Interview de M. François Baroin, secrétaire général délégué de l'UMP dans "Le Monde" du 6 mai 2004, sur les relations entre l'UMP et le Président de la République, la position de l'UMP sur l'élargissement de l'Union européenne à la Turquie et sur les courants au sein du parti.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - La volonté de maîtrise des dépenses exprimée par Nicolas Sarkozy lors de sa conférence de presse ne contredit-elle pas l'objectif de "cohésion sociale" fixé par Jacques Chirac ?
R - La cohésion sociale n'est pas synonyme de laxisme budgétaire. Afficher, cette volonté, c'est affirmer la nécessité de soutenir les plus fragilisés de notre société. Certes, le plan en faveur de la cohésion sociale, piloté par Jean-Louis Borloo, coûtera de l'argent, mais il va créer des outils qui, au final, permettront un renforcement général de notre économie. Il n'y a pas de contradiction entre la priorité donnée à l'action sociale et la maîtrise des dépenses.
Q - Jean-Pierre Raffarin est-il en mesure d'arbitrer, dans ce domaine, les divergences entre M. Borloo et M. Sarkozy ?
R - Gouverner aujourd'hui, c'est à 50 % bien communiquer. Il faut du talent pour faire uvre de pédagogie en s'adressant au plus grand nombre. Que les différents ministères débattent, c'est tout à fait normal et cela s'est toujours fait. Aujourd'hui, cela se déroule au grand jour et dans la transparence. C'est un progrès. Le premier ministre rend les arbitrages, c'est son rôle. Il le fait en fonction des priorités décidées par le président de la République.
Q - L'échec de l'UMP aux dernières élections régionales et cantonales est-il aussi celui du président de la République ?
R - Le mode de scrutin, que nous n'avons pas choisi, explique pour partie cet échec. La bipolarisation de la vie politique que suppose la mise en place du quinquennat ne s'organise pas en deux ans. Nous devons prendre acte qu'il nous faut désormais composer avec l'UDF. Certes, la claque des régionales nous interpelle, mais elle touche d'abord l'UMP et le gouvernement. Le président de la République a fixé le cap en s'impliquant plus activement. La majorité doit tenir ses engagements.
Q - Jacques Chirac est-il toujours la référence de l'UMP ?
R - L'UMP c'est le parti du président. C'est l'enfant de l'élection présidentielle de 2002. Le choc du 21 avril 2002 a accéléré un processus qui était déjà lancé. L'UMP a dû se constituer avec un objectif utile : rassembler la droite et le centre. On a appris dans la victoire. Peut-être un peu trop vite.
Q - Pourtant l'UMP vient d'afficher une divergence avec le président de la République concernant l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne...
R - Cette divergence n'est qu'apparente. En vérité, l'UMP et le président de la République considèrent que cette question se posera dans dix ou quinze ans. On a donc le temps. Il n'empêche. Si cette contradiction demeure, nous l'assumons. Dimanche, notre conseil national se prononcera. Si la motion de synthèse qu'Alain Juppé, Philippe Douste-Blazy, Jean-Claude Gaudin et moi-même présentons l'emporte, les députés UMP au Parlement européen voteront contre l'élargissement à la Turquie. On peut être le parti du président et, dans le même temps, nourrir le débat sur des positions qui ne sont pas un simple papier-calque de celles du chef de l'Etat.
Q - Cela signifie-t-il qu'une page se tourne entre M. Chirac et l'UMP ?
R - Même si le quinquennat accélère le temps politique, il ne réduit pas à deux ans le mandat présidentiel. Dans les années 1980, durant la présidence de François Mitterrand, j'ai le souvenir de divergences entre le PS et le président de la République. Cela dit, il est vrai que la culture du débat au sein de la droite n'est pas encore entrée dans les murs. Nous devons modifier en profondeur nos habitudes.
Q - Jérôme Monod, conseiller du président de la République, conservera-t-il sa place particulière au sein de l'UMP ?
R - Jérôme Monod a une place éminente dans l'histoire de l'UMP. Il est titulaire de la carte numéro un. Il est membre du bureau politique et d'aucune autre instance. Il ne participera pas à la commission des investitures pour les prochaines élections européennes.
Q - Vous avez finalement admis la nécessité de créer des courants internes à l'UMP. Est-ce suffisant pour sauver le parti ?
R - La mise en place des courants n'est pas la martingale qui permettra à elle seule de nous redonner la victoire. Le débat au sein du parti est nécessaire et il passe par la mise en place des courants.
Q - Est-ce le signe d'une absence de leadership dans le parti ?
R - Depuis l'annonce du départ d'Alain Juppé, l'UMP traverse une véritable épreuve. M. Juppé symbolise l'équilibre entre les différentes familles constitutives de notre formation. Il est le meilleur pour incarner le rassemblement des libéraux, des centristes et des gaullistes. Son départ exige de désigner un successeur.
Q - M. Sarkozy peut-il être celui-ci ?
R - Il faut tourner la page des absurdités politiques comme celle du "tout sauf Sarkozy" aussi ridicule que "jamais le premier ministre" ou "toujours le premier ministre". Il n'y a pas de candidat disqualifié.
Q - Serez-vous candidat à la présidence de l'UMP ?
R - J'ai fait un choix en acceptant la tâche qui m'a été confiée il y a un mois. Je suis dans une logique de CDD jusqu'au début novembre, date du prochain congrès de l'UMP.

(source http://www.u-m-p.org, le 6 mai 2004)