parce que la région a une vision de proximité qui lui donne une valeur ajoutée très importante."
Deux mots : est-ce qu'en 2004, les règles sociales, en France, auront changé ?
- "Je l'espère. Si le Parlement peut se saisir du texte que je lui propose avant la fin de l'année, ça sera par principe à la fin du mois de novembre début du mois de décembre..."
C'est-à-dire, la grande modernisation du dialogue social, ou de la démocratie sociale...
- "Nous allons proposer une loi qui sera le premier mouvement important en matière de modernisation du dialogue social depuis la Libération."
Une dernière question : le plan vieillesse-solidarité a du retard. Est-ce qu'il sera présenté avant la fin de cette année d'épreuves, financé ?
- "Il sera présenté au Conseil des ministres au début du mois de novembre. C'est vrai qu'on a pris un mois de retard. Mais si on a pris un mois de retard, c'est parce que le plan que nous allons proposer est très ambitieux..."
Il n'y a pas d'argent ?
- "... Il a été préparé avec les associations. Et vous savez que nous voulons le financer en demandant aux Français de travailler un peu plus, à travers une journée de solidarité. La mise en place de cette journée de solidarité présente des difficultés techniques, qui ne sont pas du tout insurmontables, qui sont difficiles..."
Mais elle sera décidée.
- "Et c'est pour ça que nous avons pris un mois de retard. Et je demande que cette journée de solidarité soit décidée."
Elle sera décidée et ce sera Pentecôte ?
- "Ca fait partie des choses encore à voir. Mais c'est une bonne date."
Mais le principe est retenu ?
- "Le principe est proposé au Premier ministre, et maintenant il faut qu'il tranche cette question qui est une question fondamentale."
N'oubliez pas les vieux, vous, le Gouvernement...
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 octobre 2003)