Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, au "Figaro" le 11 octobre 2003 et à "France Inter" le 30 octobre 2003, sur la position de son parti sur la Constitution européenne et sur les consultations du Chef de l'Etat et l'éventuel recours au référendum.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

S. Paoli -. Y aura-t-il une trêve partisane s'agissant de la Constitution européenne ? Et cette trêve serait-elle aux yeux du Président de la République, la condition du référendum ? Le chef de l'Etat a reçu hier donc après tous les autres chefs de parti, A . Juppé, président de l'UMP, qui était hier matin l'invité de Question directe. Il estimait sur notre antenne que le mieux serait de donner la parole aux Français, et c'est F. Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, député-maire de Tulle en Corrèze, qui est ce matin l'invité de Question directe. "Trêve partisane", c'est une formule qui vous dit quelque chose ou pas ?"
- "Nous n'en sommes pas là, nous ne sommes pas dans un domaine où il faudrait que la politique n'ait pas sa place. Au contraire, je pense que sur la question européenne, il faut que la politique, au sens le plus noble du terme, prenne toute sa place, parce qu'il s'agit de l'avenir du continent européen et à travers lui, de l'avenir de la France. Donc j'avais souhaité que le Président de la République fasse des consultations à l'issue du travail, de ce qu'on a appelé la Convention, qui avait préparé ce projet de Constitution. Il vient d'ouvrir ces consultations à mon avis un peu tard, mais qu'importe, et je lui ai demandé de les poursuivre, parce qu'il va y avoir une négociation difficile sans doute avec des demandes venant de tous nos partenaires. La France doit être partie prenante, elle doit avancer ses propres positions et j'ai donc demandé que les consultations puissent se prolonger tout au long de cette période de négociations, ce qui d'ailleurs a été, semble-t-il, accepté par le Président de la République. Alors nous en sommes à un moment où il faut parler de l'Europe auprès non seulement de nos partenaires, non seulement auprès des partis politiques, mais aussi auprès des citoyens, puisque c'est de leur avenir qu'il est question."
Prenons les choses dans l'ordre. D'abord, le chef de l'Etat est-il à ce point insondable qu'il vous soit impossible aux uns et aux autres d'avoir une idée sur ce qu'il a envie de faire ou pas, référendum ou pas ?
- "Moi, je ne suis pas là pour essayer de comprendre ce que veut ou ce que ne veut pas le Président de la République."
L'enjeu est pourtant très important...
- "Je ne suis pas là pour obtenir des confidences ou pour les livrer. Responsable de l'opposition, si je disais ce qu'allait faire le Président de la République, ou je ne serais plus dans mon rôle, ou vous ne me croiriez plus. Donc moi, j'ai compris qu'il n'était pas aujourd'hui prêt à donner sa décision - référendum ou congrès, c'est-à-dire voie parlementaire. Je lui ai dit ce qu'était la position du Parti socialiste : nous, nous sommes favorables à une consultation populaire et qui pourrait d'ailleurs se faire à l'échelle de l'Europe. L'idéal, si on est européen, si on veut que les citoyens prennent complètement la parole et prennent la décision, ce serait de faire le même jour un référendum à l'échelle de l'Europe sur cette Constitution. C'est vrai que beaucoup de nos partenaires n'ont pas la voie du référendum comme pratique et beaucoup ne veulent pas forcément le faire au même moment. C'est un tort, mais en tout cas, j'ai compris que le Président de la République, lui, autant il souhaitait peut-être que cela se passe dans un délai rapproché pour les pays qui devaient ratifier, autant sur le référendum, il n'a pas paru décidé. Mais ce qui compte pour nous, c'est maintenant de faire progresser le texte, parce que tout le monde parle de la ratification, mais sur un texte que, finalement, personne ne sait aujourd'hui ce qu'il va être à l'issue de cette longue phase de discussions, ce qu'on appelle la conférence intergouvernementale. Et le rôle d'un parti comme le mien, le Parti socialiste, ce n'est pas de dire : voilà le texte de la Convention, il ne faut surtout pas y toucher, parce que sinon, tout se détricoterait. C'est d'essayer de dire ce qui peut être amélioré dans ce texte, et si la France peut même parler d'une seule voix. J'en reviens à la question éventuelle de la trêve partisane. Est-ce qu'on ne peut pas dire, nous tous, en France : nous voulons que le texte de la Convention progresse, par exemple sur la question de la coordination des politiques économiques, sur l'emploi. C'est quand même bien le sujet. Aujourd'hui, est-ce que l'on veut que l'Europe stimule l'emploi ou pas ?"
On va y venir !
- "Deuxième sujet : est-ce qu'on veut que l'Europe soit protectrice des droits sociaux ? C'est quand même un élément où on devrait avoir des progrès par rapport au texte de la Convention européenne. Il y a la question des services publics qui préoccupent beaucoup, il faut qu'on ait des garanties. Il y a la question de la laïcité, il faut qu'on ait des vigilances. Donc ce que demande maintenant au Président de la République, après ses consultations, c'est de dire ce que va être la position de la France dans la négociation, de manière à ce que le texte puisse lui-même connaître des progrès."
Alors parler d'une seule voix, ce n'est pas simplement une formule. Et vous ? Et vous au Parti socialiste sur la question européenne, vous en êtes où ?
- "A ce stade, nous disons : nous sommes saisis d'un texte, celui de la Convention qui, à l'évidence, sur le plan institutionnel est un progrès, personne ne peut le nier. Parce que cela va donner plus de pouvoir au Parlement européen, cela va responsabiliser politiquement la Commission et il y en a besoin. Il va y avoir un président pour l'Europe, un ministre des Affaires étrangères ; par rapport à ce qu'est la situation actuelle dans une Europe à vingt-cinq, c'est un progrès. Mais je le disais, sur le plan économique, sur le plan social, sur le plan des services publics, sur le plan même de la révision de la future Constitution, il y a des limites, il y a même quelques risques. Il faut absolument que dans la négociation, on fasse reculer les limites, supprimer les risques et qu'on n'évite aucun recul. Voilà la position des socialistes : améliorer le texte, parce que c'est un texte très important pour notre avenir, il s'agit de la Constitution, même si le mot peut paraître fort, mais en tout cas du traité institutionnel pour l'Europe, cela vaut la peine."
Est-ce qu'il n'y a pas aussi une question dont d'ailleurs on ne parle peut-être pas suffisamment, une grande question posée à la politique ? La grande crainte, semble-t-il de J. Chirac et pas simplement de lui, c'est que si l'on fait un référendum, les Français répondent à une autre question que celle qui est posée... Et quand on voit les sondages aujourd'hui, vous parliez de l'emploi, il semblerait que ce n'est pas du tout la sécurité maintenant qui fait peur aux Français, c'est à nouveau le chômage. Le Premier ministre et le Président de la République perdent chacun - le Premier ministre quatre points, J. Chirac trois points - et on voit tout à coup que les grandes préoccupations françaises sont à nouveau en train de changer de nature. Si on pose une question, à quoi répondront-ils ?
- "Alors d'abord, ce n'est pas ma faute si le Gouvernement est impopulaire et si le Président de la République a peur et je crois qu'il a peur d'une consultation ou d'un référendum qui, effectivement, permettrait aux Français non pas de sanctionner l'Europe qui n'y est pour rien, même s'il y a sa part de responsabilité et j'y reviendrai, mais de sanctionner le Gouvernement. Donc je crois qu'effectivement l'impopularité de la politique actuelle ne favorise pas la prise de décision du Président de la République dans le sens d'un référendum et d'une consultation populaire. C'est vrai que le gouvernement, par ses propres erreurs, ne favorise pas ni la confiance dans l'avenir - et c'est vrai que la préoccupation majeure de nos concitoyens, c'est l'emploi -, ni même le sentiment européen. Parce que quand le Premier ministre s'en prend à l'Europe pour excuser ses mauvais résultats, d'abord, il ne plaide pas bien sa cause, et ensuite, il affaiblit celle de l'Europe. Et je crois aujourd'hui, et cela vaut pour la France comme pour l'Europe, la seule priorité qu'il faut affirmer, parce que l'insécurité elle existe, mais l'insécurité sociale aussi elle existe, l'insécurité par rapport à l'avenir, c'est à travers le chômage qu'elle se mesure. Et donc, la première priorité d'une politique gouvernementale, c'est l'emploi, et la première priorité d'une politique européenne, cela doit être l'emploi. A cet égard, il faut encore améliorer les dispositifs de soutien à la croissance, de soutien à l'emploi dans les dispositions européennes."
On n'échappe jamais à la politique politicienne. Vous avez vu le débat qui vous concerne déjà ce matin sur les alliances, à l'extrême gauche entre A. Laguiller et Besancenot pour les prochaines régionales ? Qu'en dites-vous ? Il paraît que cela vous inquiète beaucoup ?
- "Non, moi je trouve que quand on se proclame d'extrême gauche, même si c'est une proclamation et que l'on dit, que de toute façon, entre la gauche et la droite, on ne choisira pas, cela veut dire que l'on permet à la droite de rester au pouvoir pour toujours. Drôle d'extrême gauche que de permettre ainsi, si j'en crois les gazettes, à M. Raffarin d'être rassuré sur son propre avenir. Si le rôle de l'extrême gauche, qui se prétend telle, c'est de permettre à la droite de rester au pouvoir pour éventuellement faire de grandes manifestations dans la rue, je pense que ce n'est pas servir la cause de la gauche et des valeurs qu'elle porte."
Une question dont on reparlera sûrement aussi avec les auditeurs, parce qu'apparemment, cela les intéresse beaucoup ce matin, la Corse. N. Sarkozy en Corse, N. Sarkozy invoquant de plus en plus souvent le système mafieux corse... Qu'en dites-vous ?
- "Qu'il ait mis quand même dix-huit mois à s'informer, et dieu sait s'il doit être bien informé, puisqu'il est ministre de l'Intérieur, de l'existence d'un système mafieux, est assez incroyable, paradoxal. Parce que tout le monde sait que le système mafieux et notamment, il y a eu des enquêtes parlementaires depuis de longues années, notamment celle présidée par J. Glavany, tout le monde sait qu'il y a un système mafieux qui touche d'ailleurs les milieux nationalistes comme d'autres milieux. Et que le ministre de l'Intérieur ait fermé les yeux sur cette réalité, prouve qu'il n'a pas toujours le sens de la bonne réactivité, ce qui peut surprendre. En plus, il a utilisé un mot qui est celui de "naïveté" ; il dit : j'ai été "naïf" par rapport à l'existence d'un système mafieux. Je ne voudrais pas avoir la cruauté de lui rappeler que le mot "naïveté" avait été utilisé justement par J. Chirac pour caractériser la politique à l'époque de L. Jospin, en disant : ce n'est pas une excuse, c'est une faute."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 30 octobre 2003)