Texte intégral
J.-P. Elkabbach-. Vous êtes informé à la minute près, de ce qui se passe à Los Angeles, avec la justice de Californie. Y aura-t-il accord ou pas, très bientôt ?
- "Il y a, compte tenu du décalage horaire, quelques temps morts différents en Europe et aux Etats-Unis. Mais nous allons très probablement vers un accord. Nous nous sommes donné quelques jours pour terminer."
C'est-à-dire que l'horloge, comme vous dites, est arrêtée, mais jusqu'à quand ?
- L'horloge est arrêtée, mais elle l'est pendant quelques jours, ce qui montre que les deux parties, c'est-à-dire, y compris les Californiens, ont envie qu'elle ne redémarre qu'après un accord."
On dit que ce qui bloque, c'est d'abord Artémis de F. Pinault, puis le cas de J. Peyrelevade, c'est vrai ?
- "Il y a un certain nombre de sujets qui sont encore sur la table mais il y a bon espoir pour que toutes ces petites difficultés soient surmontées."
Mais est-ce vous qui avez à donner le feu vert ?
- "C'est une négociation où toutes les parties sont convenues que, ensemble, elles arrivaient à un accord. Et donc, je n'ai pas de position particulière à donner."
Le coût c'est combien, ou autour de combien ? 500 millions de dollars ?
- "Le coût, pour ce qui concerne la partie liée au CDR, au Crédit Lyonnais, etc., est exactement le même que celui que nous avions évoqué il y a un mois."
Oui mais, qui va devoir mettre la main à la poche ? Les Français encore ?
- "De toute façon, c'est la somme des Français."
Oui, mais les avez-vous déjà en réserve ou il faut les sortir d'un budget ?
- "Pour ce qui concerne la partie du Crédit Lyonnais, tout ceci a été provisionné dans des comptes, il n'y a pas d'effort supplémentaire au niveau du budget 2004, ni 2003 d'ailleurs."
F. Mer, ce matin êtes-vous content ? Avec l'Allemand, vous avez créé une crise en Europe.
- "Effectivement, il y a eu une crise mais nous avons surmonté la crise."
Vous vous êtes débarrassé du Pacte de stabilité, qui est là comme un carcan...
- "Absolument pas. Nous avons, sur une proposition de la Commission, démontré qu'une majorité qualifiée du Conseil pouvait arriver à la même solution, d'une autre manière."
C'est-à-dire que vous avez choisi une lecture politique du Pacte de stabilité ?
- "Vous avez parfaitement raison de souligner que la proposition de la Commission était une proposition technique, et que nous avons choisi une autre proposition politique."
Mais est-ce que cela ne veut pas dire que vous remettez la Commission à sa place à cause de ses exigences ? Peut-être n'a-t-elle pas compris que, quand la France et l'Allemagne font bloc, quand Schröder, Chirac, Raffarin, Mer font bloc, elle a ce qu'elle mérite ?
- "Non, je ne crois pas qu'il faille dire cela comme ça. Si nous avions eu cette position - et nous aurions dû l'avoir face au Portugal -, il y a un an et demi, le Portugal aurait suivi un autre chemin pour éviter la récession qu'il affronte maintenant."
Quand faudra-t-il réviser ce qui était hier le Pacte de stabilité et de croissance ?
- "Il faut le réviser à froid. On ne peut pas donner le sentiment au moment où il y a "une crise" comme vous l'avez dit -, que l'on casse le thermomètre parce qu'on n'est pas content de ce qu'on lit dessus. Nous devons laisser retomber la température, et à froid - mettons en 2005 -, repenser, au vu des expériences des cinq, six ou sept années de fonctionnement du Pacte, comment nous devons, ensemble, de manière démocratique, l'améliorer."
2005, pourquoi ?
- "2005, ce sera aussi une nouvelle Commission, c'est vrai. Mais ce sera aussi un moment où la croissance sera revenue, et où, par conséquent, il sera absolument nécessaire - ce qui manque actuellement dans notre Pacte -, de nous mettre d'accord sur la manière dont nous profitons des périodes de vaches grasses pour mieux affronter ensuite les périodes de vaches maigres."
C'est-à-dire, comme "un serment" - comme dit Les Echos, ce matin - "un serment de croissance" d'abord et peut-être de stabilité ?
- "Nous savons tous que notre objectif premier c'est la croissance et la croissance passera par des réformes et par une discipline budgétaire bien pensée. Nous savons aussi, que dans les périodes où la conjoncture est bonne, les gouvernements ont plus de mal à serrer les boulons alors que c'est là qu'ils devraient les serrer."
Le Pacte de stabilité, tel qu'il était, on peut dire "feu le Pacte" ? Il y en aura un autre ?
- "Mais non, ce n'est pas "feu le Pacte". Il y a les générations : révision I, révision II, révision III."
Et vous vous engagez à respecter les 3 % en 2005, comme cela a été dit ?
- "Nous nous sommes engagés et nous le ferons, comme nos amis Allemands. Et nous le ferons en France, notamment parce que, comme vous le savez, nous nous sommes engagés en 2004 à trouver des conditions d'équilibre pour nos dépenses de santé."
Mais vous savez qu'il y a beaucoup de gens et de citoyens qui sont choqués, parce qu'ils voient un pays - deux pays même ! - qui sont en déficit, qui ne respectent plus les règles. La France et l'Allemagne imposent la raison des plus grands, comme dans la jungle !
- "Absolument pas, absolument pas. Les règles sont respectées dans le sens où, la Commission a fait une proposition et démocratiquement, le Conseil a constaté qu'il n'était pas d'accord sur la proposition de la Commission, tout en étant d'accord sur l'objectif. Et il a fait adopter par le Conseil, à la majorité qualifiée, une autre proposition de cheminement. Cela s'appelle "la démocratie"."
Donc, le dernier mot aux gouvernants ?
- "Oui, dernier mot aux gouvernants, ce qui est normal, puisque la Commission est au service de l'Europe, elle est là pour nous aider à rappeler le Traité. Et c'est à nous de le faire vivre."
Et vous n'avez pas peur que cela ait des conséquences sur le prochain sommet de la CIG sur la Constitution de la future Europe ?
- "Je pense que ceci va compliquer un petit peu la tâche sous l'angle du comportement espagnol qui, comme vous le savez, est un peu en délicatesse avec le projet de Constitution, et en même temps, a démontré par sa discipline, dans les années passées, qu'une meilleure gestion du Pacte aurait été possible en France et en Allemagne. Mais ceci est marginal par rapport à l'objectif premier qui consiste à adopter cette Constitution."
Que dites-vous, ce matin, à l'Espagne et aux petits pays qui, eux, ont serré la vis chez eux et qui se sentent humiliés ?
- "J'ai dit, par exemple, hier, à nos amis Portugais, que s'ils avaient dans le futur des problèmes - ce qui n'est pas exclu -, ils pouvaient être assurés, de notre part et de la part des Allemands, d'une compréhension analogue pour les aider à mieux traiter leurs problèmes."
La croissance, ça va mieux ?
- "La croissance a l'air d'être repartie partout dans le monde, non seulement aux Etats-Unis mais en Chine, au Japon, en Inde et bien sûr en Europe. Cela va mieux."
De combien et qu'est-ce que cela fait comme perspective ? J.-P. Raffarin, dit 1,7-1,2 %, près de 2 ?
- "La consommation est en train de repartir. Au passage, ceci veut dire que les mesures que nous avons prises au fil du temps, en matière de baisses des impôts, de hausse de Smic et quelques autres mesures, ont été ressenties positivement par le consommateur, qui est en train d'en profiter pour se faire un peu plaisir. Le taux de croissance du quatrième trimestre, au niveau de l'économie française, pourrait être assez surprenant (sic) haut."
C'est-à-dire ?
- "Peut-être, et vous l'avez indiqué, sur une tendance à 1,5-2%, qui consoliderait fortement les hypothèses raisonnables que nous avons prises pour 2004, à savoir le 1,7 %."
Je lisais, hier, dans Le Monde, que pour la première fois depuis 20 ans, le Livret A n'a plus d'intérêt, il ne rapporterait plus rien. C'est vrai ?
- "Faux ! Faux !"
Pourquoi ?
- "Parce que, le Livret A continue à rapporter, quel que soit le taux de l'argent, plus que le placement dans un titre bancaire à court terme, compte tenu de son statut fiscal, compte tenu des primes que nous avons mises, et compte tenu, je vous le rappelle, d'une clause de sauvegarde qui m'amène à préciser à tous ceux qui ont un Livret A, que de toute façon leur rémunération sera supérieure à l'inflation."
Mais vous et A. Lambert, vous avez la réputation, à Bercy, d'avoir dans le collimateur la petite épargne et l'épargne des petits.
- "Absolument pas. Nous avons protégé, à travers le Livret populaire, les véritables petits épargnants. Car il faut savoir quand même que, le Livret A est largement aussi un moyen défiscalisé pour des gens qui sont relativement aisés de placer dans d'excellentes conditions leur épargne."
Je reviens à l'Europe : vous avez promis à la Commission de donner 1 milliard d'euros, elle vous en demandait six fois plus. Ce milliard, vous allez le trouver où ?
- "Ce milliard a été déjà mis sur la table à travers les efforts qui ont été faits au niveau de l'Assemblée nationale et à travers les conséquences mécaniques, en 2004 et en 2005, du Plan dépendance que J.-P. Raffarin a annoncé et que l'on va mettre en oeuvre. Il n'y a aucun fait nouveau."
Et en 2005, vous avez aussi promis 1 milliard d'euros d'économies.
- "Non, en 2005 je n'ai rien changé, c'est exactement les propositions de réduction du déficit structurel - pour reprendre les mots savants - de 0,6 points de PIB qui ont été proposés à l'Assemblée, transmis à la Commission et confirmé par le Conseil."
J.-P. Raffarin disait que les engagements de J. Chirac ne sont pas sacrés, qu'ils bougent. Est-il possible de ne pas baisser l'impôt sur le revenu, de marquer une pause ?
- "Ce n'est pas une question d'impôt sur le revenu ou pas, nous avons fait un effort avec 10 % sur l'impôt sur le revenu jusqu'à maintenant. Nous allons probablement continuer à baisser taxes, charges et impôts, mais pas forcément de manière linéaire et uniquement sur l'IRPP."
Deux remarques encore : aujourd'hui, a lieu un grand rendez-vous pour l'avenir de l'Europe, pour les sciences et l'énergie. Les Quinze vont décider du lieu qui accueillera l'ITER, le réacteur à fusion nucléaire. A Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône ou à Vandellos, en Espagne. Pourquoi Cadarache ? Et est-ce que cela va se faire pour Cadarache ?
- "J'espère bien que cela va se faire, parce que Cadarache, non pas en tant que site mais en tant qu'environnement intellectuel, est le site pour que ce projet, qui est majeur, non seulement pour la France, pour l'Europe, mais pour le monde, se réalise dans des meilleures conditions possibles. Après avoir choisi très probablement - du moins je l'espère - le site français, l'Europe aura à convaincre le reste du monde que le site japonais est moins attractif que le site français."
C'est vrai que T. Blair a choisi Cadarache et l'a dit à J. Chirac ?
- "Ce sujet a été, comme d'autres, évoqué dans les discussions présidentielles de lundi dernier. Et je crois avoir compris que nous avions le soutien de nos amis anglais, ainsi que de beaucoup d'autres."
Malgré le doublement de mise proposé par Aznar ?
- "Je n'ai pas apprécié personnellement, on n'achète pas ce genre de décision."
En fin de matinée, vous allez prendre l'avion pour le Japon et la Chine. Est-ce que cela veut dire que vous allez regarder l'envol de la fusée économique Chine ?
- "Je ne vais pas la regarder parce que je sais qu'elle vole déjà. Mais je vais surtout essayer de comprendre un peu comment notre pays, nos 60 millions d'habitants, peuvent profiter positivement du décollage économique d'une zone qui s'appelle "la Chine", avec 20 fois plus d'habitants. Et je vais aussi comprendre, au Japon, comment on peut mieux travailler ensemble. Vous savez que j'ai toujours eu d'excellentes relations avec les Japonais, j'espère pouvoir les mettre à notre service collectif."
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 26 novembre 2003)