Interview de Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes, à RFI le 26 novembre 2003, sur pacte de stabilité et les débats autour de la future Constitution européenne.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral


Q - Dans la nuit de lundi à mardi, les pays qui ont l'euro comme monnaie ont décidé par un vote à 8 contre 4, qui a été ensuite confirmé par l'ensemble des Européens, d'exempter la France et l'Allemagne des dispositions prévues par le Pacte de stabilité et de croissance en cas de déficits excessifs répétés. "C'est un mauvais jour pour l'Europe", c'est ce qu'a dit José Maria Aznar, le président du gouvernement espagnol ; "c'est une décision qui risque de miner la crédibilité et la confiance des finances des Etats membres de l'euroland", c'est ce que disent les douze gouverneurs de la Banque centrale européenne. Alors est-ce que ce Pacte de stabilité, version Dublin 1997, quand il a été créé, a vécu ?
R - Non, le pacte de stabilité n'a pas "vécu" puisque chacun s'y est référé. Et comme vous l'avez constaté, la France et l'Allemagne ont obtenu une prorogation de la durée à l'issue de laquelle - c'est 2005 - nous devrons absolument respecter ce Pacte. Au contraire, ce qui a été dit, c'est que ce Pacte, avec ses critères assez stricts, garde sa valeur, mais qu'effectivement, il y a des problèmes particuliers auxquels nous sommes confrontés. Si nous avions dû aller plus loin, nous aurions cassé la croissance.
Q - Mais quand on n'applique pas maintenant les critères stricts en question, comme le propose la Commission, est-ce qu'on ne met pas le Pacte de côté ?
R - Vous avez noté que M. Mer a annoncé l'effort supplémentaire que va faire le gouvernement français pour se rapprocher"
Q - Un milliard d'euros de plus...
R - Un milliard d'euros de plus, certainement - d'après l'évaluation actuellement faite -, ce qui n'est pas négligeable. Je peux vous dire que les arbitrages vont être difficiles.
Q - Mais ce Pacte prévoyait - et vous le dites que s'il avait une croissance de 4 % qu'on pourrait... - quand même sans ce critère d'une croissance de 3 ou 4 %. Donc, cela veut dire que ce qui était prévu ne correspond pas forcément à des situations comme celles que l'on rencontre. Donc, est-ce qu'il faut changer un peu ce qui a été prévu ?
R - Je ne suis pas favorable à ce que nous changions le Pacte. Je sais que certains groupes politiques, certains Etats et certains membres de la Commission, et non des moindres, son président
Q - Oui, qui avait dit un jour que c'était "stupide".
R - ... Ont fait allusion à la nécessité de revoir ses critères. Pour l'instant, je pense que cela ne serait pas opportun. On ne peut pas changer les règles au moment où on est confronté à leur application.
Q - Et est-ce que plus tard ça le sera ? Certains disent qu'il faudrait changer ces règles, c'est le cas, par exemple de M. Juncker, le Premier ministre luxembourgeois, vers 2005-2006, quand tout cela sera un peu tassé ?
R - Je pense qu'on ne peut pas le faire à chaud, en tout état de cause. Je pense aussi qu'il faut sans cesse rappeler que l'inflation serait une très mauvaise chose pour nous et que la stabilité monétaire, à laquelle le Pacte contribue, est un atout formidable pour l'Europe et qui nous permettra de saisir l'opportunité de la relance de la croissance.
Q - A la fin de la semaine, vous serez à Naples avec d'autres ministres français et d'autres ministre européens, pour la dernière réunion au niveau ministériel de la Conférence intergouvernementale, qui travaille sur la Constitution européenne. Est-ce que, avec ce qui s'est passé lundi autour du Pacte de stabilité, cela ne va pas énormément compliquer les discussions à Naples ?
R - Pour l'instant, nous ne voyons pas l'issue des débats qui ont lieu naturellement au sein de la Conférence intergouvernementale. C'est vrai qu'on a un peu l'impression que chacun campe sur ses positions. Mais avec l'expérience qui est la mienne, j'ai le sentiment que les compromis qui doivent nécessairement surgir, parce que sans cela nous allons à l'échec, vont se révéler in fine. Je ne vois pas un Etat qui aimerait prendre la responsabilité de permettre un échec. Ce qui transformerait la grande réussite de la Convention sur l'avenir de l'Europe, qui nous a présenté un beau projet, en quelque chose de négatif. Et ça, vraiment, je ne veux pas l'imaginer !
Q - Mais on note quand même que l'Espagne est le pays qui est le plus critique sur la décision prise à Bruxelles concernant les déficits, que l'Espagne est un des pays les plus critiques sur la future Constitution européenne telle qu'elle est présentée. Vous pensez que les Espagnols vont être très actifs à Naples, qu'ils vont oublier un peu tout ça ?
R - Les Espagnols, c'est vrai affirment leurs positions. Je crois qu'ils devraient aussi comprendre, s'agissant d'un pays qui est bénéficiaire des fonds européens - qui est le plus bénéficiaire de tous les pays européens, qui a magnifiquement utilisé ces fonds, mais qui quand même est beaucoup aidé par les autres. Ce pays devrait comprendre qu'il faut marquer un petit peu plus de souplesse. En tous les cas, l'intransigeance n'est pas dans les murs de l'Europe. Car l'Europe veut dire établir des compromis faits de concessions réciproques. Je pense que, in fine, c'est ce qui se passera.
Q - Juste un dernier point : est-ce que vous regrettez que la présidence italienne sur la Constitution européenne n'ai pas fait de propositions très précises sur les points-clés que sont la composition de la Commission, la représentation des Etats ?
R - Si elle ne les a pas faites jusqu'à présent, c'est que ce n'est sans doute pas mûr. Peut-être attendra-t-elle le dernier moment. Elle commence à faire des propositions, mais c'est vrai, pas sur les deux points essentiels.
Q - C'est renvoyé à la réunion des chefs d'Etat ?
R - C'est sans doute renvoyé à la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement. En tous les cas, pour l'instant, nous avons une série de propositions et nous attendons de voir ce que la présidence italienne va nous fabriquer. Nous espérons que cela sera aussi bon que la cuisine de ce pays
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 novembre 2003)