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LE FIGARO. - Les grèves ont été peu suivies hier. Estimez-vous que la réforme des retraites est réussie ?
Alain JUPPÉ. - Oui. Le Parlement pourra la voter d'ici à l'été, comme le premier ministre l'avait souhaité. C'est un succès. Cette réforme apporte une amélioration pour les salariés qui touchent de petites retraites, ceux qui ont commencé à travailler très jeunes et même les fonctionnaires, dont une partie des primes est enfin prise en compte.
L'UMP négocie-t-elle d'autres améliorations ?
A.J: Nous proposons des amendements, par exemple sur la prise en compte au moins partielle des années de service national pour les hommes, ou encore pour régler le problème, fondamental en France, de l'emploi des plus de 50 ans. Il faut changer les mentalités des salariés mais aussi des employeurs. Des incitations sont possibles : l'idée d'instaurer des cotisations sociales dégressives pour les entreprises qui gardent leurs seniors mérite d'être approfondie, dans le cadre d'une négociation avec les partenaires sociaux.
Vous semblez moins pressé que le premier ministre d'instaurer un service minimum dans la fonction publique. Quelle est la position de l'UMP ?
A.J: La continuité du service public est un principe fondamental. Il faudra traiter cette question le moment venu. On nous a accusés de trop charger la barque des réformes, ce n'est pas le moment d'en rajouter.
En ce qui concerne la décentralisation dans l'Education nationale, la barque a-t-elle été trop chargée ?
A.J: Il y a encore deux mois, le gouvernement était accusé, y compris dans certaines franges de la majorité, d'en faire trop peu et trop lentement. Quand j'ai constaté la mauvaise foi pyramidale de quelques organisations très politisées, qui ont tenté d'amalgamer et de dénaturer les retraites et la décentralisation dans l'Education, j'ai été le premier à dire qu'il fallait se donner du temps. Mais le calendrier n'est pas substantiellement modifié puisque, en toute hypothèse, l'application de la décentralisation des Toss était prévue pour la rentrée 2004.
L'Education nationale est-elle réformable ?
A.J: Oui, naturellement. Il s'y passe déjà d'excellentes choses.
Avec ce ministre ?
A.J: Luc Ferry est un homme de grande qualité. Ce n'est pas à moi de décider qui doit être ministre de l'Education nationale. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne peut pas continuer d'augmenter toujours le financement d'une machine à rendement décroissant, même s'il faut apporter un soin extrême à la préparation de la prochaine rentrée. Il faut repartir sur des bases nouvelles.
Le gouvernement est confronté à une autre question brûlante : la laïcité. Jacques Chirac ne semble pas favorable à l'idée de légiférer sur le voile islamique. Quelle est la position de l'UMP ?
A.J: La laïcité doit être plus que jamais un principe fondateur. La loi de 1905 continue d'offrir des garanties nécessaires. Y toucher reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore. Le problème est de traduire ce principe dans les milieux les plus sensibles. L'école en est un par excellence. Je suis plutôt porté à dire qu'il faut effectivement envisager de légiférer. Aujourd'hui, les chefs d'établissement se retrouvent avec une jurisprudence du Conseil d'Etat qui les laisse dans la difficulté. Derrière le voile à l'école, il y a les heures de piscine réservées aux femmes - on me l'a demandé à Bordeaux, j'ai refusé - et ensuite ce sera quoi ? Des compartiments réservés dans les transports en commun ? Ce serait l'apartheid ! C'est pour cela qu'il faut fixer une limite.
La forte progression des fondamentalistes aux élections régionales du conseil représentatif des organisations musulmanes vous inquiète-t-elle ?
A.J: C'est un danger, qui est ressenti comme tel par beaucoup de musulmans attachés à la laïcité, mais je continue à penser que nous avons eu raison de mettre en place un système qui nous permette d'avoir des interlocuteurs.
Faut-il mettre en place un système qui permette de financer la formation des imams et la construction des mosquées ?
A.J: Le système actuel est assez hypocrite - on ne finance pas les associations cultuelles, parce que la loi de 1905 l'interdit, mais on finance des associations culturelles -, cependant il a l'avantage d'une certaine souplesse. Si je pense qu'il faut légiférer sur le voile à l'école, il ne me semble pas utile de toucher à la loi de 1905.
La prochaine grande réforme concernera l'assurance-maladie. Comment faire pour ne pas connaître les difficultés de 1995 ?
A.J: Certains éléments de la réforme de 1996 existent toujours, comme la loi de financement de la Sécurité sociale ou les agences régionales de l'hospitalisation. Par ailleurs, je vous rappelle qu'à l'époque les outils pour apprécier les pratiques médicales n'existaient pas. Nous nous sommes donc rabattus sur un système de sanctions collectives qui a heurté les médecins. Aujourd'hui, les crispations sont telles que cette approche n'est plus "vendable". Il faut explorer d'autres pistes. Mais ce sera difficile. Les Français sont moins préparés à cette réforme qu'à celle des retraites. Il va falloir du temps.
Beaucoup reprochent aussi à l'UMP de ne pas défendre suffisamment les réformes sur le terrain...
A.J: Nous avons été très présents, au point d'ailleurs qu'il y a un mois et demi encore le premier ministre félicitait l'UMP. Je n'ai pas voulu appeler à une contre-manifestation, parce que, si l'UMP organise un défilé, il faut au moins 500 000 personnes pour que ce soit réussi. Ce n'est pas dans la culture de notre électorat. Il faut des circonstances historiques exceptionnelles pour que les gens qui nous soutiennent descendent dans la rue.
Les candidats au bureau politique de l'UMP, que vous soumettez aujourd'hui au conseil national, sont regroupés sur une liste unique. Est-ce un héritage de votre culture RPR ?
A.J: C'est une décision collective. J'ai beaucoup consulté, on m'a répondu que, dans la situation actuelle, il valait mieux une liste d'union traduisant la diversité de notre mouvement. Lors du congrès qui se tiendra à l'automne, chacun pourra se compter sur ses idées. A condition que les membres de l'UMP se rallient au concept de courants organisés. J'entends beaucoup dire que ce n'est pas une bonne idée. Il y a un courant anticourant qui est majoritaire !
En faites-vous partie ?
A.J: Non, moi je ne suis dans aucun courant, je suis garant de la diversité au sein de l'UMP. Mais je comprends très bien ces arguments.
Le conseil national est l'occasion d'une révision des statuts. Comptez-vous mettre au point un système pour la désignation du futur candidat à la présidentielle ?
A.J: Ce sera peut-être à l'ordre du jour. Je le souhaite, étant bien convaincu que ce sera vraisemblablement très difficile. Certains considèrent que ce n'est pas dans l'esprit des institutions : la présidentielle, c'est un homme qui se porte devant son peuple. Ensuite, les partis se positionnent.
Où en sont vos discussions avec l'UDF pour la préparation des élections régionales ?
A.J: Toujours au même point : nous, nous tendons la main. A l'UDF, je sens une divergence : sur le terrain, il y a une volonté d'union, mais il y a moins de répondant au niveau de l'appareil national.
Le procès de l'affaire des emplois présumés fictifs de la Mairie de Paris, dans lequel vous êtes mis en cause, doit se tenir à l'automne. Comment allez-vous gérer cette échéance ?
A.J: Je m'y prépare, sereinement.
Propos recueillis par Judith Waintraub, Nicolas Barotte et Alexis Brézet
(Source http://www.u-m-p.org, le 20 juin 2003)