Discours de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, sur la relance par le gouvernement du débat sur les 35 heures, sur le projet de constitution européenne, à Paris le 11 octobre 2003.

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Circonstance : Conseil national du Parti socialiste à Paris le 11 octobre 2003

Texte intégral

Chers Camarades, dans le prolongement de ce que vient de dire François Hollande, la France est plus qu'en récession, elle est en dépression. Et je pourrais aligner les statistiques cliniques de l'INSEE qui disent l'étendue du gouffre dans lequel l'incompétence du pouvoir et de sa majorité a mené notre pays.
Ces donneurs de leçons impénitents échouent sur toute la ligne car aujourd'hui le drame est bien celui-là : la France vit dans l'insécurité, l'insécurité sociale généralisée, et pourtant de partout renaît le vieux thème, la vieille rengaine du déclin qui décrit une nation paresseuse, hédoniste, incapable de s'adapter au monde tel qu'il va.
Et pourtant, l'inéluctable n'est pas écrit. La France n'est pas condamnée à la décadence ; elle n'est pas condamnée à jeter son modèle républicain et social pour survivre.
Il y a dix-huit mois, et nous l'avions ressenti en particulier à l'Assemblée nationale, nous étions bien seuls pour défendre la loi des 35 heures. Aujourd'hui, c'est l'ensemble des syndicats, même les plus réservés, la gauche et même l'extrême gauche, qui n'est pas avare d'une contradiction, qui se lèvent enfin pour briser la tentative d'abroger les 35 heures.
Alors, je crois qu'il faut mesurer l'importance de ce tournant, car c'est un tournant. Nous avons commencé à faire bouger les choses, et en particulier nous avons commencé à bousculer la mode intellectuelle de la droite qui s'imprime un peu partout, qui s'imprimait un peu partout et sa volonté aussi de culpabiliser la gauche sur son bilan, y compris nous-mêmes, la gauche sur ses valeurs pour mieux la diviser. Et aujourd'hui ce changement est important car les 35 heures ne peuvent plus être perçues, proclamées comme la fin du travail, mais au contraire comme un volontarisme qui crée des emplois, qui modernise les entreprises en dehors du conformisme de la pensée unique, la réduction du temps de travail n'est sans doute pas parfaite, nous le reconnaissons, toute loi peut être améliorée, mais elle fait partie intégrante désormais du pacte social français et celui qui voudra l'abroger n'est pas prêt d'arriver. Celui-là aura de toute façon des difficultés. Et nous sommes là pour rappeler qu'on est pour résister à la tentative de la droite de remettre en cause les acquis fondamentaux du pacte social. Et aujourd'hui, les 35 heures, il faut le dire, en font partie.
Et puis, je voudrais souligner une autre leçon de cette bataille des 35 heures : c'est que l'alternative, François vient de le rappeler, et c'est ça qu'il faut sans cesse rappeler, que l'alternative à cette politique ne viendra que d'une gauche rassemblée. Car comment peut-on appeler notre pays à la solidarité ? Et c'est ce que proclame l'ensemble des formations de la gauche, si nous ne sommes pas capables d'en donner nous-mêmes l'image, et j'en appelle, et je souhaite que notre Conseil national le fasse solennellement à tous nos partenaires, les Verts, les communistes, les radicaux, les républicains, voulons-nous revivre un 21 avril régional ? Voulons-nous revivre un 21 avril européen ? Voulons-nous faire le lit de tous les populismes, de tous les extrémismes qui prospèrent sur nos égoïsmes et sur la désespérance.
Alors, il faut que chaque formation de la gauche sorte de son narcissisme, en quelque sorte de son égocentrisme, qu'elle regarde l'expansion conservatrice autour de nous, elle est considérable ! Et si la gauche continue de se fragmenter, alors oui nous récolterons l'éparpillement, nous récolterons l'extension, nous récolterons l'extrême droite car c'est vrai que celle-ci n'a malheureusement pas disparu dans notre pays et qu'elle cherche et qu'elle espère profiter de ce qui se passe.
Alors, il ne s'agit pas pour nous de ressusciter tout simplement l'ancienne union de la gauche, ou la gauche plurielle, il s'agit d'inventer la gauche de solidarité avec des valeurs communes, avec des idées communes, avec des batailles communes, nous sommes tous des réformistes de gauche, nous sommes tous des progressistes, encore faut-il accepter aussi de se dépouiller de certaines de nos vieilles histoires. Et notre parti, le Parti socialiste, a certes des défauts, mais il a aussi cette vertu de savoir se dépasser dans les rendez-vous historiques.
Et le débat, heureusement, fait partie de notre identité et de notre culture. Mais quand l'essentiel est en cause, et je crois qu'il l'est aujourd'hui pour l'emploi, pour l'éducation, pour la santé, pour les services publics, pour l'Europe, mais aussi pour l'identité et les valeurs républicaines de la France, nous avons plus que jamais le devoir d'exprimer une vision collective.
Et c'est, notamment la semaine dernière, parce que le groupe a réagi vivement, rapidement, vigoureusement à l'Assemblée nationale, que la piteuse tentative de la droite d'abroger les 35 heures s'est retournée en boomerang contre elle et qu'elle a reculé, e c'est vrai ; et que nous avons marqué collectivement, et toute la gauche, des points dans l'opinion. Peut-on imaginer qu'il puisse en aller autrement de notre ambition européenne ?
Là aussi, avant de nous engager dans un débat fratricide sur le projet de constitution, peut-être n'est-il pas inutile de rappeler que tous ici nous portons, et depuis longtemps, la volonté d'une Europe fédérale permettant aux États qui le veulent de s'engager dans un véritable projet d'intégration politique et sociale. Et de même, nous avons aussi tous ensemble la même exigence que l'Union trouve une légitimité populaire qu'elle a perdue en permettant notamment à ses peuples de se prononcer ensemble et, nous le souhaitons, le même jour sur le futur traité.
Mais rappelons aussi que la Constitution, comme l'est la Constitution française d'ailleurs, n'est qu'un moyen et, à ce stade de la CIG, le texte est un progrès insuffisant, François l'a rappelé, le Bureau national l'a dit, et donc il convient de mettre au pied du mur les dirigeants français et en premier lieu le Président de la République, de négocier de substantielles améliorations que nous souhaitons et que nous avons présentées comme des exigences pour notre pays, mais aussi pour l'Europe. Et c'est donc au vu du texte final que nous aurons à nous déterminer, mais en n'oubliant pas deux points cardinaux : l'Europe fait partie de notre identité socialiste, mais elle a toujours été un compromis politique.
Alors, de grâce, ne nous trompons pas d'adversaire. Il suffit d'écouter les radios pour dire que c'est ce qu'on attend de nous, quand on est nos adversaires. Eh bien, nous avons ouvert à notre Congrès et puis à nos Journées parlementaires de Limoges la page de notre renaissance. Et, à chaque fois que nous avons adressé ces messages, ils ont été entendus et soutenus.
Mais à chaque fois que nous sommes revenus en arrière, nous avons à nouveau reculé et nous avons à nouveau perdu des points. Et pourtant, tous ceux qui sont à gauche et qui n'ont pas forcément voté socialiste, veulent qu'on les défende par rapport à tout ce qui est en train de se passer ici dans notre pays, et qui les effraient, qui les angoissent. Et justement, au moment où la droite s'enfonce et que notre pays doute, il faut que nous soyons mobilisés, que nous soyons rassemblés car les Français ne nous pardonneraient pas, malgré les progrès que nous avons faits depuis l'échec du 21 avril, à Dijon, à Limoges, et j'espère aujourd'hui, il ne faut pas retourner à la case départ, voilà notre responsabilité de socialistes et d'hommes et de femmes de gauche.

(source http://www.parti-socialiste.fr, le 4 novembre 2003)