Déclaration de Mme Marie-George Buffet, secrétaire nationale du PCF, sur les raisons d'être de la gauche dans la période historique qui s'ouvre et sur le rôle du parti communiste en son sein, à Aix-en-Provence le 5 mai 2004.

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Je voudrais tout d'abord vous remercier chaleureusement de votre invitation et de votre accueil. Votre initiative me semble essentielle parce que nous avons besoin, dans notre société, de beaucoup de débat politique afin de cerner les possibles, les enjeux des choix collectifs, afin de bâtir ensemble des horizons à notre société. On a trop souvent le sentiment que ce seraient des débats de spécialistes. Je crois que la politique est un bien commun, et que s'il a été confisqué, il faut qu'il soit largement partagé. Je crois que la politique partagée par toutes et tous peut être un moteur puissant pour changer les rapports sociaux, les rapports entre les peuples.
Quelle gauche pour le 21ème siècle ? Voici une question que spontanément beaucoup de grands acteurs des média ne choisiraient pas de discuter avec la secrétaire nationale du PCF. Mais votre invitation montre que peut être le PCF a un rôle à jouer dans cet objectif. D'abord, il faut poser une question, elle est centrale pour qui veut tirer les leçons du passé et rendre effective des transformations sociale véritable. Si la gauche ne se remet pas en cause dans ce qu'elle est devenue, comment peut-elle espérer faire au XXIème siècle ce qu'elle a échoué à faire au XXème ? Ensuite, le Parti communiste réfléchit à cette question et la pose avec force dans le débat public depuis quelque temps déjà en s'interrogeant : comment bâtir une alternative et un vrai changement. Nous voulons porter ce débat là au cur de notre peuple parce qu'il lui appartient. C'est le sens du livre que j'ai publié récemment et dont le titre, " un peu de courage ! " est un appel à révolutionner la gauche pour qu'elle réponde enfin aux attentes et porte les aspirations populaires, pour qu'elle en finisse avec les renoncements. Quelle gauche pour le XXIème siècle ? Cette question en appelle d'autres : la gauche peut-elle encore porter un projet de société ? Faut-il se résoudre à la domination capitaliste ? Quelle démarche politique doit incarner la gauche pour transformer la société ?
D'abord, vous me permettrez sans doute un regard sur la perspective historique qui nous a conduits au jour d'aujourd'hui. Ensuite, je m'attacherai à caractériser la situation politique actuelle. Enfin, je tenterai de tracer des perspectives pour la gauche à l'orée de ce siècle débutant.
L'émergence et la structuration du mouvement ouvrier dans notre pays, profondément liées à la consolidation de la République ont fini par déboucher en 1905, sur la création de la SFIO sous l'impulsion de Jean Jaurès. Cela marque le début significatif d'un mouvement politique profond et populaire. On connaît la vivacité des débats politiques et philosophiques qui traversent le mouvement ouvrier depuis sa naissance et en aucun cas la structuration, l'unification des forces ne fait disparaître ces contradictions, qui demeurent et s'expriment en diverses occasions. Je pense à l'Affaire Dreyfus, mais aussi à la guerre, à la révolution en général et à la révolution d'octobre en particulier, à la démocratie et au pouvoir, à la colonisation, au capitalisme. Je pourrais allonger la liste. Mais il y a à gauche, un sous-bassement commun extrêmement fort aux origines, issu de la doctrine de Marx, porteur d'une analyse et d'un projet, celui d'abolir le capitalisme en assumant la lutte de classes qui structure la société. Ce sous-bassement commun restera une référence commune jusqu'aux années 80.
Le mouvement ouvrier dans la diversité de ses composantes a su dans le courant du siècle façonner la société française dans les luttes, et les institutions. Le combat politique de la gauche, dans cette dynamique, a permis de grandes avancées sociales. Il faut citer celles de 1936 légiférant sur la durée du temps de travail, les congés payés, certaines formes de protection sociale. Il faut citer celles de la Libération aujourd'hui menacées, instituant la sécurité sociale, le statut de la fonction publique, le droit à la retraite Et dans ces moments cruciaux, le parti communiste a pris une part extrêmement active. Face aux forces qui cherchent à la diviser, la classe ouvrière a toujours cherché à s'unir pour résister et avancer. L'enracinement historique de la gauche dans le monde du travail, c'est à dire l'immense majorité des hommes et des femmes, qui fut le berceau-même de la naissance de ses idéaux de justice et de libération humaine a fait sa force. Le parti communiste lui-même, profondément ancré dans la société française, porté par l'existence de pays où son utopie lui semblait être mise en uvre a incarné cet espoir puissant d'une société nouvelle. Mais deux faits majeurs ont bouleversé la gauche, déboussolé la gauche dans son entier
Le premier fait d'importance est l'échec de l'expérience socialiste à l'Est, que d'aucuns commençaient déjà à pressentir, notamment avec l'écrasement du Printemps de Prague, avec la résistance de Solidarnosc en Pologne. L'écroulement des régimes socialistes et de l'URSS au début des années 1990 malgré les quelques tentatives de réforme du système, retirent le sol sous les pieds de nombreux militants et militantes de gauche, pour qui l'existence de ces régimes constituait un élément structurant. Cet échec retentissant pointe du doigt le caractère totalitaire, le goulag, et l'état d'inefficacité dans lequel étaient tombés ces régimes, même si l'on ne peut les résoudre à cela. Tout cela porte un coup à l'idée même qu'il existerait une alternative crédible au système capitaliste.
Le deuxième, concomitant, est plus limité dans l'espace puisqu'il s'agit de l'arrivée de la gauche au pouvoir en France après des années de pouvoir sans partage de la droite. Mais très vite l'immense espoir suscité se transforme en une désillusion de la même ampleur. Le tournant de la rigueur puis l'acceptation du système et l'accompagnement de logiques libérales à contre-courant de ce pour quoi la gauche a été élue et même inventée, tout cela accentue la perte de repères à gauche.
En 1997, lorsque la gauche est de nouveau portée aux affaires dans un élan de rejet de la droite et de ses politiques régressives, après le fort mouvement social de décembre 1995, il ne faut pas s'y tromper, rien n'est réparé, et la gauche est face à d'immenses défis. Loin de poursuivre l'expérience désastreuse qu'il l'a conduite jusqu'en 1995, elle s'engage dans un processus de réformes recueillant une approbation assez claire dans la population. Mais son échec réside dans le fait qu'elle n'a jamais tranché sur ses objectifs et s'est laissée entraîner dans les rails d'un libéralisme teinté de velléités sociales. Jamais la gauche plurielle ne s'est attaquée réellement aux puissances financières, aux carcans européens ultralibéraux. Elle a refusé de faire les réformes de structure essentielles pour contrer les logiques capitalistes, n'a pas accru les pouvoirs des salariés sur les décisions. Elle n'a pas pris en compte suffisamment la souffrance sociale qui se manifestait. Pour finir, je dirais qu'elle a gouverné sans le peuple et ce fut la sans doute une raison majeure de son échec. La sévérité de mon jugement n'exonère pas, vous l'aurez compris le parti communiste, qui, s'il s'est battu à contre courant, s'est aussi laissé entraîner et n'a pas su poser les questions politiques qui étaient les siennes sur la place publique pour faire de la gauche une véritable propriété populaire. Il n'a pas su faire vivre une visée, un idéal renouvelés. Au bout, l'échec est là. La gauche a une fois de plus déçu. Elle n'a pas fondamentalement changé la vie quotidienne, elle n'a pas changé la société. Cette crise existentielle profonde de la gauche n'est pas achevée.
Le 21 avril 2002, c'est ce désarroi, entre autres qui s'est exprimé. Sous des formes diverses. C'est le vide, le chaos, le défaut de perspectives qui s'est trouvé là au cur de l'élection. Ce sont des questions profondes. Je sais qu'à gauche certains analysent cet événement retentissant comme le simple fait d'une prétendue dispersion des voix à gauche. Ainsi, le problème serait purement mathématique. Je prétends que c'est un problème politique. Que le candidat d'extrême droite, cette extrême droite haineuse, raciste, autoritaire, dangereuse, se retrouve au deuxième tour d'une élection présidentielle parce qu'il réalise un score particulièrement élevé, voilà qui est un problème majeur dans notre pays. Qu'un électorat populaire se tourne vers ce miroir aux alouettes, s'en saisisse pour pousser un cri d'alarme, ou se laisse tenter par ces sirènes, voilà qui devrait appeler l'engagement résolu de la gauche. Que le candidat de la formation majoritaire à gauche ne recueille qu'un nombre de suffrages si peu élevé ne témoigne pas d'une adhésion massive à son projet. Et pour finir pour ce qui me concerne plus directement, que le parti communiste réalise à l'issue de ces cinq ans le plus faible score de son histoire, invite à des remises en cause profondes. Pendant et après cette élection beaucoup nous ont dit leur mécontentement à l'égard de la politique menée.
Pourtant notre peuple cherche des solutions. Les dernières échéances régionales ont montré qu'il ne pouvait se résoudre à laisser la droite faire de notre société un champ de ruines où la loi du plus fort s'imposerait à tous, où l'Etat n'aurait plus pour seule mission que faire régner l'ordre. Ces élections régionales n'ont pas été l'expression d'une remobilisation convaincue mais plutôt le résultat d'une volonté de mettre un frein à l'offensive de la droite. Et la meilleure manière qu'ont trouvé les hommes et les femmes de notre pays pour le faire, ce fut de donner un peu de champ à la gauche. Mais qu'on ne s'y trompe pas. Je me souviens encore, durant la campagne des régionales de cette exigence massive qui s'exprimait. Dans une cité de Drancy, une femme, me regardant avec comme un peu de colère m'a dit ceci : " On va voter pour vous, la gauche, mais attention, on n'a pas oublié pour autant ! " L'exigence est forte que les nouveaux élus assument les espoirs qu'ils ont prétendus porter. Pour cela, il faudra que le débat ait lieu dans ces régions, désormais en première ligne face aux offensives libérales, face aux logiques capitalistes. L'exigence est forte à l'égard de la gauche en général, et c'est aussi cela qu'a marqué le score des listes de rassemblement initiées par le parti communiste dans un certain nombre de régions. Les régionales changent la donne politique générale car elles désavouent la droite dans sa politique et la frappent au cur de sa légitimité. Celle-ci a voulu oublier qu'elle avait plus été élue par défaut, dans une situation de crise politique majeure. Elles rendent plus difficile sa progression, et des reculs s'avèrent désormais possibles. Mais le gouvernement a affiché pour sa part la volonté de maintenir l'essentiel des objectifs affichés, je pense à l'assurance maladie et aux privatisations notamment, montrent l'ampleur du combat politique à mener. La gauche a donc repris vigueur par la volonté du peuple, il faut désormais s'interroger : que fera-t-elle de cette victoire ?
Que va faire la gauche ? Va-t-elle entériner la Constitution européenne qui grave dans le marbre un principe économique, l'ultralibéralisme ? C'est bien là l'essentiel du texte en volume et en contenu. " L'Europe offre à ses citoyens un marché ouvert où la concurrence est libre ", voilà ce qui régit l'ensemble des dispositions prises et les droits fondamentaux égrenés ne sont considérés qu'à partir du moment où ils ne contredisent pas ce principe, et les services publics -il n'en restera bientôt plus à ce rythme - sont considérés comme relevant de dérogations exceptionnelles et pour tout dire à tout moment révocables. Que doit faire la gauche ? Pour la réforme de l'assurance maladie, va-t-on une fois de plus faire payer les salariés dont la contribution n'a cessé d'augmenter ou rééquilibrer la balance en taxant les revenus financiers qui sont aujourd'hui totalement épargnés ? Va-t-on enfin donner du pouvoir aux salariés dans l'entreprises sur les choix de gestion ? Va-t-on enfin mettre en place une sécurité d'emploi, de formation et de revenus qui permette d'en finir avec la précarité, le chômage et les licenciements ? En résumé, la gauche peut-elle composer avec le libéralisme ? La gauche doit-elle se résoudre au capitalisme ? Je pense que non. A gauche, le débat est fort sur ce qu'il faut faire. Pour les communistes, la gauche doit porter l'audace d'une transformation sociale véritable, d'un progrès de civilisation radical qui implique de rompre avec le capitalisme dans un processus de réformes profondes. La gauche doit en finir avec les renoncements, elle doit avoir, enfin, un peu de courage. C'est ainsi que j'envisage la gauche du 21ème siècle. Une gauche qui ne se constitue pas en avant-garde éclairée mais qui met en mouvement, qui s'enracine dans les aspirations populaires, une gauche qui pratique la politique à ciel ouvert, sur la place publique avec chacun et chacune, avec le plus grand nombre. C'est ainsi que doit se bâtir, non pas l'alternance, mais l'alternative.
Depuis le 21 avril, les communistes ont beaucoup travaillé, se sont beaucoup remis en cause. La tentation était forte de rentrer dans sa coquille, de renoncer. Nous avons fait le choix inverse. Partout, se sont tenus des forums citoyens pour ouvrir le débat pour reconstruire. Nous avons voulu refaire de la politique une affaire, un enjeu populaires. Nous avons pensé que cette coupure entre les citoyens et la politique devait être combattue frontalement et qu'elle nécessitait une pratique résolument nouvelle. C'est ainsi que durant ces deux années se sont bâties nos batailles politiques. Les aspirations populaires, le dynamisme et les propositions qui se portent dans les luttes doivent investir le champ politique car elles sont la force du mouvement révolutionnaire. Et il y a là une responsabilité politique majeure pour le permettre. Trop souvent, les responsables politiques ont considéré, considèrent, à gauche, qu'ils sont les dépositaires de ce qu'on appelle le débouché politique, et finisse par dessaisir le peuple de questions politiques qui ne doivent pas lui échapper. Il n'y a pas de domaine réservé, et, je le précise, pas même la constitution de listes pour les élections. Pour transformer la société, il faut que la gauche se transforme elle-même, et pour cela, il n'y a pas d'autre moyen que l'irruption de notre peuple à tous les niveaux. Je le dis, franchement, la politique, à mon sens, n'est pas un " métier " qui serait réservé à des " professionnels ", ou à une minorité décidante. La solution que je propose peut paraître trop facile ou trop illusoire, et pourtant, la dernière période nous a montré que c'était bien là que le bât blessait et que la gauche avait pêché. Mon idéal politique est un idéal d'émancipation humaine : je ne conçois pas qu'elle puisse venir sans que les hommes et les femmes en soient pleinement acteurs et actrices. C'est bien là un enjeu politique majeur du XXIème siècle.
Et pour que vive la possibilité d'une alternative, pour qu'elle existe vraiment, il faut également combattre sur le plan politique les schémas dévastateurs que l'on veut imposer à notre peuple. Ainsi, on voudrait que le paysage se transforme en une sorte de bipolarisation à la française. Deux forces alternant au pouvoir, la force de gauche se contentant au mieux d'aménager à la marge le système, adossées à deux extrêmes polarisant et stérilisant les mécontentements. Nous avons l'ambition d'être partie prenante d'un mouvement politique audacieux qui mobilise les énergies pour transformes la société. Et les forces existent pour cela, nous en faisons l'expérience chaque jour. Dans ces perspectives, nous voulons révolutionner la gauche, la rénover profondément, pour qu'elle assume sa mission. Nous ne voulons pas bâtir une énième gauche mais travailler pour que la gauche apporte de vraies réponses aux attentes et aux aspirations populaires. Cela exige un débat profond, non pas au sommet mais avec notre peuple, grandeur nature, pour que la gauche soit vraiment la propriété des citoyennes et des citoyens, des salariés, des ouvriers, des chômeurs, des retraités, des jeunes Qu'elle soit propriété populaire. Dans un débat exigeant que nous ayons commencé à mener, nous avons constaté que déjà, des choses bougent. Nous relançons aujourd'hui nos forums en posant cette question : qu'allons-nous faire de cette victoire ? A gauche, le débat doit avoir lieu, vraiment pour reconstruire. Je prétends que d'autres choix sont possibles dans ce monde et c'est à mon sens la gauche qui doit les porter, je suis pour ma part, prête à ce débat, sans faux-semblants.
Parmi les débats majeurs il en est un qui structure aujourd'hui de fortes différences à gauche : est-il encore possible de dépasser le capitalisme ? Nous avons proposé qu'un grand débat public soit impulsé sur cette question, et cette proposition a semblé recueillir l'assentiment du parti socialiste. De la chute des régimes de l'Est et du " socialisme réel ", comme on a dit, nous n'avons manifestement pas tiré les mêmes conclusions. La social-démocratie a pour sa part estimé que cet échec retentissant invalidait la finalité - le dépassement du capitalisme - que s'était donnée le mouvement ouvrier. Elle a donc produit l'idée d'une troisième voie développée par toute une palette de nuances. Pour Lionel Jospin, par exemple, c'était : " oui à l'économie de marché, non à la société de marché ". Il s'agit ainsi d'entériner le capitalisme comme un horizon indépassable en tant que mode de production pour tenter de lui adjoindre un système de répartition compensateur autant que possible. Mais les échecs des expériences récentes se rapportant à cette voie l'invalident à mes yeux. Le capitalisme continue ainsi à produire de l'exclusion et de l'exploitation puisque c'est foncièrement sa nature.
Le courant communiste français a pensé qu'il ne fallait pas renoncer à la finalité. Il a engagé une réflexion critique sur les chemins de la transformation sociale. Ce qui a échoué, c'est pour nous une conception étatiste de la transformation de la société, inefficace, supprimant les libertés. Ce fut un échec politique, économique et éthique. De cette analyse de l'échec portant plus sur les modalités que sur la finalité, nous avons élaboré une réponse nouvelle. Nous avons pensé qu'il fallait commencer par les fins, c'est à dire ne pas considérer que la fin justifie les moyens, mais penser déjà aujourd'hui le dépassement du capitalisme par la promotion d'un communisme de notre temps, " un communisme à usage immédiat ". Le capitalisme détruit des vies, pourrit les relations entre les individus et entre les peuples, le capitalisme porte en lui la guerre comme un mode de développement et de contrôle, il porte atteinte à l'environnement par un développement guidé par le profit. Le capitalisme instaure la loi du plus fort et les inégalités. Il n'a de cesse que de se régénérer et d'inventer de nouvelles voies de domination et d'exploitation dans notre monde. Cette organisation sociale n'est pas inéluctable, il y a d'autres possibles qui sont à construire et déjà, des choses existent qui mettent à mal les logiques capitalistes : des systèmes de solidarité, des principes de gestion publique. Il faut évoquer des extraordinaires prémisses d'un ordre social tout autre que, sous nos yeux aussi, crée contradictoirement ce même mouvement historique. Par exemple : insupportable extension de la pauvreté, y compris chez nous, mais en même temps progression spectaculaire de la productivité réelle de sorte que se créent les préconditions du bien-être pour tous, mais dans un système économico-social qui impose le mal-être au plus grand nombre. De même : absence massive de démocratie dans tous les domaines, mais en même temps développement accéléré des moyens d'une participation de masse aux débats et aux choix publics ; écrasement généralisé des individus, mais en même temps obsolescence de plus en plus criante de tout ce qui vient entraver leur développement ; sanglant triomphe des égoïsmes de classe, mais sur une planète à maints égards en voie de devenir un vrai tout ; etc. Ce combat, à mon sens demeure plus qu'actuel pour qui veut la justice sociale et la liberté. Au lieu d'opposer l'Etat et le marché, il convient donc de dépasser et l'Etat et le marché par le développement de la démocratie. Tout cela afin que les décisions soient entre les mains des hommes et des femmes eux-mêmes et soient guidées par le souci de l'intérêt général. Cela implique de donner toujours plus de pouvoirs, d'informations et de moyens aux individus, cela implique une nouvelle conception de la démocratie, cela implique son développement massif dans tous les domaines y compris celui de l'économie et donc l'entreprise. C'est cette confrontation qui est aujourd'hui au cur de la gauche. Affronter ces questions, affronter le système, affronter le siècle qui vient, cela nécessite selon moi, un peu d'audace, et c'est ce que je m'efforce de faire avec les communistes dans cette période mouvementée.
Voilà pourquoi et comment, il faut à mon sens révolutionner la gauche à l'orée de ce siècle naissant. Dans la diversité de ses composantes, on peut dire qu'elle a échoué au XXème siècle à transformer radicalement la société et à dépasser le capitalisme. Si par son action, elle a marqué la vie des hommes et des femmes en actant des acquis, elle reste ces trente dernières années sur trois échecs patents. Ceux consécutifs à 1981, 1988 et 1997. La raison d'être profonde de la gauche, de changer les rapports de classe imposés par le capitalisme, entraînant inégalités, injustices et dominations demeure à mon sens valide. Il faut l'ancrer dans les réalités d'aujourd'hui. Ce combat de libération humaine s'étend à toutes les problématiques de la société, celui des discriminations raciales, celui des migrations, celui des libertés, celui du droit des femmes en tant que tels. Penser aujourd'hui le combat révolutionnaire dans une perspective profondément démocratique prenant en compte toutes les aspirations émancipatrices nécessite à la fois un projet et une visée audacieuses et une démarche participative nouvelle. La période est propice à poser aujourd'hui en grand cette question, bien au-delà des portes de cet amphi : quelle gauche pour le 21ème siècle ?
Je vous remercie.
(Source http://www.pcf.fr, le 10 mai 2004)