Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames, Messieurs, mes chers amis,
Permettez-moi de vous dire le plaisir que j'ai d'être parmi vous pour l'ouverture de ce Congrès de la Fédération nationale de la presse française qui constitue un moment d'autant plus important de la vie de votre profession qu'il est exceptionnel. Il existe en effet peu d'occasions pour la presse de se retrouver ainsi pour réfléchir à son avenir. Cette réflexion est pourtant, plus que jamais, indispensable.
C'est donc l'avenir de la presse que je voudrais m'essayer à évoquer avec vous aujourd'hui. Le thème des " nouveaux territoires ", sous le signe duquel vous avez choisi de placer vos travaux, m'y invite naturellement. Je pense que le contexte actuel nous y invite également.
La presse change en effet à l'unisson des transformations du monde et de la société dont elle rend compte. Bien social et culturel essentiel, creuset du lien social et de la vie démocratique, elle est au coeur d'une triple révolution, à la fois politique, culturelle et technologique, qui marque et bouleverse notre époque.
Révolution politique, d'abord, avec cet étonnant paradoxe : les concitoyens se détournent de la vie civique alors que la démocratie triomphe à l'échelle planétaire. Ce moindre intérêt de nos concitoyens pour la vie politique, et pour la chose publique en général, se traduit notamment par la montée apparemment inexorable de l'abstentionnisme lors des consultations électorales. Aux affrontements idéologiques de naguère, qui structuraient fortement le débat démocratique, a trop souvent succédé la politique spectacle qui l'atomise en une juxtaposition de saynètes.
Ce phénomène, qui se vérifie dans l'ensemble des sociétés développées, handicape lourdement la presse d'information politique et générale et, tout particulièrement, la presse d'opinion qui, partout dans le monde, éprouve de très grandes difficultés là où elle n'a pas complètement disparu. La presse d'information subit le contrecoup du moindre intérêt des citoyens pour la chose publique. En retour, l'érosion de son lectorat ne fait qu'accélérer la perte de ressort de nos démocraties, au risque de les miner de l'intérieur, tant il est vrai que, depuis deux siècles, le sort de la démocratie et celui de la presse sont indissolublement liés.
Si les citoyens manifestent souvent leur lassitude d'une certaine forme de politique qu'ils jugent dépassée, le besoin d'engagement est cependant intact, comme le démontre la vitalité du mouvement associatif, notamment dans ces " nouveaux territoires " de notre époque que sont le développement durable ou l'humanitaire. Dans un monde complexe, en constante métamorphose, en proie à l'incertitude et, par voie de conséquence, bien souvent, à l'angoisse et à la crainte, le besoin de comprendre n'a par ailleurs jamais été aussi fort. La demande grandit de clés d'explication, de grilles de lecture pour déchiffrer une époque incertaine.
Nous sortons sans doute de l'âge de la démocratie de masse, mais c'est pour entrer dans celui d'une démocratie participative où le citoyen se veut davantage acteur, et attend une information plus personnalisée, en fonction de ses centres d'intérêt et de ses pôles d'engagement personnel. Pour la presse, il y a là tout un nouveau territoire à investir mieux et davantage, un désir qu'elle peut sans doute, mieux que tout autre média, satisfaire si elle sait renouveler ses contenus et ses formats.
Encore lui faut-il, pour cela, surmonter la deuxième révolution que j'évoquais et qui est, elle, d'ordre culturel : je veux parler de la place de l'écrit dans notre société.
Je n'ai pas besoin de vous dire, car vous en êtes convaincus autant que moi, la valeur fondamentale de l'écrit. C'est l'invention de l'écriture qui a fait entrer l'humanité dans l'histoire, qui a permis le progrès de la civilisation et l'accumulation de la mémoire et du savoir, qui en est la condition même. Mais, pendant des millénaires, la maîtrise de l'écrit est restée le privilège d'une élite. Sa démocratisation n'est que récente. Or, voici que, déjà, elle semble reculer et que l'écrit pourrait redevenir l'apanage d'un petit nombre, à tel point qu'on évoque parfois, pour décrire le monde dans lequel nous entrerions, une " civilisation de l'image ". Le fait est que la maîtrise de l'écriture, et même de la lecture, se fait plus incertaine chez nombre de jeunes. Le fait est également qu'un Français qui passe, en moyenne, trois heures et vingt minutes par jour devant son poste de télévision n'a sans doute que peu de temps à consacrer à la lecture d'un journal, d'un magazine ou d'un livre. De fait, depuis 1999, alors que le temps consacré aux loisirs a progressé de 15 % et, au sein de celui-ci, que le temps passé devant la télévision a augmenté de 20 %, la durée dévolue à la lecture a, elle, baissé de 7 %. Regarder la télévision occupe désormais le tiers du temps libre des Français, contre 9 % pour les autres médias du savoir, de la connaissance, de la création et de l'information.
De nouvelles données sont cependant à prendre en compte. Avec l'informatique, on assiste à un certain retour de l'écrit. Nous comptons désormais en France plus de 20 millions d'internautes, soit le tiers de la population qui passe en moyenne 12 h 30 par semaine devant un ordinateur personnel, en dehors du temps de travail. Or l'internet, c'est certes des sons et des images, mais c'est aussi, et même avant tout, beaucoup de texte. Les courriels, les SMS, les " chats " - que nos amis québécois appellent " clavardages " - sont autant de nouvelles formes de communication écrite, qui n'empruntent que peu de traits, il est vrai, à l'art épistolaire classique de Voiture, de Guez de Balzac et de la marquise de Sévigné. Autant de nouveaux territoires se dessinent, que vous avez d'ailleurs commencé à investir, et par où, j'en suis convaincu, l'écrit peut retrouver sa place, à condition de savoir renouveler ses formes et son rythme.
Ce constat m'amène à évoquer la troisième révolution que nous devons prendre en compte : la révolution technologique, avec l'essor des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Ces techniques induisent une accélération fantastique de la circulation des informations et des connaissances, abolissant littéralement l'espace et le temps. Grâce à elles, désormais, l'opinion publique se décline à l'échelle globale. Songeons qu'internet a eu un rôle central dans l'extraordinaire aventure de la campagne internationale pour l'interdiction des mines anti-personnel, entièrement conduite par une militante associative américaine, Jody Williams, lauréate du Prix Nobel de la paix en 1997. On voit à travers cet exemple que les nouvelles technologies, lorsqu'elles sont utilisées à bon escient, sont potentiellement porteuses d'espoirs de revitalisation de l'engagement personnel, de réveil des consciences, de revalorisation de la politique dans ce qu'elle a de meilleur et de plus noble.
Pourtant, l'essor d'internet comporte également des risques pour les médias traditionnels, notamment pour la presse écrite. La recherche d'information en temps réel sur internet pourrait se substituer à la lecture des journaux. De plus, internet tend à véhiculer une culture de la gratuité qui, si elle se répand, peut être négative pour la presse payante, comme elle menace aujourd'hui l'industrie du disque et risque de miner demain, si nous n'agissons pas, l'équilibre de la production cinématographique.
Je crois toutefois que ces risques peuvent être maîtrisés. Car la surabondance de l'information de qualité souvent médiocre engendre inévitablement des besoins nouveaux auxquels la presse est particulièrement bien armée pour répondre : besoin de tri et de hiérarchisation de l'information, besoin de confiance dans une information de qualité, besoin, enfin, j'y reviens, de grilles d'analyse et de lecture.
Cette triple révolution politique, culturelle, technologique, dessine donc pour la presse autant de " nouveaux territoires ", territoires de risques, parfois, mais aussi territoires de chances qu'il lui faut investir résolument. Comment y parviendra-t-elle ?
Avant de tenter de vous livrer quelques éléments de réponse, je souhaite vous inviter à porter un regard rétrospectif sur une autre époque de profondes mutations, qui étaient également, comme aujourd'hui, tant politiques, que sociales et technologiques : je veux parler de la première moitié du XIXe siècle, secouée par l'essor de la démocratie parlementaire et de la révolution industrielle, avec ses immenses conséquences sociales.
La presse française, au sortir de l'Empire et de la Restauration, ne se portait pas bien. Son image souffrait encore de l'aversion des Philosophes des Lumières pour les gazettes qui les raillaient, telle la fameuse Année littéraire de ce Fréron que Voltaire criblait de sarcasmes. Après la brève floraison des débuts de la Révolution, la surveillance administrative n'avait cessé de se renforcer, tandis que l'absence de tradition parlementaire avait entravé l'essor de la presse d'opinion, laissant le champ libre aux traditionnels journaux à privilèges.
La presse française fit pourtant sa révolution à telle enseigne qu'au début du XXe siècle, elle était la première du monde. Un entrepreneur génial, Emile de Girardin, a alors su investir tous les nouveaux territoires qui s'offraient à la presse, en innovant sur tous les fronts. Innovation technologique dans la fabrication, grâce à l'introduction de la presse à rouleaux à vapeur. Innovation économique grâce à la diversification des sources de revenu, avec la publicité qui permet de réduire le prix de vente de la presse quotidienne : songeons que le prix d'un quotidien, qui était l'équivalent de 2,6 euros d'aujourd'hui en 1834, était tombé à moins de 15 centimes en 1914. Innovation dans les contenus, qu'illustre le ton nouveau des fameuses Lettres du vicomte de Launay de sa femme Delphine, insérées dans le quotidien La Presse, ou encore l'invention du feuilleton. Innovation dans les formats, avec le développement de l'ancêtre de la presse magazine, avec des titres tels que La Mode ou le Journal des connaissances utiles. Toutes ces innovations étaient tendues vers un même but : séduire de nouvelles catégories de lecteurs, qu'il s'agisse du lectorat féminin de La Mode ou rural du Journal des connaissances utiles, qu'il s'agisse de la petite bourgeoisie, qui peut accéder, avec La Presse, à la lecture d'un quotidien, ou des provinciaux, qui viennent y humer l'air de Paris.
Ce sont les mêmes méthodes qu'appliquera, un demi-siècle après Girardin, en les adaptant aux données nouvelles, un autre grand patron de presse, Jean Dupuy, propriétaire et directeur du Petit Parisien, qui dépassera, au lendemain de l'armistice de 1918, le cap des trois millions d'exemplaires ! Puisque Bordeaux nous accueille aujourd'hui, je ne pouvais pas ne pas évoquer la mémoire de cet entrepreneur extraordinaire, né dans une modeste famille d'un petit village du Blayais. Lui aussi a su innover sur tous les fronts de la technique, avec l'introduction des rotatives et de la photogravure, des formats avec le lancement de nombreux titres de magazine, des contenus, avec le développement des grands reportages qu'illustre le nom d'Albert Londres et la création de rubriques nouvelles consacrées aux sports ou au cinéma.
L'exemple des Girardin et des Dupuy nous montre, je crois, la voie à suivre. Aujourd'hui, la presse française, qui avait été, je l'ai rappelé, la première du monde, connaît de graves difficultés, particulièrement aiguës pour la presse quotidienne d'information politique et générale. Les autres familles de presse, malgré une meilleure santé, doivent également faire face à des incertitudes quant à leur avenir, et préserver des équilibres toujours fragiles.
Je n'ai pas besoin de m'appesantir sur le tableau d'une situation que vous connaissez bien. Depuis la Libération, la presse quotidienne a perdu près de 30 % de sa diffusion alors que la population a augmenté de 50 %. Toutes familles de presse confondues, la diffusion a encore baissé de 0,3 % sur la période 2001-2002. Sans même remonter jusqu'avant la Première guerre mondiale, alors que quatre quotidiens dépassaient le million d'exemplaires, il n'y a plus depuis longtemps, dans notre pays, de titre qui excède ce tirage, alors que chez nos voisins anglais ou allemands, on trouve des journaux qui dépassent les trois, et même les quatre, millions d'exemplaires. Pour la presse quotidienne nationale, la proportion de lecteurs parmi la population de 15 ans et plus a encore diminué en 2002 tombant à 17,7 % contre 18,5% l'année précédente. Cette diminution - et c'est un sujet majeur de préoccupation - est particulièrement forte chez les jeunes. On pourrait multiplier ainsi les indicateurs.
La presse française doit donc reconquérir son lectorat, retrouver des marges de progrès auprès de nouvelles catégories de lecteurs, à commencer par les plus jeunes. C'est un enjeu essentiel pour la presse, comme pour notre démocratie, et c'est la raison pour laquelle l'Etat est et sera à vos côtés pour vous y aider.
J'ai notamment à coeur, certains d'entre vous le savent, de construire avec les éditeurs des initiatives fortes pour amener davantage de jeunes à la lecture de la presse. Si nous n'avons pas encore trouvé la formule pleinement satisfaisante, nous continuons d'y travailler et je tiens à ce que nous y parvenions. Je crois, de même, qu'il pourrait s'avérer judicieux que la presse saisisse l'opportunité de la prochaine ouverture de la publicité télévisée pour utiliser à son profit ce média particulièrement puissant, notamment en direction des jeunes, les futurs jeunes lecteurs.
Mais s'il ne faut pas négliger l'impact de semblables opérations de communication, qui peuvent contribuer à améliorer l'image de la presse, il n'en reste pas moins vrai, bien évidemment, que la conquête d'un nouveau lectorat passe avant tout par la maîtrise de ces trois paramètres essentiels que sont le contenu éditorial, le prix de vente et le dynamisme du réseau de diffusion.
La qualité éditoriale constitue une donnée primordiale. Balzac, dans les pages célèbres et terribles qu'il consacre à la presse dans Illusions perdues le montre de façon très efficace. Or, on n'y insistera jamais assez : la qualité rédactionnelle est le coeur même de la presse, le socle de sa crédibilité et, par voie de conséquence, de la confiance des lecteurs. Elle suppose la qualité de l'approvisionnement en information - et nous avons à cet égard la chance de disposer, en France, d'un outil incomparable avec l'Agence France Presse, qu'il est vital de soutenir dans son effort de redressement et de développement à l'international. La qualité éditoriale suppose également la qualité des équipes rédactionnelles, ce qui implique un investissement particulier en faveur de la formation des journalistes.
Mais la qualité du contenu tient également à son adéquation aux attentes des lecteurs, comme à celles importantes, même si moindre, dans l'échelle des valeurs des annonceurs.
Le prix de vente constitue naturellement un élément fondamental pour que la presse rencontre son lectorat. Le prix moyen des quotidiens français, nationaux et régionaux confondus, se situe parmi les plus élevés des pays développés. Il est ainsi 50 % plus élevé dans notre pays qu'au Royaume Uni. Ces prix élevés handicapent sans aucun doute la diffusion des journaux, la limitant à des catégories de la population qui disposent de revenus suffisants. La France se situe ainsi loin derrière nombre de ses voisins en termes de diffusion avec seulement 16,5 exemplaires de quotidiens diffusés pour 100 adultes. La quasi-disparition, dans notre pays de la presse quotidienne populaire, pourtant si puissante et si structurante outre-Manche ou outre-Rhin, est probablement imputable en grande partie à ces prix de vente élevés. Si nous n'y prenons garde, le journal risque de devenir un produit de luxe dont - comme de tout produit de luxe - nos concitoyens pourraient envisager un jour de se passer.
La presse doit donc mieux maîtriser les paramètres économiques de son exploitation. Les aides que l'Etat mobilise en faveur de la presse écrite permettent bien sûr d'y contribuer. A cet égard, vous savez que, malgré les fortes contraintes qui pèsent sur les finances publiques, le Gouvernement stabilisera en 2004 - et verra même légèrement augmenter - le montant global des crédits mobilisés en faveur de la presse écrite par rapport au budget voté de 2003. Outre les mesures fiscales dont peuvent bénéficier les entreprises de presse, les dispositifs d'aide à la presse écrite que sont les aides directes, le fonds d'aide à la modernisation et les abonnements auprès de l'Agence France Presse sont renforcés. La subvention de l'État au transport postal de la presse, soit 290 millions d'euros, sera en outre maintenue en 2004.
Ces aides sont un appui et un appoint. Elles doivent aussi et surtout constituer des leviers de modernisation. Dans cet esprit, nous avons, je crois, tous intérêt à une réflexion globale sur les dispositifs d'aide existants et sur leur efficacité. Il faut rompre avec l'approche traditionnellement de court terme des aides à la presse pour définir ensemble une stratégie de modernisation qui permettra de les consolider dans la durée. C'est pourquoi, à ma demande, la direction du développement des médias a déjà commencé à mener, dans ce but, un certain nombre de concertations avec les différentes familles de presse, comme l'avait suggéré le Premier ministre lors du déjeuner organisé par la Société professionnelle des papiers de presse le 16 mai dernier. Notre objectif est d'aboutir, dans les mois à venir, à l'élaboration en commun d'un plan national pour la presse, qui concrétisera le soutien qu'apportera l'État aux différentes conquêtes que vous aurez commencé à entreprendre. Le mouvement doit venir au départ de vous-même.
Mon souhait est que les différents volets de ce plan puissent répondre aux difficultés spécifiques de l'économie de la presse en France, en abordant l'ensemble de ses aspects, de la modernisation de la fabrication à la reconquête du lectorat, en passant par la distribution.
Le moment n'est pas venu d'entrer dans le détail des différents dossiers que nous devrons ouvrir. Sur plusieurs d'entre eux, au demeurant, le Gouvernement devra d'abord écouter les propositions que les éditeurs voudront bien lui soumettre, ainsi en ce qui concerne les moyens d'améliorer l'efficacité de l'outil de production ou de l'outil de distribution. Ce sont deux questions majeures dont il faut savoir débattre avec sincérité et lucidité.
Dans ces domaines, je conçois l'intervention de l'Etat comme la facilitation et l'accompagnement de projets concrets et cohérents de modernisation. Je serai ainsi très attentif, dans les discussions que nous ne manquerons pas d'avoir sur l'avenir de l'aide à la distribution des quotidiens nationaux d'information politique et générale, aux contreparties concrètes qui seront proposées à la poursuite de l'intervention publique.
C'est également dans cet esprit que s'inscrivent les travaux que conduit M. Henri Paul quant à l'évolution du cadre des relations entre la presse et La Poste. Je tiens ici à lui dire à la fois mon estime personnelle et ma confiance dans sa capacité à faire aboutir ce dossier particulièrement structurant pour l'économie de la presse. La démarche qu'il a mise en oeuvre depuis plusieurs mois fait progressivement émerger la possibilité d'un véritable partenariat industriel et commercial entre la presse et La Poste. Cette approche dépasse la logique strictement comptable qui avait pris trop d'importance auparavant, pour s'attacher aux fondamentaux de l'exploitation économique de la presse. A ce titre, je la crois emblématique du nouveau partenariat que je souhaite proposer à la presse, afin de renouveler le pacte qui l'associe aux pouvoirs publics depuis la Libération.
Je ne veux pas clore mon propos sans évoquer la situation du réseau de diffusion, qui constitue le troisième facteur-clé du redressement de la presse française.
Comment en effet espérer conquérir de nouveaux lecteurs, et même conserver ceux que l'on a, lorsque l'acquisition d'un journal ou d'un magazine devient un véritable parcours du combattant ? C'est le cas dans les villes, où dénicher un kiosque ouvert un samedi demande une solide motivation et de ne pas redouter la marche à pied. C'est également vrai dans les campagnes, durement frappées par la fermeture de nombreux points de vente.
La situation du niveau III est dramatique. Les diffuseurs sont exsangues. Il est fondamental de les soutenir, car le délitement du réseau entraîne l'asphyxie de la presse, dans un pays où la vente au numéro demeure largement prédominante puisque près des deux tiers des exemplaires sont vendus au numéro.
L'Etat, de son côté, agit. Je m'étais engagé, lorsque je m'étais exprimé à l'occasion du congrès de l'Union nationale des diffuseurs de presse à l'invitation de son président Gérard Proust, à aborder résolument le dossier de la taxe professionnelle. Nombre de diffuseurs ont en effet vu, vous le savez, le montant de cette taxe augmenter dans des proportions parfois insupportables. Mon cabinet et mes services ont donc travaillé, pendant plusieurs mois, en liaison avec l'UNDP, avec le ministère du budget, que nous avons convaincu de faire évoluer ce dispositif. Je tiens à remercier Alain Lambert pour qui j'ai de l'amitié et du respect quelques aient été nos échanges parfois vifs de ces derniers jours. Cette évolution vient d'être introduite dans le projet de loi de finances pour 2004 par un amendement parlementaire. Les collectivités locales pourront désormais procéder à des abattements des bases de la taxe professionnelles pour les diffuseurs de presse. Je souhaite que les diffuseurs voient dans ce premier pas le gage de l'attention que je porte personnellement à la situation de leur profession.
C'est au nom de cet engagement que je souhaite ici appeler solennellement la communauté des éditeurs à ses responsabilités vis-à-vis du niveau III. Il est urgent qu'une initiative positive vienne lui redonner confiance et espoir. Je sais que, dans cet esprit, le président du Conseil supérieur des messageries de presse, Yves de Chaisemartin, envisage de réunir l'ensemble des parties-prenantes. Je l'y encourage, et lui apporte par avance mon plein soutien. Je forme le voeu que chacun aborde cet exercice dans l'esprit de déboucher sur des avancées concrètes. Je verrai de quelle façon marquer mon engagement dans cette démarche, dans le respect de l'autonomie de la profession.
" La liberté de la presse est entière, ironisait jadis Alfred Sauvy, il suffit d'avoir les milliards nécessaires. " Je dirais aujourd'hui que la possibilité pour la presse de trouver une économie saine est la condition même de sa liberté. Sans elle, la presse ne peut jouer ce beau rôle de " locomotive de la pensée universelle " que lui assignait Victor Hugo. Puissiez-vous trouver les voies de cet équilibre sur ces nouveaux territoires que vous vous apprêtez à étudier avant de les investir. L'Etat, vous l'avez compris, est prêt à vous y accompagner. Nos échanges, j'en forme le voeu, prolongeront vos travaux dans un partenariat renouvelé que nous saurons inventer ensemble. C'est dans cette attente, et avec confiance, que je vous souhaite à tous un excellent et fructueux congrès.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 24 novembre 2003)
Mesdames, Messieurs, mes chers amis,
Permettez-moi de vous dire le plaisir que j'ai d'être parmi vous pour l'ouverture de ce Congrès de la Fédération nationale de la presse française qui constitue un moment d'autant plus important de la vie de votre profession qu'il est exceptionnel. Il existe en effet peu d'occasions pour la presse de se retrouver ainsi pour réfléchir à son avenir. Cette réflexion est pourtant, plus que jamais, indispensable.
C'est donc l'avenir de la presse que je voudrais m'essayer à évoquer avec vous aujourd'hui. Le thème des " nouveaux territoires ", sous le signe duquel vous avez choisi de placer vos travaux, m'y invite naturellement. Je pense que le contexte actuel nous y invite également.
La presse change en effet à l'unisson des transformations du monde et de la société dont elle rend compte. Bien social et culturel essentiel, creuset du lien social et de la vie démocratique, elle est au coeur d'une triple révolution, à la fois politique, culturelle et technologique, qui marque et bouleverse notre époque.
Révolution politique, d'abord, avec cet étonnant paradoxe : les concitoyens se détournent de la vie civique alors que la démocratie triomphe à l'échelle planétaire. Ce moindre intérêt de nos concitoyens pour la vie politique, et pour la chose publique en général, se traduit notamment par la montée apparemment inexorable de l'abstentionnisme lors des consultations électorales. Aux affrontements idéologiques de naguère, qui structuraient fortement le débat démocratique, a trop souvent succédé la politique spectacle qui l'atomise en une juxtaposition de saynètes.
Ce phénomène, qui se vérifie dans l'ensemble des sociétés développées, handicape lourdement la presse d'information politique et générale et, tout particulièrement, la presse d'opinion qui, partout dans le monde, éprouve de très grandes difficultés là où elle n'a pas complètement disparu. La presse d'information subit le contrecoup du moindre intérêt des citoyens pour la chose publique. En retour, l'érosion de son lectorat ne fait qu'accélérer la perte de ressort de nos démocraties, au risque de les miner de l'intérieur, tant il est vrai que, depuis deux siècles, le sort de la démocratie et celui de la presse sont indissolublement liés.
Si les citoyens manifestent souvent leur lassitude d'une certaine forme de politique qu'ils jugent dépassée, le besoin d'engagement est cependant intact, comme le démontre la vitalité du mouvement associatif, notamment dans ces " nouveaux territoires " de notre époque que sont le développement durable ou l'humanitaire. Dans un monde complexe, en constante métamorphose, en proie à l'incertitude et, par voie de conséquence, bien souvent, à l'angoisse et à la crainte, le besoin de comprendre n'a par ailleurs jamais été aussi fort. La demande grandit de clés d'explication, de grilles de lecture pour déchiffrer une époque incertaine.
Nous sortons sans doute de l'âge de la démocratie de masse, mais c'est pour entrer dans celui d'une démocratie participative où le citoyen se veut davantage acteur, et attend une information plus personnalisée, en fonction de ses centres d'intérêt et de ses pôles d'engagement personnel. Pour la presse, il y a là tout un nouveau territoire à investir mieux et davantage, un désir qu'elle peut sans doute, mieux que tout autre média, satisfaire si elle sait renouveler ses contenus et ses formats.
Encore lui faut-il, pour cela, surmonter la deuxième révolution que j'évoquais et qui est, elle, d'ordre culturel : je veux parler de la place de l'écrit dans notre société.
Je n'ai pas besoin de vous dire, car vous en êtes convaincus autant que moi, la valeur fondamentale de l'écrit. C'est l'invention de l'écriture qui a fait entrer l'humanité dans l'histoire, qui a permis le progrès de la civilisation et l'accumulation de la mémoire et du savoir, qui en est la condition même. Mais, pendant des millénaires, la maîtrise de l'écrit est restée le privilège d'une élite. Sa démocratisation n'est que récente. Or, voici que, déjà, elle semble reculer et que l'écrit pourrait redevenir l'apanage d'un petit nombre, à tel point qu'on évoque parfois, pour décrire le monde dans lequel nous entrerions, une " civilisation de l'image ". Le fait est que la maîtrise de l'écriture, et même de la lecture, se fait plus incertaine chez nombre de jeunes. Le fait est également qu'un Français qui passe, en moyenne, trois heures et vingt minutes par jour devant son poste de télévision n'a sans doute que peu de temps à consacrer à la lecture d'un journal, d'un magazine ou d'un livre. De fait, depuis 1999, alors que le temps consacré aux loisirs a progressé de 15 % et, au sein de celui-ci, que le temps passé devant la télévision a augmenté de 20 %, la durée dévolue à la lecture a, elle, baissé de 7 %. Regarder la télévision occupe désormais le tiers du temps libre des Français, contre 9 % pour les autres médias du savoir, de la connaissance, de la création et de l'information.
De nouvelles données sont cependant à prendre en compte. Avec l'informatique, on assiste à un certain retour de l'écrit. Nous comptons désormais en France plus de 20 millions d'internautes, soit le tiers de la population qui passe en moyenne 12 h 30 par semaine devant un ordinateur personnel, en dehors du temps de travail. Or l'internet, c'est certes des sons et des images, mais c'est aussi, et même avant tout, beaucoup de texte. Les courriels, les SMS, les " chats " - que nos amis québécois appellent " clavardages " - sont autant de nouvelles formes de communication écrite, qui n'empruntent que peu de traits, il est vrai, à l'art épistolaire classique de Voiture, de Guez de Balzac et de la marquise de Sévigné. Autant de nouveaux territoires se dessinent, que vous avez d'ailleurs commencé à investir, et par où, j'en suis convaincu, l'écrit peut retrouver sa place, à condition de savoir renouveler ses formes et son rythme.
Ce constat m'amène à évoquer la troisième révolution que nous devons prendre en compte : la révolution technologique, avec l'essor des nouvelles technologies de l'information et de la communication.
Ces techniques induisent une accélération fantastique de la circulation des informations et des connaissances, abolissant littéralement l'espace et le temps. Grâce à elles, désormais, l'opinion publique se décline à l'échelle globale. Songeons qu'internet a eu un rôle central dans l'extraordinaire aventure de la campagne internationale pour l'interdiction des mines anti-personnel, entièrement conduite par une militante associative américaine, Jody Williams, lauréate du Prix Nobel de la paix en 1997. On voit à travers cet exemple que les nouvelles technologies, lorsqu'elles sont utilisées à bon escient, sont potentiellement porteuses d'espoirs de revitalisation de l'engagement personnel, de réveil des consciences, de revalorisation de la politique dans ce qu'elle a de meilleur et de plus noble.
Pourtant, l'essor d'internet comporte également des risques pour les médias traditionnels, notamment pour la presse écrite. La recherche d'information en temps réel sur internet pourrait se substituer à la lecture des journaux. De plus, internet tend à véhiculer une culture de la gratuité qui, si elle se répand, peut être négative pour la presse payante, comme elle menace aujourd'hui l'industrie du disque et risque de miner demain, si nous n'agissons pas, l'équilibre de la production cinématographique.
Je crois toutefois que ces risques peuvent être maîtrisés. Car la surabondance de l'information de qualité souvent médiocre engendre inévitablement des besoins nouveaux auxquels la presse est particulièrement bien armée pour répondre : besoin de tri et de hiérarchisation de l'information, besoin de confiance dans une information de qualité, besoin, enfin, j'y reviens, de grilles d'analyse et de lecture.
Cette triple révolution politique, culturelle, technologique, dessine donc pour la presse autant de " nouveaux territoires ", territoires de risques, parfois, mais aussi territoires de chances qu'il lui faut investir résolument. Comment y parviendra-t-elle ?
Avant de tenter de vous livrer quelques éléments de réponse, je souhaite vous inviter à porter un regard rétrospectif sur une autre époque de profondes mutations, qui étaient également, comme aujourd'hui, tant politiques, que sociales et technologiques : je veux parler de la première moitié du XIXe siècle, secouée par l'essor de la démocratie parlementaire et de la révolution industrielle, avec ses immenses conséquences sociales.
La presse française, au sortir de l'Empire et de la Restauration, ne se portait pas bien. Son image souffrait encore de l'aversion des Philosophes des Lumières pour les gazettes qui les raillaient, telle la fameuse Année littéraire de ce Fréron que Voltaire criblait de sarcasmes. Après la brève floraison des débuts de la Révolution, la surveillance administrative n'avait cessé de se renforcer, tandis que l'absence de tradition parlementaire avait entravé l'essor de la presse d'opinion, laissant le champ libre aux traditionnels journaux à privilèges.
La presse française fit pourtant sa révolution à telle enseigne qu'au début du XXe siècle, elle était la première du monde. Un entrepreneur génial, Emile de Girardin, a alors su investir tous les nouveaux territoires qui s'offraient à la presse, en innovant sur tous les fronts. Innovation technologique dans la fabrication, grâce à l'introduction de la presse à rouleaux à vapeur. Innovation économique grâce à la diversification des sources de revenu, avec la publicité qui permet de réduire le prix de vente de la presse quotidienne : songeons que le prix d'un quotidien, qui était l'équivalent de 2,6 euros d'aujourd'hui en 1834, était tombé à moins de 15 centimes en 1914. Innovation dans les contenus, qu'illustre le ton nouveau des fameuses Lettres du vicomte de Launay de sa femme Delphine, insérées dans le quotidien La Presse, ou encore l'invention du feuilleton. Innovation dans les formats, avec le développement de l'ancêtre de la presse magazine, avec des titres tels que La Mode ou le Journal des connaissances utiles. Toutes ces innovations étaient tendues vers un même but : séduire de nouvelles catégories de lecteurs, qu'il s'agisse du lectorat féminin de La Mode ou rural du Journal des connaissances utiles, qu'il s'agisse de la petite bourgeoisie, qui peut accéder, avec La Presse, à la lecture d'un quotidien, ou des provinciaux, qui viennent y humer l'air de Paris.
Ce sont les mêmes méthodes qu'appliquera, un demi-siècle après Girardin, en les adaptant aux données nouvelles, un autre grand patron de presse, Jean Dupuy, propriétaire et directeur du Petit Parisien, qui dépassera, au lendemain de l'armistice de 1918, le cap des trois millions d'exemplaires ! Puisque Bordeaux nous accueille aujourd'hui, je ne pouvais pas ne pas évoquer la mémoire de cet entrepreneur extraordinaire, né dans une modeste famille d'un petit village du Blayais. Lui aussi a su innover sur tous les fronts de la technique, avec l'introduction des rotatives et de la photogravure, des formats avec le lancement de nombreux titres de magazine, des contenus, avec le développement des grands reportages qu'illustre le nom d'Albert Londres et la création de rubriques nouvelles consacrées aux sports ou au cinéma.
L'exemple des Girardin et des Dupuy nous montre, je crois, la voie à suivre. Aujourd'hui, la presse française, qui avait été, je l'ai rappelé, la première du monde, connaît de graves difficultés, particulièrement aiguës pour la presse quotidienne d'information politique et générale. Les autres familles de presse, malgré une meilleure santé, doivent également faire face à des incertitudes quant à leur avenir, et préserver des équilibres toujours fragiles.
Je n'ai pas besoin de m'appesantir sur le tableau d'une situation que vous connaissez bien. Depuis la Libération, la presse quotidienne a perdu près de 30 % de sa diffusion alors que la population a augmenté de 50 %. Toutes familles de presse confondues, la diffusion a encore baissé de 0,3 % sur la période 2001-2002. Sans même remonter jusqu'avant la Première guerre mondiale, alors que quatre quotidiens dépassaient le million d'exemplaires, il n'y a plus depuis longtemps, dans notre pays, de titre qui excède ce tirage, alors que chez nos voisins anglais ou allemands, on trouve des journaux qui dépassent les trois, et même les quatre, millions d'exemplaires. Pour la presse quotidienne nationale, la proportion de lecteurs parmi la population de 15 ans et plus a encore diminué en 2002 tombant à 17,7 % contre 18,5% l'année précédente. Cette diminution - et c'est un sujet majeur de préoccupation - est particulièrement forte chez les jeunes. On pourrait multiplier ainsi les indicateurs.
La presse française doit donc reconquérir son lectorat, retrouver des marges de progrès auprès de nouvelles catégories de lecteurs, à commencer par les plus jeunes. C'est un enjeu essentiel pour la presse, comme pour notre démocratie, et c'est la raison pour laquelle l'Etat est et sera à vos côtés pour vous y aider.
J'ai notamment à coeur, certains d'entre vous le savent, de construire avec les éditeurs des initiatives fortes pour amener davantage de jeunes à la lecture de la presse. Si nous n'avons pas encore trouvé la formule pleinement satisfaisante, nous continuons d'y travailler et je tiens à ce que nous y parvenions. Je crois, de même, qu'il pourrait s'avérer judicieux que la presse saisisse l'opportunité de la prochaine ouverture de la publicité télévisée pour utiliser à son profit ce média particulièrement puissant, notamment en direction des jeunes, les futurs jeunes lecteurs.
Mais s'il ne faut pas négliger l'impact de semblables opérations de communication, qui peuvent contribuer à améliorer l'image de la presse, il n'en reste pas moins vrai, bien évidemment, que la conquête d'un nouveau lectorat passe avant tout par la maîtrise de ces trois paramètres essentiels que sont le contenu éditorial, le prix de vente et le dynamisme du réseau de diffusion.
La qualité éditoriale constitue une donnée primordiale. Balzac, dans les pages célèbres et terribles qu'il consacre à la presse dans Illusions perdues le montre de façon très efficace. Or, on n'y insistera jamais assez : la qualité rédactionnelle est le coeur même de la presse, le socle de sa crédibilité et, par voie de conséquence, de la confiance des lecteurs. Elle suppose la qualité de l'approvisionnement en information - et nous avons à cet égard la chance de disposer, en France, d'un outil incomparable avec l'Agence France Presse, qu'il est vital de soutenir dans son effort de redressement et de développement à l'international. La qualité éditoriale suppose également la qualité des équipes rédactionnelles, ce qui implique un investissement particulier en faveur de la formation des journalistes.
Mais la qualité du contenu tient également à son adéquation aux attentes des lecteurs, comme à celles importantes, même si moindre, dans l'échelle des valeurs des annonceurs.
Le prix de vente constitue naturellement un élément fondamental pour que la presse rencontre son lectorat. Le prix moyen des quotidiens français, nationaux et régionaux confondus, se situe parmi les plus élevés des pays développés. Il est ainsi 50 % plus élevé dans notre pays qu'au Royaume Uni. Ces prix élevés handicapent sans aucun doute la diffusion des journaux, la limitant à des catégories de la population qui disposent de revenus suffisants. La France se situe ainsi loin derrière nombre de ses voisins en termes de diffusion avec seulement 16,5 exemplaires de quotidiens diffusés pour 100 adultes. La quasi-disparition, dans notre pays de la presse quotidienne populaire, pourtant si puissante et si structurante outre-Manche ou outre-Rhin, est probablement imputable en grande partie à ces prix de vente élevés. Si nous n'y prenons garde, le journal risque de devenir un produit de luxe dont - comme de tout produit de luxe - nos concitoyens pourraient envisager un jour de se passer.
La presse doit donc mieux maîtriser les paramètres économiques de son exploitation. Les aides que l'Etat mobilise en faveur de la presse écrite permettent bien sûr d'y contribuer. A cet égard, vous savez que, malgré les fortes contraintes qui pèsent sur les finances publiques, le Gouvernement stabilisera en 2004 - et verra même légèrement augmenter - le montant global des crédits mobilisés en faveur de la presse écrite par rapport au budget voté de 2003. Outre les mesures fiscales dont peuvent bénéficier les entreprises de presse, les dispositifs d'aide à la presse écrite que sont les aides directes, le fonds d'aide à la modernisation et les abonnements auprès de l'Agence France Presse sont renforcés. La subvention de l'État au transport postal de la presse, soit 290 millions d'euros, sera en outre maintenue en 2004.
Ces aides sont un appui et un appoint. Elles doivent aussi et surtout constituer des leviers de modernisation. Dans cet esprit, nous avons, je crois, tous intérêt à une réflexion globale sur les dispositifs d'aide existants et sur leur efficacité. Il faut rompre avec l'approche traditionnellement de court terme des aides à la presse pour définir ensemble une stratégie de modernisation qui permettra de les consolider dans la durée. C'est pourquoi, à ma demande, la direction du développement des médias a déjà commencé à mener, dans ce but, un certain nombre de concertations avec les différentes familles de presse, comme l'avait suggéré le Premier ministre lors du déjeuner organisé par la Société professionnelle des papiers de presse le 16 mai dernier. Notre objectif est d'aboutir, dans les mois à venir, à l'élaboration en commun d'un plan national pour la presse, qui concrétisera le soutien qu'apportera l'État aux différentes conquêtes que vous aurez commencé à entreprendre. Le mouvement doit venir au départ de vous-même.
Mon souhait est que les différents volets de ce plan puissent répondre aux difficultés spécifiques de l'économie de la presse en France, en abordant l'ensemble de ses aspects, de la modernisation de la fabrication à la reconquête du lectorat, en passant par la distribution.
Le moment n'est pas venu d'entrer dans le détail des différents dossiers que nous devrons ouvrir. Sur plusieurs d'entre eux, au demeurant, le Gouvernement devra d'abord écouter les propositions que les éditeurs voudront bien lui soumettre, ainsi en ce qui concerne les moyens d'améliorer l'efficacité de l'outil de production ou de l'outil de distribution. Ce sont deux questions majeures dont il faut savoir débattre avec sincérité et lucidité.
Dans ces domaines, je conçois l'intervention de l'Etat comme la facilitation et l'accompagnement de projets concrets et cohérents de modernisation. Je serai ainsi très attentif, dans les discussions que nous ne manquerons pas d'avoir sur l'avenir de l'aide à la distribution des quotidiens nationaux d'information politique et générale, aux contreparties concrètes qui seront proposées à la poursuite de l'intervention publique.
C'est également dans cet esprit que s'inscrivent les travaux que conduit M. Henri Paul quant à l'évolution du cadre des relations entre la presse et La Poste. Je tiens ici à lui dire à la fois mon estime personnelle et ma confiance dans sa capacité à faire aboutir ce dossier particulièrement structurant pour l'économie de la presse. La démarche qu'il a mise en oeuvre depuis plusieurs mois fait progressivement émerger la possibilité d'un véritable partenariat industriel et commercial entre la presse et La Poste. Cette approche dépasse la logique strictement comptable qui avait pris trop d'importance auparavant, pour s'attacher aux fondamentaux de l'exploitation économique de la presse. A ce titre, je la crois emblématique du nouveau partenariat que je souhaite proposer à la presse, afin de renouveler le pacte qui l'associe aux pouvoirs publics depuis la Libération.
Je ne veux pas clore mon propos sans évoquer la situation du réseau de diffusion, qui constitue le troisième facteur-clé du redressement de la presse française.
Comment en effet espérer conquérir de nouveaux lecteurs, et même conserver ceux que l'on a, lorsque l'acquisition d'un journal ou d'un magazine devient un véritable parcours du combattant ? C'est le cas dans les villes, où dénicher un kiosque ouvert un samedi demande une solide motivation et de ne pas redouter la marche à pied. C'est également vrai dans les campagnes, durement frappées par la fermeture de nombreux points de vente.
La situation du niveau III est dramatique. Les diffuseurs sont exsangues. Il est fondamental de les soutenir, car le délitement du réseau entraîne l'asphyxie de la presse, dans un pays où la vente au numéro demeure largement prédominante puisque près des deux tiers des exemplaires sont vendus au numéro.
L'Etat, de son côté, agit. Je m'étais engagé, lorsque je m'étais exprimé à l'occasion du congrès de l'Union nationale des diffuseurs de presse à l'invitation de son président Gérard Proust, à aborder résolument le dossier de la taxe professionnelle. Nombre de diffuseurs ont en effet vu, vous le savez, le montant de cette taxe augmenter dans des proportions parfois insupportables. Mon cabinet et mes services ont donc travaillé, pendant plusieurs mois, en liaison avec l'UNDP, avec le ministère du budget, que nous avons convaincu de faire évoluer ce dispositif. Je tiens à remercier Alain Lambert pour qui j'ai de l'amitié et du respect quelques aient été nos échanges parfois vifs de ces derniers jours. Cette évolution vient d'être introduite dans le projet de loi de finances pour 2004 par un amendement parlementaire. Les collectivités locales pourront désormais procéder à des abattements des bases de la taxe professionnelles pour les diffuseurs de presse. Je souhaite que les diffuseurs voient dans ce premier pas le gage de l'attention que je porte personnellement à la situation de leur profession.
C'est au nom de cet engagement que je souhaite ici appeler solennellement la communauté des éditeurs à ses responsabilités vis-à-vis du niveau III. Il est urgent qu'une initiative positive vienne lui redonner confiance et espoir. Je sais que, dans cet esprit, le président du Conseil supérieur des messageries de presse, Yves de Chaisemartin, envisage de réunir l'ensemble des parties-prenantes. Je l'y encourage, et lui apporte par avance mon plein soutien. Je forme le voeu que chacun aborde cet exercice dans l'esprit de déboucher sur des avancées concrètes. Je verrai de quelle façon marquer mon engagement dans cette démarche, dans le respect de l'autonomie de la profession.
" La liberté de la presse est entière, ironisait jadis Alfred Sauvy, il suffit d'avoir les milliards nécessaires. " Je dirais aujourd'hui que la possibilité pour la presse de trouver une économie saine est la condition même de sa liberté. Sans elle, la presse ne peut jouer ce beau rôle de " locomotive de la pensée universelle " que lui assignait Victor Hugo. Puissiez-vous trouver les voies de cet équilibre sur ces nouveaux territoires que vous vous apprêtez à étudier avant de les investir. L'Etat, vous l'avez compris, est prêt à vous y accompagner. Nos échanges, j'en forme le voeu, prolongeront vos travaux dans un partenariat renouvelé que nous saurons inventer ensemble. C'est dans cette attente, et avec confiance, que je vous souhaite à tous un excellent et fructueux congrès.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 24 novembre 2003)