Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur l'essor des nouvelles technologies et l'aide aux pays en développement et le rôle des organisations internationales pour la diffusion des connaissances et l'accès à l'information, New York le 6 juillet 2000.

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Circonstance : Forum de l'ECOSOC sur les technologies de l'information et les pays en développement à New York le 6 juillet 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
J'ai l'honneur de m'exprimer au nom de l'Union Européenne. Les pays d'Europe Centrale et Orientale associés à l'Union européenne (Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie), les autres pays associés (Chypre, Malte et Turquie), ainsi que les pays de l'AELE membres de l'Espace Economique Européen (Liechtenstein, Norvège, Islande) se rallient à cette déclaration.
Le Conseil Economique et Social a choisi cette année pour son segment de haut niveau un thème particulièrement important, qui du point de vue de l'Union européenne peut être présenté de la façon suivante : comment faire en sorte que le développement spectaculaire des technologies de l'information et de la communication contribue au " décollage " des pays en développement ? Et quel rôle l'Organisation des Nations Unies pourrait-elle jouer dans ce processus ?
A cet égard, nous saluons la qualité des rapports du Secrétaire Général et du groupe d'experts de haut niveau qui offrent à nos travaux une excellente base
Le constat dressé n'est guère contesté: les technologies de l'information et de la communication sont l'un des moteurs d'un phénomène souvent évoqué dans ces murs, je veux parler de la mondialisation. Leur développement constitue une véritable révolution qui a modifié en profondeur non seulement le fonctionnement de l'économie mondiale, mais aussi, dans de nombreux pays, le mode de vie des individus.
L'émergence de la société de l'information, c'est l'émergence d'un monde nouveau, dématérialisé, décentralisé, immédiat, interactif et global.
Ces transformations comportent avant tout des aspects positifs. Dans le domaine de l'éducation et de la formation, elles permettent un accès direct à des ressources distantes. En matière de commerce, elles offrent les potentialités de marchés à l'échelle mondiale. Sur le plan culturel, elles présentent des possibilités immenses d'échanges entre civilisations. D'une manière générale, elles créent des espaces nouveaux de liberté et de dialogue.
Mais elles lancent aussi à la communauté internationale des défis d'une rare complexité : applicabilité des réglementations territoriales, apparition de nouvelles formes de criminalité, protection de la vie privée.
Pour les pays en développement, les technologies de l'information peuvent représenter un formidable outil de lutte contre la pauvreté. Leurs potentialités sont très élevées que ce soit dans les domaines de l'éducation, de la formation, de la culture et de la santé, voire encore en matière d'accès aux marchés financiers, de croissance économique et d'emploi. Une combinaison réussie des vieilles et des nouvelles technologies paraît cruciale pour la concrétisation de ces potentialités.
Mais nous savons aussi que les bénéfices des technologies de l'information sont inégalement répartis tant entre les pays du Nord et du Sud, qu'à l'intérieur même des Etats. C'est ce que l'on a pu appeler la "fracture numérique". Seule une prise de conscience au sein même de ces pays comme de la part de la communauté internationale permettra l'adoption et la mise en oeuvre des politiques indispensables à l'émergence d'une réelle égalité des chances d'accès aux technologies de l'information.
Un tel progrès sera possible dès lors que seront levés les freins qui s'y opposent actuellement. Ces obstacles sont, me semble-t-il, de trois ordres:
- le besoin quantitatif et qualitatif en infrastructures et équipements ne doit pas être sous-estimé: sans électricité ou accès au réseau, un ordinateur ne sert à rien;
- ensuite, il est fondamental de permettre l'accès à des programmes d'alphabétisation et de formation des individus, pour permettre la diffusion réelle des connaissances ainsi que l'enrichissement et l'appropriation par la société civile des contenus locaux ;
- enfin, on ne répondra aux besoins locaux qu'en proposant des services adaptés dont le coût soit acceptable au regard du niveau de vie moyen des populations intéressées. Cela suppose de rendre plus accessibles les coûts d'accès individuels et collectifs, ainsi que le prix des matériels et des logiciels.
Cela montre bien qu'il n'y a pas une clé unique pour accéder à l'information, mais plutôt la nécessité d'agir sur une série de composantes qui interagissent entre elles. Répondre à ces défis implique de contribuer au développement, dont l'accès aux technologies de l'information n'est qu'une composante. C'est pourquoi des politiques de développement appropriées doivent être mises en oeuvre à tous les niveaux, tant de la part des bailleurs de fonds que des pays bénéficiaires.
Parallèlement, les nouveaux espaces de liberté que nous offrent les techniques modernes de communication et de diffusion de l'information sont autant de chances de faire progresser la démocratie participative et de contribuer à l'amélioration de la gestion publique et privée des affaires.
L'importance des obstacles sur la voie de l'accès aux technologies de l'information ne doit pas nous conduire au fatalisme. L'exemple de certains pays en développement, qui ont su profiter de ces technologies malgré la faiblesse de leurs ressources financières, prouve qu'une politique volontariste dans ces différents domaines peut permettre de surmonter la plupart des handicaps. C'est d'ailleurs ce que soulignent avec pertinence les recommandations du Secrétaire general sous le chapitre des "actions nationales".
De surcroît, certaines caractéristiques de la révolution numérique sont potentiellement favorables aux pays du Sud. En effet, la société de l'information privilégie moins le capital financier que le capital intellectuel, qui est plus équitablement réparti.
Monsieur le Président,
De nombreuses initiatives ont déjà été lancées pour lutter contre la fracture numérique, aussi bien venant des pays donateurs que des organisations multilatérales de développement. La Banque Mondiale, l'UNESCO, la CNUCED, l'UIT, la CNUDCI, le PNUD, l'OMPI, l'UNU, et j'en oublie certainement, ont acquis une compétence reconnue sur certains aspects du thème de ce segment de haut niveau. L'Union européenne a lancé une initiative ambitieuse baptisée "e-Europe". La fracture numérique, après avoir été récemment évoquée dans le cadre de l'OCDE et du Commonwealth, sera l'un des thèmes centraux du sommet d'Okinawa du G8. Une conférence internationale s'est réunie le mois dernier à Paris sur la cybercriminalité.
Au sein des Nations Unies, et dans la ligne tracée par le Secrétaire Général dans son rapport sur le Millénaire, je ne peux que me réjouir des initiatives visant à créer des réseaux en ligne, comme ceux relatifs à l'administration publique et aux questions de genre, qui assurent un lien direct entre institutions régionales, sous-régionales et nationales.
Les moyens pour faire face à ces enjeux ont connu des avancées notables, notamment grâce à la qualité des travaux des organes subsidiaires du Conseil Economique et Social. A ce titre, la nécessité d'assurer une meilleure mutualisation des savoirs-faire acquis et de promouvoir des partenariats globaux notamment entre pays du Sud, apparaît de plus en plus évidente. Chaque institution doit pouvoir traiter son sujet de compétence et le faire en ayant à l'esprit les questions connexes traitées dans d'autres enceintes. Exigence de pluridisciplinarité et principe de spécialité doivent s'appliquer.
Dans ce contexte, quelle contribution le Conseil Economique et Social pourrait-il apporter à l'effort engagé ? Je voudrais préciser sur ce point la position de l'Union européenne.
En premier lieu, le Conseil Economique et Social a un rôle de sensibilisation des opinions publiques et des décideurs. Ce segment de haut niveau peut favoriser une prise de conscience générale de l'importance de réduire cette fameuse "fracture numérique". Ce rôle est à la portée de l'O.N.U. : j'en veux pour preuve la réussite des deux réunions organisées aux Nations Unies à New York en 1999 sur le problème du passage informatique à l'an 2000, dont l'utilité avait été reconnue par les nombreux participants.
En second lieu, cette session permet d'échanger des informations et de comparer nos expériences respectives. Même si la situation d'un pays n'est évidemment pas toujours transposable à celle d'un autre, nous avons beaucoup à apprendre d'un tel débat: il y a sans doute des erreurs que nous pouvons éviter de renouveler, et des succès dont nous devrions essayer de nous inspirer.
Troisièmement, cette session prouve la capacité de l'Ecosoc à associer le secteur privé à ses travaux en vue de construire de nouveaux partenariats. Je voudrais à cet égard vous féliciter, Monsieur le Président, ainsi que le Secrétariat des Nations Unies, pour avoir su, par vos idées novatrices, susciter une large participation du monde de l'entreprise et d'autres représentants de la société civile qui enrichit nos débats et accentue le caractère opérationnel de nos décisions. Le partenariat avec les entreprises et les organisations non gouvernementales est sans doute l'un des gisements d'expériences et d'apports les plus interessants.
Enfin, le Conseil Economique et Social doit être en mesure de remplir son rôle central de coordination.
A l'heure actuelle, les programmes des diverses institutions du système des Nations Unies en vue d'assurer une meilleure diffusion des technologies de l'information et de la communication semblent insuffisamment concertés.
La coordination et la cohérence sont indispensables. Cependant, il convient d'éviter la création de nouveaux mécanismes administratifs de coordination redondants et coûteux. C'est pourquoi la possibilité de confier un rôle de suivi de nos décisions au Comité administratif de coordination mérite d'être examinée.
De même, le Conseil de gestion ("Senior management group"), qui se réunit chaque semaine sous la présidence du Secrétaire Général, pourrait jouer un rôle utile à cet égard.
Pour sa part, le Conseil Economique et Social pourrait adopter dans un proche avenir, sur la base d'une proposition du Secrétariat, une "stratégie globale" qui fixerait les grands principes de l'action du système des Nations Unies dans le domaine des technologies de l'information et de la communication. Cette stratégie globale devrait être basée sur une liste d'objectifs clairs et compréhensibles par les citoyens et devrait définir le rôle de chaque intervenant par rapport à ces objectifs . Une telle stratégie favoriserait également la mobilisation des fonds privés susceptibles de financer, à travers des fondations en particulier, le développement de ces technologies dans les pays en développement.
L'Union Européenne souhaite vivement que ce segment de haut niveau ait un rôle catalyseur permettant de lancer des actions concrètes, en particulier en matière d'éducation, de formation et d'aide au développement des contenus locaux.
L'Union Européenne est prête à jouer un rôle actif pour lutter contre le fossé numérique aussi bien dans les débats internationaux qu'à travers ses relations avec ses partenaires de développement aux niveaux national, régional et dans les institutions multilatérales.
Depuis ces dernières années, nous avons beaucoup travaillé sur les enjeux posés par l'émergence de la société de l'information.
Les efforts fournis nous ont conduit à poser un cadre réglementaire souple et innovant. La politique européenne de libéralisation des télécommunications mise en oeuvre depuis le 1er janvier 1998 a permis une évolution rapide et créative du secteur. Une normalisation favorable à la téléphonie mobile - la norme GSM - a entraîné un essor exceptionnel de cet outil, au point qu'il est devenu en Europe un phenomène de société. Ce cadre juridique est en cours de réexamen en vue d'un développement de la concurrence bénéfique aux consommateurs.
Ce contexte facilitera aussi l'accès à l'Internet mobile et aux transmissions sécurisées, notamment par la carte à mémoire.
Nous nous sommes attachés par ailleurs à définir un équilibre entre l'encouragement à l'initiative privée et le respect des politiques publiques. Une méthode originale (dite de co-régulation) qui tient compte de modèles juridiques différents a été adoptée en vue d'établir un dialogue étroit avec les acteurs.
Enfin, l'Union Européenne se concentre aujourd'hui sur la notion d'usages. Son objectif est de rendre la société de l'information accessible à tous.
Nous comptons développer, dans le programme appelé initiative E-Europe, un volet international centré sur la lutte contre l'exclusion numérique. Il pourra tirer parti des actions communautaires dejà en cours, notamment le programme Eumedis avec nos partenaires mediterranéens.
Nous poursuivrons nos efforts pour promouvoir la coopération internationale dans la lutte contre la cybercriminalité.
Monsieur, le Président,
Je voudrais rappeler que le Secrétaire Général des Nations Unies, dans son rapport riche en recommandations, a proposé quelques lignes directrices pour encourager l'emergence de la société de l'information, notamment :
- le renforcement des accès mutualisés, c'est-à-dire utilisés en commun par des groupes de population ayant des préoccupations voisines afin de remédier à l'insuffisante connectivité individuelle ;
- l'appui à l'emergence de projets locaux dans quelques domaines ciblés (l'education et la formation par exemple) en vue d'une meilleure mobilisation des ressources;
- l'incitation à la mise en ligne des contenus locaux pour différents usages, avec notamment pour perspective de préserver le patrimoine et encourager la création.
Nous souhaitons les examiner en détail avec nos partenaires, dans la perspective d'aboutir à des recommandations tenant compte de trois orientations en termes de méthode:
- le constat de la diversité des situations entre nos différents pays, qui rend difficile l'établissement de catégories précises mais incite plutôt à des analyses fines, pour éventuellement en dégager ensuite des enseignements généraux ;
- la nécessité d'associer des partenaires multiples dans ces efforts, les Etats et les organisations multilatérales bien sûr, mais aussi les entreprises et organisations non gouvernementales qui le plus souvent se trouvent dans la société de l'information à l'origine d'initiatives et de financements ;
- le besoin d'avancer de manière pragmatique, sans trop s'attarder sur des questions de principe ou de doctrine mais en s'efforçant avant tout de dégager, comme sait le faire le monde de l'Internet, les "bonnes pratiques" qui mèneront aux stratégies ayant les meilleures chances de succès.
Monsieur le Président,
Le thème de ce segment de haut niveau revêt pour l'Union Européenne une importance capitale, qui mérite un suivi régulier par l'Ecosoc et les autres organes pertinents du système des Nations Unies. Notre réunion n'aurait pas servi à grand-chose si elle restait sans lendemain, et l'Union Européenne veillera à ce qu'elle débouche sur des actions concrètes.
En conclusion, Monsieur le Président, je voudrais vous assurer de la détermination de l'Union Européenne à travailler avec vous dans un esprit constructif afin de favoriser le succès des travaux du Conseil Economique et Social à cette session de fond.
( Source http://www.culture.gouv.fr, le 10 juillet 2000)